CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
 
René Collard
Étampes en juin 1940
Récit illustré (versions de 1941 et de 1944)
 
 
Couverture de l'édition de 1940
 
    René Collard a publié sous l’Occupation un petit fascicule consacré aux tristes événements étampois de juin 1940. Il le republiera après la Libération grandement augmenté du récit du tragique bombardement de 1944. Pour l’instant nous ne reprenons la première partie, en en comparant les deux éditions.  
     
René Collard
Juin 1940 à Étampes
18 photographies


INTRODUCTION

par Bernard Gineste

     Depuis plusieurs années j’avais saisi ce texte important pour l’histoire d’Étampes, d’abord sur l’édition de 1944, et notre ami François Jousset m’avait aimablement communiqué des scans des photographies de l’édition de 1941, moins mauvaises que celles de 1944, d’après un exemplaire de sa collection personnelle. Ce sont en effet de petites photographies de piètre qualité, mais, prises comme un tout, elles constituent un ensemble documentaire sans équivalent. Seulement, afin de rééditer ce texte de manière un tant soit peu critique, j’ai attendu de disposer ensemble de ses deux éditions. En effet, la première n’avait pu paraître sans être visée et agréée par l’Occupant, tandis que la seconde, après la Libération, a évidemment été retouchée çà et là, d’une manière que je voulais faire connaître aux Étampois, qui généralement ne disposent que d’une seule de ces éditions. Je dois maintenant remercier Alain Desgranges de m’avoir longtemps prêté à cet effet ses exemplaires des deux éditions.

     Outre quelques corrections d’orthographe ou de style, on constate bien çà et là quelques traces du nouvel ordre des choses. Ainsi tel sabotage est maintenant attribué à
des patriotes. Rares en réalité sont les nouvelles informations, comme par exemple lorsqu’on précise que, des corps des de victimes du bombardement de 1940, beaucoup furent emportés peu après par leurs familles, ou leurs amis. Plus souvent il s’agit de censures.

     Certaines sont anecdotiques et presque amusantes. Ainsi par exemple “notre sympathique concitoyen M. Daeschler qui remplit les fonctions d’interprète avec une parfaite obligeance”, hommage répété ensuite avec insistance, devient seulement: “notre concitoyen M. Daeschler qui remplissait les fonctions d’interprète”.

     D’autres sont plus troublantes. Ainsi la suppression de cette parenthèse:
dans la rue de la Juiverie (devenue depuis rue de la Beauce). Il est vrai qu’elle retrouva son nom presque millénaire à la Libération; mais pourquoi supprimer purement et simplement le souvenir de cette infamie, quand on aurait pu par exemple remplacer seulement depuis par alors”? Il est vrai que L’Abeille d’Étampes, pour laquelle travaillait Collard avait en son temps salué cette mesure, qui faisait selon elle heureusement oublier le triste souvenir de la secte juive”.

     Collard supprime aussi un paragraphe qui racontait comment il distribua lui-même à la criée le dernier numéro paru de ce journal avant l’arrivée des Allemands. C’est que ses locaux et son imprimerie ont été détruits depuis par le bombardement de juin 44, mais surtout que les nouvelles autorités ont interdit la continuation de cet hebdomadaire plus que centenaire, à qui on reprochait trop de compromissions
avec l’Occupant.

     Dans la seconde édition, nous lisons: “Le lundi 17 juin, nos concitoyens demeurés sur place commencèrent à se ressaisir. Le pillage lui-même est en régression”. Ce curieux changement du temps des verbes est l’un de ces indices qui m’avaient fait soupçonner quelques remaniements çà et là. Voici de fait ce qu’on lisait dans l’édition de 1941: “Le lundi 17 juin, nos concitoyens demeurés sur place commencèrent à se ressaisir en constatant que les occupants ne répondaient pas à la réputation de tortionnaires qu’on nous avait faite d’eux. Le pillage lui-même allait diminuant.” Voilà le genre de choses qu’on n’avait plus le droit d’écrire en 1944. Au lieu de cela, sans tout à fait se dédire cependant, l’auteur a réécrit la dernière section de son récit et y glisse ces considérations plus au goût du jour: “L’occupant se fait tout d’abord indulgent et doucereux. Il prodigue les roueries de sa race: insinuant et bon enfant. Puis, peu à peu, la pointe de fer perce le gant de velours…. Et il redevient ce qu’il n’a jamais cessé d’être: orgueilleux, despote et encombrant.” La charge on le voit n’est pas bien lourde, et Collard ne paraît toujours pas avoir beaucoup de reproches concrets à adresser à l’ancien occupant.

     En fait l’édition de 1941 est beaucoup intéressante et détaillée dans l’évocation de ces premiers jours de l’Occupation que sa deuxième version, sensiblement abrégée et mise aux normes. On y apprenait, par exemple, que la nouvelle municipalité aurait eu à sa charge dès le départ l’alimentation de deux mille de prisonniers détenus par les Allemands à Mondésir.

     Mais il est un remaniement qui a quelque chose de plus surprenant que les autres, c’est la suppression du paragraphe qui concernait Barthélémy Durand. On sait que Durand fut nommé maire, à la Libération, à la place de Pierre Lejeune, pour sa part ignominieusement jeté en prison, dont il fut libéré quelque mois plus tard, sans qu’on ait pu trouver contre lui aucun chef d’inculpation.
Or on apprenait dans l’édition de 1941 que Durand avait lui aussi contribué d’une façon importante au rétablissement de la vie courante après l’arrivée des Allemands: “M. Barthélémy Durand, propriétaire du domaine de Valnay, n’a pas entendu cet appel pour venir se mettre spontanément au service de la population et c’est lui qui organise le premier la fabrication du pain.Ce paragraphe est purement et simplement supprimé dans la deuxième édition. En 1944, ou 1945, il ne faisait pas bon avoir exercé la moindre responsabilité que ce soit sous l’Occupation.

     Or ce n’est certainement pas de sa propre initiative que Collard a procédé à cette suppression, car
il ne baisse pas le pavillon et continue de rendre un hommage appuyé à Lejeune, auquel la plus élémentaire justice commande de rendre hommage. Il n’a pas retiré non plus de la seconde édition des considérations typiquement pétainistes sur les causes de la débâcle de 1940, imputées à un ramolissement général de l’ordre moral avant-guerre, sous le Front Populaire, selon du moins les esprits réfléchis, qui envisageaient froidement la situation et qui savaient dans quels abîmes de facilité, de paresse et de désordre avait sombré le pays au cours des trois dernières années.

     On voudra bien excuser ces considérations préliminaires un peu longues. Bonne lecture à tous. N’hésitez pas à nous signaler toutes les coquilles que vous constateriez dans cette première édition en ligne.

Bernard Gineste, 30 août 2011
     


     Remarque: Dans cette édition, on marque en vert ce qui était dans l’édition de 1941 et qui a été soit supprimé ou corrigé dans la suivante, et on marque en bleu ce qui n’existe que dans l’édition de 1944.


     [(1941:) Ce qu’on va lire n’est qu’un résumé succint des principaux événements qui se déroulèrent dans notre ville au cours de la mi-juin 1940.  Cette date restera dans les annales tant nationales que locales comme la plus effroyable catastrophe et la plus honteuse débâcle qu’ait jamais enregistrées l’armée, le peuple et la France tout entière.]
     [(1944:) Voilà une date qui marquera dans les annales nationales et locales comme la plus effroyable catastrophe et la plus honteuse débâcle qu’aient enregistrées l’armée et le peuple de France.]

     Dès la fin du mois de mai, il faut bien reconnaître qu’à l’optimisme béat engendré par les nouvelles tendancieuses répandues dans le pays, aussi bien par la grande presse que par les agences officielles d’information, nouvelles qui consistaient à qualifier de «drôle de guerre» les hostilités ouvertes depuis septembre 1939, succédait maintenant une inquiétude chaque jour accrue.
   On savait qu’en Norvège nous avions dû évacuer la côte, un moment occupée. On apprenait, depuis, que la Hollande, le Luxembourg et la Belgique n’avaient opposé qu’une inutile défense à l’avance massive des armées du Reich et que ces trois pays étaient envahis, comme l’avaient été quelques mois plus tôt la Pologne et le Danemark. L’évacuation de Dunkerque, malgré l’héroïsme dont certains de nos soldats avaient fait preuve au cours d’un repli formidable et tragique, ne pouvait être considéré comme un succès. Le changement du Haut Commandement, passant des mains du général Gamelin en celles du général Weygand dans un moment aussi grave, ne pouvait davantage laisser d’illusions aux esprits réfléchis, qui envisageaient froidement la situation et qui savaient dans quels abîmes de facilité, de paresse et de désordre avait sombré le pays au cours des trois dernières années.
  
La toiture voisine du café Baudet, place Saint-Gilles, après le bombardement du 7 au 8 juin.
 
     Enfin, les interminables files de réfugiés belges, ardennais, picards, alsaciens et lorrains dévalant sur nos routes; puis, au début de juin, celles de l’Oise, de l’Aisne, de la Champagne et de tant d’autres départements du Nord et de l’Est, ne pouvaient plus laisser beaucoup d’espoir sur un arrêt possible de l’invasion.

    Mais que fut-ce lorsqu’on apprit que les armées allemandes [p.6] s’étaient emparées [sic] de Calais, de Boulogne, d’Arras, d’Amiens, que la majeure partie de la côte de la Manche n’était plus sous le contrôle français et que la Basse-seine était coupée dans le département de l’Eure, à peu de distance de Seine-et-Oise!

     On voyait, par ailleurs, les grandes banques, les grandes administrations, les grandes maisons de commerce évacuer leurs archives, leurs fonds et même leur personnel; on voyait passer d’énormes camions transportant à l’arrière du matériel provenant des principales usines de la banlieue de Paris. On parlait de la bataille sur la Somme d’abord, puis sur l’Oise, sur la Seine ensuite et, incessamment, sur la Loire.
     Il paraissait donc logique que la population non absolument indispensable, ceux qui n’étaient ni des élus, ni des requis, et qui eussent même pu être une entrave aux opérations militaires et au ravitaillement, envisageassent des mesures de repliement. Les bombardements par avions s’annonçaient formidables. Dans des villes où s’opérait le retrait, des combats avaient eu lieu; il n’était pas rare de voir des soldats français transformer certaines maisons en fortins. Comment s’étonner, après cela, que des hommes et des femmes chargés de famille s’efforçassent d’aller mettre les leurs et eux-mêmes à l’abri, ou, du moins, à ce qu’ils croyaient être un abri?

     Un bombardement aérien avait eu lieu déjà à l’aérodrome d’Étampes et dans la région le lundi 3 juin, faisant une dizaine de morts, dont un civil: M. Paulin Coudière, débitant, installé à Mondésir. Un autre avait eu lieu dans la nuit du 7 au 8 juin sur notre ville même, atteignant et détériorant les immeubles occupés par les familles Ritter, Guigner, Baudet et Dallier.
 
 L'immeuble du boulevard Henri-IV après le bombardement du 7 au 8 juin

     Enfin, les interminables files de réfugiés belges, ardennais, picards, alsaciens et lorrains dévalant sur nos routes; puis, au début de juin, celles de l’Oise, de l’Aisne, de la Champagne et de tant d’autres départements du Nord et de l’Est, ne pouvaient plus laisser beaucoup d’espoir sur un arrêt possible de l’invasion.

    Mais que fut-ce lorsqu’on apprit que les armées allemandes [p.6] s’étaient emparées [sic] de Calais, de Boulogne, d’Arras, d’Amiens, que la majeure partie de la côte de la Manche n’était plus sous le contrôle français et que la Basse-seine était coupée dans le département de l’Eure, à peu de distance de Seine-et-Oise!

     On voyait, par ailleurs, les grandes banques, les grandes administrations, les grandes maisons de commerce évacuer leurs archives, leurs fonds et même leur personnel; on voyait passer d’énormes camions transportant à l’arrière du matériel provenant des principales usines de la banlieue de Paris. On parlait de la bataille sur la Somme d’abord, puis sur l’Oise, sur la Seine ensuite et, incessamment, sur la Loire.
     Il paraissait donc logique que la population non absolument indispensable, ceux qui n’étaient ni des élus, ni des requis, et qui eussent même pu être une entrave aux opérations militaires et au ravitaillement, envisageassent des mesures de repliement. Les bombardements par avions s’annonçaient formidables. Dans des villes où s’opérait le retrait, des combats avaient eu lieu; il n’était pas rare de voir des soldats français transformer certaines maisons en fortins. Comment s’étonner, après cela, que des hommes et des femmes chargés de famille s’efforçassent d’aller mettre les leurs et eux-mêmes à l’abri, ou, du moins, à ce qu’ils croyaient être un abri?

     Un bombardement aérien avait eu lieu déjà à l’aérodrome d’Étampes et dans la région le lundi 3 juin, faisant une dizaine de morts, dont un civil: M. Paulin Coudière, débitant, installé à Mondésir. Un autre avait eu lieu dans la nuit du 7 au 8 juin sur notre ville même, atteignant et détériorant les immeubles occupés par les familles Ritter, Guigner, Baudet et Dallier.
 
Un groupe de cultivateurs réfugiés dans la cour de la Malterie

     Mais voici que le mardi 11 juin, au matin, nos concitoyens découvrirent en s’éveillant un épais nuage de fumée couvrant toute la région, à la manière d’un brouillard intense. Les uns disaient qu’il était destiné à masquer les opérations des troupes françaises; d’autres prétendaient qu’il provenait des Allemands, lesquels s’en servaient pour faciliter leur avance. En réalité, il s’agissait de dépôts de carburant de la région parisienne qui avaient été incendiés volontairement [(Addition de 1944:) par les patriotes].

     Les nouvelles des quelques rares journaux quotidiens qui nous parvenaient maintenant, de même que celles de la radio, n’étaient plus du tout rassurantes. La propagande gouvernementale [p.7] baissait le ton, en même temps que les dirigeants chargés de l’orchestrer filaient dans le Midi en auto, en train, ou en bateau, par les voies les plus rapides. Le public faisait queue dans les gares, aux guichets des billets, et un nombre incalculable d’autos, plus ou moins surchargées de gens et de colis, commençaient, à Étampes, à travers les rues Saint-Jacques, Saint-Martin et de la République, leur interminable, leur hallucinant défilé.

     Les 12 et 13 juin, l’exode se précipitait. On annonçait que bientôt les trains allaient être supprimés. Le cortège des réfugiés sur nos voies principales était si considérable qu’il était impossible de traverser la chaussée.

     A l’ancienne Malterie, carrefour des Religieuses, certains de nos dévoués concitoyens, aidés par des membres de la Croix-Rouge, s’étaient dépensés sans compter depuis quinze jours, recevant, hébergeant et canalisant les malheureux cultivateurs réfugiés des régions envahies accompagnés de leur famille, leurs charrettes, leurs chevaux et, certains même, d’une partie de leur bétail. A la gare, d’autres bonnes âmes locales se tenaient depuis des semaines, jour et nuit, sur les quais, ravitaillant les évacués et les troupes. D’autre part, l’Institution Jeanne-d’Arc était, depuis le début de la guerre, transformée en hôpital militaire par les soins des Dames Françaises, sous l’impulsion particulière de Mme Paul Duclos, entourée de personnalités civiles et religieuses.

     Au Collège, devenu lui-même un hôpital militaire depuis septembre 1939, on se préoccupait d’évacuer les malades qui s’y trouvaient en traitement.

 
12 JUIN

Devant la gare d'Etampes, le 12 juin, à 4 heures du matin


     Le mercredi 12 juin, l’atmosphère devint dramatique. Un affolement, une stupeur collective s’emparèrent de la population.

     A Étampes, tous les services publics, toutes les administrations étaient encore à leur place. Seuls certains commerçants, craignant le pire, avaient quitté la ville. L’affluence des réfugiés rue de la République, rue Saint-Jacques et dans toutes les autres rues parallèles ou perpendiculaires devenait alarmante. Des hommes, des femmes, des bêtes, écrasés par la fatigue et la [p.8] chaleur accablante, gisaient le long des trottoirs et des ruisseaux. Le square du Théâtre n’était plus qu’un vaste dortoir où s’affaissaient des corps épuisés. Dans l’épouvantable cortège qui continuait de défiler, on remarquait les tableaux les plus dérisoires, les plus invraisemblables. Des créatures, qui n’avaient plus d’êtres humains que les yeux démesurément agrandis, allaient à pied, traînant sur leurs dos ou à bout de bras de lourds colis chargés de hardes. D’autres transportaient tout leur barda sur une voiture d’enfant, l’homme tirant devant, la compagne poussant derrière. On pouvait voir des femmes ayant enlevé leurs chaussures trop étroites marcher sur leurs bas déchirés.

     Ceux qui ont assisté à ce spectacle comme nous le fîmes, avec notre curiosité professionnelle, ne sont pas prêts de
[sic] l’oublier. Une température torride, équatoriale, se mêlant à l’angoisse, à la soif, à la faim, à l’insomnie, faisait de la situation une page d’apocalypse agitée par un vent de folie.

     Le désarroi, dans la population d’Étampes, était déjà si grand, que deux hommes appelés de par leurs fonctions à avoir un certain ascendant sur leurs concitoyens: MM. Maurice Dormann, sénateur, et Léon Liger, maire, décidèrent de rédiger l’affiche suivante, qui fut placardée sur les murs de la ville:
AUX HABITANTS D’ÉTAMPES,

     Les bruits les plus pessimistes et les plus stupides courent toute la ville.
     On entend dire partout que la Municipalité aurait annoncé l’évacuation prochaine de la population.
     Rien n’est plus faux.

     La Préfecture, qui a envisagé son repli, si celui-ci est nécessaire, — et l’heure n’en est pas encore venue — a même choisi Étampes comme lieu de stationnement.

     Il est donc criminel d’affoler la population à une heure où les graves événements que nous vivons sont déjà assez durs à supporter.
     Nos troupes héroïques tiennent toujours et retardent la marche de l’ennemi qui s’essouffle.
     La meilleure façon de leur rendre hommage est de conserver son calme et son sang-froid.

     Haut les cœurs, patience et espoir toujours!

 
     Hélas! les événements, peu après, devaient se charger de faire un sort à cette affiche… [p.9]

 

Au petit jour, des réfugiés, exténués, sont affalés, rue Saint-Jacques, sur le trottoir.

LE 13 JUIN

       Le jeudi 13 juin, la panique était à son comble. On apprenait que les Allemands étaient aux portes de Paris. Des militaires français de tout grade passaient dans notre ville, mêlés aux civils, les uns à pied, d’autres en vélo, certains en voiture avec leur famille. Le capitaine Renoult, commandant la place d’Étampes, était littéralement débordé et ses services assiégés par des automobilistes imprudents qui s’étaient enfuis sans emporter la quantité d’essence suffisante. Il n’était plus possible désormais de trouver une seule goutte du précieux liquide. Déjà, les autos abandonnées faute de carburant s’alignaient au long des routes et des trottoirs.

     Des foules innombrables se pressaient, se bousculaient aux portes des épiceries, des boulangeries, des charcuteries et des débits. Le 13 au soir, il était presque impossible de se procurer un morceau de pain à Étampes, et l’on comprend que beaucoup de nos concitoyens, craignant que leur famille ne manquât du nécessaire, aient préféré, sans plaisir, l’aventure des routes mitraillées.


     [(1941:) Pendant ce temps, nous préparions le numéro de L’Abeille d’Etampes, portant la date du 15 juin et devant paraître le vendredi comme d’habitude. Nous nous demandions, à la vérité, ce qu’il adviendrait d’ici-là. Aussi, dès  la soirée du jeudi 13, apprenant que nos dépositaires d’Etampes avaient fermé leurs portes, nous résolûmes de vendre L’Abeille à la criée dans les rues.]
    C’est au cours de ce même après-midi du jeudi 13 que le bruit se répandit comme la foudre «que la Russie venait de déclarer la guerre à l’Allemagne». [(1941:) Ce bobard ne fût pas venu tout seul à nos oreilles à ce moment qu’il eût fallu l’inventer, tant les esprits étaient avides de «miracles»!] Les gens d’apparence les plus sérieux, prenant leurs désirs pour des réalités, vous abordaient sur la place de l’Hôtel-de-Ville avec des yeux d’illuminés, en vous assurant «que le fait était officiel et qu’il allait être diffusé par la T.S.F.»
     On sait ce qu’il en advint…

     Enfin, c’est ce fameux jeudi soir que la foule put voir passer dans la rue de la Juiverie
[1940:) (devenue depuis rue de la Beauce)] un soldat français et une infirmière que des gardes territoriaux emmenaient fièrement à la gendarmerie, le fusil sur l’épaule. Il s’agissait, disait-on, de deux parachutistes allemands déguisés, l’un en militaire, l’autre [(1941:) en infirmière-chienlit] [(1944:) en infirmière], qu’on avait découverts au bord de la Juine. En réalité, il s’agissait bien d’un pauvre soldat français et d’une véritable infirmière française, laquelle dut exhiber [(1941:) ses charmes...] [1944:) devant témoins les attributs de son sexe] à l’appui de ses affirmations pour être crue et relâchée.

     Ah! Cette hantise des parachutistes!... [p.10]

 
LE 14 JUIN

Voitures abandonnées dans la rue Saint-Jacques, après le bombardement du 14 juin

     La nuit du jeudi au vendredi 14 passa, lourde de chaleur orageuse et d’anxiété toujours accrue. Par instants, on entendait la D.C.A. tirer au loin contre des avions invisibles.

     L’attaque aérienne se faisait menaçante. Déjà, dans l’après-midi du jeudi, un appareil allemand était venu photographier différents points de la ville, en ayant soin de les entourer au préalable d’un cercle de fumée blanche.

     Le bombardement tant redouté eut lieu le vendredi matin, vers 10 heures, à deux reprises différentes. Au cours du premier vol, les avions lâchèrent des bombes et, à leur second passage, ils mitraillèrent sauvagement. Les quartiers les plus atteints furent ceux de Saint-Pierre et du Port. Une bombe tomba sous le pont de Dourdan, une autre dans le square du Souvenir, mutilant les lions de pierre et le fusil porté par le Poilu, et une troisième sur une voie du dépôt de la gare, blessant M. Hutteau, mécanicien, qui fut aussitôt transporté à l’hôpital d’Orléans, ainsi que MM. Lorré, Richefou et Moreau, tous de la gare d’Étampes. Des immmeubles sur le Port, rue Saint-Jacques, villa Fourgeau, place Notre-Dame, rue de la République, rue Émile-Léauté et rue de la Tannerie furent en tout ou partie démolis par d’autres engins. Citons-en quelques-uns: rue de la Tannerie, nos 7, 8 et 10, immeubles Diamy, Sugy et Boblet; rue de la République, n° 20, Hôtel du Duc d’Orléans; place Notre-Dame, nos 9, 10 et 13, immeubles Théret, Rollet et Lannoy; impasse aux Bois, immeubles Depin et Danthu; rue Émile-Leauté, nos 10 et 12, immeubles Canet et Graullier; rue Saint-Jacques, nos 3, 4 et 6, immeubles veuve Leluc, veuve Baufort et Besnault; impasse Fourgeau, immeubles Diard et Delassis; place du Jeu-de-Paume, Hôtel des Ventes; promenade du Port, immeubles Hoyau, Menu, Beauvais, Barraud et le Casino; boulevard Saint-Michel, nos 47, immeuble Ligerot; rue de la République (quartie Saint-Pierre) nos 210, 212, 216, 218, 224, 226, 230, 237, 239, 243, 245, 247, 250 et 251, immeubles Garnier, Erulin, Marchaudon, Voilard, Morin Maurice, carré, Corceret, Gatineau, Dulit, Christophe, Bouclet, Jahan, Lemaire et Madeck; rue SAdi-Carnot, nos 4 et 6, immeubles Chaline et Pinault; rue du sablon, nos 1 et 3, immeubles de Drouot et Prin; rue des Remparts, immeuble Dalisson. L’immeuble de Mme Charles Lefort, situé 2 bis, rue Saint-Jacques, fut àç la fois bombardé et incendié par un autocar arrêté devant la porte et dans lequel des enfants furent brûlés vifs. Mme Lefort, qui se trouvait dans sa cuisine, fut blessée, et Mme Gromelle, femme de l’huissier en chef de la Préfecture de Versailles, réfugiée à Étampes, qui se tenait à ses côtés, fut grièvement atteinte, elle aussi, et mourut peu après. [p.11]
     Et des cadavres, en nombre considérable, hélas! jonchèrent le sol. On évalue leur nombre à plusieurs centaines [(1941:) (400?)] [(1944:) (400), dont beaucoup furent emportés peu après par leurs familles, ou leurs amis].

     A Saint-Pierre et au Port, le spectacle était infernal, dantesque. Il y avait là, au moment du bombardement, un embouteillage indescriptible d’automobiles massées sur quatre rangs, incapables ni d’avancer, ni de reculer. Les bombes, les éclats tombèrent sur cette marée humaine comme des grêlons sur un champ de blé. Des bras, des jambes, des pavés, des carreaux, des portes volèrent en morceaux. Le sang coula, des hurlements d’horreur et de douleur déchirèrent l’air et s’entendirent des plus lointains quartiers de la ville.

     Alors, ce fut chez ceux qui avaient résolu de rester quand même à Étampes un sauve-qui-peut général. Dieu merci, quelques-uns, doués d’un certain sang-froid, demeurèrent sur place et organisèrent les secours. Grâce au concours de braves citoyens, comme MM. Darnault, menuisier, 204, rue de la République; Jouannin; Doré (de la S.N.C.F.); Flamand (des P.T.T.); Pointeau, cultivateur; Mme Gazonnois, fille de M. Christophe, garagiste, des blessés, dès 10 heures 15, purent être ramassés et portés avec des moyens de fortune jusqu’à l’hôpital, où les docteurs Grenet, Bardin, Guillery, l’abbé Guillet, aumônier; M. Rebiffé, directeur-économe, les docteurs Lansac, Morin, aidés par les religieuses infirmières et tout le personnel hospitalier, se dévouèrent sans compter. On alla jusqu’à arracher des portes pour s’en servir de civières. Malheureusement, le feu ravageait les automobiles et les corps mutilés. Un camion militaire chargé de cartouches avait sauté sous la mitraille. Les pompiers, accourus, éteignirent les brasiers de leur mieux. Dans la foule des morts on devait compter certains compatriotes: au Port, le jeune Roland Fontaine, M. Joseph Cailleaux, dont on devait retrouver le corps le 13 juillet dans de mystérieuses conditions, à demi-décomposé, dans une buanderie, 85, rue Saint-Jacques; M. Lignal, aiguilleur à la S.N.C.F., et M. Henri Lyraud; à Saint-Pierre, M. Paturange et Mme Houdinière, littéralement calcinés dans leur auto; M. Mercher, tué devant chez lui, 210, rue de la République; Mme Sellier, trouvée morte chez elle. D’autre part, il fallut déplorer des blessés graves: Mme Gatineau, morte de ses mutilations; M. Carré, assureur, 224, rue de la République, auquel après d’effroyables peripéties [p.12] dont on pourrait faire un livre, on coupa une jambe; M Erulin, demeuré infirme depuis, et son fils, âgé de deux ans et demi, — lequel devait mourir quelques semaines plus tard; M. Flamand fils, blessé à sa fenêtre, 210, rue de la République, à qui l’on dut enlever un œil par la suite; M. et Mme Billard, atteints tous deux dans leur maison, 235 rue de la République; d’autres encore dont les noms [(1941:) ne nous sont pas encore connus] [(1944:) nous sont demeurés inconnus].
 
Une partie de la maison de M. Delassis, après le bombardement du 14 juin.
 
La maison de Mme Delton, rue de la Tannerie, après le bombardement du 14 juin.
 
     Signalons au passage la courageuse attitude de MM. Gilbert et Christen, qui, les 14 et 15 juin, procédèrent à la recherche et à l’enlèvement des corps sur le Port, rue Saint-Jacques et avenue de Paris.

     Étant donné l’encombrement et le danger que pouvaient réserver des bombes à retardement; étant donné également le manque d’aide, — le vide s’étant presque instantanément fait dans les quartiers sinistrés, — on ne put enterrer les cadavres le jour même. Ce n’est que le lundi 17, à la demande des autorités allemandes, que les fossoyeurs courageux, à la tête desquels se trouvaient l’infatigable M. Darnault — lequel devait jusqu’au 27 juillet assurer le service des inhumations — et le chef fossoyeur Sergent, enfouirent les corps calcinés, déchiquetés et jusqu’aux membres épars des malheureuses victimes. Sur chacune d’elle on recueillit ce qu’on pouvait relever d’identité, on le consigna sur un papier, que l’on introduisit dans une bouteille enterrée avec le cadavre, ou fichée sur la terre qui le recouvrait.

     On utilisa principalement les tranchées-abris du Bourgneuf et du Port pour inhumer les morts. Rien que dans celles du Bourgneuf, on estime que les débris humains rassemblés formaient un total de quarante-six victimes, sans compter les corps entiers. D’une manière générale, M. Darnault et ses aides enveloppaient les cadavres dans des loques précédemment trempées dans de l’eau de Javel avant de les inhumer. Sage précaution, étant donné leur état de putréfaction précipitée par la chaleur caniculaire de cet inoubliable été.

    L’après-midi du vendredi qui suivit le bombardement, ce fut, dans notre ville, une fièvre grandissante. La plupart des services départementaux: préfecture, tribunaux, gendarmerie, police, hygiène, pompiers, etc…, se trouvaient repliés à Étampes, en attendant de refaire un nouveau bond en arrière. Le soir-même, en effet, tous avaient abandonné la ville, las d’attendre des instructions qui ne venaient pas. [p.13]
 
Le cimetière du Bourgneuf improvisé dans les tranchées-abris.


     En ce qui concerne nos services communaux, le personnel de la mairie, juché sur des camions chargés des précieuses archives, quittait l’Hôtel de Ville à la tombée de la nuit, à l’invitation du maire, M. Liger. Ce dernier, accompagné de son secrétaire général, M. Lasserre, partait le lendemain matin à la première heure. Tous, après avoir fourni, ainsi que tout le personnel, un effort considérable pendant plusieurs semaines, avaient ordre de reprendre contact avec le préfet et ses services à Méréville. De là, ils s’en furent à Crottes-en-Pithivrais, dans le Loiret. Mais, devant l’avance de l’ennemi, ils n’y demeurèrent que quelques heures et se trouvèrent dispersés par le flot de la retraite.      Ajoutons que le vendredi soir, vers 22 heures, une femme d’une quarantaine d’année, correctement vêtue, fut abattue d’un coup de revolver au coin des rues Saint-Martin et de Chauffour par un inconnu. Elle ne fut enlevée que le lendemain. Une balle [(1944:) tirée par le meurtrier] vint même frapper notre concitoyen M. Gaston Barat, au talon de sa chaussure gauche. Une autre femme fut assassinée et violée près du Pont Saint-Jean. D’autres crimes furent perpétrés dans différents quartiers de la ville et des environs par des apaches et des sadiques échappés des cabanons et des prisons. Les corps des victimes de ces forfaits se mêlèrent [(1941:) hélas] à ceux des bombardements [(1941:) ....].
La maison Théret, place Notre-Dame, après le bombardement du 14 juin
Une victime du bombardement du 14 juin, écroulée sur une chaise
   
Camion des Laboratoires Dausse, après le bombardement du 14 juin

 LE 15 JUIN

     Nous avons dit que la gendarmerie était partie le soir du 14 juin. Notons qu’il s’agissait des services de Versailles; mais la brigade d’Étampes, elle, ne partit que le lendemain matin, samedi, au tout dernier moment. Quant aux magistrats et au personnel du Tribunal de notre ville, ils ne consentirent à partir que trois jours après en avoir reçu l’invitation, laquelle leur était parvenue dès le 12 juin.


     Mentionnons aussi que le vendredi 14 juin, à l’heure du bombardement, des torpilles tombètrent également au Petit-Saint-Mars: une dans le jardin du garde barrière, une seconde derrière le château et deux dans le Rougemont, sans causer aucun mal: une cinquième enfin tomba dans le jardin de M. Paris, serrurier, creusant seulement un vaste entonnoir.

     On peut dire que le samedi matin, 15 juin, la population d’Etampes était réduite à néant. Sur plus de dix mille habitants, notre ville n’en comptait plus qu’un millier: municipalité — MM. Pillas et Laffin exceptés — pompiers, police, postes, gendarmerie, tout était parti, ne faisant qu’imiter les services supérieurs de Paris et du département qui s’étaient repliés avant eux.

     C’est alors que le pillards qui, eux, remplissaient la ville, s’en donnèrent «à cœur joie», quelque répugnance qu’on ait à employer ce terme. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, des escarpes venus, on ne sait d’où, s’abattirent sur des maisons, des boutiques évacuées de notre cité et firent main basse sur tout ce qui pouvait avoir quelque valeur ou seulement quelque utilité. Les cadavres eux-mêmes, demeurés dans leurs voitures, ne furent point épargnés. Un razzia générale, qui ne sera pas la moindre honte de cette guerre ignominieuse, fut opérée dans la région, et si tous les magasins, tous les logements ne furent pas mis à sac par des bandits à ce moment, c’est à quelques courageux citoyens demeurés dans nos murs que nous le devons, à MM. Lejeune, Pillas, Laffin, Delaveau, Daeschler, Darnault, Brochet, Menet, Koffel, Flizot père, Doron, Péquet, Lajugie, Rebiffé, MM. Les abbés Guibourgé, Ghys et Guillet; MM. Sergent, Arnaud, Douard, Foix, Audran, Bercé, Mmes et Mlle Simonneau, Mmes Dallier, Curtet (qui ferma son restaurant la dernière et qui le rouvrit la première); Bourdon, M., Mme et Mlles Grosbois, M. et Mme Le Dréhan, M. et Mme Léotard, M. et Mme Poirier, Mme et Mlle Bouyssier, M. et Mme Hypolite, Mme Jumentié et Mme Mayeux (centenaire), M. et Mme Giraud E., M. Pecquet, M. et MmeLeday, Mme Mandin, M. et Mme Pararaisse, M. Garin, M. et Mme Fauvaque, famille Robillard, Mlle M. Ducoup, M. et Mme Suère, M. et Mme Eugène Caillau, Mme et Mlle Malgras, Mme veuve Lameth, Mme veuve Bidochon, Mlle Desforges,
M. et Mme Bouvier, Mme veuve Rebèche, Mlle Léonache, Mlle Pinson, M. et Mme Margry, M. et Mme Métais, Mme veuve Mercier, M. Jamet et sa sœur Mlle Elise Jamet, M. Charles Laurent, M. et Mme Vallette, M. et Mme Lecornu, M. Bongibault, M. Chansard, Mme veuve Chartrain, M. et Mme Crépu, M. et Mme E. Thomas, M. Bézard, Mme Crinière, Mmmes Jousset, M. et Mme Corpechot, Mme Chauvin, M. et Mme Mandard, M. et Mme Pelletier, M. et Mme Arthur Chauvet, M. et Me Raymond Guérin, M. et Mme Joseph Guérin (M. Joseph Guérin rendit les plus signalés services), Mme veuve Rimmel et sa belle-fille Mme Rimmel (qui ne cessa et ne cesse encore de se dévouer pour nos prisonniers); mmes Gigot, Molon, Robin, Mlle Hanotel qui, avec sa connaissance parfairte de la langue allemande fut une précieuse auxiliaire pour les services de la mairie ; Mlle Sevestre et sa servante, M. Mandard, M. et Mme Picoulet, M. et Mme Brault, M. et Mme Dufayet (qui tous se dévouèrent pour le ravitaillement en lait, surtout pour les malades et les enfants), Mlle Simone Petit et sa maman, très courageuses ; MM ; Doron, Roques et Chappart (qui participèrent au ravitaillement en pain), M. et Mme Noquet, M. et Mme Chevallier, M. et Mme Trudon, Mmmes veuves Jouanest et Dufresne, Mme Tribaudeau, M. et Me Pelletier, M. et Mme Cagnat, M. et Mme A. Chauvet, M. et Mme Eugène Paris, M. et Mme Daniel Pecquet, M. Mazure. M. Flammery, employé aux eaux et resté à son poste, rétablit la distribution d’eau eau bout de quelques jours avec sa roue hydraulique, l’électricité faisant complètement défaut. Citons encore M. et Mme E. Chauvet, Mme veuve Bruneau, M. et Mme Bervier, M. et Mme Altier, Mlle Madeleine Pinson, M. et Mme Joannest, M. et Mme Emile Martorel, M. et Mme Rousseau, maréchal-ferrant; M. et Mme Lameth, M. et Mme Genet, cultivateur; M. et Mme Méry, M. et Mme Baudin Henri, M. et Mme Vidal, M. et Mme Bourly et leur fille, M. et Mme Léon Guérin, famille Sion, Mme veuve Dufresne, Mme veuve Daubignard, M. et Mme Léon Paris, famille Donnadieu, M. et Mme Fournier, M. et Mme Jules Leblanc, Mme Laurent, M. Raymond Pillias, M. et Mme André Douard, Mme veuve Chanon, Mmes Roux et Gérard Roux, M. et Mme Fontès, Mlle Ghys, Mme veuveBrosse, Mme Pinguenet, Mme veuve Boblet, Mme veuve Dardon, Mlle Chenu, Mlle Charlotte Laurent, restée seule à l’Hôtel du Grand Courrier,,, et combien d’autres dont nous n’avons pu recueillir les noms, qui voudront bien nous en excuser, et qui ont bien mérité de la reconnaissance de la population tout entière.

        Le samedi matin, les trains ne partaient plus, Des grappes humaines continuaient quand même de stationner devant la gare et dans les rues avoisinantes, On annonça que les troupes allemandes allaient être là dans la soirée, Beaucoup ne voulaient pas y croire.


Le cimetière d'autos du Bourgneuf

        Et pourtant... Laissons, à cet endroit de notre récit, la parole à M. Delaveau, notre estimé concitoyen de la rue Aristide-Briand, qui joua un rôle important dans les minutes qui vont venir, et qui voulut bien nous rapporter ce qui suit:

     — A la fin de la matinée, je vais à mon clos comme d’habitude, situé aux Jardins Ouvriers, et je me mets en devoir de cueillir des fraises. A ce moment, deux soldats français entrent et me demandent le route de Pithiviers. Je les renseigne et ils partent en courant, traversant le Juineteau par le jardin Parisot. Peu après, je lève la tête et j’aperçois le canon d’un fusils dans l’ouverture de ma porte restée ouverte. Puis le fusils disparaît pour faire place à une mitrailleuse. Ma foi, je me risque. Il y a là un soldat allemand, mais comme in ne paraît pas agressif, j’avance la tête dans le chemin et je m’aperçois que toutes les portes et issues sont gardées par des sentinelles armées de fusils ou de mitraillettes. Que faire ? Je me décide à partir pour aller en reconnaissance... Et les Allemands me laissent passer. Au coin de l’avenue Frédéric-Louis, je croise bien un petit poste, mais plus rien jusque chez moi.


      Ainsi, comme le confirme ce récit, les troupes allemandes sont entrées dans Etampes sans coup férir. Qui l’eût cru ? Paris, lui, avait été déclaré entre temps « ville ouverte » et ses habitants, demeurés sur place, savaient maintenant à quoi s’en tenir. Mais Etampes ? Il eût suffi, pour [(1941:) déclancher] [(1944:) déclencher] un combat local, d’un incident comme celui qui éclata à la gare vers dix heures.

     Tout le personnel de notre gare était à son poste ce matin-là, n’ayant pas cessé d’être sur la brèche jour et nuit depuis l’offensive du 10 mai, déployant une activité, une sollicitude et un courage admirables. Or, à l’arrivée d’un train, le bruit se propage tout à coup qu’il y a, dans le convoi, des parachutistes ennemis. La chasse à l’homme s’organise aussitôt et des coups de feu éclatent, blessant trois personnes dans la foule. Deux voyageurs du fameux train sont arrêtés et conduits au capitaine faisant fonctions de commissaire de gare. Au même instant, des nouvelles arrivent: les Allemands ont dépassé Longjumeau et s’avancent rapidement ? Vite, on prépare un train pour l’évacuation des familles de cheminots et pour les réfugiés présents sir les quais. Vers midi, un sous-chef de gare de Brétigny, venu au pas de gymnastique par les voies, vient annoncer que les Allemands sont maintenant à Etréchy, que le train dans lequel il se trouvait est bloqué et que tous les voyageurs ont été faits prisonniers. On active alors la mise en place du convoi d’évacuation; on fait embarquer les femmes et les enfants, le personnel de la gare, lui, ayant reçu l’ordre de rester à son poste pour continuer l’acheminement des trains.

     Vers 13 heures, coup de tonnerre ! La nouvelle circule, brève: les Allemands arrivent. Effectivement, quelques minutes passent, puis soudain, des estafettes en side-car, revolver et mitraillettes au poing, apparaissent place de la Gare, s’acheminant vers le boulevard Henri-IV et se rendent jusqu’à la tête du train prêt à partir.

     L’officier, commandant ce petit détachement, descend et, revolver au poing, intime l’ordre aux mécaniciens de ne pas avancer. Brusquement, des coups de feu éclatent, provenant du train où se trouevnt d’autres cheminots (environ 200) mobilisés à la 7e section des Chemins de fer de campagne, et arrivés la veille au soir en gare d’Etampes. L’officier et deux soldats allemands qui l’accompagnent sont abattus, La riposte ne se fait pas attendre: les mitraillettes entrent en action. Des soldats allemands, au nombre d’une trentaine, déchargent leurs fusils sur les deux côtés du trai: les uns postés sur la Promenade et les autres dans les salles d’attente d’où ils tirent à travers les vitres. Une mitrailleuse entre même en action sur le Pont Saint-Jean. Tous les occupants du train descendent alors en levant les mains et ils abandonnent le convoi.

     Hélas, le triste bilan de cette échauffourée apparaît dans sa cruelle réalité: six soldats de la 7e section sont étendus sur le terrain, un agent de la voie est également tué et un de l’exploitation grièvement blessé. D’autres militaires sont blessés, eux aussi, et transportés à l’hôpital.

     Quelques minutes plus tard, les quais étaient entièrement vidés; la foule s’étaient littéralement volatilisée. Peu après, on enterra les victimes dans un terrain situé derrière le silo de la Coopérative Agricole.


    Maintenant les troupes allemandes défilent sans interruption en direction d’Orléans, venant de La Ferté, d’Étréchy et de Dourdan. Les premiers éléments ont traversé la ville en motocyclettes et side-cars. Ce sont maintenant des camions, [p.18] des tanks, de la cavalerie. Sur la chaussée, ils font place nette en refoulant sur les trottoirs et les rues latérales les autos des réfugiés et celles de l’armée française en panne ou abandonnées.

     Toute la journée se passe ainsi.


LE 16 JUIN

     Le dimanche matin, 16 juin… Mais redonnons la parole à M. Delaveau, qui va nous conter la suite:

     — Vers neuf heures, ce matin-là, Mme Dallier, l’épicière de la place de l’Hôtel-de-Ville, m’appelle et m’informe que trois officiers allemands demandent à voir le Maire d’Etampes. Comme il n’y en a plus, je me présente. L’un d’eux me questionne: «Vous, M. le Maire?», — «Ya», lui dis-je sans hésiter, songeant à cette minute que de cette réponse dépend peut-être le sort de notre ville. Il m’invite à entrer. La mairie est dans un état pitoyable: des réfugiés y sont couchés pêle-mêle sur des hardes, entourés de leur barda, avec, pour la plupart, une bouteille à portée de la main. Celui qui semble être l’officier supérieur allemand me demande un plan de la ville: je me mets en quête d’un de ces documents… sans résultats, lorsque l’un des officiers, s’avançant vers le tiroir de la bibliothèque située dans le cabinet du maire, en retire un tout naturellement. Jugez de ma stupéfaction… et de ma confusion. Mais passons… Après un rapide examen du plan, on m’invite à conduire ces messieurs à l’hôpital et à l’usine des Laboratoires Dausse. Après quoi nous revenons sur la place de l’Hôtel-de-Ville, où une auto nous attend. J’y monte en compagnie des officiers, on me remet un plan où les établissements [p.19] qu’ils entendent visiter se trouvent marqués d’un cercle rouge, et nous voilà partis. Nous nous rendons ainsi tour à tour à la gare des marchandises, aux abattoirs, à la ferme de Guinette, puis à la gare des voyageurs qui est occupée par les motorisés. Sous le hall de la gare des marchandises mes compagnons savaient qu’il y avait du blé, ainsi que dans le silo. La ferme de Guinette était complètement déserte; nous la visitâmes de fond en comble. Après cela, nous nous rendîmes à Authon-la-Plaine, que nous ne fîmes que traverser pour rentre à Étampes. Mes fonctions de maire avaient duré tout juste trois heures.



     Ajoutons que dès leur arrivée à Saint-Pierre, les Allemands réunirent les habitants de ce quartier qui s’y trouvaient encore et, après les avoir accompagnés, les passèrent… à la fouille au coin des rues Évezard et du Port, devant le magasin d’électricité Pillas, où se trouvait un feldwebel. Toutes les poches furent visitées et chaque fois qu’on y trouvait un couteau ou autre objet indésirable il était jeté dans la bouche de caniveau dont on avait ôté la plaque de fonte.

     Nous ne terminerons pas la relation de cette journée du dimanche 16 juin sans rapporter le raid tragique de cet avion français qui, vers 10 heures 30, s’avisa de vouloir bombarder un convoi allemand au-dessus de Saint-Martin. Pris dans le tir de la D.C.A ennemie, qui était installée depuis la veille au Petit-Saint-mars, les deux audacieux aviateurs, le sous-lieutenant Roger Balbiano, du groupe 502 à Amiens, et le sous-officier Pierre Bizet, du même groupe, né le 10 juin 1914, s’écrasèrent au Rougement avec leur appareil. Ce sont encore nos braves amis Émile Sergent et Georges Hennequin qui enterrèrent pieusement les deux héroïques combattants au cimetière Saint-Pierre, où l’on peut voir leurs tombes derrière la grande tranchée collective où repose une partie des victimes du bombardement du 14 juin. [p.20]
Le fossoyeur-chef Sergent.
Le fossoyeur-chef Sergent.
   

LE 17 JUIN

     Le lundi 17 juin, nos concitoyens demeurés sur place commencèrent à se ressaisir [(1941:) en constatant que les occupants ne répondaient pas à la réputation de tortionnaires qu’on nous avait faite d’eux. Le pillage lui-même allait diminuant.] [(1944:). Le pillage lui-même est en régression.]

     M. Ulysse Pillas, revenu à la Mairie, [(1941:) commence à organiser] [(1944:). organise] certains services. Un appel est fait au concours des bonnes volontés. C’est le brave Sergent, le fossoyeur, qui parcourt les quartiers de la ville et qui sonne le ralliement au son du tambour. Les bons cœurs affluent de toutes parts. Successivement, MM. Delaveau, Lajugie, Sergent, Arnaud, Foix, Laffin, Pillas, Doron, Péquet, Audran, Darnault, Menet, Lejeune, Péchenard, Hotermans, Brochet, Emile Rouleau [(1941:) (chauffeur)], Manceau, Flament, Berthaud, Didier, Pignard, Guitton, Descot et Leroy ont offert ou offrent leurs services.

     [(1941:) M. Barthélémy Durand, propriétaire du domaine de Valnay, n’a pas entendu cet appel pour venir se mettre spontanément au service de la population et c’est lui qui organise le premier la fabrication du pain.]

     Ceux qui ont pris en main la direction de la ville commencent d’abord par se soucier du précieux aliment, qui fait défaut depuis trois jours, ainsi que l’eau, le gaz, l’électricité. Des soldats allemands ont bien donné de-ci, de-là, quelques biscuits, mais cela est nettement insuffisant et ne peut durer. Quant à l’eau, puisqu’il n’y a pas le choix, le mieux est de la puiser dans les brassets de la Juine et de la faire bouillir ensuite pour pouvoir la consommer.
     Mais voici que les évacués commencent à rentrer, ceux qui, étant donné l’embouteillage des routes, n’ont pu aller loin et ont été rejoints par les troupes allemandes. Tous demandent du pain et de l’essence pour pouvoir regagner leur domicile. Une première boulangerie est donc ouverte, celle de M. Plé, rue de la République, et, pour la délivrance du pain, MM. Delaveau, Menet et Lajugie sont chargés de distribuer aux grilles de la Mairie des petits bouts de papier de couleur portant le cachet municipal. Ces bons représentent une ration de 500 gr. de pain pour le prix de 1 fr. 50. Comme la quantité fabriquée est minime et que les demandes sont grosses, il en résulte bien quelques protestations vite réprimées.

     Une première boucherie ouvre à son tour, celle de M. Legendre, rue Paul-Doumer, à la grande satisfaction du public.

     Déjà les services de la Kommandantur occupent tout le rez-de-chaussée de l’Hôtel de Ville. Petit à petit, on installe ceux de la commune au premier étage au premier étage, M. Brochet, agent d’assurances, assure les fonctions de Secrétaire, tâche difficile pour commencer, étant donné qu’il n’existe plus d’archives. M. Arnaud, employé à la Grande-Vitesse de la gare, prend l’état-civil, ce qui, pour les mêmes raisons, n’est pas plus commode. D’autre part, M. Maurice Brochet, aiguilleur, 10, rue Sainte-Croix, rend les [p.21] plus signalés services, lui aussi, en assumant les tâches les plus diverses. Comme le Receveur municipal a été également replié avec la caisse, les premiers fonds doivent être fournis par les dévoués organisateurs des services eux-mêmes; mais il est dit que toutes les bonnes volontés présentes sont animées du plus haut esprit d’entr’aide et, malgré les difficultés du moment, elles ne reculent devant aucun effort, ni aucun sacrifice.
   
 
LES JOURS SUIVANTS
 
     Nous avons dit que le lundi 17 le pillage était déjà en régression. Ce résultat était dû à une habile mesure prise en un temps record. Le matin de ce jour-là, notre [(1941:) sympathique] concitoyen M. Daeschler, [(1941:) remplit les fonctions d’interprète avec une parfaite obligeance] [(1944:) qui remplissait les fonctions d’interprète], conduisit M. Pillas, maire par interim, devant le général allemand qui faisait office de commandant de Place et qui était logé à l’Hôtel du Nord, devant la gare.

     — Monsieur le Général, dit M. Daeschler, il faut que cesse le pillage et, pour cela, il est nécessaire que vous nous laissiez organiser la police.

     — D’accord, répondit l’officier, mettez des brassards aux hommes chargés de ce service; je vous laisse carte blanche pour opérer. De même, faites ouvrir les magasins actuellement fermés, de manière à ce que la population puisse être ravitaillée.

     C’est donc grâce à cette décision que les actes de pillage commis par des réfugiés et certains concitoyens égarés purent être jugulés et que des magasins d’alimentation purent fonctionner.

     Parmi les personnes qui n’avaient pas quitté notre ville et qui, au cours de ces journées historiques, payèrent encore de leur personne, il faut citer l’agent Crochot, dont la femme, malade, était immobilisée sur son lit, et qui assura son service de police avec une inlassable activité, en compagnie de M. Barrué, gendarme retraité, chargé plus spécialement des écritures. Citons aussi M. Paris, mécanicien, qui remit des voitures en état, de manière à assurer le ravitaillement, ainsi que M. Naudin, qui fabriqua le pain dans la boulangerie Plé, et M. Goguet, qui prêta la main à l’état-civil. Nous nous en voudrions de ne pas citer également M. Bongage, qui prit en main la trésorerie de la ville; M. Genet, cultivateur à Saint-Martin, qui procéda à l’enlèvement des victimes [p.22] du bombardement; M. René Blanchet, qui mena à bien les travaux dangereux de déblaiement des maisons bombardées; M. Descroix, qui assura le ravitaillement en farine avec son camion; M. Caillet, qui se chargea du transport du pain à destination des réfugiés logés à l’Abattoir (La répartition de ce pain fut menée à bien grâce au concours de MM. Chevrier Alfred, Thibault (préposé à l’octroi), Paris Raymond et Mme Daubignard jeune, qui faisait office de caissière.] Enfin, signalons la belle conduite de M. Hennequin, qui, en qualité d’aide fossoyeur, paya nuit et jour de sa personne, accomplissant une besogne qu’il n’est point exagéré de qualifier de surhumaine si l’on veut bien se rendre compte de l’état effroyable des pauvres corps déchiquetés ou carbonisés. M. Guerry fit de même pour les multiples chevaux et vaches crevées au long des rues et des chemins, ainsi que M. Hédeville, qui, armé d’une pique et d’une massue, abattait les chiens enragés.
 
Les membres de la délégation spéciale municipale d'Etampes nommés après l'invasion. De gauche à droite: MM. Lejeune, Chavigny, Fontant, Lerebour, et Audemard.

     La relation des événements qui se déroulèrent à la mi-juin 1940 à Étampes ne serait pas complète si nous ne mentionnions pas la découverte éminemment historique faite le 15 juin, sur le Port, d’un camion abandonné contenant un trésor inestimable que peut s’enorgueillir à juste titre de posséder [(1941:) le plus grand musée de France] [(1944:) le Musée des Invalides], à savoir: une collection des reliques de l’empereur Napoléon, parmi lesquelles [(1941:) son petit chapeau] [(1944:) son chapeau d’Eylau], sa redingote prise à Marengo, son épée  [(1941:) d’apparat] [(1944:) son épée d’Austerlitz]d’Austerlitz et ses décorations. 
     Tous ces objets, soigneusement enfouis dans des caisses, avaient quitté les Invalides, deux ou trois jours plus tôt, pour être transportés en lieu sûr, lorsque le conducteur du camion, affolé sans doute par le bombardement du 14, abandonna dans notre ville ses précieux bagages et… disparut. 

     Ajoutons que, grâce à l’initiative habile d’un médecin de l’hôpital, les inestimables reliques purent être dissimulées jusqu’à ce qu’on les entreposât provisoirement au Château de la Malmaison, en attendant leur retour aux Invalides. [p.23]
   
Le premier concert de musique allemande devant la Mairie d'Etampes.


[(1941:) LA VIE RECOMMENCE ]

     [(1941:) Enfin la vie de réorganise peu à peu. Quelques jours plus tard, la boulangerie Rousseau, rue Paul-Doumer, ouvre elle-même ses portes; puis c’est le tour de la boulangerie Coutelier, rue de la République. Et voilà que l’eau fait aussi sa réapparition, apportant un mieux-être sensible.

    Entre temps; M. Pierre Lejeune, qui avait offert son concours dès le début, est désigné comme Commissaire-Maire aux côtés de M. Pillas. Tout de suite, il donne la pleine mesure de son autorité, de son tact et de ses capacités. Grâce à sa connaissance de la langue allemande, il est en mesure de résoudre bien des problèmes et bien des difficultés. Son rôle apparaît chaque jour plus nécessaire. Il ne tarde pas à s’imposer, encore qu’il ne fasse rien pour cela. Ses connaissances, son activité, sa sollicitude, seules lui attirent la considération et la sympathie générale. MM. Péchenard et Hotermans, qui pratiquent également la langue allemande, le premier d’Ormoy-la-Rivière et le second de Saint-Hilaire, assistent MM. Lejeune et Pillas dans leurs fonctions et ne marchandent pas davantage leur activité et leur temps. M. Daeschler se joint à eux; il devient bientôt, grâce à sa connaissance parfaite de la langue allemande et à son obligeance, le plus utile des auxiliaires.

     Pendant ce temps, MM. Laffin, Doron et Daniel Pequet se prodiguent à Saint-Martin et à la Mairie, s’occupant de tout: boulangerie, nettoiement, garde, etc... M. Martignon, de son côté, prend en mains, avec toute l’ardeur qu’on lui connaît, la direction du ravitaillement à l’abattoir. M. Bercé, lui aussi, quoique amputé d’une jambe, se met à la disposition de la commune; c’est lui qui, actuellement encore, assure l’enlèvement des ordures ménagères.

     Pour permettre à tous ces hommes de bonne volonté de ne pas perdre des minutes précieuses à faire la queue devant les boulangeries, on décide de leur remettre leur portion de pain en 11 h. à midi au Commissariat de police, aux mêmes conditions qu’aux autres habitants; M. Delaveau, M. Emile (de Saint-Martin) et M. Foix, employés à la S.N.C.F., sont désignés pour assurer cette distribution.

     Tous les matins, des équipes de volontaires se groupent sur la place de l’Hôtel-de-Ville; elles sont réparties dans les différents quartiers de la ville pour débarrasser les rues des objets et détritus les plus hétéroclites qui les encombrent: animaux crevés, autos, vélos délabrés, valises vides, bouteilles cassées, casques, cartons, gravois, vêtements, papiers, paille, etc., etc..
     Enfin, un jour vint où l’argent commença à garnir la caisse de la ville; aussitôt on décida que tous ces braves gens, qui avaient accepté sans murmurer les plus ingrates besognes, recevraient, en guise de salaire et en attendant mieux, 500 gr. de pain pour les adultes et 250 gr. Pour leurs enfants au-dessous de 10 ans. Pourtant, lorsqu’on saura que la ville avait la charge supplémentaire d’assurer l’approvisionnement en pain du camp de prisonniers de Mondésir — soit 2.000 bouches  on aura idée du labeur et des difficultés inouïes que cela représentait à l’époque pour les bonnes volontés locales.

     Les jours s’écoulèrent un à un, bons et mauvais. L’argent rentrait chaque jour un peu plus, grâce à d’opportunes perceptions. Le pain gratuit fut un beau matin supprimé aux travailleurs auxquels on donna 10 fr, par jour, puis, plus tard, 20 fr,, chiffre encore présentement en vigueur.

     Et l’on sait le reste...

     Les réfugiés rentrèrent de plus en plus nombreux, si bien qu’aujourd’hui on peut dire, qu’à de très rares exceptions près, les Etampois ont réintégré leur chère cité et retrouvé leurs habitudes. Nous vivons toujours sous le régime de l’occupation, certes; bien de nos concitoyens, en rentrant ont trouvé leur immeuble réquisitionné; mais qu’estice en comparaison de ce qu’ils appréhendaient en partant ?

     Car enfin, c’est à cela qu’il ne faut pas cesser de songer. Nous avons vécu des jours difficiles; d’autres suivront encore... Et puis... et puis des heures meilleures reviendront pour peu que nous sachions les attendre avec vaillance et les préparer avec foi.

     Les dernières lignes de cette brochure, après avoir formé le vœu que nos chers prisonniers reviennent prendre au plus tôt leur place à leur foyer, seront pour nous incliner avec respect et gratitude devant les noms de nos héroïques concitoyens dont les noms, un jour prochain, viendront s’ajouter, sur la pierre symbolique, à ceux qui ont versé leur sang pour la Patrie.

Avril 1941.]


[(1944:) L’OCCUPATION ]

     [(1944:) La vie se réorganise petit à petit. L’occupant se fait tout d’abord indulgent et doucereux. Il prodigue les roueries de sa race: insinuant et bon enfant. Puis, peu à peu, la pointe de fer perce le gant de velours…. Et il redevient ce qu’il n’a jamais cessé d’être: orgueilleux, despote et encombrant.

     Il n’est guère de maison, dans notre ville, ne soient occupées par l’ennemi. Chaque jour un nouvel immeuble est réquisitionné. Un grand nombre de nos concitoyens, rentrant d’exode, trouvent leur logement envahi et déjà transformé. Ils doivent se contenter d’une simple pièce ailleurs. La plupart des notaires, médecins et avoués de la commune doivent transférer leurs études et cabinets dans des locaux de fortune.

       Un jour, le général d’armée Weissmann, chef des services allemands de l’air, décide de s’installer au château de Brunehaut, à 1.200 mètres de la ville. On peut dire que, dès ce moment, notre cité est voué au plus tragique destin. Elle deviendra, en effet, avec ses innombrables officiers, ses installations techniques et ses repaires secrets, un objectif militaire ennemi de première importance que l’aviation anglo-américaine assignera au jour dit à ses bombardiers.

     Pourtant, au long des quatre années, deux mois et sept jours [p.24] qu’aura duré l’occupation nazie, Etampes, malgré le nombre considérable de ses occupants, n’aura eu à souffrir d’aucun incident grave. En dehors de quelques accrochages passagers entre habitants et envahisseurs, ou entre administration française et allemande, notre ville ne connut jamais, Dieu merci, les répressions sanglantes, les otages, les lourdes amendes de guerre qui frappèrent tant d’autres communes. Notre cité le dut, tant à la calme dignité de sa population, qu’à l’intelligente diplomatie de son maire, M. Lejeune, et de son Conseil municipal, auxquels la plus élémentaire justice commande de rendre hommage.]

Le général Weissmann haranguant ses officiers du haut du perron du château de Brunehaut.
[Photo propre à la seconde édition.]



Sources: Le brochure de Collard dans sa réédition de 1945, saisie en 2004 par Bernard Gineste; scan des photographies de la 1ère édition par François Jousset.
Saisie des variantes de l’édition de 1941 sur un exemplaire de la collection d’Alain Desgranges.


BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
 
 

     René COLLARD, Le Génie et les vices de Rémi Canari. Roman [in-16 (18 cm); 207 p.], Paris, Denoël, 1939.

     René COLLARD, Étampes au cours des journées tragiques de 1940 [13,5 cm sur 21; 63 p.; petites photographies], Corbeil, Drevet, sans date (vers 1945) [non conservé à la BNF; conservé aux AME].

     René COLLARD, De l’Invasion à la Libération. Étampes au cours des journées tragiques de 1940 et 1944 [13,5 cm sur 21; 63 p.; 111 petites photographies assez mal reproduites; couverture illustrée], Corbeil, Drevet, sans date (vers 1945) [non conservé à la BNF; conservé aux AME].

     Bernard GINESTE [éd.], «René Collard: Étampes en juin 1940 (récit illustré, versions comparées de 1941 et de 1944)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-1940collard.html, 2011.


Sur l’histoire du pays d’Étampes pendant cette période

     COLLECTIF, «Le Pays d’Étampes de 1939 à 1945», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-39-45b.html, depuis 2003.


Toute critique ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.

 
Explicit
   
SommaireNouveautésBeaux-ArtsHistoireLittératureTextes latinsMoyen Age NumismatiqueLiensRemerciementsAssociationMail to the Webmaster