L’ANCIEN
PORT DE L’HÔPITAL SAINT-JACQUES, LE NOUVEAU PORT CRÉÉ
PAR J. DE FOIX, DÉSACCORD ENTRE LES DEUX PORTS.
A Etampes, il y a un lieu-dit: Le Port ou Promenade
du Port. Où est ce port ? Evidemment il n’existe plus, mais il a
existé, et même il y a eu autrefois, jusqu’au XVIIe siècle,
non seulement un port mais deux ports.
Dans notre histoire nationale, Paris prenant
de plus en plus d’importance et ne pouvant plus se contenter des denrées
fournies par ses environs ou apportées par le trafic de la Seine,
pensa aux blés de la Beauce et aux vignobles qui couvraient nos
coteaux, et chercha s’il ne serait pas possible, de concert avec les Etampois,
d’amener dans la grande cité, par les rivières de la Juine
et de l’Essonnes, les blés et les vins de notre région.
D’où l’origine du port d’Etampes.
Un premier port, dit port Saint-Jacques-de-l’Epée,
fut établi derrière l’hôpital Saint-Jacques, aujourd’hui
l’abattoir, à une date que nous ignorons. Ce port avait peu d’importance.
Aussi au Xve siècle, Jean de Foix, comte d’Etampes, eut l’idée
d’établir avec l’aide des habitants, un port plus grand et plus
près de la ville. Voici ce que dit l’historien dom Fleureau à
ce sujet:
«Peu de temps après que Jean
de Foix eut pris possession [p.122] du
comté d’Etampes en 1478, le prévost des marchands et les
échevins de Paris ayant considéré la richesse et la
fertilité de la Beauce en blé, furent d’avis d’en rendre
le transport facile par eau, en canalisant la rivière d’Etampes
qui ne l’était pas alors, ou au moins qui était fort peu navigable,
bien qu’elle servit déjà à cet usage. Le roi lui-même
commanda aux habitants de cette ville de rendre leurs cours d’eau en état
de porter facilement des bateaux d’Etampes à Paris, soit pour descendre,
soit pour remonter, commandement auquel ceux-ci s’empressèrent d’obéir
en s’appliquant détourner plusieurs ruisseaux qui couraient dans
la prairie et en les rassemblant dans un même cours, comme aussi
en faisant construire des bateaux pour le transport des marchandises...»
Le comte d’Etampes, Jean de Foix, était
bien d’accord avec le roi puisque c’était son idée. Non seulement
il fit canaliser la rivière d’Etampes, mais il voulut un nouveau
port.
Par une charte, donnée à Tours en
date du 27 juillet 1490, il octroya donc à sa bonne ville d’Etampes
le droit de port. Dans cet acte il déclare: «que le port, qui
depuis un nombre indéterminé d’années a été
joignant l’hôpital Saint-Jacques-de l’Epée, sera approché
et mis près des murs d’icelle ville, selon le bief ou cours d’eau
qui déjà a été fait, sans qu’il soit permis
d’embarquer ailleurs ni vin, ni blé, ni marchandises quelconques,
sous peine d’amende et de confiscation, ordonnant que les mêmes droits,
qui avaient été jusque là payés à l’hôpital
Saint Jacques seraient également acquittés au nouveau port,
savoir quatre deniers parisis par chariot pour charger ou décharger,
et deux deniers parisis par charrette et par cheval de somme, sans préjudice
du droit de péage...»
Mais ce droit de port fut loin d’avoir de
suite son effet. On put tout d’abord acheter les quelques pièces
de pré à l’emplacement destiné à ce port ainsi
qu’un petit nombre de masures près du rempart, creuser un canal
assez grand pour recevoir les bateaux et rassembler les cours d’eau qui
se perdaient dans la prairie. Nous avons même déjà vu
qu’une partie de ces choses avait été faite par les habitants
du pays. Ce fut le commandeur de l’hôpital Saint-Jacques qui s’opposa
à l’exécution de la charte, prétendant que le droit
de port lui appartenait avant tout autre et qu’il en jouissait d’ailleurs
depuis longtemps. Les habitants lui répondaient que c’était
pure souffrance, et qu’il ne pouvait fournir aucun titre lui accordant
ce droit.
Le procès traîna en longueur.
Le Commandeur fut cependant maintenu dans ses prétentions par sentence
du bailli d’Etampes [p.123] en
1514. Les habitants en appelèrent au Parlement. Celui-ci par un
décret du 28 décembre 1527, déclara maintenir le Commandeur
dans la jouissance de sou port situé derrière son hôpital,
mais le droit des habitants fut également reconnu, et leur port
devait s’étendre «depuis les fossés de la ville, jusqu’à
une ruelle descendant du faubourg Evézard aux prés.»
TRAFIC
DU PORT: BLÉ ET VIN, LES BATEAUX, DURÉE DU VOYAGE.
Le port d’Etampes n’était pas un grand
bassin comprenant tout l’emplacement appelé aujourd’hui «le
Port ou Promenade du Port». Le port proprement dit, qui servait
de refuge aux bateaux, occupait le bas de cette promenade. Nous savons
que la ville d’Etampes était entourée de remparts avec des
fossés. Le fossé ou canal qui partait de la rivière
jusqu’à la rue Evézard ou la porte Evézard fut agrandi
et fit fonction de port.
Ce nouveau port faisait concurrence à
celui de la Commanderie Saint-Jacques, ce dernier finit par disparaître.
Les Capucins, qui en 1580 succédèrent à l’Ordre de
Saint-Jacques, obtinrent en 1621 l’autorisation de détourner une
partie de la rivière afin d’enclore dans leur jardin un pré
situé derrière leur maison et d’y enfermer leur port, qui
devint simplement un bassin dans leur propriété, servant
de vivier.
Pendant plus de 150 ans, le port d’Etarnpes
fut très actif. En quoi consistait le trafic de ce port?
Dans un devis estimatif des travaux à
faire pour la canalisation de la rivière datant de 1560, il est dit
par les experts: «il est besoing et nécessaire faire les réparations
et choses ci-après déclaréez, affin que les bateaux
chargés de leur charge, qui est de douze muids mesure d’Etampes,
et trente-deux poinçons de vin par chacunz bateaux, puissent aller
librement et commodément sur ladite rivière...»
Le muid de blé, mesure d’Etampes, se
composait de 12 sacs pesant 230 livres, et le poinçon ou pièce
de vin était de 236 litres pesant environ 500 livres. Le bateau
pouvait emporter 16 à 17 tonnes de marchandise, soit environ 150
sacs de blé ou 65 pièces de vin.
Le blé n’était pas toujours transporté en grains.
Souvent les boulangers de Paris venaient acheter leur blé à
Etampes, le faisaient moudre dans les nombreux moulins de la Juine, [p.124] et ce blé écrasé,
appelé «boulange» était expédié
par eau à Paris.
Les bateaux avaient environ 8 mètres
de long sur 3 mètres de large, et le canal jusqu’à Morigny
10 mètres de largeur. Ces bateaux pouvaient donc facilement descendre
et monter, et même virer de bord. Si la Juisne était tenue en
bon état la navigation était aisée.
Malheureusement, par endroits, il y avait
des gourds, c’est-à-dire des parties ensablées. Il fallait
alors alléger, décharger et recharger dans ces endroits,
ce qui augmentait la longueur et les frais du transport.
Chaque jour une dizaine de bateaux partaient
d’Etampes pour Paris. Il en revenait nécessairement le même
nombre. Une vingtaine de bateaux étaient donc suffisants pour le
trafic. En y ajoutant un certain nombre en réserve dans le port, en
réparation ou pour les moments d’affluence, on peut arriver à
une quarantaine de bateaux.
Ajoutons que les marchandises seules n’étaient
pas transportées par ces bateaux. Il y avait parfois des voyageurs.
A cette époque, il n’y avait pas encore
de service de diligences sur la grande route pour se rendre à Paris.
Il fallait y aller à pied ou à cheval, ce que ne pouvait
faire que le petit nombre. Cependant certains avaient besoin de se rendre
à Paris. Craignant les inconvénients de la route, les détrousseurs
de grands chemins, ils préféraient la lenteur mais la sûreté
du bateau.
Un savant homme, qui vivait sous Henri III, Claude Mignault, avocat
du roi à Etampes, vers 1580, nous apprend qu’il avait composé
son principal ouvrage durant les loisirs que lui donnaient ses voyages
sur bateau entre Etampes et la capitale, tant en descendant qu’en montant.
Le voyage par eau devait, en effet, durer
longtemps.
LE
VOYAGE A PARIS, SES DIFFICULTÉS, SA DURÉE, FIN DU PORT,
LA PROMENADE DU PORT, LA SAINT-MICHEL.
La route d’Etampes à Corbeil a 36 kilomètres,
mais la rivière fait de nombreux détours pour atteindre
le même but. Aussi, par eau, il faut compter une quarantaine de kilomètres.
Le courant est à peu près de 35 centimètres par seconde.
En suivant le fil de l’eau, les barques auraient mis au moins un jour
et demi pour aller, mais il est probable que les mariniers activaient leur [p.125] marche à l’aide des rames
ou de la perche et pouvaient faire le chemin en 16 ou 18 heures jusqu’à
Corbeil.
Pendant les longues
journées d’été, on pouvait arriver à la Seine
le même jour, mais c’était impossible en hiver, Il fallait
donc s’arrêter nécessairement en chemin, à quelque hôtellerie
voisine du cours d’eau.
Arrivé à Corbeil après
un jour et demi de navigation, on voyageait ensuite sur la Seine plus aisément.
Mais il fallait encore une journée. Ainsi d’Etampes à Paris
on devait compter deux ou trois jours de voyage. Il y avait en outre le
retour. Après donc un jour ou deux pour le déchargement et
le rechargement, on reprenait la direction de Corbeil en se faisant remorquer
par des chevaux, car il s’agissait de remonter le courant. Mais de Corbeil
à Etampes on n’avait plus que ses bras pour haler le bateau, ce
qui demandait au moins trois grands jours. En résumé, le
voyage aller et retour devait durer au minimum une semaine entière.
Malgré cette lenteur du voyage par
eau, pendant combien de temps dura ce trafic? Environ cent cinquante ans.
Aucun acte ou décret de l’autorité civile ne parle de cette
cessation. On sait seulement qu’en 1663, le port d’Etampes était
toujours en activité. Dans un procès à cette époque
contre un nommé Raguin, prétendant seul avoir le droit des
bateaux sur la rivière d’Etampes, il est question d’un chargement
de blé qu’on avait fait saisir et vendu à Corbeil.
Et quelques années plus tard dom Fleureau dans son ouvrage sur
Etampes parle du port comme fonctionnant de son temps.
Il est donc probable que le port ne termina
son trafic que vers la fin du XVIIe siècle par suite de l’amélioration
des grandes routes, qui purent permettre un transport plus expéditif
et plus commode pour notre commune.
Le Port a disparu,
mais il reste à Etampes la «Promenade du Port» une
des plus belles de la ville. C’est sur cette promenade que se célèbrent
les fêtes traditionnelles de la cité.
Parmi ces fêtes, il y a la Saint-Michel,
fête patronale, qui est devenue une foire importante. Cette foire,
octroyée par Louis VII, la dixième année de son règne,
en 1147, avec moyenne et basse justice, en faveur des pauvres lépreux
de la maladrerie Saint Lazare, se tenait tout d’abord au lieudit «Saint-Michel»
à l’entrée de la ville. Mais en 1774 les habitants d’Etampes
demandèrent au Conseil de la ville de transporter ladite foire
sur la promenade du Port. A cette époque le port n’existait plus.
Le Conseil y consentit, et depuis ce temps cette foire à toujours [p.126] un grand succès. En
fin de septembre, tous les ans, une foule considérable continue
de célébrer la Saint-Michel.
Depuis quelques années une autre grande
fête s’ajoute à la Saint-Michel, c’est la foire-exposition
ou foire commerciale, organisée par le Syndicat d’Initiative de la
ville au mois de juin de chaque année et qui à également
le même succès. [p.127]
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