Maurice Dormann
Note sur mon activité depuis
juin 1940
septembre 1944
NOTE SUR
MON ACTIVITÉ DEPUIS JUIN 1940.
Par DORMANN Maurice,
Sénateur, ancien Ministre (Cabinet STEEG,
1930-31).
Né le 20 avril 1881, à Étréchy
(Seine-et-Oise)
Domicile: 33, rue Claude-Lorrain, Paris-16e.
Depuis le 20 septembre
1943, à Maisse (S.-&-O.)
Directeur général de la Société
Régionale d’Imprimerie et de Publicité, siège social,
14, rue Richelieu à Paris: imprimerie 16 rue Saint-Mars à Étampes
(S.-et-O.).
|
Maurice Dormann |
MON
RÔLE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE
Le 13 juin 1940, je partais pour Tours où
se trouvait le Sénat dans une voiture qui m’avait été
envoyée spécialement, conduite par un agent de police, assisté
d’un collègue.
Le lendemain de mon arrivée à
Tours, le Sénat partait pour Bordeaux.
Avec beaucoup de mal je puis arriver dans cette
dernière ville, ayant retrouvé ma famille à Tours.
A Bordeaux, je participai aux réunions
qui se tenaient dans la salle de cinéma où le Sénat
tenait ses assises. Je n’ai jamais assisté aux réunions particulières
qui étaient déjà organisées par M. LAVAL. |
|
Au départ de Bordeaux, devant l’incertitude du lieu de retraite des
Chambres, je renonçais à une course éperdue et j’acceptai,
pour les miens et pour moi, l’hospitalité que m’offrait mon collègue
du Sénat et ami, M. LOURTIES*, maire
d’Ychoux (Landes).
C’est dans ce pays que j’assistai, bouleversé,
à l’arrivée des hordes allemandes.
De là, j’appris, par T.S.F., la convocation
de l’assemblée nationale à Vichy, où je me rendis en
compagnie de M. LOURTIES.
|
*
Victor Lourties (1886-1954), à ne pas confondre avec son oncle et
homonyme plus connu également sénateur (1844-1922)
|
Dès
mon arrivée à Vichy, je constatai combien les habiles manœuvres
de M. LAVAL avaient fait de progrès dans l’esprit de nos collègues,
tous plus ou moins désemparés par les malheurs qui s’étaient
abattus sur notre pays.
Immédiatement je pris le contre-pied
de la propagande de M. LAVAL, dont le but évident était de
s’approprier sans réserve la direction des affaires du pays. Je trouvai
un terrain favorable d’abord parmi les anciens combattants du sénat,
puis parmi nos autres collègues.
Dans une des réunions privées
qui précéda l’assemblée nationale, [p.2] je pris vivement l’offensive, refusant à
M. LAVAL le pouvoir de négocier seul, pour cette raison que plus jeune
que moi, il n’avait pas fait la guerre en 1914-18.
Lors que fut distribué aux parlementaires
le projet de loi constitutionnelle présenté par le maréchal
PÉTAIN, le groupe des sénateurs anciens combattants, dont j’étais
un des principaux animateurs mit sur pied un contre-projet qui demandait:
1° La suspension des lois constitutionnelles de
1875;
2° L’attribution des pouvoirs au maréchal
pour prendre par décrets, ayant force de loi, les mesures nécessaires
au maintien de l’ordre, à la vie et au relèvement du pays et
à la libération du territoire;
3° De confier au nouveau Gouvernement, en
collaboration avec les commissions compétentes existantes les constitutions
nouvelles devant être soumises à l’acceptation de la Nation
dès que les circonstances permettraient une libre consultation.
Cette clause était, pour les auteurs
de ce contre-projet, la plus essentielle.
Il fallut batailler ferme pour faire accepter
ces conditions par M. LAVAL, qui les combattait vivement, bien que le maréchal
ait déclaré à une délégation de notre
groupe qu’il ne voyait aucun inconvénient à notre formule.
|
Pierre Laval (1883-1945)
|
Je
n’assistais pas à cette délégation, car souffrant de
mes blessures de guerre, je ne pouvais circuler, à ce moment, que
sur un fauteuil roulant.
Devant l’opposition persistante de M. LAVAL,
mon collègue TAURINES et moi-même furent mandatés pour
défendre notre projet devant l’assemblée plénière
secrète qui devait se tenir le mercredi10 juillet 1940, dans la matinée,
avant le séance officielle de l’après-midi devant laquelle
il avait été convenu qu’il n’y aurait pas de discussion. TAURINES
devait exposer le genèse de notre contre-projet et moi-même
le soutenir et en développer la substance.
TAURINES ne fut pas très bien accueilli;
il est vrai que son rôle était ingrat Lorsqu’on me donna la
parole l’assemblée était assez houleuse. Je ne désespérais
pas cependant et je prononçais mon discours avec force, seul orateur
de la journée qui osa parler encore de la République et de
ses libertés. Sans modestie, je puis dire que je sentais touchée
l’assemblée qui me manifesta sa sympathie. Je regrette de n’avoir
jamais pu me procurer le texte de cette intervention, M. LAVAL ayant confisqué
toute la sténographie à son seul profit.
Ce dernier sentit lui aussi le courant de l’assemblée
car il se déclarait prêt à composer.
TAURINES et moi fûmes désignés
pour prendre part à la mise au point définitive du projet renvoyé
devant la commission de Législation du Sénat et celle du Suffrage
universel de la Chambre des [p.3] Députés.
La réunion de ces commissions eut lieu avant la séance plénière
officielle et je fus assez heureux, après un nouvel exposé
et une nouvelle discussion, d’obliger M. LAVAL à accepter, à
la suite du texte qu’il avait proposé et défendu l’adjonction
des mots:
“… Elle sera ratifiée (la Constitution),
par la Nation et appliqué par les assemblées qu’elle aura créées.”
|
Jean Taurines (1884-1958)
|
Cette modification, grosse de conséquence, adoptée par la
commission, puis par l’assemblée nationale, jugulait toutes les intentions
malveillantes.
C’est pourquoi cet amendement adopté,
je votai le projet.
Je dois dire que ce jour-là je reçus
de très grandes marques de sympathie et que j’avais quelque fierté
de mon action.
Depuis plusieurs tentatives ont été
faites près de moi pour m’amener à accepter une interprétation
autre que celle que j’avais voulu donner au texte. Je ne me suis jamais prêté
à ces combinaisons.
En agissant ainsi je crois avoir empêché
de voir bâcler et appliquer des textes qui auraient été
nuisibles au pays.
|
|
MON RETOUR DANS LA ZÔNE [sic] OCCUPÉE
Dès le 15 juillet je décidai de
rentrer à Étampes (S.-et-O.) où je dirigeais une imprimerie,
et à Paris.
Ce que je fis malgré des difficultés.
Pour la première fois, à mon passage à la ligne de démarcation
à Moulins, je m’aperçus, il faut le dire, et cela s’expliquera
par la suite, que les grands mutilés de guerre étaient respectés
par les Allemands. J’obtins un laissez-passer de suite bien que j’aie décliné
mes qualités. Plusieurs collègues, la veille, avaient été
obligés de faire demi-tour.
Aussitôt à mon arrivée en
zône occupée, je décidai de continuer jusqu’à
la fin de la guerre, à recevoir les nombreuses personnes qui venaient
me demander de faire pour elles des démarches pour des faits courants:
victimes de guerre, agriculteurs, que j’avais toujours défendus,
notamment. Dans mon esprit — et je raisonne encore ainsi à l’heure
actuelle, — je faisais table rase de tous les titres que je pouvais avoir,
réservant l’avenir, mais désirant, dans les moment de désarroi
dans lesquels était plongé tout le monde, être encore
utile. |
Ligne de démarcation à Moulins
|
LES PRISONNIERS, LES DÉPORTÉS, LES ÉVADÉS.
Tout de suite la plus grande partie de ma besogne
fut de constituer des dossiers de demandes de libération de prisonniers.
La tâche n’était pas facile.
Je profitai de mes relations d’ancien combattant
avec M. SCAPINI*, ambassadeur des prisonniers
et M. DESBONS, son adjoint. [p.4]
Naturellement je fus obligé à
de nombreuses visites à ces deniers. Je le fis sans crainte et je
suis heureux d’avoir pu participer, après des tractations de toute
nature, à la rentrée en France d’une trentaine de prisonniers,
dont quelques-uns originaires de départements autres que celui de
Seine-et-Oise.
Puis ce furent les déportations qui commencèrent.
Le jeu devint plus serré pour moi, mais
je n’hésitai pas. Bien entendu pour cela il me fallut prendre contact
avec des Allemands, à la Feldkommandantur, et au bureau du travail.
Peut-on me le reprocher? J’ai toujours agi sans la moindre compromission;
je comptais beaucoup pour ces demandes sur ma qualité de grand mutilé
de guerre 1914-18. J’eus la satisfaction, ainsi, de soustraire aux Allemands
un certain nombre de jeunes Français et je m’en réjouis.
J’eus une fois une grosse alerte. Un boulanger
du pays où ma famille se trouvait réfugiée, à
Maisse, en Seine-et-Oise — (car une de mes filles, alors âgée
de 5 ans, fut victime du bombardement de Paris du 3 septembre 1943, dans
un immeuble 125, rue Michel-Ange). Ce boulanger avait embauché un ouvrier
dans le Loiret; il en fit la déclaration à l’inspection du
travail de Seine-et-Oise. Mais celle-ci lui demanda la déclaration
de sortie du précédent patron. Cette pièce ne pouvait
être fournie, l’ouvrier en question étant un permissionnaire
du travail, non retourné et par suite réfractaire. D’après
ce que je pus apprendre, le patron en question, qui fournit le pain à
5 communes, devait être arrêté, mis dans un camp de concentration
et frappé d’une lourde amende. L’ouvrier devait être arrêté
également. Outre les peines, c’était priver 5 communes du pain
nécessaire.
Les démarches devinrent angoissantes;
une maladresse pouvait me compromettre. Je réussis néanmoins
à sauver les deux hommes. Pour cela il me fallut corrompre un chef
de service du bureau du travail allemand. Peut-on me le reprocher?
D’autre part j’ai pu faire passer en zône
[sic] libre, deux prisonniers évadés
qui s’étaient rendus chez moi.
Également un ingénieur israélite
de la firme Citroën.
Sans compter toutes les opérations où
je fus le conseiller.
NOS ACTIONS
EN FAVEUR DE L’AGRICULTURE
Au mois de septembre 1939, j’avais été
désigné pour représenter le Conseil général
de Seine-et-Oise au Comité de Production agricole de ce département,
en exécution d’un arrêté du ministre de l’Agriculture.
Je fus désigné comme vice-président
de ce Comité, en raison des services que j’avais déjà
rendus à l’agriculture (le Préfet étant membre de droit),
ainsi que M. LUCAS, président de la Chambre d’Agriculture*.
Je me consacrai entièrement à
cette tâche et en 1940 je repris [p.5] ma
place. J’assurai plus spécialement, notamment, la liaison entre le
Comité, les services préfectoraux et les administrations
centrales. Je crois avoir justifié pleinement la confiance qui m’avait
été faite, parcourant le département, relevant les
courages et ceci, on peut le dire, toujours dans un esprit de lutte contre
l’envahisseur car les gens de la terre n’étaient pas des collaborateurs.
On peut, dans tout le département se
rendre compte de mon action.
Lorsque la Corporation paysanne fut instaurée,
ce fut l’organisation du Comité de Production agricole qui fut reprise.
On me demanda alors d’ajouter à mes fonctions, — car le Comité
de Production agricole ne fut jamais dissous [sic],
— celles de président de la Fédération de la Mutualité
agricole de l’Île de France (Seine, Seine-et-Oise et Seine-et-Marne).
Les représentants agricoles de ce dernier département avaient
manifesté le désir d’être rattachés à notre
groupement pour éviter des dissensions locales.
Déjà je présidais une caisse
d’assurances sociales agricoles et une caisse d’allocations familiales agricoles.
Tous mes efforts ont porté à faire la propagande des œuvres
sociales en agriculture pour lesquelles j’avais déjà beaucoup
travaillé et j’estime avoir réussi dans cette entreprise. Cette
Fédération compte 100.000 assurés sociaux et verse
annuellement onze millions d’allocations familiales. On peut avec ces chiffres
juger de son importance.
Je fus également appelé comme
vice-président du Conseil d’administration national de la Mutualité
agricole française.
E, 1942, à la demande des agriculteurs
de Seine-et-Oise, j’ai été nommé membre correspondant
de la Chambre d’agriculture de Seine-et-Oise, en reconnaissance des services
rendus à la profession.
|
Georges Scapini (1893-1976)
* Scapini,
ancien combattant, aveugle de guerre, président de l’association
des Aveugles de guerre, député de Paris de 1928 à 1940,
très proche de l’extrême-droite allemande avant-guerre, nommé
par Pétain chef du Service diplomatique des prisonniers de guerre
à Berlin, avec le rang d’ambassadeur. Jugé et condamné
par contumace à cinq ans de travaux forcés en 1949, rejugé
et acquitté en 1952.
Revue où publiait fréquemment Lucas avant-guerre.
*
J.-E. Lucas publiait régulièrement des articles avant-guerre
dans la publication bi-mensuelle Les Amis de l’Agriculture de Seine-et-Oise
(dont un exemplaire ci-dessus, faisant sa couverture sur le 40e anniversaire
du syndicat agricole de Maisse. Maurice Dormann publia lui-même dans
son imprimerie d’Étampes, en y ajoutant une préface de son
cru, les Essais d’équilibre social de Lucas [in-16 (18 cm sur
13); 88 p.], Étampes, Imprimerie de la Société régionale
d’imprimerie et de publicité, 1942. Seulement la couverture
porte la date de 1945.
|
MES RAPPORTS AVEC M. CATHALA
On a pu me reprocher mon ancienne camaraderie
avec M. CATHALA* qui fut ministre des Finances,
puis ministre de l’Agriculture en même temps.
Personne n’ignore, dans le monde agricole, que
loin d’être en accord avec M. CATHALA j’ai toujours au contraire vivement
combattu sa nonchalance et son irrésolution.
Notamment j’avais été chargé
de lui transmettre les doléances des intéressés en ce
qui concerne le taux des impôts agricoles établis arbitrairement
pour Seine-et-Oise. Nous demandions l’équivalence de traitement pour
les départements similaires: Aisne, Somme, etc. par exemple.
Les membres du conseil départemental
se souviennent encore de l’interpellation que je lui a lancé [sic] brutalement alors qu’il occupait le fauteuil
de la présidence.
En Mutualité toujours la même bataille
ouverte. Avec véhémence j’ai combattu ouvertement le projet
qu’il voulait sournoisement imposer, contrairement au Code de la Famille,
réduisant les allocations [p.6] familiales
aux salariés agricoles et supprimant les allocations aux exploitants
travaillant eux-mêmes. En réunion, à Rodez, notamment
je fus unanimement applaudi lorsque je dénonçai ce projet que
je commentai en termes vifs. Grâce à ma campagne je puis dire
que je fis avorter ce monstre.
Enfin je me réfère au texte même
de la lettre à l’emporte-pièce adressée par moi au ministre
des Finances, lettre dont la teneur a été transmise dans toutes
les caisses régionales de France, relativement au prélèvement
qu’il voulait faire sur les réserves mathématiques des caisses
de prévoyance des assurés sociaux.
Ce ne sont pas des relations de bien cordiales
mesures [sic].
Il est vrai que de son côté M.
CATHALA ne se privait pas de me dénoncer comme Gaulliste, — ce qui
m’honorait — comme il le fit à un déjeuner où il avait
réuni les présidents d’associations d’anciens combattants.
On voit combien cette amitié réciproque était manifestée.
|
Pierre Cathala (1888-1947)
* Pierre Cathala rédigea
lui aussi un plaidoyer pro domo qui fut publié un an après
sa mort par le Dr Jean Cathala: Face aux réalités.
La direction des finances françaises sous l’occupation [in-16
(18,5 cm sur 12); XXV+309 p.; figure; portrait; préface du Dr Jean
Cathala], Paris, Éditions du Triolet [«La Pensée libre»],
1948. Avant -guerre, Dormann avait publié dans son imprimerie étampoise
l’un de ses discours en même temps que le sien à la mémoire
de leur ami commun Henry Franklin-Bouillon (1870-1939): À la mémoire
de Franklin-Bouillon. Cérémonie du 15 janvier 1938 [in-8°;
46 p.; portrait; discours de Roger Sarret, Victor Bataille, Maurice Dormann,
Pierre Cathala; extraits de discours de Henry Franklin-Bouillon], Paris,
Association des amis de Henry Franklin-Bouillon, 1938.
|
MA PROPAGANDE
Je ne manquai jamais une occasion de faire la
propagande en vue de l’union de tous les Français et de la Résistance.
C’est ainsi que lors des assemblées générales
des Coopératives de stockage de céréales, auxquelles
j’étais invité et convié à prendre la parole,
je le fis toujours librement, ce qui me valut des avertissements de certains
collaborateurs. Mais jamais je ne rompis ces traditions.
C’est ainsi que j’eux notamment l’occasion de
porter la parole lors de la remise d’un drapeau, — en pleine guerre dans
le pays le plus occupé de France — à des décorés
de la médaille militaire, de procéder à plusieurs remises
de décorations de la Légion d’Honneur à des grands mutilés
de guerre à Étampes, à la Ferté-Alais, etc…
A Villennes-sur-Seine, par exemple, on organisa une grande réunion
où les pompiers, sur l’invitation d’un maire qui n’avait pas peur,
vinrent en tenue, clairons et drapeaux en tête à la cérémonie.
Là je prononçai un discours qui ne surprit personne et qui
réchauffa le cœur de tous ces bons Français.
|
|
AU CONSEIL DÉPARTEMENTAL
Le Conseil départemental de Seine-et-Oise
fut constitué plus tardivement, à cause, j’ai bien cette sensation,
des difficultés que je suscitai.
Ce ne fut que lorsque je fus assuré que
sur 39 conseillers, au moins 32 étaient contre le gouvernement Laval
— on n’en pouvait décemment trouver autrement — que j’acceptai d’en
faire partie, sur les conseils du reste de mes anciens collègues du
Conseil général et de nouveaux dont je ne pouvais douter des
sentiments.
Lors de la séance inaugurale, M. CATHALA,
ministre en exercice de ce gouvernement, voulut faire adopter une motion
de confiance [p.7] à son chef, avec plusieurs
de nos collègues, Trouvé, Marcel Denis et autres, j’obligeai
le ministre à rentrer [lire sans doute:
retirer] son texte et ce fut ainsi que le Conseil
départemental, présidé par le plus fidèle lieutenant
de M. LAVAL, se singularisa par l’abstention dan s ce genre d’exercice.
Du reste il était formellement convenu,
entre les membres de la majorité du Conseil, fidèles à
la résistance, de démissionner pour le cas où on aurait
voulu nous présenter quoi que ce soit en dehors des questions intéressant
l’administration du département.
|
|
DIRECTEUR D’IMPRIMERIE
Je suis resté directeur de la Société
Régionale d’Imprimerie et de Publicité à Étampes,
maison dans laquelle j’ai toujours travaillé depuis mon apprentissage
et que j’ai développée.
Lors de la guerre, voulant continuer de faire
travailler le personnel qui n’était pas mobilisé, je réduisis
moi-même mes appointements à 2.000 fr. par mois pour diminuer
les charges de l’entreprise.
Depuis j’ai eu m’occasion de défendre
opiniâtrement mon personnel devant les exigences de la déportation
et je réussis en grande partie.
MA PRÉSIDENCE
AU SYNDICAT DES JOURNALISTES
Depuis 1927 j’avais été désigné
comme président du Syndicat des Journalistes de Seine-et-Oise,
alors que je dirigeais le Réveil d’Étampes, depuis disparu.
Ce syndicat comportait une société
de secours mutuels te je pus faire obtenir quelques petits avantages à
ses membres, notamment l’admission, au bénéfice de la carte
à 50% pour la circulation sur les lignes de Seine et de Seine-et-Oise.
Entre temps j’appartenais au Conseil d’Administration
du Syndicat patronal de la Presse Hebdomadaire, dont le dévoué
secrétaire est un de mes meilleurs amis Jean DE GRANVILLIERS*; puis je devins vice-président de ce groupement.
Lorsque la Corporation de la Presse Française
s’imposa, nous restâmes avec de Granvilliers le dernier bastion de
la libert. Il fut convenu toutefois que pour sauver le patrimoine des Journalistes
de Seine-et-Oise [ajouté en marge: qui
possédait une caisse de secours], je
resterais à la tête des directeurs de ce département.
Des statuts corporatifs furent élaborés
et déposés avec cette conviction qu’ils ne serviraient que
pour ordre et… provisoirement.
La situation fut tout de même fort délicate.
Car si je ne m’immisçais en rien ni dans la rédaction, ni dans
l’administration des journaux je devais me trouver d’un côté
en contact avec la Propaganda Staffel et de l’autre avec la Corporation où
je n’eus que des rapports effacés et où je suis resté
indésirable. [p.8]
Néanmoins j’eus ainsi la possibilité
de pouvoir éviter l’arrestation de mon ami de Granvilliers. Moi-même
ne me tirai que de justesse certain autre jour au Vésinet, menacé
des plus graves sanctions pour avoir résisté à certaines
injonctions.
Pendant tout ce temps je ne participai en aucune
manière à la vie d’aucun journal, si ce n’est comme administrateur,
désigné par le président du Tribunal de commerce de
la Seine, pour diriger un journal professionnel, l’Information Dentaire, qui
appartenait à un citoyen anglais, disparu au moment de la mobilisation
et qui retrouvera ainsi j’espère, prochainement son bien que j’ai
pu lui conserver.
|
Réclame de Dormann en 1925
* Jean
de Granvilliers, de son vrai nom Jean de Goïtisolo, ancien combattant et littérateur
assez médiocre, qui donnera après-guerre une Préface,
à un ouvrage de Maurice Dormann, La Radieuse épopée
de Maurice Arnoux, 1895-1940, un homme, un aviateur, un Français
[in-16; 18,5 cm sur 12; 198 p.; planches, portrait; préface de Jean
de Granvilliers], Paris, Éditions de la IVe République, 1946.
|
DES OFFRES QUI M’ONT ÉTÉ FAITES
A plusieurs reprises je fus en effet sollicité
pour me faire accepter quelque poste grassement rétribué; direction
d’un journal parisien, d’une agence d’information.
Encore de cela mon ami de Granvilliers fut
au courant.
Je repoussai brutalement ces offres, de telle
façon qu’on me laissa tranquille et je puis même dire à
cette occasion que jamais, connaissant sans doute mon caractère, on
ne m’offrit la moindre prébende.
|
|
MES VOYAGES À VICHY
Sans doute pourrait-on me reprocher mes quatre
voyages à Vichy depuis 1940.
Je vais m’expliquer.
En rentrant dans la zone occupée je
constatai combien peu on s’occupait en haut lieu des consommateurs de cette
zone. J’écrivis alors deux notes de critiques que je fis parvenir
au maréchal PÉTAIN au titre de simple citoyen.
Contre toute attente, accusé de réception
me fut adressé.
Puis, pour mes deux premiers voyages, je fus
convoqué par le cabinet du maréchal pour le tenir au courant:
1° d’un projet pour la Renaissance de l’Agriculture où je critiquai
fort la loi sur la Restauration paysanne qu’il avait promulguée;
2° d’un projet établi par M. LUCAS, président de la Chambre
d’agriculture de Seine-et-Oise, auquel j’avais collaboré et relatif
à l’Équivalence des salaires des ouvriers agricoles et de
ceux de l’Industrie et du Commerce.
Nous sommes donc partis, avec M. LUCAS et je
dois dire en passant que ce dernier m’a toujours accompagné dans
mes trois premiers voyages à Vichy où je ne fus jamais reçu
seul. Nous expliquâmes nos projets. Le maréchal s’y intéressa
et c’est pourquoi les “Services techniques” nous demandèrent une seconde
entrevue. Inutile de dire que jamais ces projets ne virent le jour et que
j’étais bien décidé à ne jamais retourner à
Vichy où nos séjours étaient de 48 heures au plus.
[p.9]
|
|
Le trosième voyage me fut demandé par la Corporation paysanne
de Seine-et-Oise, pour aller porter à Gergovie* la “Terre de l’Île de France”. J’étais
accompagné toujours de M. LUCAS et de M. TETART délégué
de la Corporation.
Nous arrivions cette fois le samedi à
16 h et M. TETART nous demanda de le conduire chez M. HILAIRE, qui était
sous secrétaire d’État à l’Intérieur et qui fut
sous-préfet de Pontoise**. Il avait une
affaire administrative à régler comme maire de Tremblay-les-Gonesse.
Nous y fûmes tous les trois et on parla de Seine-et-Oise. Soudain,
s’adressant à moi, M. HILAIRE me dit brusquement: “Vous savez que
vous ne pourrez jamais être président du Conseil départemental?”
— Je répondis: “Je n’ai jamais demandé ce poste, mais pourquoi
cette algarade?” — “Parce que le maréchal ne veut pas de parlementaire
à la tête des ces conseils”.
— “Je m’en f… éperduement [sic], lui dis-je devant mes collègues, attendu
que je n’ai jamais rien sollicité et vous pourrez même noter
dès aujourd’hui qu’indésirable pour la présidence je
me considère également indésirable comme conseiller.”
|
*
Gergovie, siège d’une célèbre victoire gauloise contre
l’envahisseur romain, non loin de Vichy, fut le lieu d’une grande cérémonie
patriotique les 29 et 30 août 1942, lors de laquelle des représentants
de tous les territoires français apportèrent une motte de
terre de leurs régions.
** Georges Hilaire, secrétaire
général à l’Administration du Ministère de l’Intérieur,
puis aux Beaux-Arts sous le Gouvernement Laval, publia plus tard lui-même,
sous le pseudonyme de Julien Clermont un ouvrage intitulé L’Homme
qu’il fallait tuer: Pierre Laval [in-8° (22,5 cm sur 14,5; 345+XXI
p.], Paris, C. de Jonquières, 1949.
|
Puis nous sommes partis. Cette brève discussion fit plus tard du
bruit, mais j’eus l’occasion de remettre vertement M. CATHALA à sa
place à cette occasion.
Le lendemain dimanche nous étions à
Gergovie. Le lundi nous partions par le train de 14 heures et nous n’avions
aucune intention de faire visite au maréchal, lorsque celui-ci, sachant
sans doute ma présence, me fit chercher par un commissaire de police
de la présidence, — que j’avais du reste connu à l’Élysée.
M. LUCAS et moi-même nous rendîmes donc à l’hôtel
du Parc.
Ce jour-là les confidences du maréchal
furent assez précises. Il nous parla du danger que présentait
DORIOT “ce stipendié de l’Allemagne”, dont il me donnait consigne
“puisque j’ai encore le droit de vous en donner”, me dit-il, de combattre
sans relâche DORIOT et les Doriotistes, qui ne voulaient que troubler
les esprits et sans aucun doute amener une révolution, — une révolution
sanglante…
Je promis au maréchal et je ne manquai
pas de faire part de cette déclaration à mon retour. Confidence
qui m’avait un peu surpris, me venant d’un tel interlocuteur.
Ce jour-là,
mis en confiance et dans une pensée malicieuse, je demandai au maréchal
s’il était exact qu’il s’opposait à la présidence des
conseils départementaux par les parlementaires. “Jamais je n’ai
dit cela, me répondit-il vivement; on veut encore me brouiller avec
certains c’est sûr!”
Il y avait donc un menteur en cette circonstance.
Mon quatrième voyage ne me sourit guère,
mais il fallait le faire. Lorsque nous avions empêché M. CATHALA
de présenter sa motion de confiance à la séance inaugurale
du Conseil départemental, un de mes amis, un résistant, lui
aussi, M. TROUVÉ, souffla: “Lorsque le Président de la République
était à Rambouillet, le bureau du Conseil général
lui faisait une visite de [p.10] politesse;
on pourrait remplacer la motion de confiance au président LAVAL,
qui ne manquerait pas d’être publiée dans toute la Presse,
par une visite de politesse au maréchal.
C’est ce qui eut lieu, sans plus.
Mais je le répète, je ne fus
jamais reçu par le maréchal sans un témoin qu’on peur
consulter et je dois ajouter que toujours le maréchal nous tint des
propos troublants, qui pouvaient nous faire croire, sans nous considérer
comme des niais, qu’il n’était pas de l’avis, souvent, de M. LAVAL,
et qu’il avait des sympathies pour l’Angleterre et les États-Unis.
|
Philippe Pétain (1856-1951)
|
LES POSTES QUE J’OCCUPE
Pour être complet, dans la liste des
fonctions que j’assume actuellement, en dehors de celles dont il a été
fait mention dans cette note, en voici la liste:
Président fondateur de l’Association
des Mutilés des veuves de guerre de l’arrondissement d’Étampes.
Vice-Président de la fédération
nationale des plus grands Invalides de guerre de France
Président de la Commission cantonale
des Pupilles de la Nation à Étampes
Membre du C.A. de l’Office départemental
des Anciens Combattants, Mutilés et Pupilles de la Nation de Seine-et-Oise
Président de la société
d’Habitations à bon marché “La Maison des Anciens Combattants”
Vice-Président de l’Office départemental
des H.B.M. de Seine-et-Oise
Membre du C.A. et du Comité Exécutif
de la Fédération Nationale de la Mutualité française
Président de la Fédération
des unions de sociétés de secours-mutuels de Seine-et-Oise
Président d’honneur de la “Mutuelle
du Sang”
Président du C.A. de l’Institut d’Hygiène
industrielle de la Faculté de Médecine de Paris
Président de la Fédération
des Syndicats horticoles de Seine et Seine-et-Oise.
Je répète que dans ces divers
groupements, je n’ai jamais reçu un centime au titre de rétribution
quelconque.
Je puis ajouter même que les dépenses
que j’ai faites depuis l’ouverture de la guerre, tant en affranchissement
de correspondance et débours divers, ont été à
ma charge.
MES RÉFÉRENCES
Parmi les noms de ceux qui étaient particulièrement
au courant de mon action, et qui me demandaient fréquemment d’intervenir,
je puis notamment citer:
M. Jean PIEUCHOT, chef de résistance,
moulin du Gué à La Ferté-Alais.
M. Albert BOUSSAINGAULT, id., ferme du Paly
à Milly
M. Charles IMBAULT, id., à Dhuilet,
par Ormoy-la-Rivière [p.11]
M. Jean de GRANVILLIERS, 11 bis avenue Léopold-II,
Paris
Et même M. MOREAU, chef de la résistance
à Étampes, nommé maire mais malheureusement arrêté
par les Allemands*.
|
Maurice
Dormann (1878-1947)
Louis Moreau (1888-1944)
* Louis Moreau, arrêté le 29 juin 1944
à Étampes, est mort à Buchenwald le 23 septembre, soit
quatre jours après que Maurice Dormann eut envoyé au préfet
de Seine-et-Oise copie de sa note.
|
CONCLUSION
Et maintenant je reste en face de ma conscience
et non seulement je ne regrette rien de ce que j’ai fait, mais j’aurais certes
voulu faire davantage.
J’ai fait revenir de nombreux prisonniers d’Allemagne.
J’ai empêché d’y partir de nombreux ouvriers déportés
et j’ai soustrait à l’ennemi des hommes qui lui étaient sans
doute utiles. J’ai discuté pied à pied pour nos cultivateurs,
pour les impositions qui les frappaient, pour les multiples ennuis qui leur
étaient causés.
J’ai souffert beaucoup dans cette guerre. Les
miens en ont souffert aussi. Ma fille aînée particulièrement
à Étampes. Mariée à un prisonnier de guerre elle
se vit expulsée trois fois de son domicile par les Allemands. Elle
eut maille à partir avec eux, ayant un jour giflé un major;
après enquête il fut reconnu que celui-ci avait été
incorrect. Mais une autre fois elle était condamnée à
un mois de prison, qui s’est traduit par une amende, pour avoir souri devant
des soldats allemands traités d’imbéciles par une jeune fille,
elle-même poursuivie. Dans la dernière semaine de l’occupation
elle résista au vol de sa bicyclette par un groupe de soldats et jeta
à la figure de l’officier qui les commandait le billet de réquisition
de 1.000 fr qu’il lui offrait pour la faire taire. Le lendemain la maison
qu’elle occupait et toutes les dernières choses qu’elle possédait,
ont été totalement détruites par le feu par ces brutes.
On savait qui elle était. Mais cela
n’est rien à côté de la joie de la délivrance.
Car aujourd’hui nous nous trouvons heureusement
libérés.
L’engagement que j’avais pris de travailler
pour tous jusqu’à la fin des hostilités, a été
rempli.
Je ne recherche aucune place ni aucune situation,
celle que je me suis procurée par mon seul travail, dans une vie au
grand jour, me suffit. Mais je ne me déroberai jamais au Devoir.
|
|
Si mon expérience, mes connaissances, mes relations par exemple avec
les gens de la terre qui me font confiance, peuvent encore être utiles,
je me mets à la disposition de ceux qui ont maintenant la direction
de la France, que j’ai toujours servie loyalement et que je tiens à
servir toujours.
Jamais je n’ai donné mon adhésion
à un parti politique, ni avant, ni pendant cette guerre, mais aujourd’hui,
devant l’état du pays, je me rallie volontiers totalement et sans
réserve à celui qui “Premier Résistant”, le général
DE GAULLE, qui a sauvé notre pays et qui veut le reconstruire, dans
la Démocratie, c’est à dire dans un régime de liberté
qui constitue l’idéal que j’ai toujours défendu.
[signé:]
Maurice Dormann
|
Charles de Gaulle (1890-1970)
|
|