Henri II roi de France
Vers à Diane
1552
On
reproduit ici le texte d’un poème composé par le roi de France
Henri II, à l’occasion d’une séparation provisoire d’avec sa
favorite Diane de Poitiers, probablement en 1552, comme l’a montré
Georges Guiffry, premier éditeur de ce texte en 1866. Tout y dénote
un poème authentique et personnel, non seulement les repentirs et
ratures dont fourmille le texte original au témoignage du premier
éditeur, mais aussi la maladresse de la composition et la faiblesse
de certains passages, sans parler de quatre fautes de prosodie et d’une confusion
orthographique manifeste entre les verbes être et avoir
(vers 21). Il aurait donc été composé quelques mois
seulement avant que le roi ne donne à sa dame le duché d’Étampes
après l’avoir enlevé à sa rivale, favorite de son père
François Ier, Anne de Pisseleu.
J’en propose dans la colonne de droite une paraphrase
en français usuel contemporain, pour la commodité des lecteurs
qui ne seraient pas familiers du français du XVIe siècle.
B.G., juillet
2012
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Texte original
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Orthographe normalisée
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Paraphrase en français courant contemporain (B.G. 2012)
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Plus ferme
foy ne ne fut onques jurée
A nouveau
prince, ô ma seule prinsese,
Que mon
amour, quy vous sera sans cesse
Contre
le tems & la mort asseurée.
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Plus ferme foi ne ne fut onques jurée
A nouveau prince,
ô ma seule princesse,
Que mon amour, qui
vous sera sans cesse,
Contre le temps et
la mort assûrée.
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Il n’a jamais
été juré plus ferme fidélité
à un nouveau prince, ô mon unique princesse,
que mon amour, qui vous sera, sans jamais cesser,
garanti contre le temps et la mort.
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5
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De fose creuse, ou de tour byen murée
N’a point
besoing de ma foy la fortresse,
Dont je
vous fy dame, roine & maystresse.
Pour ce
que ele est d’éternelle durée,
|
De fosse creuse
ou de tour bien murée
N’a point besoin de ma foi la fort’resse
Dont je vous fis dame, reine et maîtresse
Pour ce qu’elle est d’éternelle durée.
|
De fossé
profond ni de tour aux bonnes murailles
n’a aucun besoin la forteresse de ma fidélité
dont je vous ai fait souveraine, reine et maîtresse,
Parce qu’elle durera éternellement.
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10
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Thrésor ne peult sur elle estre vainqueur;
Ung sy vil prix n’aquiert
ung gentil cœur.
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Trésor
ne peut sur elle être vainqueur:
Un si vil prix n’acquiert un gentil cœur,
|
L’argent ne
peut l’emporter sur elle:
un si vil prix ne peut acheter un noble cœur.
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Non point faveur, ou grandeur de lignage,
Quy eblouist les ieus
du populaire,
Non la beauté,
quy ung léger courage
Peult émouvoir,
tant que vous me peult plaire.
|
Non point faveur, ou grandeur de
lignage,
Qui éblouit
les yeux du populaire,
Non la beauté,
qui un léger courage
Peut émouvoir,
tant que vous me peut plaire.
|
Ni les faveurs
qu’on pourrait m’accorder, ni une plus haute naissance que la vôtre
(qui n’éblouit que les yeux de la populasse), ni une plus grande beauté
(qui pourrait ébranler un cœur moins ferme) ne peuvent me plaire
autant que vous
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15
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Mès quy pouroyt à moy s’aconparer,
Et sy n’estyme ryens
que sa boune grâse,
Et quy faroyt mon
grant heur déclérer,
Car otre chose ne
veut, ny ne prouchase;
|
Mais qui pourrait
à moi s’accomparer?
Et si n’estime rien que sa
bonn’ grâce.
Et qui ferait mon grand heur déclairer?***
car autr’ chose ne veux, ni ne pourchasse*.
|
Mais qui pourrait
à moi se comparer?
Je n’accorde de valeur à rien d’autre qu’à ses faveurs.
et qui pourrait exprimer mon bonheur?
car je ne veux ni ne recherche rien d’autre.
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20
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Et sy ne cryns tronperye qu’on me fase,
Estant tant seur de
sa gran fermeté;
Inposyble est qun
otre est don ma plase,
M’ayant douné
sy grande sureté.
|
Et si ne crains tromperie qu’on me
fasse,
Étant tant
sûr de sa grand fermeté;
Impossible est qu’un
autre ait donc ma place,
M’ayant douné
sy grande sureté.
|
Et je crains d’autant moins d’être
trompé
que je suis sûr
de sa grande fermeté;
Il est impossible
est qu’un autre ne prenne ma place,
Si grande sont les
garanties qu’elle m’a données.
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25
30
|
Hellas, mon Dyu, combyen je regrète
Le tans que j’é
pertu an ma jeunèse;
Conbyen de foys je
me suys souèté
Avoyr Dyane pour ma
seule mestrèse;
Mès
je cregnoys qu’èle, quy est déese,
Ne se voulut abèser
juques là
De fayre cas de moy,
quy sa[n] sela
N’avoys plésyr,
joye, ny contantemant
Juques à l’eure
que se délybèra
Que j’obéyse
à son coumandemant.
|
Hélas,
mon dieu, combien j’ai regretté
Le temps que j’ai perdu en ma jeunesse!
Combien de fois je me suis souhaité
Avoir Diane pour ma seule maîtresse!
Mais je craignais qu’elle, qui est déesse,
Ne se voulut abaisser jusque-là
De faire cas de moi, qui sans cela
N’avais plaisir, joie ni contentement
Jusques à l’heure que se délibéra
Que j’obéisse à son commandement.
|
Hélas
mon dieu combien j’ai regretté
le temps que j’ai perdu en ma jeunesse!
Combien de fois je me suis souhaité
D’avoir Diane pour seule maîtresse!
Mais je craignais qu’étant une déesse
elle ne se veuille abaisser au point
de faire cas de moi, moi qui sans cela
n’avais ni plaisir ni joie ni contentement,
jusqu’au moment où j’ai pris la décision
de la prendre pour ma maîtresse.
|
35
|
Elle, voyant s’aprocher mon départ,
M’a dyt:
Amy, pour m’outer de langeur,
Au départyr,
las! layse moy ton ceur
Au lyu
du myen, où nul que toy n’a part. |
Elle, voyant s’approcher
mon départ,
M’a dit: Ami, pour m’ôter de langueur,
Au départir, las!, laisse-moi ton cœur
Au lieu du mien, où nul que toi n’a part
|
Elle, voyant
s’approcher mon départ
m’a dit: “Ami, pour
me tirer de mon chagrin,
en t’en allant, hélas, laisse-moi ton cœur
à la place du mien, où aucun autre n’a de place.”
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40
|
Quant j’apersoys mon partemant soudyn,
Et que
je lèse se que tant estymè,
Je la suplye
de vouloyr douner,
Pour grant
faveur, de luy béser la myn. |
Quand j’aperçois
mon partement soudain
Et que je laiss’ * ce que tant estimé**,
Je la supplie de [me] vouloir donner*
Pour grand’faveur de lui baiser la main.
|
Quand je me
rends compte que je pars bientôt
et que je quitte ce à quoi j’accorde tant de prix,
je la supplie de de bien vouloir m’accorder
la grande faveur de lui embrasser la main.
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|
Et sy luy dys ancores davantage
Que la
suplye de byen se souvenyr
Que n’aie
joye juques au revenyr,
Tant que
je voye son hounête vysage.
|
Et si lui dis
encore davantage
Que la supllie de bien se souvenir
Que n’aie joye jusques au revenir
Tant que je voie son honnête visage.
|
Et, bien plus,
je lui dis ceci:
“que
je la supplie de bien se souvenir
que je serai sans joie jusqu’à mon retour
tant que je n’aurai pas revu son noble visage.
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45
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Lors je pouré dyre sertènemant
Que, moy
quy suys sûr de sa boune grâse,
J’aroys
grant tort prouchaser otre plase,
Car j’an
resoys trop de contantemant. |
Lors je pourrai
dire certainement
Que moi qui suis sûr de sa bonne grâce
J’aurais grand tort de pourchasser autr’ place*
Car j’en reçois trop de contentement.
|
Alors je pourrai
dire avec certitude
que puisque je suis sûr d’avoir ses faveurs
j’aurais bien tort de chercher ailleurs
car je reçois d’elle trop de satisfaction pour cela.”
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* Fautes de prosodie
manifestes, par syllabe en trop ou élisions indues de e
muets (vers 18, 38, 39) ou par syllabe manquante (vers 39).
** Ce que paraît ici un pronom indéfini, qu’on
retrouve aussi fréquemment sous la plume des notaires avec le tour
ce que dessus signifiant ce qui vient d’être dit.
*** Vers d'interprétation douteuse. (B.G.)
ANNEXE
Commentaire de l’éditeur, Georges
Guiffrey (1866)
Ces
vers sont en entier écrits de la main de Henri II. La forme des lettres,
les ratures qui les accompagnent, ne peuvent laisser aucun doute sur leur
authenticité; ils sont bien du roi, & aucun poète de cour
ne paraît y avoir mis la main. Il est probable qu’ils ne furent ni les
premiers ni les derniers du poète royal, mais s’il en existe d’autres,
ils ont échappé à nos recherches. Comme époque
de leur composition nous ferions disposés à prendre l’année
1552. En effet, Henri II parle dans ces vers de regrets pour le temps perdu
en sa jeunesse, avant d’avoir la maîtresse désirée. Il
devait donc être déjà d’un certain âge pour faire
ce retour vers le passé. De plus, la liberté avec laquelle il
s’exprime, autorise à croire qu’il était roi & délivré
des entraves dont son père avait gêné ses premières
inclinations; enfin, ce départ auquel il fait allusion, s’accorde assez
bien avec les événements de l’année 1552. C’est en effet
la date de sa promenade triomphale à travers l’Alsace, & de ses
tentatives belliqueuses contre le duché de Luxembourg (voy. p. 100
& suiv.) ; nous trouvons même dans une de ses lettres à
Dianne, datée de cette même année, une sorte d’enthousiasme
guerrier qui convient à la situation (p. 221). Dianne avait aussi,
à ce qu’il paraît, composé une petite chanson de circonstance
pour le départ du roi. Cette chanson, se rencontre dans un merveilleux
recueil de cette époque qui figurait à la fameuse vente de M.
Double, sous le n°389, (f°172); dans ce recueil est précisément
inscrite tout au long cette même [p.228]
date de 1552. Nous ne pouvons résister au désir de rapprocher
des vers du roi la chanson de la duchesse:
Adieu délices de mon
cœur!
Adieu mon maistre & mon seigneur!
Adieu vrai estocq de noblesse!
....................
Adieu plusieurs royaux banquetz!
Adieu épicurieulx metz
Adieu magnifiques festins!
Adieu doulx baisers coulombins!
Adieu ce qu’en secret faisons
Quand entre nous deulx nous jouons!
Adieu, adieu, qui mon coeur ayme!
Adieu lyesse souveraine!
La duchesse de Valentinois
aurait donc aussi été poète à ses heures, c’est
du moins le savant bibliophile Jacob qui l’affirme; nous lui laissons toute
la responsabilité de son assertion.
Guiffrey, note 1 pp. 227-228.
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Henri II
Diane de Poitiers
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BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
Éditions
Manuscrit original de la main du roi conservé
par la Bibliothèque nationale de France sous la cote ms. fr. 3143,
folios 6-9.
Georges GUIFFREY [éd.], Dianne
de Poytiers, Lettres inédites, publiées d’après les
mss de la Bibliothèque impériale, avec une introduction et
des notes [22 cm; XCIV+279 p., illustr., fac-similé dépliant;
«Testament» de Diane de Poitiers en appendice; notes bibliographiques;
index], Paris, Vve J. Renouard, 1866 [réédité en 1924,
puis, en fac-similé: Genève,
Slatkine, 1970], pp. 227-229.
Miranda REMNEK, Lettres
inédites de Dianne de Poytiers: an electronic transcription [TEI
formatted filesize 40 kbytes; transcribed and encoded by Michelle Miller
and Mary Skemp; text based on the 1866 edition], Minneapolis (Minnesota,
USA), Electronic Research Center of the University of Minnesota [«The
Early Modern French Women Writers Project»], 1998, http://etrc.lib.umn.edu/frenwom.htm.
Bernard GINESTE, «Henri
II: Vers à Diane (1552)», in Corpus
Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-16-henri2-versadiane.html, 2001-2012.
Bernard GINESTE, «Henri
II: Cinq lettres à Diane de Poitiers (1547-1558)», in
Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-16-henri2-lettresadiane.html, 2001-2012.
Sur Diane de Poitiers
1) Généralités
J.-B. CAPEFIGUE, Diane de Poitiers,
1860.
Antoine BACHELIN-DEFLORENNE, «Diane
de Poitiers», in Le Bibliophile Français. Gazette illustrée
des amateurs de livres, d’estampes et de haute curiosité VI.4
(1867), pp. 193-200 [dont un extrait à la BNF: 28 cm; paginé
193-200; illustr.].
H. DUBREUIL, Quelques mots sur Diane
de Poitiers (Anet, le 25 Juin 1875.) [in-8°; pièce], Chartres,
Durand frères, 1876.
Marie HAY, Madame dame Dianne de Poytiers,
la grande seneschale de Normandie, duchesse de Valentinois. A monograph by
Marie Hay [in-4°; 37 p., planche], London, J. and E. Bumpus, 1900.
Jehanne d’ORLIAC, Diane de Poitiers,
grant’ sénéchalle de Normandie. Avec trois gravures hors texte
[in-16; 271 p.], Paris, Plon, 1930.
Georges BEAURAIN, Anet, Diane de Poitiers
et ses descendants [in-8°; 8 p.], Rouen, Imprimerie commerciale du
Journal de Rouen, 1933.
A. THIERRY, Diane de Poitiers,
1955.
Philippe ERLANGER, Diane de Poitiers,
déesse de la Renaissance, Paris, 1955 [réédition,
Paris, 1976].
Françoise BARDON, Diane de Poitiers et le mythe de Diane, Paris,
1963.
André CASTELOT, Diane, Henri,
Catherine. Le triangle royal [21 cm; 301 p.; 8 p. de planches; bibliographie
de 4 p.], Paris, Perrin, 1997 [autre édition: Paris, Le Grand livre
du mois, 1997].
Ivan CLOULAS, Diane de Poitiers
[22 cm; 432 p.; 16 p. de planches; bibliogr. pp. 354-367; index], Paris,
Fayard, 1997 [autre édition: Paris, Le Grand livre du mois, 1997].
Sabine MELCHIOR-BONNET, L’art de vivre
au temps de Diane de Poitiers [20 cm; 246 p.; illustr.], Paris, NiL [«L’art
de vivre au temps de...»], 1998.
Daniel LELOUP, Le château d’Anet. L’amour de Diane de Poitiers
et d’Henri II [24 cm; 159 p.; illustr.], Paris : Belin-Herscher [«Les
destinées du patrimoine»], 2001.
Michel de DECKER, Diane de Poitiers, reine d’amour et de beauté
[24 cm; 230 p.; bibliogr. de 3 p.], Paris, Pygmalion, 2002.
2) Diane de Poitiers comme duchesse d’Étampes
Henri STEIN, «Jean
Goujon et la Maison de Diane de Poitiers à Étampes»,
in Annales de la Société historique et archéologique
du Gâtinais [Paris], VII (1889, ou 1890?), pp. 299-?.
Henri STEIN, «La
Maison de Diane de Poitiers à Étampes», Bulletin
monumental 56 (1890), pp. 30-34.
DESGARDINS, «Rivalité d’Anne
de Pisseleu et de Diane de Poitiers», in Conférence des Sociétés
savantes, littéraires et artistiques de Seine et Oise, Compte-rendu
de la quatrième réunion [réunion de 1908 ; 264
p.], Étampes, Flizot [«Conférence des Sociétés
savantes, littéraires et artistiques de Seine et Oise» 4],
1909 [édition numérique (en mode image) de la BNF, gallica.bnf.fr
(2001), N066434], pp. 100-?.
Adrien GAIGNON, «Diane de Poitiers,
seconde duchesse d’Étampes», Bulletin des
amis d’Étampes et de sa région 2 (1947), pp 25-30.
Jacques GÉLIS, «Les hôtels
‘Anne de Pisseleu’ et ‘Diane de Poitiers’ ou le passé
idéalisé», in ASSOCIATION ÉTAMPES HISTOIRE,
Étampes. Travail des hommes. Images de la ville [260
p.], Étampes, Association Étampes Histoire, 1994, pp. 203-226.
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