Corpus Littéraire Étampois
 
Henri, clerc et trouvère normand
Contre le vin d’Étampes
[extrait de La Bataille des vins]
années 1220-1240 
   
  Vendanges sous les murs d'une ville (miniature du XIIIe siècle)
 
Grappe de raisin (enluminure du XIIIe siècle)      J’avais signalé en 2002 l’existence de ce texte dont je ne disposais pas. Depuis la Toile s’est enrichie de nouvelles données, et deux versions du texte lui-même ont été saisies. Comme il n’existe pas en ligne de traduction moderne du passage concernant le vin d’Étampes, j’en propose ici une adaptation en français moderne, pour commencer (en restant ouvert à toute suggestion, voire correction). Merci de nous communiquer toute amélioration possible de cette page, et spécialement à toute personne qui aurait sous la main les éditions critiques les plus récentes.
B.G., novembre 2007 (2e éd.)
   

Henri d’Andeli
Contre les vins de Beauvais, de Châlons et d’Étampes
milieu du XIIIe siècle

     “Cette bataille des vins se déroule à la table du roi de France Philippe, c’est-à-dire de Philippe-Auguste, dont plusieurs témoignages confirment qu’il était passablement porté sur la boisson. Le roi a envoyé partout ses messagers rassembler les meilleurs vins blancs, que le poète énumère complaisamment. Un prêtre anglais, revêtu de l’étole, et dont le français fortement anglicisé est supposé produire un effet comique, excommunie les mauvais vins ou les chasse à coups de bâton.”
(Résumé emprunté à Michel Zink, 1989)

Bataille des vins, vers 49-62 (édition Wikisource)
Adaptation moderne (Bernard Gineste, 2007)
Un prestre englois si prist s’estole (1),
Qui moult avoit la teste fole,
S’escommenïa (2) Dans Mauvais
Qui estoit du clos de Biauvais (3),
Et Dant Petart de Chaalons (4)
Qui le ventre enfle et les talons,
Et me sire Rogoel d’Estampes
(5)
Qui amaine les goutes crampes (6):
Cil troi vin amainent la roingne (7).

A grant honte et a grant vergoingne (8),
Batant, ferant d’un baston cort (9),
Les amainent ferant a cort
(10)
Et lor dist que jamés n’entraissent
La ou nul preudomme hantaissent.

Un prêtre anglais prit son étole;
Il avait tant la tête folle
Qu’il excommunia dom Mauvais
Qui était du clos de Beauvais,
Et monsieur Pétard de Châlons
Qui fait enfler ventre et talons,
Et messire Rogueux d’Étampes
Qui donne de mauvaises crampes.
Ces trois vins-là donnent la galle.

Il leur fait honte et grand scandale,
Les frappe et bat du bâton court
Pour les mener devant sa cour,
Ordonne à jamais qu’ils évitent
Tout lieu que braves gens habitent.


NOTES

     Remarque: Je ne suis pas un spécialiste de l’ancien français; je n’ai pas eu le loisir, qui plus est, de consulter les plus récentes éditions critiques; aussi toute remarque, ou correction de la traduction proposée ci-dessus, comme des notes portées ci-dessous, sera accueillie avec reconnaissance. Quelqu’un aurait-il sous la main la traduction et les notes d’Albert Henri et d’Alain Corbellari? (B.G., nov. 2007)
Grappe de raisin (enluminure du XIIIe siècle)      (1) Étole (latin stola), L’étole, dans sa forme primitive, était une longue robe, garnie de deux bandes verticales, les clavi. La robe ayant été progressivement supprimée, ne sont restées que les bandes. L’étole médiévale et moderne n’est donc qu’une bande de tissu ornée d’une petite croix placée au milieu, que le prêtre la laisse pendre de chaque côté de son cou, par dessus l’aube ou le surplis, pour la messe et l’administration des sacrements.
     (2) L'excommunication est une sanction ecclésiastique consistant originellement à exclure un croyant de l'assemblée eucharistique, et plus généralement de la communauté des croyants. C'est ici en manière de plaisanterie que les vins personnifiés sont exclus de la table du roi et même de la table de tout bon chrétien.
     (3) Dom Beauvais est ici le nom du vin de Beauvais personnifié.
     (4) Dom Pétard de Châlons est ici le nom du vin de Châlons personnifié, supposé donner des flatulences. Il s’agit ici de Châlons-sur-Marne, puisqu’il est question des vins d’Île-de-France.
Grappe de raisin (enluminure du XIIIe siècle)      (5) Messire Rogoel d’Étampes est le nom du vin d’Étampes personnifié. Le choix de ce nom n’est pas sans obscurité, mais paraît devoir être rattaché, avec un suffixe diminutif, à la racine de rogue, arrogant avec une nuance de rudesse en plus” (Littré).
     (6) Goutte-crampe est tout simplement, selon Littré, un ancien synonyme de crampe (parfois écrit goutte-grampe). Un autre poète a plus tard trouvé la même rime pour Étampes, Vincent Voiture (1597-1648): Quand nous fûmes dans Étampes, / nous parlâmes fort de vous; / J’en soupirai quatre coups, / Et j’en eus la goutte-grampe. (Chanson, Sur l’air du Branle de Metz).
     (7) La rogne est l’ancien nom de la galle, c’est-à-dire d’une affection dont le syndome principal est la démangeaison, et dont l’origine parasitaire n’était pas forcément bien comprise au XIIIe siècle.
     (8) Le bâton court paraît avoir été l’arme des sergents, comme on le voit dans ce passage du Roman de Lancelot: Celui jor ne porta mie Galehoz armes à chevalier, mès il vesti un hauberc-+jon cort comme serjanz, un chapel de fer en sa teste comme serjanz, s’espée ceinte, un baston cort et gros an sa main.” C’était sans doute aussi l’arme des clerc, puisque l’épée était réservée aux chevaliers.
B.G., novembre 2007, en attendant mieux

 
ANNEXE 1
Texte intégral

d’après l’édition Wikisources

ANNEXE 2
Traduction partielle
 en ligne, sans indication d’origine
(ici corrigée de quelques coquilles et/ou erreurs trop patentes)

 
     Remarque sur les textes qui suivent: Je n’ai pas eu accès pour l’heure aux éditions critiques, mais  d’une part à un texte en ancien français mis en ligne par Wikisource, et d’autre part à une version moderne d’origine non identifiée mise en ligne par l’association Cepdivin. Bien que cette version présente des erreurs manifestes et quelques coquilles (que nous nous sommes sentis obligés dans certains cas de corriger), on remarquera qu’en certains passages, elle reflète un texte visiblement meilleur et moins corrompu que le texte donné par Wikisource (par exemples aux vers 92 et 117).



Présentation du roi Philippe Auguste
Volez oïr une grant fable
Qu’il avint l’autrier sus la table
Au bon roi qui ot non Phelippe,
Qui volentiers moilloit sa pipe

Voulez-vous ouir grande fable
Qui advint avant hier sur la table
Du bon roi qui eut nom Philippe
Qui volontiers mouillait sa pipe
Du bon vin qui estoit du blanc?
Il le senti gentil et franc,
Si le clamoit son ameor
Por le bien et por la douçor
Que li vins avoit dedenz soi;
5
Du bon vin qui était du blanc?
Il le trouvait gentil et franc
Et proclamait son amour
Pour le bien et pour la douceur
Que le vin possédait en lui.
Li rois en but sanz avoir soi. 10
Et en buvait, même sans soif.


Convocation au grand tournoi des vins de France
Li rois qui ert cortois et sages
Manda a trestoz ses messages
Qu’il alaissent le meillor querre
Qu’il trovaissent en nule terre.

Notre roi fort courtois et sage
Mande à tous ses messagers,
D’aller les meilleurs vins chercher,
Qu’ils pourraient sur terre trouver.


Défilé des vins
Premiers manda le vin de Cypre,
Ce n’estoit pas cervoise d’Ypre,
Vin d’Aussai et de la Moussele,
Vin d’Anni et de la Rocele,
De Saintes et de Tailleborc,
15
D’abord manda le vin de Chypre
Ce n’était pas cervoise d’Ypres
Vins d’Alsace et de Moselle,
Vins d’Aunis et de la Rochelle,
De Saintes et de Taillebourg,
De Melans et de Treneborc,
Vin de Palme, vin de Plesence,
Vin d’Espaingne, vin de Provence,
De Montpellier et de Nerbone,
De Bediers et de Quarquassone,
20
De Milan et de Trenebourg,
Vin de Parme, vin de Plaisance,
Vin d’Espagne, vin de Provence,
De Montpellier et de Narbonne,
De Béziers et de Carcassonne,
De Mossac, de Saint-Melÿon
Vin d’Orchise et de Saint-ÿon
Vin d’Orliens et vin de Jargueil,
Vin de Meulent, vin d’Argentueil,
Vin de Soissons, vin d’Auviler,
25
De Moissac, Saint-Emilion,
Vin d’Orchaise et de Saint-Yon (1),
Vin d’Orléans, vin de Jargueil,
Vin de Meulan, vin d’Argenteuil,
Vin de Soissons, vin d’Hautviller,
Vin d’Espernai le Bacheler
Vin de Sezane et de .vij. mois,
Vin d’Anjou et de Gastinois
d’Ysoudun, de Chastel Raoul,
Et vins de Trie la Bardoul,
30
Vin d’Epernay le Bachelier,
Vin de Cézanne et de Samois,
Vin d’Anjou et du Gâtinois,
D’Issoudun et de Châteauroux,
Et aussi vins de Trilbardou,
Vin de Nevers, vin de Sancerre,
Vin de Verdelai, vin d’Auçuerre,
De Tornierre et de Flavingni,
De Saint-Porchain, de Savingni
Vin de Chablies et de Biaune,
35
Vin de Nevers, vin de Sancerre,
Vin de Vézelay, vin d’Auxerre,
De Tonnerre et de Flavigny
De Saint-Pourçain, de Savigny,
Vin de Chalblis et vin de Beaune,
.I. vin qui n’est mie trop jaune;
Plus est vert que corne de buef:
Toz les autres ne prise .i. oef.
Trestuit vindrent en .i. conroi
Seur la table devant le roi.
40
Ce dernier vin n’est pas trop jaune,
Mais plus vert que corne de bœuf,
Le reste ne vaut pas un œuf.
Tous s’en vinrent en grand cortège,
Sur la table, devant le roi,
Si comme Diex parla au cigne,
Chascuns des vins se fist plus digne
Par sa bonté, par sa poissance,
D’abevrer bien le roi de France.
45
Et comme Dieu parle au Cygne
Chacun des vins se fit plus digne
Part sa bonté, par sa puissance,
D’abreuver bien le roi de France.


(Voir notre traduction plus haut)
Un prestre englois si prist s’estole,


Qui moult avoit la teste fole,
S’escommenïa Dans Mauvais
Qui estoit du clos de Biauvais,
Et Dant Petart de Chaalons
Qui le ventre enfle et les talons,

50

Et me sire Rogoel d’Estampes
Qui amaine les goutes crampes:
Cil troi vin amainent la roingne.
A grant honte et a grant vergoingne,
Batant, ferant d’un baston cort,

55

Les amainent ferant a cort
Et lor dist que jamés n’entraissent
La ou nul preudomme hantaissent.
Les .ij. vins et de Biauvoisins
Et Dans Clermons li tiers voisins,

60

Ces .iij. vin n’en chaça il pas
Qu’il les senti de bon compas.
Li vin commun, li vin moien,
N’erent prisié .i pois baien.
Vin du Mans, de Tors retornerent

65

Por ce qu’a esté s’atornerent
Por la paor du prestre englois
Qui n’ot cure de lor jenglois.
Vin d’Argenches, Chambeli, Renes,
S’en fuïrent tornant lor resnes,

70

Quar se li prestres les veïst,
Je croi bien qu’il les oceïst.
75



Discussion et mérites vantés
Concurrents dépréciés: vins d’Ile de France

Primes parla vins d’Argentueil
Qui fu clers comme lerme d’ueil,
Et dist qu’il valoit miex d’aus toz.

D’abord parla vin d’Argenteuil
Qui fut clair comme larme d’œil,
Et dit qu’il valait mieux que tous,
«Or te tais, filz a putain glouz,»
Ce dist li vins de Pierre frite,
«Tu jeues a la desconfite;
Ices trives seront enfretes,
Je vail moult miex que vous ne fetes,

80
«Tais-toi, bête fils de putain,
Lui dit le vin de Pierrefitte,
Tu joues à ta défaite
Car ici tes trèves sont défaites.
Je vaux beaucoup mieux que vous

A tesmoing le vin de Marli,
De Duoeil, de Monmorenci.»
Lors dist bee sanc de Meulent:
«Argentueil, je sui moult dolent
Que tu despis tes compaignons.
85
A témoin les vins de Marly,
De Dueil, de Montmorency
Sang-Dieu, dit le vin de Meulan,
Argenteuil, je suis fort dolent
Que tes compagnons tu méprises
Saches de voir nous en plaignons
Qui fez d’Auçuerre, de Soissons,
Le vin de l’autel [corriger: le Laon et (?)] de Tauçons,
Icil dui passent Vermendois,
Cil doivent bien seoir au dois.»
90
Sache que nous nous en plaignons
Avec Sire Crouy de Soissons, [notez la variante]
Les vins de Laon et de Tausons,
[notez la variante]
Ces vins qui passent Vermandois
Et doivent sièger sous dais.
»


Vins de Champagne
Esparnai dist a Aviler:
«Argentueil, trop veus aviler
Trestoz les vins de ceste table,
Par Dieu trop t’es fez connestable.
Nous passons Chaalons et Rains,
95
Epernay dit à Hautviller,
«Argenteuil veut trop ravaler
Tous les vins de cette table.
Tu fais trop le connetable
Nous passons Châlons et Reims,
Nous ostons la goute des rains,
Nous estaignons toutes les sois.»
100
Nous ôtons la goutte des reins,
Nous éteignons toutes les soifs.
»


Vin d’Alsace
Dont saut en piez le vin d’Ausois,
Li bons gentiz vins et roiaus:
«Esparnai, trop es desloiaus,

Sur ses pieds saute vin d’Alsace,
Gentil vin qui convient au roi.
«Epernay, tu es déloyal.
Tu n’as droit de parler en cort,
Je sui cil qui la gent secort;
Entre moi et ma damoisele,
Longue tonne de la Mosele,
Nous secorons les Alemanz,
105
Tu n’as droit de parler en cour.
Moi les peuples je secours.
Entre moi et ma Demoiselle,
Longue tonne de la Moselle,
Nous secourons les Allemands.
Nous fesons trestoz noz commanz;
Aus Coloingnois prenons l’argent
Dont nous repessons nostre gent.»
110
Nous faisons ce que nous voulons.
Des Colognois prenons l’argent
Dont nous nourrissons notre peuple.
»


Vin de la Rochelle
Lors dist li vins de la Rocele:
«Vous, Aussai, et vous, la Mousele,

Alors dit le vin de la Rochelle:
«Vous l’Alsace, vous la Moselle,
Se vous paissiez cele gent fiere,
Je repais trestoute Engletiere,
Bretons, Flamens, Normans, Englois [Gallois (?)],
Et les Escos et les Irois,
Norois et cels de Danemarche:
115
Si repaissez ce peuple fier,
Moi, j’abreuve l’Angleterre,
Bretons, Normands, Flamands, Gallois, [texte satisfaisant]
Les Ecossais, les Irlandais,
Les Norvégiens et les Danois.
Jusques la dure bien ma marche.
Je sui des vins li sebelins,
J’en aport toz les esterlins.»
120
Au Danemark va mon empire
Des vins je suis la zibeline
Je rapporte tous les Sterlings.



Li vins Saint-Jehan d’Angeli
Si dist a Henri d’Andeli



Qu’il li avoit crevé les ex
Par sa force, tant estoit prex.
Engolesme, Bordiaus et Saintes,
Cil i firent bien lor empaintes,
Et le bon vin blanc de Poitiers
125

Qui n’a cure de charretiers:
C’est cil qui toute gent acroche
Par la froidure de sa roche.
Tant est fort que par son orgueil
Se fet costoier au soleil.
130

Ne sai qui en but plus qu’assez,
Par coi il ot les iex quassez.
135



Vins du Berry
Channi, Montrichart, Laçoy,
Chastel Raoul et Betesi,
Monmorillon et Ysoudun,

Chauvigny, Morichard, Lassaye
Châteauroux et Busançais
Montmorillon et Issoudun
Et cil d’entor tout de commun,
Furent devant le roi tout cois
Por abatre le bobançois.
140
Vinrent en groupe devant le roi,
Pour abattre la jactance
De tous les bons vins de France


Réponse des vins d’Ile de France aux attaques
Vin françois bien se desfendoient
Et cortoisement respondoient:


Les vins français se défendirent
Et, courtoisement, répondirent:
«Se vous estes plus fort de nous,
Nous sommes sades, savorous;
Si ne fesons nule tempeste
A cuer, n’a cors, n’a oeil, n’a teste.
Mes Vermendois, Saint-Brice, Auçuerre,
145
Si nous êtes plus forts que nous,
Nous sommes savoureux et doux.
Nous ne causons nulle tempête
Aux coeurs, aux corps, aux yeux, aux têtes
Mais les vins de Saint-Bris et d’Auxerre
Si font les genz gesir au fuerre!»
150
Mettent sur la paille leurs buveurs."



Qui la veïst vins estriver
Et chascun sa force aviver,
Et chascun mener son desroi
Sor la table devant le roi,

On voyait les vins disputer
Et chacun sa force aviver
Et chacun mener sa défense
Sur la table devant le roi
Ce n’est ore ne plus ne mains,
Se vins eüssent piez ne mains,
Je sai bien qu’il s’entretuaissent,
Ja por le bon Roi nel lessaissent.
Qui veïst comment estrivoient
155
Tant et si fort, je le sais bien,
Que s’ils avaient eu pieds et moins
Ils se seraient entretués
Le roi n’aurait pu l’empêcher
Lui qui assistait au combat..."
Et com li vin estinceloient,
Si que la grant sale et la chambre
Sambloit plaine de basme et d’ambre.
Ce sambloit paradis terrestre,
Chascuns lechierre i vousist estre.
160

Chevaliers, clers, borgois, chanoine,
Contrait, muel, mesel et moine,
S’il hurtaissent a tel quintaine,
Jamés n’eüssent la quartaine.

165

Li rois du blanc bien se paia

Le roi du blanc bien se paya
Et chascun des vins essaia.
Li prestres englois i estoit
Qui volentiers les engorgoit,
Et a chascun donoit .i. baut
Et puis si disoit: «Yse baut
170
Et chacun des vins essaya.
Bien, saint Thomas qui fu martin,
Goditouet, ci a bon vin!»
Trestout seul lut cele leçon,
Guersoi dunque fu son clerçon;
S’escommenïa la cervoise
175

Qui estoit fete dela Oise,
En Flandres et en Engleterre,
Puis geta la chandeille a terre,
Et puis si ala sommeillier
.iij. nuis, .iij. jors sanz esveillier.
180



Arrêt du roi
Li rois les bons vins corona
Et a chascun son non dona:
Vin de Cypre fist apostoile
Qui resplendist comme une estoile,
Dont fist chardonal et legat
185
Le roi couronna les bons vins
A chacun il donna un titre
Du vin de Chypre il fit un pape
Qui resplendit comme une étoile.
Il fit Cardinal et légat
Du bon gentil vin d’Aquilat.
Puis fist .iij. rois et puis .iij. contes,
Et puis en dura tant li contes
Qu’il en fist .xij. pers en France
Ou li rois ot moult grant fïance.
190
Le si gentil vin d’Aquilat.
Je fit trois rois et puis trois comtes
Et tant il allongea son compte
Qu’il fit douze pairs de France
Qui du roi ont la confiance.


Qualités thérapeutiques du bon vin vantées
Qui .i. des pers porroit avoir,
Ne por argent ne por avoir,
Desor sa table a son mengier,
Moult s’i feroit bon arengier:
Jamés maladie n’auroit
195
Qui aurait un vin nommé pair
A prix d’or ou à prix d’argent
Sur sa table, à son dîner,
S’en verrait fort bien arrangé
Jamais maladie il n’aurait
Jusques au jor que il morroit.
200
Jusqu’au jour où il mourrait.


Conseil de Modération
Qui miex ne puet si n’a pas tort,
Adés o sa vielle se dort;
Soit vin moien, per ou persone,

Qui n’a pas mieux il n’a pas tort,
Si avec femme il dort.
Vin roturier, vin pair, vin clerc,
Prenons tel vin que Diex nous done.
204
Prenons le vin que Dieu nous donne.



Explicit la Bataille des Vins.

     (1) Localités en italique appartenant à l’ancien département de Seine et Oise.



 
Vendanges sous les murs d'une ville (miniature du XIIIe siècle)
Vendanges au XIIe siècle (BNF)
 ANNEXE 3
Pierre Jean-Baptiste Legrand d’Aussy
Les vins français au XIIe siècle
 [Histoire de la vie privée des français, depuis l’origine de la nation jusqu’à nos jours,
Première partie, tome 3, pp. 3-5]
1782
 
     Baldric ou Baudri, auteur d’un Poëme latin que Mabillon a rapporté dans ses Annales Bénédictines, dit que Henri I, estimait singuliérement son vin de Rébréchien, (area bacchi), près d’Orléans; & que, quand il allait à l’armée, il en faisait porter une provision pour animer son courage.  

     Nous avons une lettre de Louis-le-Jeune, écrite de la Terre-Sainte à Suger & au Comte de Vermandois, Régens du Royaume en son absence, par laquelle il leur mande de donner à son intime ami Arnould, Evêque de Lisieux, soixante modius de son très-bon vin d’Orléans. Dilecto & præcordiali amico A. Lexoviensis Episcopo sexaginta Aurelianenses modios de meo optimo Aurelianensi dare non renuatis. Il est probable que ce vin d’Orléans était celui de Rébréchien, dont le vignoble, depuis Henri, était devenu une possession de nos Rois. 

     J’ai déja cité plus haut un compte des revenus & dépenses de Philippe-Auguste pour l’année 1202, dans lequel il est fait mention de vins achetés, par ordre du Prince, à Choisi, à Montargis, à Saint-Césaire, & à Meulan. 

     Il nous est parvenu une pièce de ce tems, [p.4] (Fabliau de la bataille des vins) antérieure même de quelques années au compte [Legrand d’Aussy se trompe ici: on fait plutôt vivre ce poète Poète à Paris entre 1220 et 1240], & déja, ainsi que lui, citée précédemment, qui nous donne la liste de ceux de France réputés alors les meilleurs, & qui ne nous laisse rien desirer sur cet article. 

Grappe de raisin (enluminure du XIIIe siècle) Grappe de raisin (enluminure du XIIIe siècle)      Parmi les vins de Province ou de canton, le Poëte vante ceux du Gâtinois, d’Auxois, d’Anjou, & de Provence. 
     Quant aux vins particuliers, renommés dans les différentes Provinces, on voit que, 
     L’Angoulois avait eux d’Angoulème. 
     L’Aunis, ceux de la Rochelle. 
     L’Auvergne, ceux de S. Pourçain (a). 
     Le Berry, de Santerre, de Châteauroux, d’Issoudun, & de Buzançais. 
     La Bourgogne, d’Auxerre, Beaune, Beauvoisins, Flavigni, & Vermanton. 
     La Champagne, de Chabli, Epernai, Rheims, Hauvillers, Sezanne, Tonnerre. 
     La Guyenne, de Bordeaux, Saint-Emilion, Trie, & Moissac. 
     L’Ile-de-France, d’Argenteuil, Deuil, Marli, Meulan, Soissons, Montmorenci, Pierrefite, & S. Yon. 
     Le Languedoc, de Narbonne, Béziers, Montpellier, & Carcassonne. 
     Le Nivernais, de Nevers, Vézelai. 
     L’Orléanais, d’Orléans, Orchese, Jergeau, Samoi. 
    Le Poitou, de Poitiers. 
     La Saintonge, de Saintes, Taillebourg, S. Jean-d’Angeli. 
     La Touraine, de Montrichart. 

     Le Poëte parle avec mépris des vins d’Etampes, de Tours, & du Mans. Il accuse ces deux derniers d’être sujets à s’aigrir en été. 

     Il nous représente le vin de Beaune avec une couleur jaune, qui tirait sur celle de la corne du bœuf. Une pareille couleur dans un vin, est assez difficile à comprendre. Quoi qu’il en soit le vignoble dont il s’agit passait pour un des premiers du Royaume.


NOTE DE L’AUTEUR (LEGRAND D’AUSSY)
    
     (a) Un autre de nos poëtes du XIIIe siècle, parlant d’un homme qui était devenu riche, pour nous donner une idée de son luxe, dit qu’il ne buvait plus que du vin de Saint-Pourçain.13 octobre 1307.

Source: Legrand d’Aussy, Histoire de la vie privée des français, 1ère partie, t. 3 (1782), pp. 3-5. Saisie: Bernard Gineste, février 2002.
ANNEXE 3
Pierre-Alexandre Héron
Henri, dit faussement d’Andeli
 [Introduction au Lai d’Aristote, p. XXIII]
1901
   
     Rappelons, en terminant, que l’auteur du Lais d’Aristote, du Dit du chancelier Philippe, de la Bataille des vins et de la Bataille des sept arts, n’est pas, comme l’ont avancé l’abbé de La Rue et l’archéologue E.-H. Langlois, le chanoine Henri d’Andeli, qui ne vécut pas au delà de 1223, mais probablement un clerc de même nom, attaché à la personne de l’archevêque Eude Rigaud.


Source: Alexandre HÉRON [éd.], Henri d’Andeli. Le Lai d’Aristote, 1901, Introduction, p. XXIII. Saisie: Bernard Gineste, février 2002.
     
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
        
Manuscrits

     1) Bibliothèque Nationale de France: ms. fr. 837 (et non 7218), ff. 231-232v

     2) Bibliothèque municipale de Berne: ms. 113, f. 200v  
(utilisé par AUGUSTIN 1885). 
   

Éditions et traductions

Grappe de raisin (enluminure du XIIIe siècle)      EUSEBIUS ROMANUS [pseudonyme de Dom Jean Mabillon] (O.S.B.) Annales ordinis S. Benedicti... in quibus non modo res monasticae, sed etiam ecclesiasticae historiae non minima pars continetur...[«Annales de l’ordre de saint Benoît..., dans lequelles sont traitées non seulement les affaires monastiques mais encore une part non négligeable de l’histoire de l’Église»; 6 vol.; in-f°; tomes 1-4 publiés par Dom Mabillon, tome 5 par Dom René Massuet, tome 6 commencé par Dom Ruinart et Dom Massuet, achevé et publié par Dom Edmond Martène], Lutetiae Parisiorum [Paris], C. Robustel, 1703-1739. Tome et pages à déterminer. 

     JOHANNES MABILLON (O.S.B.), Annales ordinis S. Benedicti, occidentalium monachorum patriarchae, in quibus, non modo res monasticae, sed etiam ecclesiasticae historiae non minima pars continetur, auctore Domno Johanne Mabillon,... Editio 1a italica, a quamplurimis mendis, quae in parisiensem irrepserant, ad auctoris mentem expurgata [«Annales de l’ordre de saint Benoît, patriarche des moines d’Occident, dans lequelles sont traitées non seulement les affaires monastiques mais encore une part non négligeable de l’histoire de l’Église, par Dom Jean Mabillon... Première édition italienne, expurgée de nombreuses fautes qui s’étaient glissées dans celle de Paris»; 6 vol. in-f°; frontispice gravé, port., pl. et fig], Lucae [Luque], typis L. Venturini, 1739-1745. Tome et pages à déterminer. 
  
     Alexandre HÉRON [éd.], Œuvres de Henri d’Andeli, trouvère normand du XIIIe siècle, publiées avec introduction, variantes, notes et glossaire [in-4°; CXXI+215 p.], Rouen, Société rouennaise de bibliophiles (E. Cagniard), 1880. 
  
     Alexandre HÉRON [éd.], Œuvres de Henri d’Andeli, trouvère normand du XIIIe siècle, publiées avec introduction, variantes, notes et glossaire [in-8°; CXXI+207 p.], Paris, A. Claudin, l881 [fac-similé: Henri d’Andeli. Œuvres, publiées avec introduction, notes et glossaire, Genève, Slatkine & Paris, Champion, 1974]. 
  
Gaston Galtier, Etudes de géographie vinicoles, 1951      Friedrich AUGUSTIN, Sprachliche Untersuchung über die Werke Henri d’Andeli’s, nebst einem Anhang enthaltend «La Bataille des vins», diplomatischer Abdruck der berner Ms. [in-8°; 52 p.; “Examen linguistique des ouvrages d’Henri d’Andeli, avec un appendice contenant La Bataille des vins. Reproduction diplomatique du ms. de Berne], Marburg, N. G. Elwert [«Ausgaben und Abhandlungen aus dem Gebiete der romanischen Philologie» XLIV], 1885 [aliter: Univ.-Buchdr. (R. Friedrich)]. 
  
     Gaston GALTIER [éd.], Études de géographie vinicole. 2e partie. Un document sur le vignoble et le commerce des vins dans la France médiévale. La Bataille des vins, d’Henri d’Andeli [in-8°; 48 p.], Montpellier, Édition Journée vinicole, 1951. 

     Albert HENRI (philologue romaniste belge, 1910-2002) [éd.], «Henri d’Andeli, La bataille des vins, édition avec introduction, notes, glossaire et tables», in Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques, Académie royale de Belgique, 6e série, 2/6-9 (1991), pp. 203-248.

     Alain CORBELLARI [éd.], Les dits d’Henri d’Andeli [18 cm; 227 p.; bibliographie p. 43-49; index], Paris, H. Champion [«Les classiques français du Moyen âge» 146], 2003.
     Dont un compte-rendu en ligne: Mattia CAVAGNA, «Les Dits», in Cahiers de recherches médiévales, Comptes rendus, http://crm.revues.org/document148.html., en ligne en 2007.

      Alain CORBELLARI [éd. & traducteur], Les dits d’Henri d’Andeli. Textes traduits et présentés par Alain Corbellari [18 cm; 125 p.; réunit  La bataille des vins, La bataille des sept arts, Le lai d’Aristote, Le dit du chancelier Philippe; en appendice: Le mariage des sept arts, par Jean Le Teinturier d’Arras, suivi de la version anonyme du même ouvrage; bibliographie pp. 47-55; index], Paris, H. Champion [«Traductions des classiques du Moyen âge» 66], 2003.

     COLLECTIF D’INTERNAUTES (spécialement “Béatrix Bélibaste”) [éd.] «Henri d’Andeli, La Bataille des vins (début du XIIIe siècle)», in Wikisources, http://fr.wikisource.org/wiki/La_Bataille_des_vins, en ligne en 2007 [avec une traduction partielle en français moderne, qui n’était plus en ligne en novembre 2007].

    Bernard GINESTE [éd.], «Henri, clerc et trouvère normand: Contre le vin d’Étampes (extrait de la Bataille des vins, 1220-1240)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-13-henri-vins.html, 2002-2007.
 
Études et autres

Grappe de raisin (enluminure du XIIIe siècle)      Pierre Jean-Baptiste LEGRAND D’AUSSY, Histoire de la vie privée des français, depuis l’origine de la nation jusqu’à nos jours. Première partie. Tome troisième [363 p.], Paris, P.-D. Pierres, 1782 [d’où une édition numérique (en mode image) de la BNF, gallica.bnf.fr (2002), N083101], pp. 3-5, reproduites ci-dessus. 
  
     ANONYME, «Henri d’Andely, La bataille des vins, fabliau du XIIe siècle», in L’Abeille d’Étampes (28 septembre 1872) [cité par MARQUIS 1881, p. 93; année de ce périodique malheureusement incomplète et non consultable aux Archives Municipales d’Étampes, ni aux Archives départementales].

     Alexandre HÉRON [éd.], Henri d’Andeli. Le lai d’Aristote, publié d’après le texte inédit du ms. 3516 de la Bibliothèque de l’Arsenal avec introduction par A. Héron [XXI+26 p.], Rouen, L. Gy, 1901 [d’où une édition numérique (en mode image) de la BNF, gallica.bnf.fr (2002), N072896], p. XXIII (passage ci-dessus reproduit).   
  
     Henry FAURE [docteur ès-lettres], La Bataille des vins, scène lyrique pour orphéons [in-12, 23 p.], Moulins, Crépin-Leblond, 1902. 
  
     Louis John PAETOW [éd.], The Battle of the seven arts, a French poem, by Henri d’Andeli,... Edited and translated, with introduction and notes [in-f°; 60 p., fac-similés], Berkeley, University of California press [«Memoirs of the University of California» 4/1 («History» 1/1)], 1914. 
  
     Maurice DELBOUILLE, Le Lai d’Aristote de Henri d’Andeli publié d’après tous les manuscrits [in-8°, 112 p.], Paris, Les Belles lettres [«Bibliothèque de la Faculté de philosophie et lettres de l’Université de Liège» 123], 1951. 

     Michel ZINK, «Autour de La Bataille des Vins d’Henri d’Andeli: le blanc du prince, du pauvre et du poète», in Max MILNER & Martine CHÂTELAIN-COURTOIS (Centre de recherches sur l’image, le symbole et le mythe, Dijon) [éd.], L’Imaginaire du vin. Colloque pluridisciplinaire, 15-17 octobre 1981. Centre de recherches sur l’image et le symbole, Faculté des lettres de Dijon [24 cm; III+417 p.; illustrations; notes bibliographiques; édition revue et corrigée; préface d’Émile Peynaud], Marseille, Jeanne Laffitte, 1989, pp. ?-?. 

     Extrait mis en ligne par l’association CEPDIVIN (www.cepdivin.org): «Cette bataille des vins se déroule à la table du roi de France Philippe, c’est-à-dire de Philippe-Auguste, dont plusieurs témoignages confirment qu’il était passablement porté sur la boisson. Le roi a envoyé partout ses messagers rassembler les meilleurs vins blancs, que le poète énumère complaisamment. Un prêtre anglais, revêtu de l’étole, et dont le français fortement anglicisé est supposé produire un effet comique, excommunie les mauvais vins ou les chasse à coups de bâton. Ceux qui restent en lice ne tardent pas à se disputer la préséance et, nous dit le poète, ils en seraient venus aux mains si les vins avaient des mains.[...] Le titre, la Bataille des Vins, évoque bien entendu d’autres batailles poétiques, et particulièrement la Bataille des sept Arts du même auteur. Ces batailles dérivent des psychomachies, dont la première et la plus illustre est celle de Prudence, et qui connaissent un grand succès dans les littératures latine et vernaculaire [...]».

     Francois ZUFFEREY (université de Lausanne)«Un problème de paternité: Le cas d’Henri d’Andeli (A problem of authorship: The case of Henri d’Andeli )», in Revue de linguistique romane 269-270 (2004), pp. 47-78.


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