| Maurice Dormann Note sur mon activité depuis 
 juin 1940                      
      septembre 1944 
 
 
           
             
               | NOTE SUR 
 MON ACTIVITÉ DEPUIS JUIN 1940.
 
 
 Par DORMANN Maurice,
 Sénateur, ancien Ministre (Cabinet STEEG, 
 1930-31).
 Né le 20 avril 1881, à Étréchy 
 (Seine-et-Oise)
 Domicile: 33, rue Claude-Lorrain, Paris-16e.
 Depuis le 20 septembre 
 1943, à Maisse (S.-&-O.)
 Directeur général de la Société 
 Régionale d’Imprimerie et de Publicité, siège social, 
 14, rue Richelieu à Paris: imprimerie 16 rue Saint-Mars à Étampes
 (S.-et-O.).
 
 |   Maurice Dormann
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              | MON
 RÔLE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE 
 Le 13 juin 1940, je partais pour Tours où 
 se trouvait le Sénat dans une voiture qui m’avait été 
 envoyée spécialement, conduite par un agent de police, assisté 
 d’un collègue.
 
 Le lendemain de mon arrivée à
Tours,  le Sénat partait pour Bordeaux.
 
 Avec beaucoup de mal je puis arriver dans cette 
 dernière ville, ayant retrouvé ma famille à Tours.
 
 A Bordeaux, je participai aux réunions
 qui se tenaient dans la salle de cinéma où le Sénat
tenait ses assises. Je n’ai jamais assisté aux réunions particulières 
 qui étaient déjà organisées par M. LAVAL.
 | 
 
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              | Au départ de Bordeaux, devant l’incertitude du lieu de retraite des 
Chambres, je renonçais à une course éperdue et j’acceptai, 
pour les miens et pour moi, l’hospitalité que m’offrait mon collègue
 du Sénat et ami, M. LOURTIES*, maire 
d’Ychoux (Landes). 
 C’est dans ce pays que j’assistai, bouleversé, 
 à l’arrivée des hordes allemandes.
 
 De là, j’appris, par T.S.F., la convocation 
 de l’assemblée nationale à Vichy, où je me rendis en 
 compagnie de M. LOURTIES.
 
 | 
 
                 *
 Victor Lourties (1886-1954), à ne pas confondre avec son oncle et
homonyme plus connu également sénateur (1844-1922)
 
 |  
              | Dès
 mon arrivée à Vichy, je constatai combien les habiles manœuvres
 de M. LAVAL avaient fait de progrès dans l’esprit de nos collègues,
 tous plus ou moins désemparés par les malheurs qui s’étaient
 abattus sur notre pays. 
 Immédiatement je pris le contre-pied
de  la propagande de M. LAVAL, dont le but évident était de
s’approprier  sans réserve la direction des affaires du pays. Je trouvai
un terrain  favorable d’abord parmi les anciens combattants du sénat,
puis parmi  nos autres collègues.
 
 Dans une des réunions privées
qui  précéda l’assemblée nationale, [p.2] je pris vivement l’offensive, refusant à 
 M. LAVAL le pouvoir de négocier seul, pour cette raison que plus jeune
 que moi, il n’avait pas fait la guerre en 1914-18.
 
 Lors que fut distribué aux parlementaires 
 le projet de loi constitutionnelle présenté par le maréchal 
 PÉTAIN, le groupe des sénateurs anciens combattants, dont j’étais
 un des principaux animateurs mit sur pied un contre-projet qui demandait:
 
 1° La suspension des lois constitutionnelles de
 1875;
 
 2° L’attribution des pouvoirs au maréchal 
 pour prendre par décrets, ayant force de loi, les mesures nécessaires 
 au maintien de l’ordre, à la vie et au relèvement du pays et
 à la libération du territoire;
 
 3° De confier au nouveau Gouvernement, en
 collaboration avec les commissions compétentes existantes les constitutions
 nouvelles devant être soumises à l’acceptation de la Nation
dès que les circonstances permettraient une libre consultation.
 
 Cette clause était, pour les auteurs
de  ce contre-projet, la plus essentielle.
 
 Il fallut batailler ferme pour faire accepter
 ces conditions par M. LAVAL, qui les combattait vivement, bien que le maréchal 
 ait déclaré à une délégation de notre
 groupe qu’il ne voyait aucun inconvénient à notre formule.
 
 |   Pierre Laval (1883-1945)
 
 |  
              | Je
 n’assistais pas à cette délégation, car souffrant de
 mes blessures de guerre, je ne pouvais circuler, à ce moment, que
sur un fauteuil roulant. 
 Devant l’opposition persistante de M. LAVAL, 
mon  collègue TAURINES et moi-même furent mandatés pour 
défendre  notre projet devant l’assemblée plénière 
secrète  qui devait se tenir le mercredi10 juillet 1940, dans la matinée, 
avant  le séance officielle de l’après-midi devant laquelle 
il avait  été convenu qu’il n’y aurait pas de discussion. TAURINES 
devait  exposer le genèse de notre contre-projet et moi-même 
le soutenir  et en développer la substance.
 
 TAURINES ne fut pas très bien accueilli; 
 il est vrai que son rôle était ingrat Lorsqu’on me donna la 
parole l’assemblée était assez houleuse. Je ne désespérais 
 pas cependant et je prononçais mon discours avec force, seul orateur 
 de la journée qui osa parler encore de la République et de 
ses libertés. Sans modestie, je puis dire que je sentais touchée 
 l’assemblée qui me manifesta sa sympathie. Je regrette de n’avoir 
jamais pu me procurer le texte de cette intervention, M. LAVAL ayant confisqué 
 toute la sténographie à son seul profit.
 
 Ce dernier sentit lui aussi le courant de l’assemblée 
 car il se déclarait prêt à composer.
 
 TAURINES et moi fûmes désignés 
 pour prendre part à la mise au point définitive du projet renvoyé
 devant la commission de Législation du Sénat et celle du Suffrage
 universel de la Chambre des [p.3] Députés.
 La réunion de ces commissions eut lieu avant la séance plénière
 officielle et je fus assez heureux, après un nouvel exposé
et une nouvelle discussion, d’obliger M. LAVAL à accepter, à
la suite du texte qu’il avait proposé et défendu l’adjonction
 des mots:
 “… Elle sera ratifiée (la Constitution), 
 par la Nation et appliqué par les assemblées qu’elle aura créées.”
 
 |   Jean Taurines (1884-1958)
 
 |  
               | Cette modification, grosse de conséquence, adoptée par la
commission,  puis par l’assemblée nationale, jugulait toutes les intentions
malveillantes. 
 C’est pourquoi cet amendement adopté, 
je  votai le projet.
 
 Je dois dire que ce jour-là je reçus 
 de très grandes marques de sympathie et que j’avais quelque fierté 
 de mon action.
 
 Depuis plusieurs tentatives ont été 
 faites près de moi pour m’amener à accepter une interprétation 
 autre que celle que j’avais voulu donner au texte. Je ne me suis jamais prêté
 à ces combinaisons.
 
 En agissant ainsi je crois avoir empêché 
 de voir bâcler et appliquer des textes qui auraient été 
 nuisibles au pays.
 
 | 
 |  
               | MON RETOUR DANS LA ZÔNE [sic] OCCUPÉE 
 Dès le 15 juillet je décidai de
 rentrer à Étampes (S.-et-O.) où je dirigeais une imprimerie, 
 et à Paris.
 
 Ce que je fis malgré des difficultés. 
 Pour la première fois, à mon passage à la ligne de démarcation
 à Moulins, je m’aperçus, il faut le dire, et cela s’expliquera
 par la suite, que les grands mutilés de guerre étaient respectés
 par les Allemands. J’obtins un laissez-passer de suite bien que j’aie décliné
 mes qualités. Plusieurs collègues, la veille, avaient été
 obligés de faire demi-tour.
 
 Aussitôt à mon arrivée en
 zône occupée, je décidai de continuer jusqu’à
la fin de la guerre, à recevoir les nombreuses personnes qui venaient
 me demander de faire pour elles des démarches pour des faits courants:
 victimes  de guerre, agriculteurs, que j’avais toujours défendus,
notamment. Dans mon esprit — et je raisonne encore ainsi à l’heure
actuelle, — je faisais table rase de tous les titres que je pouvais avoir,
réservant l’avenir, mais désirant, dans les moment de désarroi
dans lesquels était plongé tout le monde, être encore
utile.
 |   Ligne de démarcation à Moulins
 
 |  
               | LES PRISONNIERS, LES DÉPORTÉS, LES ÉVADÉS. 
 Tout de suite la plus grande partie de ma besogne 
 fut de constituer des dossiers de demandes de libération de prisonniers. 
 La tâche n’était pas facile.
 
 Je profitai de mes relations d’ancien combattant 
 avec M. SCAPINI*, ambassadeur des prisonniers
 et M. DESBONS, son adjoint.             [p.4]
 
 Naturellement je fus obligé à
de  nombreuses visites à ces deniers. Je le fis sans crainte et je
suis  heureux d’avoir pu participer, après des tractations de toute
nature,  à la rentrée en France d’une trentaine de prisonniers,
dont   quelques-uns originaires de départements autres que celui de
Seine-et-Oise.
 
 Puis ce furent les déportations qui commencèrent.
 
 Le jeu devint plus serré pour moi, mais 
 je n’hésitai pas. Bien entendu pour cela il me fallut prendre contact 
 avec des Allemands, à la Feldkommandantur, et au bureau du travail. 
 Peut-on me le reprocher? J’ai toujours agi sans la moindre compromission; 
 je comptais beaucoup pour ces demandes sur ma qualité de grand mutilé 
 de guerre 1914-18. J’eus la satisfaction, ainsi, de soustraire aux Allemands 
 un certain nombre de jeunes Français et je m’en réjouis.
 
 J’eus une fois une grosse alerte. Un boulanger 
 du pays où ma famille se trouvait réfugiée, à 
 Maisse, en Seine-et-Oise — (car une de mes filles, alors âgée 
 de 5 ans, fut victime du bombardement de Paris du 3 septembre 1943, dans 
un immeuble 125, rue Michel-Ange). Ce boulanger avait embauché un ouvrier
dans le Loiret; il en fit la déclaration à l’inspection du
travail de Seine-et-Oise. Mais celle-ci lui demanda la déclaration 
 de sortie du précédent patron. Cette pièce ne pouvait 
 être fournie, l’ouvrier en question étant un permissionnaire 
 du travail, non retourné et par suite réfractaire. D’après
  ce que je pus apprendre, le patron en question, qui fournit le pain à 
 5 communes, devait être arrêté, mis dans un camp de concentration 
 et frappé d’une lourde amende. L’ouvrier devait être arrêté 
 également. Outre les peines, c’était priver 5 communes du pain
 nécessaire.
 
 Les démarches devinrent angoissantes; 
une  maladresse pouvait me compromettre. Je réussis néanmoins 
à  sauver les deux hommes. Pour cela il me fallut corrompre un chef 
de service  du bureau du travail allemand. Peut-on me le reprocher?
 
 D’autre part j’ai pu faire passer en zône 
             [sic] libre, deux prisonniers évadés 
 qui s’étaient rendus chez moi.
 
 Également un ingénieur israélite 
 de la firme Citroën.
 
 Sans compter toutes les opérations où 
 je fus le conseiller.
 
 NOS ACTIONS 
EN FAVEUR DE L’AGRICULTURE
 
 Au mois de septembre 1939, j’avais été 
 désigné pour représenter le Conseil général 
 de Seine-et-Oise au Comité de Production agricole de ce département,
  en exécution d’un arrêté du ministre de l’Agriculture.
 
 Je fus désigné comme vice-président 
 de ce Comité, en raison des services que j’avais déjà 
 rendus à l’agriculture (le Préfet étant membre de droit),
  ainsi que M. LUCAS, président de la Chambre d’Agriculture*.
 
 Je me consacrai entièrement à
cette  tâche et en 1940 je repris [p.5] ma
place.  J’assurai plus spécialement, notamment, la liaison entre le
Comité,   les services préfectoraux et les administrations
centrales. Je crois  avoir justifié pleinement la confiance qui m’avait
été  faite, parcourant le département, relevant les
courages et ceci, on  peut le dire, toujours dans un esprit de lutte contre
l’envahisseur car les  gens de la terre n’étaient pas des collaborateurs.
 
 On peut, dans tout le département se
rendre  compte de mon action.
 
 Lorsque la Corporation paysanne fut instaurée, 
 ce fut l’organisation du Comité de Production agricole qui fut reprise. 
 On me demanda alors d’ajouter à mes fonctions, — car le Comité 
 de Production agricole ne fut jamais dissous [sic], 
 — celles de président de la Fédération de la Mutualité 
 agricole de l’Île de France (Seine, Seine-et-Oise et Seine-et-Marne). 
 Les représentants agricoles de ce dernier département avaient 
 manifesté le désir d’être rattachés à notre
 groupement pour éviter des dissensions locales.
 
 Déjà je présidais une caisse 
 d’assurances sociales agricoles et une caisse d’allocations familiales agricoles. 
 Tous mes efforts ont porté à faire la propagande des œuvres 
 sociales en agriculture pour lesquelles j’avais déjà beaucoup 
 travaillé et j’estime avoir réussi dans cette entreprise. Cette
 Fédération compte 100.000 assurés sociaux et verse
annuellement onze millions d’allocations familiales. On peut avec ces chiffres
juger de son importance.
 
 Je fus également appelé comme
vice-président  du Conseil d’administration national de la Mutualité
agricole française.
 
 E, 1942, à la demande des agriculteurs
 de Seine-et-Oise, j’ai été nommé membre correspondant
 de la Chambre d’agriculture de Seine-et-Oise, en reconnaissance des services 
 rendus à la profession.
 
 |                               
                Georges Scapini (1893-1976)
      * Scapini,
 ancien combattant, aveugle de guerre, président de l’association
des  Aveugles de guerre, député de Paris de 1928 à 1940,
 très proche de l’extrême-droite allemande avant-guerre, nommé
 par Pétain chef du Service diplomatique des prisonniers de guerre
à Berlin, avec le rang d’ambassadeur. Jugé et condamné
par contumace à cinq ans de travaux forcés en 1949, rejugé
et acquitté en 1952. 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
   
  Revue où publiait fréquemment Lucas avant-guerre.
              
              
                           
                                       
                  *
 J.-E. Lucas publiait régulièrement des articles avant-guerre
 dans la publication bi-mensuelle Les Amis de l’Agriculture de Seine-et-Oise
 (dont un exemplaire ci-dessus, faisant sa couverture sur le 40e anniversaire
 du syndicat agricole de Maisse. Maurice Dormann publia lui-même dans
 son imprimerie d’Étampes, en y ajoutant une préface de son
cru, les Essais d’équilibre social de Lucas [in-16 (18 cm sur
13); 88 p.], Étampes, Imprimerie de la Société régionale
 d’imprimerie et de publicité, 1942. Seulement la couverture
 porte la date de 1945.
 |  
               | MES RAPPORTS AVEC M. CATHALA 
 On a pu me reprocher mon ancienne camaraderie
 avec M. CATHALA* qui fut ministre des Finances,
 puis ministre de l’Agriculture en même temps.
 
 Personne n’ignore, dans le monde agricole, que 
 loin d’être en accord avec M. CATHALA j’ai toujours au contraire vivement 
 combattu sa nonchalance et son irrésolution.
 
 Notamment j’avais été chargé 
 de lui transmettre les doléances des intéressés en ce
 qui concerne le taux des impôts agricoles établis arbitrairement 
 pour Seine-et-Oise. Nous demandions l’équivalence de traitement pour 
 les départements similaires: Aisne, Somme, etc. par exemple.
 
 Les membres du conseil départemental
se  souviennent encore de l’interpellation que je lui a lancé [sic] brutalement alors qu’il occupait le fauteuil 
 de la présidence.
 
 En Mutualité toujours la même bataille 
 ouverte. Avec véhémence j’ai combattu ouvertement le projet 
 qu’il voulait sournoisement imposer, contrairement au Code de la Famille, 
 réduisant les allocations [p.6] familiales 
 aux salariés agricoles et supprimant les allocations aux exploitants 
 travaillant eux-mêmes. En réunion, à Rodez, notamment 
 je fus unanimement applaudi lorsque je dénonçai ce projet que
 je commentai en termes vifs. Grâce à ma campagne je puis dire
 que je fis avorter ce monstre.
 
 Enfin je me réfère au texte même 
 de la lettre à l’emporte-pièce adressée par moi au ministre
 des Finances, lettre dont la teneur a été transmise dans toutes
 les caisses régionales de France, relativement au prélèvement 
 qu’il voulait faire sur les réserves mathématiques des caisses 
 de prévoyance des assurés sociaux.
 
 Ce ne sont pas des relations de bien cordiales 
 mesures [sic].
 
 Il est vrai que de son côté M.
CATHALA  ne se privait pas de me dénoncer comme Gaulliste, — ce qui
m’honorait  — comme il le fit à un déjeuner où il avait
réuni  les présidents d’associations d’anciens combattants.
On voit combien  cette amitié réciproque était manifestée.
 
 |   
  Pierre Cathala (1888-1947)
              
      
              * Pierre Cathala rédigea
 lui aussi un plaidoyer pro domo qui fut publié un an après
 sa mort par le Dr Jean Cathala: Face aux réalités.
 La direction des finances françaises sous l’occupation [in-16
(18,5 cm sur 12); XXV+309 p.; figure; portrait; préface du Dr Jean
Cathala], Paris, Éditions du Triolet [«La Pensée libre»],
 1948. Avant -guerre, Dormann avait publié dans son imprimerie étampoise
 l’un de ses discours en même temps que le sien à la mémoire
 de leur ami commun Henry Franklin-Bouillon (1870-1939): À la mémoire
 de Franklin-Bouillon. Cérémonie du 15 janvier 1938 [in-8°;
 46 p.; portrait; discours de Roger Sarret, Victor Bataille, Maurice Dormann,
 Pierre Cathala; extraits de discours de Henry Franklin-Bouillon], Paris,
Association des amis de Henry Franklin-Bouillon, 1938. 
 |  
               | MA PROPAGANDE 
 Je ne manquai jamais une occasion de faire la
 propagande en vue de l’union de tous les Français et de la Résistance.
 
 C’est ainsi que lors des assemblées générales 
 des Coopératives de stockage de céréales, auxquelles 
 j’étais invité et convié à prendre la parole, 
 je le fis toujours librement, ce qui me valut des avertissements de certains
  collaborateurs. Mais jamais je ne rompis ces traditions.
 
 C’est ainsi que j’eux notamment l’occasion de
 porter la parole lors de la remise d’un drapeau, — en pleine guerre dans
le pays le plus occupé de France — à des décorés
 de la médaille militaire, de procéder à plusieurs remises 
 de décorations de la Légion d’Honneur à des grands mutilés
 de guerre à Étampes, à la Ferté-Alais, etc…
A  Villennes-sur-Seine, par exemple, on organisa une grande réunion 
où  les pompiers, sur l’invitation d’un maire qui n’avait pas peur, 
vinrent en  tenue, clairons et drapeaux en tête à la cérémonie. 
 Là je prononçai un discours qui ne surprit personne et qui 
réchauffa le cœur de tous ces bons Français.
 
 | 
 |  
               | AU CONSEIL DÉPARTEMENTAL 
 Le Conseil départemental de Seine-et-Oise 
 fut constitué plus tardivement, à cause, j’ai bien cette sensation, 
 des difficultés que je suscitai.
 
 Ce ne fut que lorsque je fus assuré que 
 sur 39 conseillers, au moins 32 étaient contre le gouvernement Laval 
 — on n’en pouvait décemment trouver autrement — que j’acceptai d’en 
 faire partie, sur les conseils du reste de mes anciens collègues du
 Conseil général et de nouveaux dont je ne pouvais douter des
 sentiments.
 
 Lors de la séance inaugurale, M. CATHALA, 
 ministre en exercice de ce gouvernement, voulut faire adopter une motion 
de confiance [p.7] à son chef, avec plusieurs 
 de nos collègues, Trouvé, Marcel Denis et autres, j’obligeai
  le ministre à rentrer [lire sans doute: 
 retirer] son texte et ce fut ainsi que le Conseil 
 départemental, présidé par le plus fidèle lieutenant 
 de M. LAVAL, se singularisa par l’abstention dan s ce genre d’exercice.
 
 Du reste il était formellement convenu, 
 entre les membres de la majorité du Conseil, fidèles à 
 la résistance, de démissionner pour le cas où on aurait
  voulu nous présenter quoi que ce soit en dehors des questions intéressant
  l’administration du département.
 
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               | DIRECTEUR D’IMPRIMERIE 
 Je suis resté directeur de la Société 
 Régionale d’Imprimerie et de Publicité à Étampes, 
 maison dans laquelle j’ai toujours travaillé depuis mon apprentissage
  et que j’ai développée.
 
 Lors de la guerre, voulant continuer de faire
 travailler le personnel qui n’était pas mobilisé, je réduisis
 moi-même mes appointements à 2.000 fr. par mois pour diminuer
 les charges de l’entreprise.
 
 Depuis j’ai eu m’occasion de défendre 
opiniâtrement  mon personnel devant les exigences de la déportation 
et je réussis  en grande partie.
 
 MA PRÉSIDENCE
 AU SYNDICAT DES JOURNALISTES
 
 Depuis 1927 j’avais été désigné 
 comme président du  Syndicat  des Journalistes de Seine-et-Oise, 
 alors que je dirigeais le Réveil d’Étampes, depuis disparu.
 
 Ce syndicat comportait une société 
 de secours mutuels te je pus faire obtenir quelques petits avantages à 
 ses membres, notamment l’admission, au bénéfice de la carte 
 à 50% pour la circulation sur les lignes de Seine et de Seine-et-Oise.
 
 Entre temps j’appartenais au Conseil d’Administration 
 du Syndicat patronal de la Presse Hebdomadaire, dont le dévoué 
 secrétaire est un de mes meilleurs amis Jean DE GRANVILLIERS*; puis je devins vice-président de ce groupement.
 
 Lorsque la Corporation de la Presse Française 
 s’imposa, nous restâmes avec de Granvilliers le dernier bastion de 
la libert. Il fut convenu toutefois que pour sauver le patrimoine des Journalistes 
 de Seine-et-Oise [ajouté en marge: qui 
 possédait une caisse de secours], je 
resterais à la tête des directeurs de ce département.
 
 Des statuts corporatifs furent élaborés 
 et déposés avec cette conviction qu’ils ne serviraient que 
pour ordre et… provisoirement.
 
 La situation fut tout de même fort délicate. 
 Car si je ne m’immisçais en rien ni dans la rédaction, ni dans
 l’administration des journaux je devais me trouver d’un côté 
 en contact avec la Propaganda Staffel et de l’autre avec la Corporation où
 je n’eus que des rapports effacés et où je suis resté
 indésirable. [p.8]
 
 Néanmoins j’eus ainsi la possibilité 
 de pouvoir éviter l’arrestation de mon ami de Granvilliers. Moi-même 
 ne me tirai que de justesse certain autre jour au Vésinet, menacé 
 des plus graves sanctions pour avoir résisté à certaines 
 injonctions.
 
 Pendant tout ce temps je ne participai en aucune 
 manière à la vie d’aucun journal, si ce n’est comme administrateur, 
 désigné par le président du Tribunal de commerce de 
la Seine, pour diriger un journal professionnel, l’Information Dentaire, qui
appartenait à un citoyen anglais, disparu au moment de la mobilisation 
 et qui retrouvera ainsi j’espère, prochainement son bien que j’ai 
pu lui conserver.
 
 |   Réclame de Dormann en 1925
 
 
 
                           
            * Jean
 de Granvilliers, de son vrai nom Jean de             Goïtisolo, ancien combattant et littérateur
 assez médiocre, qui donnera après-guerre une Préface,
 à un ouvrage de Maurice Dormann, La Radieuse épopée
 de Maurice Arnoux, 1895-1940, un homme, un aviateur, un Français
 [in-16; 18,5 cm sur 12; 198 p.; planches, portrait; préface de Jean
 de Granvilliers], Paris, Éditions de la IVe République, 1946.
 |  
               | DES OFFRES QUI M’ONT ÉTÉ FAITES 
 A plusieurs reprises je fus en effet sollicité 
 pour me faire accepter quelque poste grassement rétribué; direction
 d’un journal parisien, d’une agence d’information.
 
 Encore de cela mon ami de Granvilliers fut
au  courant.
 
 Je repoussai brutalement ces offres, de telle 
 façon qu’on me laissa tranquille et je puis même dire à 
 cette occasion que jamais, connaissant sans doute mon caractère, on
 ne m’offrit la moindre prébende.
 
 | 
 |  
              | MES  VOYAGES À VICHY 
 Sans doute pourrait-on me reprocher mes quatre 
 voyages à Vichy depuis 1940.
 
 Je vais m’expliquer.
 
 En rentrant dans la zone occupée je
constatai  combien peu on s’occupait en haut lieu des consommateurs de cette
zone. J’écrivis  alors deux notes de critiques que je fis parvenir
au maréchal PÉTAIN  au titre de simple citoyen.
 
 Contre toute attente, accusé de réception 
 me fut adressé.
 
 Puis, pour mes deux premiers voyages, je fus
 convoqué par le cabinet du maréchal pour le tenir au courant:
 1° d’un projet pour la Renaissance de l’Agriculture où je critiquai
 fort la loi sur la Restauration paysanne qu’il avait promulguée;
2°  d’un projet établi par M. LUCAS, président de la Chambre
d’agriculture  de Seine-et-Oise, auquel j’avais collaboré et relatif
à l’Équivalence  des salaires des ouvriers agricoles et de
ceux de l’Industrie et du Commerce.
 
 Nous sommes donc partis, avec M. LUCAS et je
 dois dire en passant que ce dernier m’a toujours accompagné dans
mes  trois premiers voyages à Vichy où je ne fus jamais reçu
 seul. Nous expliquâmes nos projets. Le maréchal s’y intéressa 
 et c’est pourquoi les “Services techniques” nous demandèrent une seconde
 entrevue. Inutile de dire que jamais ces projets ne virent le jour et que
 j’étais bien décidé à ne jamais retourner à
 Vichy où nos séjours étaient de 48 heures au plus.
            [p.9]
 
 | 
 |  
               | Le trosième voyage  me fut demandé par la Corporation paysanne
de Seine-et-Oise, pour aller porter à Gergovie* la “Terre de l’Île de France”. J’étais
accompagné  toujours de M. LUCAS et de M. TETART délégué
de la Corporation. 
 Nous arrivions cette fois le samedi à
 16 h et M. TETART nous demanda de le conduire chez M. HILAIRE, qui était 
 sous secrétaire d’État à l’Intérieur et qui fut
 sous-préfet de Pontoise**. Il avait une
affaire administrative à  régler comme maire de Tremblay-les-Gonesse.
 Nous y fûmes tous les trois et on parla de Seine-et-Oise. Soudain,
s’adressant à moi, M. HILAIRE me dit brusquement: “Vous savez que
vous ne pourrez jamais être président du Conseil départemental?”
— Je répondis: “Je n’ai jamais demandé ce poste, mais pourquoi
cette algarade?” — “Parce que le maréchal ne veut pas de parlementaire
à la tête des ces conseils”.
 — “Je m’en f… éperduement [sic], lui dis-je devant mes collègues, attendu
  que je n’ai jamais rien sollicité et vous pourrez même noter 
 dès aujourd’hui qu’indésirable pour la présidence je 
 me considère également indésirable comme conseiller.”
 
 |      *
 Gergovie, siège d’une célèbre victoire gauloise contre
 l’envahisseur romain, non loin de Vichy, fut le lieu d’une grande cérémonie
 patriotique les 29 et 30 août 1942, lors de laquelle des représentants
 de tous les territoires français apportèrent une motte de
terre  de leurs régions.
 ** Georges Hilaire, secrétaire
 général à l’Administration du Ministère de l’Intérieur, 
 puis aux Beaux-Arts sous le Gouvernement Laval, publia plus tard lui-même,
 sous le pseudonyme de Julien Clermont un ouvrage intitulé L’Homme
 qu’il fallait tuer: Pierre Laval [in-8° (22,5 cm sur 14,5; 345+XXI
 p.], Paris, C. de Jonquières, 1949.
 
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              | Puis nous sommes partis. Cette brève discussion fit plus tard du
bruit,  mais j’eus l’occasion de remettre vertement M. CATHALA à sa
place à cette occasion. 
 Le lendemain dimanche nous étions à 
 Gergovie. Le lundi nous partions par le train de 14 heures et nous n’avions 
 aucune intention de faire visite au maréchal, lorsque celui-ci, sachant 
 sans doute ma présence, me fit chercher par un commissaire de police 
 de la présidence, — que j’avais du reste connu à l’Élysée. 
 M. LUCAS et moi-même nous rendîmes donc à l’hôtel 
 du Parc.
 
 Ce jour-là les confidences du maréchal 
 furent assez précises. Il nous parla du danger que présentait 
 DORIOT “ce stipendié de l’Allemagne”, dont il me donnait consigne 
“puisque j’ai encore le droit de vous en donner”, me dit-il, de combattre 
sans relâche DORIOT et les Doriotistes, qui ne voulaient que troubler 
les esprits et sans aucun doute amener une révolution, — une révolution 
sanglante…
 
 Je promis au maréchal et je ne manquai 
 pas de faire part de cette déclaration à mon retour. Confidence 
 qui m’avait un peu surpris, me venant d’un tel interlocuteur.
 
 Ce jour-là, 
 mis en confiance et dans une pensée malicieuse, je demandai au maréchal 
 s’il était exact qu’il s’opposait à la présidence des
  conseils départementaux par les parlementaires. “Jamais je n’ai
dit  cela, me répondit-il vivement; on veut encore me brouiller avec
certains  c’est sûr!”
 
 Il y avait donc un menteur en cette circonstance.
 
 Mon quatrième voyage ne me sourit guère, 
 mais il fallait le faire. Lorsque nous avions empêché M. CATHALA 
 de présenter sa motion de confiance à la séance inaugurale 
 du Conseil départemental, un de mes amis, un résistant, lui 
 aussi, M. TROUVÉ, souffla: “Lorsque le Président de la République 
 était à Rambouillet, le bureau du Conseil général 
 lui faisait une visite de [p.10] politesse;
 on pourrait remplacer la motion de confiance au président LAVAL,
qui  ne manquerait pas d’être publiée dans toute la Presse,
par une  visite de politesse au maréchal.
 
 C’est ce qui eut lieu, sans plus.
 
 Mais je le répète, je ne fus
jamais  reçu par le maréchal sans un témoin qu’on peur
consulter  et je dois ajouter que toujours le maréchal nous tint des
propos troublants,  qui pouvaient nous faire croire, sans nous considérer 
comme des niais,  qu’il n’était pas de l’avis, souvent, de M. LAVAL, 
et qu’il avait des sympathies pour l’Angleterre et les États-Unis.
 
 |   Philippe Pétain (1856-1951)
 
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               | LES POSTES QUE J’OCCUPE 
 Pour être complet, dans la liste des
fonctions  que j’assume actuellement, en dehors de celles dont il a été 
 fait mention dans cette note, en voici la liste:
 
 Président fondateur de l’Association 
des  Mutilés des veuves de guerre de l’arrondissement d’Étampes.
 Vice-Président de la fédération 
 nationale des plus grands Invalides de guerre de France
 Président de la Commission cantonale 
des  Pupilles de la Nation à Étampes
 Membre du C.A. de l’Office départemental 
 des Anciens Combattants, Mutilés et Pupilles de la Nation de Seine-et-Oise
 Président de la société
 d’Habitations à bon marché “La Maison des Anciens Combattants”
 Vice-Président de l’Office départemental 
 des H.B.M. de Seine-et-Oise
 Membre du C.A. et du Comité Exécutif 
 de la Fédération Nationale de la Mutualité française
 Président de la Fédération 
 des unions de sociétés de secours-mutuels de Seine-et-Oise
 Président d’honneur de la “Mutuelle
du  Sang”
 Président du C.A. de l’Institut d’Hygiène 
 industrielle de la Faculté de Médecine de Paris
 Président de la Fédération 
 des Syndicats horticoles de Seine et Seine-et-Oise.
 
 Je répète que dans ces divers 
groupements,  je n’ai jamais reçu un centime au titre de rétribution 
quelconque.
 
 Je puis ajouter même que les dépenses 
 que j’ai faites depuis l’ouverture de la guerre, tant en affranchissement 
 de correspondance et débours divers, ont été à 
 ma charge.
 
 MES RÉFÉRENCES
 
 Parmi les noms de ceux qui étaient particulièrement 
 au courant de mon action, et qui me demandaient fréquemment d’intervenir, 
 je puis notamment citer:
 
 M. Jean PIEUCHOT, chef de résistance,
 moulin du Gué à La Ferté-Alais.
 M. Albert BOUSSAINGAULT, id., ferme du Paly 
à  Milly
 M. Charles IMBAULT, id., à Dhuilet,
par  Ormoy-la-Rivière [p.11]
 M. Jean de GRANVILLIERS, 11 bis avenue Léopold-II, 
 Paris
 Et même M. MOREAU, chef de la résistance 
 à Étampes, nommé maire mais malheureusement arrêté 
 par les Allemands*.
 
 |   Maurice
Dormann  (1878-1947)
 
 
 
 
 
 
 
   Louis Moreau (1888-1944)
 
 
                               
                   * Louis Moreau, arrêté le 29 juin 1944
 à Étampes, est mort à Buchenwald le 23 septembre, soit
 quatre jours après que Maurice Dormann eut envoyé au préfet
 de Seine-et-Oise copie de sa note. 
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              | CONCLUSION 
 Et maintenant je reste en face de ma conscience 
 et non seulement je ne regrette rien de ce que j’ai fait, mais j’aurais certes
 voulu faire davantage.
 
 J’ai fait revenir de nombreux prisonniers d’Allemagne. 
 J’ai empêché d’y partir de nombreux ouvriers déportés 
 et j’ai soustrait à l’ennemi des hommes qui lui étaient sans 
 doute utiles. J’ai discuté pied à pied pour nos cultivateurs, 
 pour les impositions qui les frappaient, pour les multiples ennuis qui leur 
 étaient causés.
 
 J’ai souffert beaucoup dans cette guerre. Les 
 miens en ont souffert aussi. Ma fille aînée particulièrement 
 à Étampes. Mariée à un prisonnier de guerre elle
 se vit expulsée trois fois de son domicile par les Allemands. Elle
 eut maille à partir avec eux, ayant un jour giflé un major;
 après enquête il fut reconnu que celui-ci avait été 
 incorrect. Mais une autre fois elle était condamnée à 
 un mois de prison, qui s’est traduit par une amende, pour avoir souri devant 
 des soldats allemands traités d’imbéciles par une jeune fille, 
 elle-même poursuivie. Dans la dernière semaine de l’occupation 
 elle résista au vol de sa bicyclette par un groupe de soldats et jeta
 à la figure de l’officier qui les commandait le billet de réquisition 
 de 1.000 fr qu’il lui offrait pour la faire taire. Le lendemain la maison 
 qu’elle occupait et toutes les dernières choses qu’elle possédait, 
 ont été totalement détruites par le feu par ces brutes.
 
 On savait qui elle était. Mais cela
n’est  rien à côté de la joie de la délivrance.
 
 Car aujourd’hui nous nous trouvons heureusement 
 libérés.
 
 L’engagement que j’avais pris de travailler 
pour  tous jusqu’à la fin des hostilités, a été 
rempli.
 
 Je ne recherche aucune place ni aucune situation, 
 celle que je me suis procurée par mon seul travail, dans une vie au
 grand jour, me suffit. Mais je ne me déroberai jamais au Devoir.
 
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               | Si mon expérience, mes connaissances, mes relations par exemple avec
 les gens de la terre qui me font confiance, peuvent encore être utiles,
 je me mets à la disposition de ceux qui ont maintenant la direction
 de la France, que j’ai toujours servie loyalement et que je tiens à
 servir toujours. 
 Jamais je n’ai donné mon adhésion 
 à un parti politique, ni avant, ni pendant cette guerre, mais aujourd’hui, 
 devant l’état du pays, je me rallie volontiers totalement et sans 
réserve à celui qui “Premier Résistant”, le général 
DE GAULLE, qui a sauvé notre pays et qui veut le reconstruire, dans 
 la Démocratie, c’est à dire dans un régime de liberté 
 qui constitue l’idéal que j’ai toujours défendu.
 
 
   [signé:] 
 Maurice Dormann
 |   Charles de Gaulle (1890-1970)
 
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