CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Léon Guibourgé
 Le Château prison
Étampes ville royale, chapitre VII.2
1957

Le château vers 1410-1415 (dessin d'Albert Mayeux, 1912, carte postale Paul Allorge Ee7 n°12)

ÉTAMPES, VILLE ROYALE
Étampes, chez l’auteur, 1957
chapitre VII.2, pp. 227-230.
Le Château prison
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Léon Guibourgé      LA REINE INGEBURGE, PRISONNIÈRE, TOUR DE GUINETTE-PRISON, MARIAGE DE PHILIPPE AUGUSTE AVEC INGEBURGE, LE DIVORCE, INGEBURGE PRISONNIÈRE.

     Le château fort d’Etampes était habituellement habité par le gouverneur chargé de la défense de la ville. Le roi de France quand il résidait à Etampes, habitait le château construit en pleine ville par la reine Constance, épouse de Robert le Pieux, et appelé Palais du Séjour.

     La tour de Guinette recevait quelquefois des prisonniers de marque. C’est ainsi qu’en 1107, Louis le Gros fit mettre en prison dans la tour le seigneur Hourbans, châtelain de Saint-Sévère.

     En 1194, Philippe Auguste y enferme également Robert, comte de Leicester qu’il avait fait prisonnier avec armes et bagages, lors de ses démêlés avec Richard, roi d’Angleterre. Et vers la fin du règne de Saint Louis, nous voyons un chevalier Jehan Britaut interné à son tour, grand panetier de France qui eut des difficultés avec le chambellan Pierre Dubois.

Sceau de Philippe Auguste      Mais ce qui est le plus tragique c’est le sort de la reine Ingeburge qui fut enfermée par Philippe Auguste, son mari. Nous allons raconter cette pénible captivité.

     Après la mort de son épouse, Isabelle de Hainaut, en 1191, le roi Philippe Auguste, pour assurer des héritiers à sa couronne, avait demandé en mariage Ingeburge, fille de Waldemar, roi du Danemark. L’évêque de Noyon, Etienne, et les comtes de Nevers et de Montmorency avaient été chargés de demander [p.228] sa main. Ils venaient de réussir dans leur message, après avoir fourni de part et d’autre plusieurs otages et le prince Canut, frère d’Ingeburge, fut autorisé à emmener sa sœur en France, accompagnée de quelques chevaliers danois.

     Cette jeune princesse était fort attrayante. Elle avait dit-on, les plus beaux cheveux blonds du monde et les mains d’une éclatante blancheur. Le roi Philippe, apprenant son arrivée dans son royaume, vint à sa rencontre à Amiens. Pour la circonstance, il était monté sur son grand cheval de bataille, casque en tête, et haubert à mailles d’argent. Aux portes de la ville, il reçut la nouvelle reine qui s’avançait vers lui, assise sur une blanche haquenée, suivie de ses demoiselles d’honneur et de l’évêque de Noyon. Ravi, le roi voulut qu’on célébrât ce jour même la célébration du mariage, c’était la veille de l’Assomption en l’an 1193, et le lendemain Ingeburge fut couronnée reine de France.

     Mais par un bizarre caprice, le roi conçut soudain pour sa nouvelle épouse une extrême répugnance, et son aversion augmentant chaque jour, il pensa aux moyens de faire annuler le mariage qu’il venait de contracter. Il prétexta une prétendue affinité avec sa nouvelle épouse. A cette occasion, il fit dresser un faux acte de généalogie, montrant qu’Anne de Russie, femme de Henri Ier, roi de France, trisaïeule du roi, était grand’tante d’Isemburge de Russie et bisaïeule de la jeune reine. Une réunion de seigneurs et d’évêques fut donc convoquée par le cardinal de Champagne pour étudier la question du divorce. La reine y comparut seule. Elle ne put se défendre et la malheureuse, à cause de la mauvaise foi ou de l’erreur des membres de l’assemblée vit annuler son mariage. Lorsqu’elle entendit prononcer la sentence, on rapporte qu’elle s’écria en larmes: «Mauvaise France!» et ajouta avec force: «Rome, Rome!» sans dire autre chose.

     Alors, cette noble princesse ne reconnaissant pas cette sentence ne voulut pas quitter la France, mais elle dut abandonner la Cour. On la vit alors, traînée d’un endroit dans un autre, et traitée partout avec une grande rigueur. Pour finir, la tour du château d’Etampes, la tour de Guinette, devint la demeure de l’illustre captive. Et s’il faut en croire nos vieux historiens, ce fut sous ses épaisses voûtes que s’écoulèrent, pour cette infortunée princesse, les plus dures années de sa triste captivité. [p.229]

     PLAINTES D’INGEBURGE, LE ROI EXCOMMUNIÉ, RÉCONCILIATION.

     Reprenons l’histoire d’Ingeburge. Mariée à Philippe Auguste, elle est répudiée aussitôt. A la suite de sa répudiation, Ingeburge en appela au pape Célestin III qui ordonna de convoquer un concile à Paris, le 7 mai 1196. Ce concile intimidé par la présence de la Cour n’aboutit pas. Philippe Auguste en profite pour contracter un autre mariage avec Agnès de Méranie.

     Ingeburge renouvela ses plaintes et le roi de Danemark les appuya. C’est alors que Philippe, courroucé, retira Ingeburge du monastère où elle s’était d’abord réfugiée après sa répudiation pour l’enfermer dans une forteresse lointaine d’où celle-ci adressa au pape une nouvelle supplique.

     Le pape Innocent III, qui succédait à Célestin III, ordonna un nouveau concile à Dijon, puis à Vienne. Là, en présence d’un grand nombre de prélats, le légat du pape, Pierre de Capoue, prononça solennellement l’interdit sur le royaume de France.

     Le roi Philippe promit au pape de se soumettre. Le cœur brisé, il dut renvoyer Agnès de Méranie et reconnaître la nullité de son union avec elle.

     Pendant ce temps, Ingeburge, malade, fut conduite au château royal de Saint-Léger-en-Yveline, ancienne résidence des reines de France. La Cardinal Octavien, légat du pape, leva alors l’interdit jeté sur le royaume depuis 8 mois et demanda que le procès d’Ingebuge fut revu. Au mois de mars 1201, dans ce but, un concile s’assembla à Soissons, le roi présent.

     Le roi s’était entouré d’une foule d’avocats, pour plaider en faveur du divorce. Mais la multitude des questions qu’on adressa au roi et la longueur des débats l’humilièrent et l’offensèrent tellement qu’un matin, de très bonne heure, il prit tout à coup le parti d’emmener Ingeburge et d’envoyer dire aux prélats en discussion «qu’ils peuvent se retirer quand il leur plaira, qu’il regarde Ingeburge comme sa femme, que tout est fini.» Puis mettant la reine en croupe sur son cheval, il l’emmena à Etampes, et c’est alors qu’il la fit enfermer dans le donjon de Guinette.

Psautier d'Ingeburge      Agnès de Méranie était morte quelque temps avant. Cela ne rapprocha pas Philippe d’Ingeburge. Celle-ci ne recouvra que son titre de reine et au dire de tous les historiens, fut très mal heureuse.

     Enfermée dans la tour Ingeburge était considérée comme prisonnière. La nourriture était irrégulière et parfois insuffisante. [p.230]

     Personne ne pouvait la visiter. Exceptionnellement, deux chapelains danois, une seule fois, eurent l’autorisation de l’entretenir en langue française. Rarement, elle pouvait assister à la messe. Les serviteurs qui accédaient auprès d’elle, souvent l’injuriaient ou lui donnaient de mauvais conseils. Physiquement et moralement éprouvée, Ingeburge écrit au pape: «Mon Père, je tourne mes regards vers vous, afin de ne pas périr. Ce n’est pas de mon corps, c’est de mon âme que je m’inquiète, car je meurs tous les jours, Saint Père, pour conserver intacts les droits sacrés du mariage.» Le pape lui répond pour l’encourager, en même temps qu’il écrit au roi Philippe. Il envoya même son chapelain à Etampes. Mais le roi ne fit aucun effort pour arranger l’affaire. En 1207, nouvelle lettre du pape, menaçante. «Le roi, dit-il, s’expose non seulement à la colère de Dieu, mais encore à la haine des hommes en traitant comme une vile esclave une princesse d’origine royale, sœur, épouse et fille de rois.» Philippe, intimidé, conseilla à la reine d’entrer en religion. La reine refusa d’abord, puis, devant les menaces, finit par céder. Le pape, averti, se méfia et demanda auparavant la libération de la reine. Le roi tergiversa et les années s’écoulèrent.

     A cette époque, Jean sans Terre, roi d’Angleterre, persécutant la religion, fut excommunié par le Pape, déclaré indigne du trône et déposé en 1212. En janvier 1213, à Soissons, dans une assemblé solennelle de princes et de prélats, on décida l’invasion de l’Angleterre. C’était l’affaire du roi Philippe. Il s’empressa de préparer l’expédition. mais avant tout, il se réconcilia avec la reine Ingeburge. En effet, il reprit sa femme et la réconciliation cette fois, ne fut pas feinte. Ingeburge était alors âgée de 38 ans. Elle avait passé 20 ans dans la prière et les larmes, reléguée dans un monastère, dans une forteresse lointaine, au château de Saint-Léger et enfin dans le donjon d’Etampes.

     Le roi Philippe mourut en 1223. La reine se retira près de Corbeil, dans une île de l’Essonne, au prieuré de Saint-Jean-de-l’Ile, qu’elle avait fondé, et où elle termina sa vie dans le calme, le 29 juillet 1236, à l’âge de 60 ans. [p.231]


ADDITIONS DE 1963

     Guibourgé a donné une édition à part de ce chapitre dans le n°1 du Bulletin municipal de juillet 1963. Il le reproduit tel quel sauf qu’il y ajoute un paragraphe d’introduction, et une remarque finale empruntée à La Grande Histoire d’une petite ville, de Saint-Périer:

     Le voyageur qui passe à Étampes remarque tout d’abord la grosse tour en ruine qui domine la ville. On l’appelle la «Tour de Guinette», vieux nom venant de «guigner», «guetter». Elle servait en effet de guet pour la défense. Elle faisait partie d’un ensemble de fortifications couvrant la colline. Mais à l’occasion elle servait aussi de prison. C’est ce que nous allons rappeler dans cet article.
     La Tour de Guinette recevait donc quelquefois… [La suite reproduit pratiquement tel quel le chapitre ci-dessus, jusqu’à la fin où l’auteur a ajouté la phrase suivante:]
     … elle termina sa vie dans le calme le 29 juillet 1236, à l’âge de 60 ans. Elle avait sans doute depuis longtemps pardonné au roi les misères endurées, car on retrouva sur son livre de prières inscrite avec soin la date de la Victoire de Bouvines le 27 juillet 1214.


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BIBLIOGRAPHIE

Éditions
Léon Guibourgé
     Brochure préalable: Léon GUIBOURGÉ [chanoine, ancien archiprêtre d’Étampes, officier d’Académie, membre de la Commission des arts et antiquités de Seine-et-Oise, vice-président de la Société artistique et archéologique de Corbeil, d’Étampes et du Hurepoix], Étampes, la favorite des rois [in-16; 64 p.; figures; plan et couverture en couleur; avant-propos de Barthélémy Durand, maire; dessin de couverture de Philippe Lejeune], Étampes, Éditions d’art Rameau, 1954.

    
Édition princeps: Léon GUIBOURGÉ, Étampes, ville royale [in-16 (20 cm); 253 p.; armoiries de la ville en couleurs sur la couverture; préface d’Henri Lemoine], Étampes, chez l’auteur (imprimerie de la Semeuse), 1957.

     Réédition à part de ce chapitre, légèrement remanié: Léon GUIBOURGÉ [Président des «Amis d’Étampes»], «La Tour de Guinette, prison», in Bulletin Municipal d’Étampes n°1 (juillet 1963), pp. 10-11.

    
Réédition en fac-similé de l’ouvrage: Léon GUIBOURGÉ, Étampes, ville royale [réédition en fac-similé: 22 cm; 253 p.; broché; armoiries de la ville sur la couverture; préface d’Henri Lemoine], Étampes, Péronnas, Éditions de la Tour Gile, 1997 [ISBN 2-87802-317-X].

    
Édition électronique: Bernard GINESTE [éd.], «Léon Guibourgé: Étampes ville royale (1957)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-guibourge1957etampesvilleroyale.html (33 pages web) 2004.


Toute critique ou contribution seront les bienvenues. Any criticism or contribution welcome.
Source: Léon Guibourgé, Étampes, ville royale, 1957, pp. 227-230. Saisie: Bernard Gineste, octobre 2004.
    
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