CORPUS LITTÉRAIRE ÉTAMPOIS
 
 
Vincent Voiture
Apprenez notre voyage
chanson, vers 1630
 
   
Portrait anonyme de Vincent Voiture

     Vincent Voiture passait pour un bel esprit. On lui doit une chanson qui évoque un voyage de Paris à Orléans, avec une étape à Étampes, qui lui a fait remarquer que
Estampe et crampe vrayment,
Riment admirablement.

     Il est curieusement revenu, dans l’une de ses lettres à Pierre Costar, sur cette rime apparemment mémorable (mais qu’il n’a pas inventée). Voltaire de son côté, dans son Dictionnaire philosophique, donne cette chanson pour preuve de ce que le goût de Voiture n’était pas toujours des plus sûrs. Elle a pourtant été imitée à la génération suivante par Jean-François Régnard. Voici les pièces du dossier.
                      
Vincent Voiture
Apprenez notre voyage
chanson

Gason d'Orléans, frère du roi        Fils d’un marchand de vins qui suivait la cour, Vincent Voiture fit ses études à Paris et gagna la protection de Gaston d’Orléans, frère du roi, en lui adressant une pièce de vers à l’âge de seize ans. Ce prince le nomma contrôleur général de sa maison, puis introducteur des ambassadeurs.

     Le comte d’Avaux, dont il avait été le condisciple, le mit en relation avec plusieurs personnes de la haute société. Chaudebonne (appelé Frère Claude dans notre chanson) l’introduisit à l’hôtel de Rambouillet. C’est de Madame de Mme de Rambouillet qu’il est question ci-dessous sous le nom de Julie. Voiture enseigna le beau langage et les belles manières aux habitués de son hôtel. Il en fut le héros galant et badin, comme Guez de Balzac en était le héros sérieux.


    Quand il accompagna le duc d’Orléans
en Lorraine après la Journée des Dupes (10 novembre 1630), puis dans le Languedoc, les épîtres qu’il envoyait de province à Paris étaient un événement dans le monde des beaux-esprits dont l’avait séparé la politique. Il en écrivit aussi d’Espagne, où le prince l’avait chargé d’une mission.

    Notre lettre-chanson est écrite par Voiture lors de l’un de ces exils passagers, depuis Orléans, où il règle les affaires du duc d’Orléans avec Frère Claude. Elle est adressée aux dames de l’hôtel de Rambouillet.


Sur l’air du branle de mets.

Belles l’honneur de nostre âge,
Et le but de nos souhaits
Sur l’air du branle de mets,
Apprenez nostre voyage;
Mais pleurez en le chantant,
Car nous en faisons autant.


Branle de Metz: danse à la mode.
Nous n’estions qu’au Bourg La Reyne,
Et je creus estre à Goa,
Ou cent milles par delà,
Tant mon cœur estoit en peine,
S’éloignant de la beauté,
Qui retient sa liberté.

Bourg-la-Reine
Goa: comptoir portugais aux Indes.
Cent milles: milles marins.
Nous vismes dedans la nuë
La tour de Mont-Le-Heris,
Qui pour regarder Paris
Allongeoit son col de gruë;
Et pour y voir vos beaux yeux,
S’élevoit jusques aux cieux. [p.77]


La Tour de Montlhéry.
Quand nous fusmes dans Estampe
Nous parlasmes fort de vous;
J’en souspiray quatre coups,
Et j’en eus la goutte-crampe:
Estampe et crampe vrayment,
Riment admirablement.



La goutte-crampe est simplement une crampe
Dans le milieu d’Angerville,
Monsieur nostre chancelier,
En me parlant d’un soulier,
Me fit devenir débile,
Me souvenant de celuy
Qui m’a causé tant d’ennuy.

Notre chancelier: Chaudebonne.




Une heure estoit bien passée,
Quand nous vinsmes à Toury,
Alors Monsieur Griboury
Me revint en la pensée,
Un certain noir et frisé,
Fort bien fait et composé.


Allusion perfide sans doute, le gribouri étant un coléoptère parasite de la vigne parfois appelé écrivain.
Nous trouvasmes prés Sercote,
(Cas estrange et vray pourtant)
Des bœufs qu’on voyoit broutant,
Dessus le haut d’une motte;
Et plus bas quelques cochons,
Et bon nombre de moutons. [p.78]

Sercote: aujourd’hui Cercotte.
Nous vismes deux demoiselles,
Lors que nous fusmes dedans,
Qui paroissoient à leurs dents,
D’assez gentilles femelles;
Frere Claude qui les vit,
De fort bon cœur leur sousrit.





Frère Claude: Chaudebonne.
Dans Orleans cent harangues,
Se firent au chancelier;
Et l’on le vint supplier,
En dix-huict sortes de langues:
Les trois mores furent pleins
De maires et d’echevins.





Les Trois-Maures: nom d’hôtel (qui était aussi représenté à Étampes)
Voyant cela, je m’écoule,
Et desirant estre à part,
Je me sceus mettre à l’écart
Dans un coin; hors de la foule,
Où rêvant jusqu’à la nuit,
J’escrivis ce qui s’ensuit.


Nostre aurore de la barre,
Est maintenant un soleil:
Le ciel n’a rien de pareil,
La terre rien de si rare;
Mais en cas de Merlenbeau,
Son esprit n’est pas fort beau. [p.79]

Aurore de la Barre: Mlle du Vigean la cadette. (Voyez Cousin, Mme de Longueville, p.199).
Cette beauté souveraine
A r’allumé mes vieux ans:
Ses attraits sont si charmans,
Que pour sortir de la peine
Où m’a conduit son bel œil,
Je n’attens que le cercuëil.

Quel éclat et quelles flammes,
Quels rayons vois-je dans l’air?
A voir tant de feux briller,
C’est la princesse des ames,
La reyne des volontez,
La deesse des beautez.

Cachez vos beautez mortelles,
Je voy paroistre Cloris;
Tous vos attraits sont peris,
Voicy la belle des belles;
Son soulier a plus d’attraits,
Que vos yeux et tous vos traits.

Cloris: la duchesse d’Aiguillon.
Ce que le ciel a de flamme
Il l’a mis dedans ses yeux;
Ce qu’il eut de precieux,
Il le mit dedans son ame,
Rien du tout ne luy deffaut,
Que d’avoir le sang plus chaud. [p.80]


La belle baronne darde
De ses yeux mille trespas,
Mais dites, n’a-t-elle pas
La mine un peu bien gaillarde?
Je pense que sa vertu
A bien souvent combattu.
La baronne du Vigean.
Quelle est celle qui m’éclaire
Et brille de tant d’appas?
Est-ce Diane ou Pallas?
Ou la reyne de Cythere?
Car en elle j’apperçois
Quelque air de toutes les trois.


Diane, ou Minerve.
Ou Vénus


A voir sa grace embellie
Avec tant de majesté,
C’est l’attrayante beauté
De la charmante Julie,
Dont mon cœur seroit épris,
S’il n’estoit pas à Cloris.




Julie: Mme de Rambouillet.

Cloris: la duchesse d’Aiguillon.
Il seroit temps de me taire,
Et ma plume n’en peut plus;
Mais que diront les vertus,
Si je me tais de sa mere?
Qui joint à tant de beautez
Tant de rares qualitez. [p.81]


Artenice où je contemple
Tant de miracles divers!
Les autres ont eu des vers,
Mais à vous il faut un temple;
Il sera fait dans un an,
Et j’en ay desja le plan.


Frere Claude l’heroïque
En sera le sacristain,
Chapelain le chapelain;
Et l’angelique Angelique
Nuit et jour y chantera,
Les hymnes qu’il vous fera.

Frère Claude: Chaudebonne.

Jean Chapelain, poète français (1595-1674)
Angélique: Mlle Paulet.

Source du texte: texte de l’édition Frantext, reconfiguré par Bernard Gineste, 2007.
ANNEXE 1
Claude-Sidoine Michel & Louis-Charles Desnos  
Paris-Étampes-Orléans
Extrait de leur Indicateur fidèle, guide du voyageur, 1765


Indicateur fidèle (1765)


Pour plus de détail, lisez notre page sur cet indicateur routier, ici.

ANNEXE 2
Occurence médiévale de la même rime
dans la Bataille des vins d’Henri d’Andeli (XIIIe siècle)


Bataille des vins, vers 49-62 (édition Wikisource)
Adaptation moderne (Bernard Gineste, 2007)
Un prestre englois si prist s’estole,
Qui moult avoit la teste fole,
S’escommenïa Dans Mauvais
Qui estoit du clos de Biauvais,
Et Dant Petart de Chaalons
Qui le ventre enfle et les talons,
Et me sire Rogoel d’Estampes

Qui amaine les goutes crampes:
Cil troi vin amainent la roingne.

A grant honte et a grant vergoingne,
Batant, ferant d’un baston cort,
Les amainent ferant a cort

Et lor dist que jamés n’entraissent
La ou nul preudomme hantaissent.

Un prêtre anglais prit son étole;
Il avait tant la tête folle
Qu’il excommunia dom Mauvais
Qui était du clos de Beauvais,
Et monsieur Pétard de Châlons
Qui fait enfler ventre et talons,
Et messire Rogueux d’Étampes
Qui donne de mauvaises crampes.

Ces trois vins-là donnent la galle.

Il leur fait honte et grand scandale,
Les frappe et bat du bâton court
Pour les mener devant sa cour,
Ordonne à jamais qu’ils évitent
Tout lieu que braves gens habitent.

ANNEXE 3
Billet de Vincent Voiture à Pierre Costar
se référant vers 1633-1634 au même poème


     Pierre Costar (1603-1660) était un ami de Voiture.

 
BILLET IV. (1)

    Je vous envoie des vers qui ont été faits contre moi, où l’on fait rimer Voiture avec roture (2). Cette rime ne vous semble-t-elle pas bien riche, et ne vaut-elle pas bien celle d’Étampes et de goutte-crampe, qui est dans la chanson:

Quand nous fûmes dans Étampe,
Nous parlâmes fort de vous,
J’en soupirai quatre coups,
Et j’en eus la goutte-crampe, etc. (3).
     (1) Entretiens, p.460.

     (2) C’était une addition à une série de rimes en ture, qui avaient été commencées, à ce qu’il paraît, par Mme Desloges, et qu’on appela depuis le Portrait du pitoyable Voiture. Tallemant place cette pièce à l’année 1633 ou 1634. Voyez Historiettes, t.IV, p.32.

     (3) Voyez plus bas, aux Poésies.
     Il me prend envie de montrer à M. Chapelain cette belle poésie qu’on a composée à ma louange, afin qu’il se sache meilleur gré de m’avoir comparé à Horace. En effet,nous nous ressemblons en roture, si nous ne nous ressemblons en autre chose ; et si notre génie [p.149] est différent, notre naissance est assez pareille: et il me semble que lorsque j’aurai fait un livre, je pourrai bien lui dire ce qu’il dit au sien: Si tes lecteurs t’informent de ma condition, tu leur répondras: qu’étant né d’un père qui étoit homme de peu et qui n’avoit guère de bien, j’ai pris et soutenu un vol plus haut que ne portoit la petitesse de mon nid:
Me libertino natum patre et in tenui re
Majores pennas nido extendisse loqueris.
Je n’oserois ajouter ce qui suit:
Ut quantum generis demas, vitutibus addas.

     Dites-le pour moi, si vous jugez que je le mérite. En vérité, monsieur, ceux qui me font de semblables reproches me connoissent bien mal, s’ils pensent me faire dépit. Je proteste que je voudrois que tout le monde sût qui je suis. On me blâmeroit moins, si je valois peu, et si j’avois du mérite, il en seroit plus estimé. A la vérité, la noblesse tient un grand rang dans l’ordre des biens de la fortune, et c’est un avantage qui sert à en acquérir beaucoup d’autres. Mais il y a des choses bien plus désirables en la vie, et ce seroit une des dernières que je m’aviserois de souhaiter. Si on ne pouvoit être généreux sans être ce que les Latins appellent generosus; si on ne pouvoit avoir lesprit beau, l’âme forte, grande et relevée; si la santé, la réputation et les richesses dépendoient de là nécessairement, alors il n’y auroit point de consolation pour Horace ni pour moi. Mais il n’en va pas ainsi, grâces à Dieu, et je sais sur ce sujet toute une satire de Juvénal, et une harangue entière de Marius [p.150] dans Salluste. Vous, monsieur, qui vous plaisez tant à faire des paraphrases, et qui en faites aussi qui plaient tant, je ne fais point de doute que vous n’ayez traduit tous ces beaux endroits, et que vous ne les sachiez par cœur. Mais vous ne savez peut-être pas ce proverbe castillan: Chacun est fils de ses œuvres; ni le mot d’un brave de ce pays-là, parlant à un seigneur italien: Moi et mon bras droit, que je reconnois à cette heure pour mon père, valons mieux que vous. Je pense que vous trouverez bien que j’ajoute, qu’en espagnol hidalgo, qui signifie «gentilhomme», vient de hijo d’algo, comme qui diroit fils de «quelque chose», pour marquer que la véritable noblesse vient des actions de vertu, qui nous donnent une seconde naissance, meilleure te plus glorieuse que la première. Cela étant, monsieur, celui qui est né roturier peut renaître gentilhomme, et remplir sa vie de lumière, malgré l’obscurité de son origine. Mais, pour cela, il faut posséder les qualités éclatantes qui me manquent et qui me manqueront toujours. Je suis bienheureux qu’elles ne soient pas absolument nécessaires pour avoir vos bonnes grâces; je perdrois l’espérance que j’ai de les pouvoir conserver, et c’est une des plus agréables pensées dont je m’entretienne.
Portrait anonyme de Vincent Voiture

Source: édition Ubicini de 1855, tomme II, pp. 148-150, saisi en mode texte par Bernard Gineste, 2007.
ANNEXE 3
Jugement de Voltaire sur cette chanson
(article «Goût» de son Dictionnaire philosophique)


Voltaire peint par Qunetin de La Tour
     Y a-t-il un bon et un mauvais goût? oui, sans doute, quoique les hommes différent d’opinions, de moeurs, d’usages.

     Le meilleur goût en tout genre est d’imiter la nature avec le plus de fidélité, de force, et de grâce.

     Mais la grâce n’est-elle pas arbitraire? non, puisqu’elle consiste à donner aux objets qu’on représente de la vie et de la douceur.

     Entre deux hommes dont l’un sera grossier, l’autre délicat, on convient assez que l’un a plus de goût que l’autre.

     Avant que le bon temps fût venu, Voiture, qui, dans sa manie de broder des riens, avait quelquefois beaucoup de délicatesse et d’agrément, écrit au grand Condé sur sa maladie (Épître à Mgr le Prince, sur son retour d’Allemagne en 1643.):
Commencez doncques à songer
Qu’il importe d’être et de vivre;
Pensez mieux à vous ménager.
Quel charme a pour vous le danger,
Que vous aimiez tant à le suivre?
Si vous aviez, dans les combats,
D’Amadis l’armure enchantée,
Comme vous en avez le bras
Et la vaillance tant vantée,
De votre ardeur précipitée,
Seigneur, je ne me plaindrais pas.
Mais en nos siècles où les charmes,
Ne font pas de pareilles armes;
Qu’on voit que le plus noble sang,
Fût-il d’Hector ou d’Alexandre,
Est aussi facile à répandre
Que l’est celui du plus bas rang;
Que d’une force sans seconde
La mort sait ses traits élancer;
Et qu’un peu de plomb peut casser
La plus belle tête du monde;
Qui l’a bonne y doit regarder.
Mais une telle que la vôtre
Ne se doit jamais hasarder.
Pour votre bien et pour le nôtre,
Seigneur, il vous la faut garder....
Quoi que votre esprit se propose,
Quand votre course sera close,
On vous abandonnera fort
Et, Seigneur, c’est fort peu de chose
Qu’un demi-dieu quand il est mort.
     Ces vers passent encore aujourd’hui pour être pleins de goût, et pour être les meilleurs de Voiture.

     Dans le même temps, L’Estoile, qui passait pour un génie; L’Étoile, l’un des cinq auteurs qui travaillaient aux tragédies du cardinal de Richelieu; L’Estoile, l’un des juges de Corneille, faisait ces vers qui sont imprimés à la suite de Malherbe et de Racan:
Que j’aime en tout temps la taverne!
Que librement je m’y gouverne!
Elle n’a rien d’égal à soi.
J’y vois tout ce que j’y demande;
Et les torchons y sont pour moi
De fine toile de Hollande.
Portrait anonyme de Vincent Voiture      Il n’est point de lecteur qui ne convienne que les vers de Voiture sont d’un courtisan qui a le bon goût en partage, et ceux de L’Estoile d’un homme grossier sans esprit.

     C’est dommage qu’on puisse dire de Voiture: «Il eut du goût cette fois-là». Il n’y a certainement qu’un goût détestable dans plus de mille vers pareils à ceux-ci:
Quand nous fûmes dans Étampe,
Nous parlâmes fort de vous;
J’en soupirai quatre coups,
Et j’en eus la goutte crampe.
Étampe et crampe vraiment
Riment admirablement.
Nous trouvâmes prés Sercote
(Cas étrange et vrai pourtant)
Des boeufs qu’on voyait broutant
Dessus le haut d’une motte,
Et plus bas quelques cochons
Et bon nombre de moutons, etc.
(Voiture, Chanson sur l’air du branle de Metz.)
     La fameuse Lettre de la carpe au brochet, et qui lui fit tant de réputation, n’est-elle pas une plaisanterie trop poussée, trop longue, et en quelques endroits trop peu naturelle? n’est-ce pas un mélange de finesse et de grossièreté, de vrai et de faux? Fallait-il dire au grand Condé, nommé le brochet dans une société de la cour, qu’à son nom «les baleines du Nord suaient à grosses gouttes,» et que les gens de l’empereur pensaient le frire et le manger avec un grain de sel?

     Est-ce un bon goût d’écrire tant de lettres, seulement pour montrer un peu de cet esprit qui consiste en jeux de mots et en pointes?

     N’est-on pas révolté quand Voiture dit au grand Condé, sur la prise de Dunkerque: «Je crois que vous prendriez la lune avec les dents!»

     Il semble que ce faux goût fut inspiré à Voiture par le Marini, qui était venu en France avec la reine Marie de Médicis. Voiture et Costar le citent très souvent dans leurs lettres comme un modèle. Ils admirent sa description de la rose, fille d’avril, vierge et reine, assise sur un trône épineux, tenant majestueusement le sceptre des fleurs, ayant pour courtisans et pour ministres la famille lascive des zéphyrs, et portant la couronne d’or et le manteau d’écarlate.
Bella figlia d’aprile,
Verginella e reina,
Su le spineso trono
Del verde cespo assisa,
De’ fior le scettro in maestà sostiene;
E corteggiata interno
Da lasciva famiglia
Di Zefiri ministri,
Porta d’or’ la corona e d’ostro il manto.
     Voiture cite avec complaisance, dans sa trente-cinquième lettre à Costar, l’atome sonnant du Marini, la voix emplumée, le souffle vivant vêtu de plumes, la plume sonore, le chant ailé, le petit esprit d’harmonie caché dans de petites entrailles, et tout cela pour dire un rossignol.
Una voce pennuta, un suon volante,
E vestito di penne, un vivo fiato,
Una piuma canora, un canto alato,
Un spiritel’ che d’armonia composto
Vive in si anguste viscere nascosto.
Source de cette saisie: http://www.voltaire-integral.com/Html/19/gout.htm, en ligne en 2007.
ANNEXE 4
Une imitation postérieure, par Jean-François Régnard
Voyage de Normandie: Lettre à Artémise (1689).

     Jean-François Régnard (1655-1709) a donné dans le même genre une chanson-lettre-récit de voyage, et sur le même air. Nous en donnons ci-après le texte, pour le plaisir de la comparaison.
VOYAGE DE NORMANDIE
(LETTRE A ARTÉMISE)


     Vous m’aviez ordonné, mademoiselle, en vous quittant, de vous faire un récit exact du voyage de Normandie, duquel vous ne pouviez être. Je satisfais à vos ordres si fidèlement, que je suis sûr qu’en le lisant vous croirez l’avoir fait, sans être sortie de Paris.

     Les desseins médités longtemps avant l’exécution sont d’ordinaire sans effet; c’est ce qui a fait que proposer et assurer ce voyage a presque été pour nous la même chose. Nous partîmes un lundi, 26 septembre 1689. Admirez notre bonheur. Il y avait trois mois qu’il n’était tombé une goutte d’eau, le ciel en versa ce jour-là suffisamment pour toute une année; mais, pour nous consoler, nous séchâmes ces humides influences par un fonds de bonne humeur qui ne nous a jamais abandonnés. Vous le verrez par le couplet suivant et par les autres, sur l’air du branle de Metz.

               Pour quinze jours de campagne,
               Enfin nous voilà partis
               De la ville de Paris.
               Le bon Dieu nous accompagne!
               Surtout bon gîte, bon lit,
               Avec du vin de Champagne;
               Surtout bon gîte, bon lit,
               Belle hôtesse, bon appétit.

     Pour l’appétit, il faut dire la vérité, il nous manquait pendant cinq ou six heures de la nuit; mais il faut bien prendre son mal en patience, on ne peut pas manger et dormir tout à la fois: tant que nos yeux étaient ouverts, nos dents faisaient également leur fonction, et c’était un charme d’entendre crier miséricorde à toutes les basses-cours où nous arrivions.

               A Triel, si j’ai mémoire,
               Autour d’un gigot assis,
               Comme moines bien appris,
               Las de manger, non de boire,
               Nous ne fîmes rien tous dix,
               En sortant du réfectoire,
               Nous ne fîmes rien tous dix
               Qu’un saut de la table au lit.

     Les dames furent presque aussitôt levées que couchées. Vous vous imaginez peut-être que cette diligence à quitter le chevet fut une ardeur de novice, qui ne dura que peu de temps: vous vous trompez, et elles ont toujours été les premières en carrosse et à la table. Vous jugez bien que, comme on se levait matin, l’appétit se levait de même, et saluait toujours l’aurore par deux ou trois petits repas anticipés; car il est à remarquer que nous faisions autant de provisions dans notre carrosse pour faire quatre lieues que d’autres auraient fait en s’embarquant pour les Indes. Aussi aurait-il été difficile de ne nous pas trouver consommant nos provisions. Nous fîmes tant ce jour-là par nos déjeunés qu’enfin

               A Mantes fut la dînée,
               Où croît cet excellent vin.
               Que sur le clos célestin
               Tombe à jamais la rosée!
               Puissions-nous dans cinquante ans
               Boire pareille vinée!
               Puissions-nous dans cinquante ans
               Tous ensemble en faire autant!

     Avant de quitter ce pays, vous voulez bien que je vous fasse part du déplorable état où sont ces pauvres Célestins: ils font vœu présentement de boire le vin qui croît dans leur clos; je n’en sais pas la raison: mais enfin, par obéissance et par mortification, ils avalent ce calice du mieux qu’ils peuvent; Dieu leur donne la patience nécessaire pour supporter de pareilles adversités!

     Si j’étais bien sûr de votre discrétion, mademoiselle, je vous dirais des choses que vous n’avez pas encore entendues; mais les filles sont comme les femmes, elles ne vont jamais sans leurs langues; et je me suis étonné cent fois comment de si grandes langues pouvaient tenir dans de si petites bouches: c’est pourquoi,

               De Vernon je me veux taire
               Pour le mauvais vin qu’on but;
               Chacun s’y coucha, mais chut;
               Car j’aime en tout le mystère.
               Je sais trop comme tout va,
               Le monde est fait de manière;
               Je sais trop comme tout va,
               L’envie jamais ne mourra.

     Vous qui vous escrimez de la rime, vous allez dire qu’il y un e de trop à ce dernier vers: je le sais aussi bien que vous; mais si on ne me donne cette licence et de pareilles, je quitte dès à présent le métier de poète de la troupe, que je fais à mon grand regret, et aux dépens de mes ongles, qui sont déjà assez courts. Je ne suis que trop rebuté de la profession; et, sans les petits profits que nous autres rimailleurs attrapons auprès des filles, qui aiment ce genre d’écrire, il y aurait longtemps que j’aurais vendu ma charge à bon marché. Mais, puisque nous voilà sur le chapitre des filles, vous saurez que nous en trouvâmes une charmante proche la chartreuse de Gaillon. Vous me direz que ce n’est pas là un meuble de chartreuse; mais ces jolis animaux-là se trouvent partout.

               Au Pont-de-l’Arche et au Roule
               Le ciel exauça nos vœux,
               Et fit paraître à nos yeux
               Jeune hôtesse faite au moule:
               Elle portait devant soi
               Deux petits monts faits en boule;
               Elle portait devant soi
               Un morceau digne d’un roi.

     La Normandie, comme vous savez, est une terre fertile en pommes. Le voisinage de la mer leur donne un orgueil et une dureté qu’elles n’ont point ailleurs. Nos dames de Paris voudraient bien que leur terrain fût aussi bon; mais on ne peut pas tout avoir: à cela près, les femmes de Rouen sont, à ce que je crois, faites comme à Paris; ce qui nous fit dire

               A Rouen laides et belles,
               Comme partout, l’on trouva,
               Les filles de l’opéra
               Sont, comme à Paris, cruelles.
               Enfin, rien n’est différent,
               Dans les jeux, dans les ruelles;
               Enfin, rien n’est différent,
               Hors qu’on parle mieux normand.

     Il faut dire la vérité, cette langue-là est en grande vénération dans ce pays-ci; les habitans reçoivent tous en naissant des talents merveilleux pour l’apprendre: à quatre ans les enfants y parlent déjà normand comme de petits anges; on dirait qu’ils n’auraient fait autre chose toute leur vie. Les merles même et les perroquets n’y parlent point autrement. On m’a dit que cette langue-là était merveilleuse pour plaider; c’est ce qui fait qu’il n’y a guère de Normand qui n’ait vaillant sur pied plus de vingt procès, sans les espérances de ceux qu’il a déjà perdus.

     Nous trouvâmes ici notre bon ami Fatouville. Vous ne sauriez croire les instances qu’il nous fit pour nous mener à sa terre de la Bataille, et le plaisir que sa conversation donna aux dames: elles voulurent à toute force qu’il en fût fait mention par les vers suivantes:

               Le seigneur de la Bataille,
               Qui charme dès qu’on l’entend,
               Malgré nous, malgré nos dents,
               Voulut nous faire ripaille;
               Mais le diable s’en mêla,
               On fit grâce à sa volaille;
               Mais le diable s’en mêla,
               A Caudebec on alla.

     Vous croyez qu’en ce lieu-là on se couche pour dormir, comme à Paris: vous vous trompez; toute la nuit l’hôtellerie fut en rumeur pour fournir aux dames des rôties au vin. On en fait prendre aux perroquets qui ont perdu la parole; mais d’en donner à des dames usantes et jouissantes de leurs langues, c’est avoir envie de se lever comme on se couche: aussi cela ne manqua pas d’arriver.

               A cette maigre couchée
               On oublia de dormir:
               Que sert de s’en souvenir,
               Quand une femme éveillée,
               Pour aiguiser son caquet,
               Tout le long de la nuitée,
               Pour aiguiser son caquet,
               Mange soupe à perroquet?

     Il ne fallait pas se lever de si bon matin pour aller dans la plus maudite hôtellerie qui soit, je crois, de Paris au Japon, et pour avaler un brouillard épais, que le soleil ne put percer que sur les deux heures. Un autre plus galant vous dirait que les yeux des dames, plus puissants que cet astre, dissipèrent d’abord cette noire vapeur; mais pour moi, qui suis plus sincère, je vous dirai franchement que les brouillards d’octobre sont fort difficiles à gouverner proche la mer, et de plus, que nos dames dormirent dans le carrosse cahin, caha, toute la matinée, et n’ouvrirent les yeux qu’à la Botte. A propos de Botte, vous voulez bien que je vous donne un petit avis:

               Passant, fuyez de la Botte
               Le séjour trop ennuyeux;
               Il est vrai que dans ces lieux
               La maîtresse n’est pas sotte;
               Mais sans pain, sans vin, sans feu,
               Dans un pays plein de crotte,
               Mais sans pain, sans vin, sans feu,
               L’amour n’a pas trop beau jeu.

     Nous trouvions assez plaisant d’aller, comme bonnes personnes, toujours devant nous; et je crois que nous aurions été dix lieues par-delà le bout du monde, sans le malheur que vous allez apprendre.

               Après six jours de voyage
               Où tout allait à gogo,
               Nous allions jusqu’à Congo,
               Valets, chevaux et bagage;
               Mais au Havre on s’arrêta,
               Malgré ce vaste courage;
               Mais au Havre on s’arrêta,
               Car la terre nous manqua,

     Voilà une plaisante excuse! m’allez-vous dire. Quand on a bien envie d’aller, au défaut de la terre, on prend la mer. Nous n’y manquâmes pas aussi; et les dames, dès le lendemain,

               D’une valeur plus qu’humaine
               Affrontèrent l’Océan.
               Mon Dieu! que le monde est grand
               Sur cette liquide plaine,
               Où l’on touche en un moment,
               Sur une vague incertaine,
               Où l’on touche en un moment,
               L’enfer et le firmament!

     N’aurait-ce pas été un coup de bonne fortune pour les maris, si quelque honnête homme de corsaire eût mis la main sur la chaloupe? J’en connais quelques-uns qui n’auraient point regretté d’avoir donné de l’argent à leurs femmes pour aller voir la mer, si pareil cas leur arrivait. Pour moi, qui ai déjà tâté de ces messieurs les Turcs, gens fort incivils, j’en voulus courir le risque sur le rivage; et, considérant ces gros vaisseaux, et faisant réflexion qu’il n’y avait qu’une planche épaisse de deux doigts qui séparait de la mort ceux qui étaient dedans, je me mis à chanter:

               Qu’un autre avec des boussoles,
               Sur ces grands palais flottants,
               Bravant Neptune et les vents,
               Cherche l’or sous les deux poles;
               Mais pour moi je ne veux pas
               Servir de pâture aux soles;
               Mais pour moi je ne veux pas
               Leur faire un si bon repas.

     Je vous avoue que je ne me consolerais jamais, si je me voyais ainsi pour mon plaisir; et j’aurais été encore plus fâché ce jour-là, car M. de Louvigni, intendant de la marine, nous envoya le soir six bouteilles d’un vin de Canarie si exquis, que, quand il l’aurait fait lui-même, je doute qu’il l’eût fait meilleur.

               Sus, ma muse, je te prie,
               Brûlons quatre grains d’encens
               A cet illustre intendant,
               Pour son vin de Canarie.
               Avec ce nectar, je croi
               La province bien munie;
               Avec ce nectar, je croi
               Qu’on sert dignement son roi.

     Vous voyez qu’il fait bon nous faire du bien: pour cinq ou six bouteilles de vin, voilà un homme immortalisé. Après tout, je ne sais si les six meilleurs vers du monde valent seulement une pinte d’une pareille liqueur. Quoi qu’il en soit, il s’en contenta, et nous eussions bien souhaité que tous les hôtes de la route eussent été aussi raisonnables.

     Le lendemain le gouverneur, pour nous recevoir, fit mettre la citadelle en armes. Nous visitâmes l’arsenal, ce terrible palais de Mars. Mon Dieu! que d’instruments pour abréger nos pauvres jours! Ce qui nous fit dire à tous:

               Il faudrait être bien ivre,
               D’aimer ces lieux de fracas,
               Où, pour cent mille trépas,
               On fond le fer et le cuivre.
               Que de moyens pour mourir,
               Lorsqu’il n’en est qu’un pour vivre!
               Que de moyens pour mourir!
               Je ne le saurais souffrir.

     Voilà des sentiments bien héroïques! me direz-vous. D’accord; mais si vous saviez comme moi, mademoiselle, ce qu’il en coûte pour mettre un enfant au monde, vous auriez, plus que personne, horreur de ces lieux de destruction; et en vérité, si vous étiez une personne bien raisonnable, vous vous marieriez au plus vite, afin de travailler comme il faut à la réparation du genre humain, lequel, pendant que toute l’Europe est en guerre, court le grand chemin de sa ruine totale. C’est à vous d’y penser, et de faire réflexion que vous passeriez mal votre temps, s’il n’y avait plus d’hommes au monde.

     Vous croyez peut-être, mademoiselle, que parce que l’on vous a menée en vers au Havre, on vous ramènera par la même voiture; c’est ce qui vous trompe: Pégase n’a pas accoutumé de faire avec moi de si longues traites. Je vous dirai donc en prose que nous revînmes à Rouen en très-peu de temps, ayant toujours vent derrière: cela n’est pas trop nécessaire en carrosse; mais c’est pour vous dire que tout conspirait à seconder l’envie que j’ai d’être auprès de la plus aimable personne du monde.


 
Source du texte: tome premier de l’édition parisienne des Œuvres complètes de Regnard
par la librairie Adolphe Delahays en 1854 (saisie en 2000  par
Olivier Bogros
pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux
).
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
 
Quelques éditions


     Les œuvres de Monsieur de Voiture, tome 2 2 [202 p.],Paris, A. Courbé, 1654
     Dont une saisie numérique en mode texte par l’INALF (Paris, INALF, 1961-) mise en ligne par la BNF sur son site Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k898647,
1997, en ligne en 2007.
     Dont le texte de la présente édition.

     A. UBICINI [éd.], Œuvres de Voiture. Lettres et poésies. Nouvelle édition, revue en partie sur le manuscrit de Conrart, corrigée et augmentée de lettres et pièces inédites, avec le commmentaire de Tallemant des Réaux, des éclarcissements et des notes, par M. A. Ubicini. Tome second [440 p.], Paris, Charpentier, 1855.
     Dont une réédition numérique en mode image par Google, en ligne en 2007

     Bernard GINESTE [éd.],
«Vincent Voiture: Apprenez notre voyage (chanson, vers 1630)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-vincentvoiture-voyage.html, 2007.

Sur Vincent Voiture

     COLLECTIF D’INTERNAUTES, «Vincent Voiture», in Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Vincent_Voiture, en ligne en 2007.
 

Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
           
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