Prologue
Blitzkrieg
[Alain de Cheveigné a mis en ligne le texte
intégral de ce récit autobiographique]
[...] Le 13 juin l940, à sept heures du matin, à Aubervilliers,
chez Bréguet, au lieu de se mettre au travail, le personnel réuni
dans la cour écoute le discours du patron debout sur le perron
des bureaux: «Les Allemands arrivent. Évacuation. Rendez-vous
à Toulouse. Tous Français. On les aura.»
Un immense nuage de fumée couvre le ciel, venant du Nord, salissant
tout d'une suie collante, exprimant bien le deuil qui convient à
la situation: tous ont les mains noires et des visages de charbonnier.
On s’est donné rendez-vous, une dizaine de copains de l’atelier,
place de la République à l7 heures. La mère de Jean-Claude
Stern, un de mes amis radio-amateurs, mobilisé, m’a prêté
la bicyclette de son fils pour remplacer la mienne, accidentée.
À l8 heures, par la Porte d’Orléans, nous sortons de Paris,
pas mécontents de partir ainsi à l’aventure, au lieu d’être
enchaînés à nos voitures.
Rouler n’est pas facile. Des réfugiés plein la route, avec,
pêle-mêle, des paquets, des valises, des malles, des matelas,
des meubles, des chiens, des chats, des volailles, des enfants, des grands-parents,
des brouettes, des charrettes à bras, des voitures hippo ou automobiles,
ou plutôt immobiles. Pour échapper à cette paralysie,
nous quittons la route nationale pour une route départementale
en épi.
À Sainte-Geneviève-des-Bois, à la tombée
de la nuit, on bivouaque. Je n’ai pas de tente. Je me roule dans une couverture,
la tête sur mon sac, à la belle étoile. À
Étampes, le lendemain matin, léger pillage: une poule qui
passe par là, des petits pois dans un jardin, avec des carottes.
Des cerises pour le dessert. «Eh, regarde! Il y a du persil et de
l’estragon...»
Les avions bombardent et mitraillent ailleurs: «Oh, dis donc! Tu
entends!» On voit les avions survoler la route, et piquer, là-bas
au loin. Ici il fait beau, et rouler en vélo au soleil est bien
agréable. Voici Pithiviers. Nous traversons la Loire à Jargeau.
Certains disent que c’est sur la Loire que doit avoir lieu le sursaut
comme autrefois sur la Marne. Les préparatifs ne sont pas évidents.
On campe au sud d’Olivet, le 14 au soir. La poule, avec les carottes
et les petits pois, dans une marmite, nous console des muscles douloureux.
Réveil tardif au matin. La rencontre d’un régiment d’infanterie
anglais nous apprend que les Allemands sont entrés hier dans Paris.
L’après-midi nous retrouve sur les vélos. On évite
encore la N20.
Le soir, les jambes épuisées, nous campons à Selles,
au bord du Cher. Le lendemain matin, nous reprenons la route. [...]
[Alain de Cheveigné
a mis en ligne le texte
intégral de ce récit autobiographique]
«Maurice de Cheveigné est né le 16 Août 1920
et mort le 1er Juin 1992.»
«Radio Libre raconte
cinq ans de la vie de Maurice de Cheveigné. La débacle de
1940, la fuite de France par la montagne, la prison en Espagne, l’entraînement
en Angleterre, le parachutage en France à deux reprises, l’arrestation,
l’interrogatoire, la prison à Loos-lès-Lille et le camp à
Sachsenhausen.»
Préface
d’Alain de Cheveigné à son édition du récit
autobiographique de Maurice de Cheveigné, qu’il a mis en ligne:
http://www.linguist.jussieu.fr/lug/lug00.html
(2001).
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Accord pour republication:
«Cher Monsieur,
Mon père lui ayant emprunté autrefois
une poule et des carottes, Etampes est en droit de lui emprunter quelques
lignes. Vous avez bien sûr mon accord pour cette citation. Merci
de votre intérêt! Alain de Cheveigné.» (12.10.2001).
L'auteur en 1941
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