CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Léon Guibourgé
Le Port d’Étampes
Étampes ville royale, chapitre III.9
1957
 
Le Pont du Port en 1913 (Carte postale Levy et fils)  
Le Pont du Port en 1913 (carte postale Levy et fils)
 
ÉTAMPES, VILLE ROYALE
Étampes, chez l’auteur, 1957
chapitre III.9, pp. 121-126.
Le Port d’Étampes
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Léon Guibourgé      L’ANCIEN PORT DE L’HÔPITAL SAINT-JACQUES, LE NOUVEAU PORT CRÉÉ PAR J. DE FOIX,  DÉSACCORD ENTRE LES DEUX PORTS.

     A Etampes, il y a un lieu-dit: Le Port ou Promenade du Port. Où est ce port ? Evidemment il n’existe plus, mais il a existé, et même il y a eu autrefois, jusqu’au XVIIe siècle, non seulement un port mais deux ports.

     Dans notre histoire nationale, Paris prenant de plus en plus d’importance et ne pouvant plus se contenter des denrées fournies par ses environs ou apportées par le trafic de la Seine, pensa aux blés de la Beauce et aux vignobles qui couvraient nos coteaux, et chercha s’il ne serait pas possible, de concert avec les Etampois, d’amener dans la grande cité, par les rivières de la Juine et de l’Essonnes, les blés et les vins de notre région. D’où l’origine du port d’Etampes.

     Un premier port, dit port Saint-Jacques-de-l’Epée, fut établi derrière l’hôpital Saint-Jacques, aujourd’hui l’abattoir, à une date que nous ignorons. Ce port avait peu d’importance. Aussi au Xve siècle, Jean de Foix, comte d’Etampes, eut l’idée d’établir avec l’aide des habitants, un port plus grand et plus près de la ville. Voici ce que dit l’historien dom Fleureau à ce sujet:
     «Peu de temps après que Jean de Foix eut pris possession [p.122] du comté d’Etampes en 1478, le prévost des marchands et les échevins de Paris ayant considéré la richesse et la fertilité de la Beauce en blé, furent d’avis d’en rendre le transport facile par eau, en canalisant la rivière d’Etampes qui ne l’était pas alors, ou au moins qui était fort peu navigable, bien qu’elle servit déjà à cet usage. Le roi lui-même commanda aux habitants de cette ville de rendre leurs cours d’eau en état de porter facilement des bateaux d’Etampes à Paris, soit pour descendre, soit pour remonter, commandement auquel ceux-ci s’empressèrent d’obéir en s’appliquant détourner plusieurs ruisseaux qui couraient dans la prairie et en les rassemblant dans un même cours, comme aussi en faisant construire des bateaux pour le transport des marchandises...»

     Le comte d’Etampes, Jean de Foix, était bien d’accord avec le roi puisque c’était son idée. Non seulement il fit canaliser la rivière d’Etampes, mais il voulut un nouveau port.

    Par une charte, donnée à Tours en date du 27 juillet 1490, il octroya donc à sa bonne ville d’Etampes le droit de port. Dans cet acte il déclare: «que le port, qui depuis un nombre indéterminé d’années a été joignant l’hôpital Saint-Jacques-de l’Epée, sera approché et mis près des murs d’icelle ville, selon le bief ou cours d’eau qui déjà a été fait, sans qu’il soit permis d’embarquer ailleurs ni vin, ni blé, ni marchandises quelconques, sous peine d’amende et de confiscation, ordonnant que les mêmes droits, qui avaient été jusque là payés à l’hôpital Saint Jacques seraient également acquittés au nouveau port, savoir quatre deniers parisis par chariot pour charger ou décharger, et deux deniers parisis par charrette et par cheval de somme, sans préjudice du droit de péage...»

     Mais ce droit de port fut loin d’avoir de suite son effet. On put tout d’abord acheter les quelques pièces de pré à l’emplacement destiné à ce port ainsi qu’un petit nombre de masures près du rempart, creuser un canal assez grand pour recevoir les bateaux et rassembler les cours d’eau qui se perdaient dans la prairie. Nous avons même déjà vu qu’une partie de ces choses avait été faite par les habitants du pays. Ce fut le commandeur de l’hôpital Saint-Jacques qui s’opposa à l’exécution de la charte, prétendant que le droit de port lui appartenait avant tout autre et qu’il en jouissait d’ailleurs depuis longtemps. Les habitants lui répondaient que c’était pure souffrance, et qu’il ne pouvait fournir aucun titre lui accordant ce droit.

     Le procès traîna en longueur. Le Commandeur fut cependant maintenu dans ses prétentions par sentence du bailli d’Etampes [p.123] en 1514. Les habitants en appelèrent au Parlement. Celui-ci par un décret du 28 décembre 1527, déclara maintenir le Commandeur dans la jouissance de sou port situé derrière son hôpital, mais le droit des habitants fut également reconnu, et leur port devait s’étendre «depuis les fossés de la ville, jusqu’à une ruelle descendant du faubourg Evézard aux prés.»

     TRAFIC DU PORT: BLÉ ET VIN, LES BATEAUX, DURÉE DU VOYAGE.

     Le port d’Etampes n’était pas un grand bassin comprenant tout l’emplacement appelé aujourd’hui «le Port ou Promenade du Port». Le port proprement dit, qui servait de refuge aux bateaux, occupait le bas de cette promenade. Nous savons que la ville d’Etampes était entourée de remparts avec des fossés. Le fossé ou canal qui partait de la rivière jusqu’à la rue Evézard ou la porte Evézard fut agrandi et fit fonction de port.

Environs d'Etampes au 18e siècle (lithographie de Sarrazin, carte postale Paul Allorge n°106)      Ce nouveau port faisait concurrence à celui de la Commanderie Saint-Jacques, ce dernier finit par disparaître. Les Capucins, qui en 1580 succédèrent à l’Ordre de Saint-Jacques, obtinrent en 1621 l’autorisation de détourner une partie de la rivière afin d’enclore dans leur jardin un pré situé derrière leur maison et d’y enfermer leur port, qui devint simplement un bassin dans leur propriété, servant de vivier.

     Pendant plus de 150 ans, le port d’Etarnpes fut très actif. En quoi consistait le trafic de ce port?

     Dans un devis estimatif des travaux à faire pour la canalisation de la rivière datant de 1560, il est dit par les experts: «il est besoing et nécessaire faire les réparations et choses ci-après déclaréez, affin que les bateaux chargés de leur charge, qui est de douze muids mesure d’Etampes, et trente-deux poinçons de vin par chacunz bateaux, puissent aller librement et commodément sur ladite rivière...»

     Le muid de blé, mesure d’Etampes, se composait de 12 sacs pesant 230 livres, et le poinçon ou pièce de vin était de 236 litres pesant environ 500 livres. Le bateau pouvait emporter 16 à 17 tonnes de marchandise, soit environ 150 sacs de blé ou 65 pièces de vin.
Le blé n’était pas toujours transporté en grains. Souvent les boulangers de Paris venaient acheter leur blé à Etampes, le faisaient moudre dans les nombreux moulins de la Juine, [p.124] et ce blé écrasé, appelé «boulange» était expédié par eau à Paris.

     Les bateaux avaient environ 8 mètres de long sur 3 mètres de large, et le canal jusqu’à Morigny 10 mètres de largeur. Ces bateaux pouvaient donc facilement descendre et monter, et même virer de bord. Si la Juisne était tenue en bon état la navigation était aisée.

     Malheureusement, par endroits, il y avait des gourds, c’est-à-dire des parties ensablées. Il fallait alors alléger, décharger et recharger dans ces endroits, ce qui augmentait la longueur et les frais du transport.

     Chaque jour une dizaine de bateaux partaient d’Etampes pour Paris. Il en revenait nécessairement le même nombre. Une vingtaine de bateaux étaient donc suffisants pour le trafic. En y ajoutant un certain nombre en réserve dans le port, en réparation ou pour les moments d’affluence, on peut arriver à une quarantaine de bateaux.

     Ajoutons que les marchandises seules n’étaient pas transportées par ces bateaux. Il y avait parfois des voyageurs.

     A cette époque, il n’y avait pas encore de service de diligences sur la grande route pour se rendre à Paris. Il fallait y aller à pied ou à cheval, ce que ne pouvait faire que le petit nombre. Cependant certains avaient besoin de se rendre à Paris. Craignant les inconvénients de la route, les détrousseurs de grands chemins, ils préféraient la lenteur mais la sûreté du bateau.
Un savant homme, qui vivait sous Henri III, Claude Mignault, avocat du roi à Etampes, vers 1580, nous apprend qu’il avait composé son principal ouvrage durant les loisirs que lui donnaient ses voyages sur bateau entre Etampes et la capitale, tant en descendant qu’en montant.

     Le voyage par eau devait, en effet, durer longtemps.

     LE VOYAGE A PARIS, SES DIFFICULTÉS, SA DURÉE, FIN DU PORT, LA PROMENADE DU PORT, LA SAINT-MICHEL.

     La route d’Etampes à Corbeil a 36 kilomètres, mais la rivière fait de nombreux détours pour atteindre le même but. Aussi, par eau, il faut compter une quarantaine de kilomètres. Le courant est à peu près de 35 centimètres par seconde. En suivant le fil de l’eau, les barques auraient mis au moins un jour et demi pour aller, mais il est probable que les mariniers activaient leur [p.125] marche à l’aide des rames ou de la perche et pouvaient faire le chemin en 16 ou 18 heures jusqu’à Corbeil.

Promenade du Port (carte postale Berthaud frères n°32)      Pendant les longues journées d’été, on pouvait arriver à la Seine le même jour, mais c’était impossible en hiver, Il fallait donc s’arrêter nécessairement en chemin, à quelque hôtellerie voisine du cours d’eau.

     Arrivé à Corbeil après un jour et demi de navigation, on voyageait ensuite sur la Seine plus aisément. Mais il fallait encore une journée. Ainsi d’Etampes à Paris on devait compter deux ou trois jours de voyage. Il y avait en outre le retour. Après donc un jour ou deux pour le déchargement et le rechargement, on reprenait la direction de Corbeil en se faisant remorquer par des chevaux, car il s’agissait de remonter le courant. Mais de Corbeil à Etampes on n’avait plus que ses bras pour haler le bateau, ce qui demandait au moins trois grands jours. En résumé, le voyage aller et retour devait durer au minimum une semaine entière.

     Malgré cette lenteur du voyage par eau, pendant combien de temps dura ce trafic? Environ cent cinquante ans. Aucun acte ou décret de l’autorité civile ne parle de cette cessation. On sait seulement qu’en 1663, le port d’Etampes était toujours en activité. Dans un procès à cette époque contre un nommé Raguin, prétendant seul avoir le droit des bateaux sur la rivière d’Etampes, il est question d’un chargement de blé qu’on avait fait saisir et vendu à Corbeil.
Et quelques années plus tard dom Fleureau dans son ouvrage sur Etampes parle du port comme fonctionnant de son temps.

     Il est donc probable que le port ne termina son trafic que vers la fin du XVIIe siècle par suite de l’amélioration des grandes routes, qui purent permettre un transport plus expéditif et plus commode pour notre commune.

La fête Saint-Michel au début du 20e siècle (carte postale Royer n°139)

     Le Port a disparu, mais il reste à Etampes la «Promenade du Port» une des plus belles de la ville. C’est sur cette promenade que se célèbrent les fêtes traditionnelles de la cité.

     Parmi ces fêtes, il y a la Saint-Michel, fête patronale, qui est devenue une foire importante. Cette foire, octroyée par Louis VII, la dixième année de son règne, en 1147, avec moyenne et basse justice, en faveur des pauvres lépreux de la maladrerie Saint Lazare, se tenait tout d’abord au lieudit «Saint-Michel» à l’entrée de la ville. Mais en 1774 les habitants d’Etampes demandèrent au Conseil de la ville de transporter ladite foire sur la promenade du Port. A cette époque le port n’existait plus. Le Conseil y consentit, et depuis ce temps cette foire à toujours [p.126] un grand succès. En fin de septembre, tous les ans, une foule considérable continue de célébrer la Saint-Michel.

     Depuis quelques années une autre grande fête s’ajoute à la Saint-Michel, c’est la foire-exposition ou foire commerciale, organisée par le Syndicat d’Initiative de la ville au mois de juin de chaque année et qui à également le même succès. [p.127]

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BIBLIOGRAPHIE

Éditions

Léon Guibourgé      Brochure préalable: Léon GUIBOURGÉ [chanoine, ancien archiprêtre d’Étampes, officier d’Académie, membre de la Commission des arts et antiquités de Seine-et-Oise, vice-président de la Société artistique et archéologique de Corbeil, d’Étampes et du Hurepoix], Étampes, la favorite des rois [in-16; 64 p.; figures; plan et couverture en couleur; avant-propos de Barthélémy Durand, maire; dessin de couverture de Philippe Lejeune], Étampes, Éditions d’art Rameau, 1954.

     Édition princeps: Léon GUIBOURGÉ, Étampes, ville royale [in-16 (20 cm); 253 p.; armoiries de la ville en couleurs sur la couverture; préface d’Henri Lemoine], Étampes, chez l’auteur (imprimerie de la Semeuse), 1957.

     Réédition en fac-similé: Léon GUIBOURGÉ, Étampes, ville royale [réédition en fac-similé: 22 cm; 253 p.; broché; armoiries de la ville sur la couverture; préface d’Henri Lemoine], Étampes, Péronnas, Éditions de la Tour Gile, 1997 [ISBN 2-87802-317-X].

     Édition électronique: Bernard GINESTE [éd.], «Léon Guibourgé: Étampes ville royale (1957)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-guibourge1957etampesvilleroyale.html (33 pages web) 2004.


Toute critique ou contribution seront les bienvenues. Any criticism or contribution welcome.
Source: Léon Guibourgé, Étampes, ville royale, 1957, pp. 121-126. Saisie: Bernard Gineste, octobre 2004.
    
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