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SON HISTOIRE, SON CHATEAU. Dans le quartier Saint-Pierre, la rue de la République actuelle s’appelait autrefois la rue de la Boucherie. A gauche de cette rue, il y avait un grand clos désigné sous le nom de parc du Bourgneuf. Ce parc a été loti, partagé par des rues nouvelles: l’avenue du Bourgneuf et la rue de Valori. Dans ce parc du Bourgneuf était situé l’ancien château, dit château du Bourgneuf. Ce château appartenait pendant le XVIe siècle aux familles Roger de Mauchesne, Marainville et Le Ragois, et, pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, aux familles de Cœurs, de Guérin et de Valori. Dès le XVIe siècle, cette résidence seigneuriale avait une certaine importance. En 1580, elle se composait de deux seigneuries: 1° Celle du Bourgneuf proprement dit, «composée d’un grand corps de logis couvert de tuiles, cour, grenier, cave, grange étable et jardin le tout d’un seul tenant et clos de murs, du moulin dit du Bourgneuf sur la Juine, avec les sauts d’autres moulins...» 2° Celle de la Mayerie, «consistant en une place estant joignante le prieuré de l’église Saint-Pierre, contenant un arpent ou environ, où il y avait un logis, et reste encore une cave et des fondements». On l’appelait aussi: le Carrefour de l’Eglise. Au XVe siècle, la seigneurie du Bourgneuf possédait une chapelle. Un procès-verbal de 1642, relatant la visite canonique [p.150] faite par J. Hochereau, doyen d’Etampes, assisté de Claude Delaporte, curé de Saint-Gilles, et de Cantien Chassecuiller, curé de Saint-Pierre, rapporte ces détails: «On trouve à l’entrée de la galerie un pavillon couvert d’ardoises, bien voûté, faict en chapelle bien ornée, un autel et plusieurs beaux tableaux de dévotion et choses nécessaires et requises pour la décoration de ladite chapelle, selon les saincts canons et statut synodaux.» Au XVIIIe siècle, le château du Bourgneuf allait être dans toute sa splendeur. Il avait alors pour seigneur Guy, Louis, Henri de Valori. Celui-ci agrandissait peu à peu son domaine par l’achat de maisons et de terres avoisinantes. Il acquit ainsi la rue Torse et l’emplacement de l’Auditoire ou «audience du bailli». D’après des dessins de l’époque, on peut se faire une idée de l’emplacement du château et de l’étendue de son parc. Le château formait un long bâtiment rectangulaire avec, au centre, un vestibule et un grand escalier ayant porte d’entrée sur la cour et une autre sur le parc, et flanqué de deux ailes. Devant le château et entre les ailes, une cour dont l’entrée donnait sur la rue des Sablons (aujourd’hui rue Sadi-Carnot). Derrière le château s’étendait le parc avec une grande allée d’arbres encadrant le bâtiment et descendant par une pelouse bordée de fleurs jusqu’au fond de la propriété. Des fenêtres, donnant sur un parc, la vue était magnifique. On apercevait, au fond de l’allée centrale et par-dessus les arbres, la ville d’Etampes avec ses coteaux, son château-fort et ses clochers. Le domaine était limité, à l’Ouest, du côté du château, par la rue des Sablons, à l’Est par un mur parallèle à la rue de l’Alun et rejoignant la rue Torse, au Sud par la rue de la Boucherie, et au Nord par la rue de l’Avaloir qu’on écrivait autrefois «Lavallouer». Dans ce domaine, il y avait la chapelle près de la rue Torse, où se trouvait une autre entrée de la propriété. On y voyait aussi. une fontaine et un bassin vers le milieu du parc, un colom bier non loin de la chapelle, et une glacière, du côté de la rue de l’Avaloir. Le moulin du Bourgneuf appartenait, au xvme siècle, au marquis Guy-Louis-Henri de Valori, gouverneur de Lille. Il l’avait acquis en épousant Henriette-Françoise Le Camus, veuve de Alphonse-Germain Guérin, seigneur du Burgneuf et tué en 1713 au siège de Fribourg en Brisgau. Le marquis de Valori, devenu ainsi par son mariage seigneur du Bourgneuf, le resta jusqu’en 1774, date de sa mort. Ce nouveau seigneur, très riche, [p.151] allié aux plus vieilles familles de France, qui avait fait la guerre avec Villars et rempli des missions auprès de Frédéric II, allait donner, grâce à ses relations, une vie toute nouvelle au château du Bourgneuf et à cette partie de la ville d’Etampes, le bourg Saint-Pierre. LE MARQUIS DE VALORI, VOLTAIRE. Le marquis de Valori, seigneur du Bourgneuf, gouverneur de Lille, avait déjà, avant son mariage, de hautes et nombreuses relations. Lorsqu’il résidait dans son château du Bourgneuf, il recevait toutes les célébrités de l’époque: princes et princesses du Nord de passage à Paris, ses frères, le chevalier de Valori, ingénieur à Cambrai, et l’abbé de Valori, grand prévost de Lille, ses amis Voyer d’Argenson et très souvent Voltaire. Telle était l’affluence des personnes distinguées qu’il recevait que la Dauphine. mère de Louis XV, disait un jour: «La cour va être déserte, le vieux marquis de Valori vient de retourner à sa terre d’Etampes». Tous ces personnages ne s’ennuyait pas à Etampes. Au château, il y avait une bibliothèque et une salle de spectacles. La bibliothèque contenait des livres de toutes sortes, principalement des livres scientifiques et historiques. On y pouvait lire Les antiquités d’Etampes, par dom Fleureau, ouvrage qui n’a eu qu’une seule édition et, de ce fait, est fort rare aujourd’hui. Nous avons la chance d’en posséder un exemplaire. On y voyait encore le Dictionnaire géographique, de l’abbé d’Expilly, la Géographie de la France, par Dumoulin, le Dictionnaire de Moreri, les Mélanges de différentes œuvres littéraires, par, Voyer d’Argenson, et naturellement des titres et des généalogies de la maison de Valori. En 1760, après le décès de la marquise de Valori, née Le Camus, l’inventaire constate que la bibliothèque contenait 1.900 volumes et les archives 95 articles. A la Révolution de 1793, à la suite de la saisie des biens des émigrés, le catalogue dressé porte le nombre des livres à 4.663. Que sont-ils devenus? Une petite partie seulement se trouve aujourd’hui à la bibliothèque de l’Arsenal et aux Archives de Seine-et-Oise. Après la lecture, les hôtes du château pouvaient se distraire en assistant de temps en temps au spectacle. Pour cela on avait aménagé une salle du château. Et c’est à l’occasion des séances données dans cette salle que naquit la vocation du célèbre acteur et chanteur Clerval. Celui-ci était le fils du jardinier du château. [p.152] Il débuta en 1759 à l’Opéra-Comique. Bien physiquement, de tournure distinguée, ayant dans son jeu des manières apprises au château, il acquit bientôt de la célébrité et on l’appela: «Le Molé de la comédie italienne». Dans ses succès, il n oublia pas ses vieux parents et, tous les ans, il leur envoyait une belle somme d’argent par l’intermédiaire de l’abbé Boivin, curé de Notre-Dame d’Etampes. Le marquis d’Argenson, qui, comme Voltaire, venait très souvent au château, variait ses distractions en faisait des dessins. C’est ainsi qu’il a laissé une vue de la demeure du Bourgneuf, prise de l’intérieur du parc. Et c’est ce dessin qui nous a permis d’en faire une description sommaire. Quant à Voltaire, il s’occupait de toutes façons. On raconte à son sujet une amusante aventure. Un jour, il s’était montré un peu trop empressé auprès d’une servante nommée Trinité et il reçut d’elle un violent soufflet. Cette aventure paraît vraisemblable. D’une part, la famille Trinité a bien existé; dans les papiers de famille de Valori on retrouve souvent ce nom de Trinité on y mentionne entre autres que le marquis de Valori acheta une masure rue du Sablon à Marie Barué, veuve de Louis Trinité. D’autre part, Frédéric, roi de Prusse, à la cour duquel Voltaire se rendait souvent, lui dit dans une lettre: «Je vous promets la lecture d’un poème épique de 4.000 vers dont Valori est le héros et où il n’y manque que cette servante qui alluma dans vos sens des feux séditieux que sa pudeur sut réprimer vivement». Et le roi le plaisanta souvent au sujet de cette mésaventure et, dans une autre lettre, il l’engagea à revenir à sa cour, et, pour. le déterminer, il lui met: «Je vous garde une gentille Hébé de vingt ans et non une mal-apprise comme la cuisinière de Valori.» LA RÉVOLUTION. Le marquis Louis-Guy-Henri de Valori, seigneur du Bourgneuf, décéda le 20 octobre 1774, à l’âge de 82 ans. On prétend que le roi de Prusse, Frédéric le Grand, en apprenant la mort de Valori, prononça ces paroles élogieuses: «Les hommes de cette trempe ont été rares dans ce siècle.» Il fut inhumé dans la chapelle du château «en présence de messires: Charles-Jean-Marie, comte de Valori, petit-fils, Charles-Louis-Guy de Valori, officier de dragons, aussi petit-fils; [p.153] de messieurs les curés, du clergé, du corps de la noblesse de cette ville.» Ce fut son petit-fils, Charles-Jean-Marie, qui prit la succession de la seigneurie du Bourgneuf. Le 13 avril 1779, son mariage est célébré en l’église de la Madeleine à Paris, avec Adélaïde Louise-Jeanne-Joséphine-Dupleix, fille mineure de feu Joseph François Dupleix, comte de la Ferrière, commandeur de l’Ordre de Saint-Louis, gouverneur des établissements français dans l’Inde. C’est lui, qui le 12 avril 1791, se rend abjudicataire de la ferme du prieuré de Saint-Pierre et d’un jardin près de l’auditoire. La ferme consistait en une maison, colombier, grange, écurie, bergerie, étable et jardin, le tout enclos de murs, contigu à l’église et au cimetière Saint-Pierre. Nous arrivons en cette année 1791, à l’époque de la Révolution française. Le marquis de Valori juge prudent d’émigrer à l’étranger. Il était suspect non seulement comme noble, mais comme parent de François-Florent de Valori, garde du corps qui faisait partie de l’escorte du roi Louis XVI lors de sa fuite et de son arrestation à Varennes. Avant de partir, il charge son notaire Louis Marin Vénard de veiller sur ses biens. Mais le 7 novembre 1792, le notaire est obligé, en conformité du décret du 23 août de la même année, de faire la déclaration suivante devant la municipalité d’Etampes: A remarquer dans cette déclaration que le marquis de Valori est désigné sous le terme de Sieur Valori. La République ne reconnaît plus les nobles. «Le-dit sieur Valori s’étant absenté de cette ville dès le mois d’octobre 1791, pour accompagner la dame son épouse aux bains d’Aix-la-Chapelle, le-dit notaire a régi pendant son absence les biens qui appartenaient audit Sieur Valori, sis en cette ville seulement. Ledit Valori, n’étant pas de retour à présent, il croit, lui Vénard, notaire, être dans le cas de la loi du 23 août dernier. En conséquence, il vient déclarer, pour se conformer à la loi, qu’il a dressé le compte des recettes et dépenses pour ledit Sieur Valori, dont le résultat est qu’il lui doit la somme de 788 livres 11 sols, 3 deniers, laquelle somme il offre de verser es-mains de qui il appartiendra...» Non seulement la somme fut confisquée, mais tous les biens du marquis de Valori furent saisis et vendus comme biens nationaux. Une perquisition, opérée par le fameux conventionnel Couturier, le 5 décembre 1793, retira du château du Bourgueuf une caisse renfermant 290 marcs d’argenterie. Le château qui [p.154] était le lot le plus important avec le jardin et le parc fut vendu le 7 prairial an VIII à un nommé Jean Prax pour la somme de 750.000 francs. Dans la suite, le château fut démoli. Il ne reste aujourd’hui du domaine du Bourgneuf qu’un grand clos, qu’on appelle encore «Clos du Bourgneuf». Ce clos a été loti, divisé par deux voies principales: l’avenue du Bourgneuf et la rue de Valory. Dans ce clos s’elèvent maintenant des maisons particulières. [p.155] |
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BIBLIOGRAPHIE
Éditions
Brochure
préalable: Léon GUIBOURGÉ [chanoine, ancien
archiprêtre d’Étampes, officier d’Académie, membre
de la Commission des arts et antiquités de Seine-et-Oise, vice-président
de la Société artistique et archéologique de Corbeil,
d’Étampes et du Hurepoix], Étampes, la favorite
des rois [in-16; 64 p.; figures; plan et couverture en couleur; avant-propos
de Barthélémy Durand, maire; dessin de couverture de Philippe
Lejeune], Étampes, Éditions d’art Rameau, 1954.
Édition princeps: Léon GUIBOURGÉ, Étampes, ville royale [in-16 (20 cm); 253 p.; armoiries de la ville en couleurs sur la couverture; préface d’Henri Lemoine], Étampes, chez l’auteur (imprimerie de la Semeuse), 1957. Réédition en fac-similé: Léon GUIBOURGÉ, Étampes, ville royale [réédition en fac-similé: 22 cm; 253 p.; broché; armoiries de la ville sur la couverture; préface d’Henri Lemoine], Péronnas, Éditions de la Tour Gile, 1997 [ISBN 2-87802-317-X]. Édition électronique: Bernard GINESTE [éd.], «Léon Guibourgé: Étampes ville royale (1957)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-guibourge1957etampesvilleroyale.html (33 pages web) 2004. Toute critique ou contribution
seront les bienvenues. Any criticism or contribution welcome.
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Source: Léon Guibourgé, Étampes, ville royale, 1957, pp. 149-154. Saisie: Bernard Gineste, octobre 2004. |
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