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Voici une présentation de Thiou (alias Téulfe) de Morigny
rédigée en 1759 par un des meilleurs auteurs qui en aient
traité, Dom Charles Clémencet, bénédiction
de la Congrégation de Saint-Maur. On trouvera le texte
même de sa Chronique dans une autre de nos pages.
Saisir des textes anciens est une tâche fastidieuse et il ne faut pas décourager ceux qui s’y attellent en les pillant sans les citer. |
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TÉULFE ou Théodulfe fut élevé, dès sa jeunesse, dans l’abbaye de Morigny prés d’Etampes, où il fit profession. Il y exerça successivement les office de chantre et de prieur. [Chron. Maurin. p. 362] Après la mort de Rainald , premier abbé de ce monastère, arrivée l’an 1108, il fut élu par ses confreres, en considération de son savoir et de sa piété, pour lui succéder. Mais avant qu’il fût béni, quelques-uns se rétracterent et lui firent plusieurs insultes. Comme il étoit prudent et d’ailleurs sans ambition, il sacrifia volontairement son droit au bien de la paix, et se désista. Le désintéressement de Téulfe, ne rendit pas néanmoins un calme solide et durable à l’abbaye de Morigny. De nouveaux [p.690] troubles s’y éleverent peu de temps après, dont il ne fut à la vérité que témoin. Mais la peine qu’il en resssentit lui fit prendre la résolution de se retirer auprès d’Odon, abbé de Saint-Crespin de Soissons, qui étoit profès comme lui de Morigny. Celui-ci le nomma prieur de sa maison, et, l’an 1117, ayant été transféré à l’abbaye de Saint-Remy de Reims, il lui remit, avec le consentement des religieux, la place qu’il laissoit vacante [Dormia (lisez Dormai, ou Dormay), His. de Soiss. l. 5. c. 30.]. Le gouvernement du nouvel abbé de Saint-Crespin fut très-sage, et produisit d’heureux fruits. [Mab. An. l. 77. n. 28.] Le cinq avril de l’an 1138, il fit transférer du chapitre dans l’église le corps de saint Godefroi, évêque d’Amiens, et mourut le 6 mai suivant. |
TÉULFE est auteur du premier des trois livres qui composent la Chronique de Morigny. [Chron. Maurin. ib.] Il nous apprend dans cet ouvrage les exercices littéraires auxquels il s’occupoit dans ce monastère. C’étoit principalement à ponctuer et corriger des livres. Il avoit exécuté ce genre de travail sur toute la Bible, depuis la Genèse jusqu’à la derniere épître de saint Paul, sur les livres de saint Augustin de Trinitate Dei, sur les Morales de saint Grégoire, et sur d’autres écrits des Pères. Son dessein, en composant la Chronique de Morigny, étoit, comme il le dit lui-même, de décrire l’origine de cette maison et les accroissemens qu’elle avoit reçus, soit par la libéralité de ses bienfaiteurs, soit par l’industrie de ses membres. Mais la premiere partie de son ouvrage est entierement perdue et l’autre fort mutilée, comme on le voit par les endroits qui en sont cités dans les livres suivans et qui ne s’y retrouvent plus. Ce qui se présente d’abord, après le prologue, est une lamentation pathétique sur les persécutions que l’abbaye de Morigny avoit essuyées, et sur les maux qu’y avoit causés la désunion des religieux. Ensuite l’auteur, comme s’il reprenoit une matière interrompue, s’étend sur les donations tant en fonds qu’en meubles faites au monastère. A ces [p.691] détails qui n’ont rien de fort intéressant, succède l’éloge d’un religieux nommé Baudouin, qui s’étoit adonné entierement au temporel de Morigny. On y voit les peines qu’il se donna pour mettre en valeur les entreprises des voisins de la terre de Mesuns, que la communauté avoit achetée des religieuses de Saint-Éloi. [Mém. de l’Acad. des Insc. t. 10. p. 545] Puisque M. de Sainte-Palaye a jugé ce morceau digne d’ètre inséré dans la belle analyse qu’il nous a donnée de la Chronique de Morigny, en ce qu’il fait connoître, dit-il dans quel esprit Téulfe écrivoit, nous croyons faire plaisir au lecteur de le transcrire ici, d’après la traduction de cet habile homme. «Comme nous cherchions, dit l’auteur, et que nous ne pouvions trouver dans notre congrégation un sujet capable de mettre cette terre en valeur, Baudouin, qui s’étoit donné tant de soins pour bâtir notre monastère et notre dortoir, non-seulement ne fut point étonné de l’immensité de ce travail, mais, rempli de zèle pour le bien de ses freres, il s’offrit de lui-même à se charger d’un poids si énorme. De quelles expressions me servirai-je pour raconter les peines qu’il eut à supporter dans une entreprise si laborieuse? celui même qui a pu les soutenir, ne pourroit peut-être pas les rapporter. Il remit la culture dans un lieu où elle avoit été longtemps abandonnée. Méchantes herbes, racines, épines, buissons, et tout ce qui peut nuire au labourage, fut arraché des entrailles de la terre. La charrue, la bêche, et tous les instrumens de l’agriculture furent mis en usage. Près de quatre-vingts familles se donnerent au service de l’abbaye, et s’y établirent. Cependant quelques impies, jalous du succès de ses travaux, susciterent sous divers prétextes mille persécutions à Baudouin On lui demandoit d’un ton menaçant, tantôt un droit, tantôt un autre. On lui disputoit tantôt ceci, tantôt cela. Tous les jours nouvelles chicanes; enfin, ils le tourmentoit sans cesse... lui seul résistoit à cette multitude d’ennemis, et faisoit cesser leurs demandes, soit en les traduisant devant les tribunaux, ou en leur donnant de l’argent. La moisson étoit-elle venue, vous l’eussiez vu aller tête levée faire sa ronde dans la Beauce, exiger sans remise le payement des grains qui lui étoient dus; puis, en sage économe, employer le produit de ces grains soit à mettre dans ses [p.692] intérêts ceux qui avoient des prétentions à exercer sur la terre, soit à l’affranchir des redevances auxquelles elle étoit sujette. Dans un temps de moisson, il fut tellement tourmenté de douleurs aux jambes et aux pieds, qu’il ne pouvoit plus ni marcher, ne se tenir à cheval. Rien ne put l’arrêter. Il se fit traîner en charrette à travers la Beauce, et alla ainsi faire sa récolte. Armé d’une sainte effronterie, il ne rougit pas de cet équipage, ou du moins il en préféra la honte à celle de ne point achever un ouvrage qu’il avoit si bien commencé. Dieu lui en rende la récompense et lui fasse miséricorde!» La latinité de Téulfe est une des meilleurs du temps; celle de ses continuateurs, qui étoient pareillement religieux de Morigny, mais dont on ignore les noms, ne lui cede pas; ce qui prouve que les études furent assez longtemps sur un bon pied dans cette maison. Le second livre [Chron. Maurin. ib. p. 605.], composé, ou du moins achevé peu de temps après l’association de Louis le Jeune au trône, c’est-à-dire vers l’an 1131, paroît n’être pas l’ouvrage d’une seule, mais de plusieurs mains. Il est précédé d’une préface, où l’on compare les mœurs du clergé tel qu’il étoit alors, avec les premiers siècles de l’église. Dans ce parallele, on n’hésite pas à dire que ce sont les richesses qui ont introduit le relâchement parmi les ecclésiastiques et dans les monastères. Mais la suite répond mal à ce judicieux début. Au lieu de nous retracer les actions religieuses de leurs devanciers, ces auteurs ne paroissent occupés, en parlant de l’abbaye de Morigny, que des embellissemens faits dans ses édifices, de ses accroissemens au-dehors, des procès qui lui ont été suscités, prodiguant les injures à ses ennemis, comblant d’éloges ses bienfaiteurs, blâmant sans réserve les héritiers de ceux-ci lorsqu’ils ont manqué de fidélité à exécuter les legs pieux dont ils étoient chargés. On diroit, à les entendre, qu’on ne connût à Morigny d’autres vertus que celles qui ont un rapport au bien temporel, tant est profond le silence qu’ils gardent sur les exemples qui auroient pu réellement édifier. Lorsque les événemens publics ont quelque liaison avec [p.693] les affaires de leur maison, ils ne manquent pas de les toucher, mais c’est presque toujours d’une maniere superficielle, et sans garder soigneusement l’ordre chronologique. Les principaux sont les guerres de Louis le Gros contre le Comte Thibaut, celles du saint-siège contre l’empire au sujet des investitures, le schisme causé par l’antipape Bourdin, la retraite de Gélase et de Calliste en France; la faveur, la disgrâce, et le rétablissement d’Étienne de Garlande, chancelier et sénéchal sous Louis le Gros; le nouveau schisme occasionné par la double élection d’Innocent et d’Anaclet, le concile de Reims assemblé pour décider entre les deux contendans, la mort du prince Philippe, le couronnement de Louis le Jeune. Ce que ce livre renferme de plus estimable, c’est un petit nombre de pièces originales que les auteurs y ont fait entrer. [Ib. p. 367.] Toutes celles néanmoins qu’ils avoient promis de donner, ne s’y rencontrent pas; preuve qu’il n’est pas exempt d’altération. Le troisiéme livre [Ib. p. 368.] est à peu près dans le même état que le premier, c’est-à-dire qu’il y a presque autant de lacunes, et qu’il n’en reste que la plus petite portion. Mais ce sont ici des lambeaux précieux, qui donnent un juste sujet de regretter ce qui manque à l’intégrité du livre. Le plan suivant lequel il est dirigé, le différencie entierement des deux autres, et l’exécution en est beaucoup mieux entendue. Au lieu que l’histoire de Morigny fait le principal objet de ceux-là, elle n’est qu’accessoire dans celui-ci, et n’entre qu’incidemment dans le propos de l’auteur. C’est l’histoire du temps qu’il s’est proposé d’écrire, ce sont les événemens publics qu’il a eu principalement en vue de transmettre à la postérité. Il les développe en homme bien instruit, et avec une netteté qui fait passer aisément ses lumieres dans l’esprit de son lecteur. Le premier événement qu’il raconte est le mariage de Louis le Jeune avec Éléonore, fille et unique héritiere du dernier duc d’Aquitaine. Il décrit dans un style pompeux la cérémonie de ces illustres noces, qui furent célébrées à Bordeaux, et dont la joie fut troublée par la nouvelle de la mort de Louis le Gros. Ensuite il reprend l’histoire du pape Innocent, entamée par les écrivains des deux livres précé[p.694]dens. Il conduit ce pontife à Rome, le fait revenir à Pise, chassé par la faction de son antagoniste; de là le ramene triomphant à Rome, et rapporte un fort beau discours qu’il prononça dans cette capitale l’an 1139, à la tête du concile général de Latran.
A l’occasion de cette assemblée, il parle de Thomas, abbé
de Morigny, qui fut interdit par l’Archevêque de Sens pour avoir
manqué de s’y trouver. Il raconte les mouvemens de ses religieux
pour le faire rétablir, son abdication volontaire qui suivit de
près sa réconciliation avec le prélat, l’élection
de Macaire son successeur, l’administration édifiante du nouvel
abbé, sa translation à l’abbaye de Saint-Benoît sur
Loire, enfin l’élection que l’on fit de Thevin, prieur d’Argenteuil,
pour le remplacer.
La mort de Thevin, abbé de Morigny, qu’il place dans la quatriéme année aprés le retour des croisés, c’est-à-dire en 1152, termine son récit. On lit à la fin ce vers, par lequel il semble avoir dédié ce livre à son abbé: |
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Patricius SCHLAGER, «Charles Clémencet», in The Catholic Encyclopedia, Volume IV, New York, Robert Appleton, 1908 —dont une édition en ligne par Kevin Knight, http://www.newadvent.org/cathen/04011c.htm, 2002. (en ligne en 2003), pp. 689-694. — 5e édition: Saisie en mode texte par Bernard Gineste de la 4e édition et mis en ligne in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-12-clemencet-teulfe.html, janvier 2003. Andreas DU CHESNE [alias DUCHESNE, DUCHÊNE, CHESNIUS, DUCHESNIUS, QUERNEUS, QUERCETANUS] [éd.] (1584-1640) & Fransciscus DU CHESNE [François, son fils & continuateur] (1616-1693), Historiae Francorum scriptores coaetanei... quorum plurimi nunc primum ex variis codicibus mss. in lucem prodeunt, alii verò auctiores et emendatiores; cum epistolis regum, reginarum, pontificum, ducum, comitum, abbatum et aliis veteribus rerum Francicarum monumentis opera ac studio Andreae Du Chesne [tom. I-II] — Historiae, etc., opera ac studio filii post patrem Francisci Du Chesne [tom. III-V] [5 vol. in-f°], Lutetiae Parisiorum [Paris], sumptibus S. Cramoisy, 1636-1649 [Du Chesne envisageait un recueil de 34 volumes mais la mort l’arrêta avant que ne parût le 3e], tome IV, pp. 359 sqq. Claude DORMAY [ou DORMAI; chanoine régulier à Saint-Jean-des-Vignes de Soissons], Histoire de la ville de Soissons, et de ses rois, ducs, comtes et gouverneurs; avec une suite des évêques et un abrégé de leurs actions, diverses remarques sur le clergé et particulièrement sur l'église cathédrale, et plusieurs recherches sur les vicomtés et les maisons illustres du Soissonnais [2 vol. in-4°; figures et plans], Soissons, N. Aseline, 1663-1664, livre 5, chapitre 30 [sur la carrière postérieure de Téulfe, prieur puis abbé de Saint-Crépin de Soissons].
R. P. D. Joannis MABILLON [Jean MABILLON; pseudonyme: EUSEBIUS ROMANUS]
(1632-1707), Annales ordinis S. Benedicti, occidentalium monachorum
patriarchae, in quibus non modo res monasticae sed etiam ecclesiasticae
historiae non minima pars continetur, auctore Domno Johanne Mabillon
[«Annales de l’ordre de saint Benoît, patriarche des moines
d’Occident, qui ne traitent pas seulement des affaires monastiques mais
encore d’une partie considérable de l’histoire de l’Église,
par Dom Jean Mabillon»; 6 vol. in-f°; tome V publié par
Massuet; tome VI commencé par Ruinart et Massuet, achevé
et publié par Martène], Lutetiae Parisiorum [Paris], C. Robustel
[J. Rollin pour le tome 6], 1703-1739
[Deuxième édition: Annales etc. Editio 1a italica, a quamplurimis
mendis, quae in parisiensem irrepserant, ad auctoris mentem expurgata
(«Annales, etc., première édition italienne, expurgée
dans l’esprit de l’auteur des nombreuses fautes qui s’étaient glissée
dans celle de Paris»; 6 vol. in-f°; frontispice gravé,
port., planches et figures), Lucae (Luques), typis L. Venturini, 1739-1745],
livre 77, note 28 [sur la carrière postérieure de Téulfe,
prieur puis abbé de Saint-Crépin de Soissons].
Bernard GINESTE [éd.], «Téulfe de Morigny: fragments d’une chronique, vers 1107» [page provisoire], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-12-1107thiou-livre1, janvier 2003 [cette page sera grossie ultérieurement des textes de l’édition princeps de Du Chesne, et de celle de Mirot]. |
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