Léon Terrier
L’école en plein air de Guinette
Abeille d’Étampes du 30 juillet
1927
Photos Jolivet
Pour la santé des petits français
L’Ecole en plein air de Guinette
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Vacances! Vacances!
Comme il sonne joyeusement, ce mot, aux oreilles
des écoliers! Vacances! On va pouvoir enfin, tous les jours de la
semaine, jouer au grand air, s’emplir les poumons de l’air pur des champs
et des bois....
Vacances!.... La vision de la salle où il
faut se tenir sans trop bouger, durant d’interminable heures, s’efface pour
faire place à celle, combien plus agréable, de la carrière
de sable, du bois ombreux où l’on peut donner libre cours à
son exubérance...
Vacances!... Quel enfant, fût-il le modèle
des écoliers studieux, ne sent son cœur bondir de joie en voyant approcher
la date!...
Eh bien, Je connais une cinquantaine de petits diablotins,
blonds ou bruns, filles ou garçons, qui ne sont pas contents,
oh! mais pas contents du tout, de voir approcher les vacances. Pour eux,
la date du 1er août sera tout le contraire de ce qu’elle sera pour les
autres...
Adieu le sable; adieu, Guinette; adieu la vie au
grand air, à l’air pur des bois et des champs.
Pour beaucoup, ce sera de longues heures d’ennui,
dans des chambres plus ou moins claires, plus ou moins saines.
Je veux parler des cinquante petits écoliers
de l’école enfantine de la rue Saint- Antoine, des cinquante bambins
à qui leur directrice, Mme Genestie, vient de donner, par une initiative
et un dévouement dont on ne la louera et la remerciera jamais assez,
deux grands mois de bonheur et provision incalculable de bonne santé....
Des cinquante bambins de l’école en plein air....
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Une partie de quille au rond-point des Maronniers.
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Depuis longtemps, Mme Genestie s’inquiétait des épidémies
infantiles dans son école. Rougeole, coqueluche, scarlatine, toutes
les petites misères qui accablent l’enfance. On ne cessait, chez elle,
de désinfecter...
Ayant eu l’occasion de visiter des écoles
de plein air, dans la Marne, puis notamment à Rouen, elle pensa que
tout son petit monde gagnerai en santé à être, chaque
jour, conduit dans les champs, dans les bois. Elle soumit un projet à
la Municipalité qui approuva. Un terrain idéal s’offrait: celui
du bois de Guinette, propriété de notre distingué maire,
M. Marcel Bouilloux-Laffont. L’autorisation d’y installer l’école
enfantine fut bien vite donnée! Et au mois de mai, l’expérience
commença.
M. Jousset, notre actif voyer, fit construire rapidement
un baraquement spacieux; M. et Mme Léauté s’ingénièrent
à le meubler; il y eu bien vite une cuisine complètement installée.
Enfin quelques généreuses personnes procurèrent des
ressources — 170 francs en espèces et de nombreux dons en nature —
à Mme Genestie qui sut les employer à l’achat judicieux de pliants,
petites chaises, bibelots rendant plus confortable la vie en plein air.
Naturellement, les parents des bambins se montrèrent
très enthousiastes et s’empressèrent de verser la modique somme
de 1 fr 25 qui leur fut demandée pour le repas de midi.
Mme Genestie, aidée par son adjointe, Mme
Lavail et par Mme Porthault, à qui incomba le soin de la cuisine,
fit des merveilles.
Elle organisa la vie quotidienne de son petit monde
de façon parfaite. Départ le matin à 9 heures. Déjeuner
à 11 heures; goûter à 16 heures; retour à 18 heures.
Comme exercice: travaux manuels, jeux, chants. Il y a aussi une séance
de repos dans cet endroit exquis qu’est le rond-point des Marronniers...
Résultat, le 5 juillet, c’est à dire
au bout de deux mois, la plupart des enfants avaient gagné 1 kilo
en poids, et de 3 à 4 centimètres en taille et en développement
de la poitrine. La constatation officielle était faite à la
Mairie, chaque enfant ayant une fiche de santé qui sera remise
aux parents.
Il y a quelques jours, une fillette était atteinte
d’une pneumonie très grave; en peu de temps, elle triompha du mal,
et le docteur put assurer qu’elle le devait à la robustesse acquise
à l’école en plein air.
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Nous avons eu le plaisir de visiter l’installation sous la conduite
de Mme Genestie. Nous avons vu l’ordre régnant partout; nous avons
admiré une propreté qui fait honneur à la cuisinière.
Et nous pensons qu’il est intéressant de publier le menu substantiel
et sain que la dévouée directrice — une maman pour tous ces
petiots — parvient à donner avec les modiques ressources dont elle
dispose:
Lundi, potage au lait, nouilles au gratin, dessert,
confitures. — Mardi, bouillon, pomme de terre ou œufs en sauce blanche, jambon,
desserts, gâteaux secs. — Mercredi , potage au vermicelle, riz au lait
sucré, fromage frais. — Vendredi, potage à l’oignon passé, purée
de pois ou lentilles, pain d’épices. — Samedi, bouillon d’os et légumes,
pommes de terre en purée, crème ou figues.
Il arriva même un jour qu’on donna de la poule
au riz!
Ce fut un succès, bien entendu.
A régime là, il faut voir les bonnes
couleurs roses qui enjolivent toutes les gentilles frimousses! L’enfant ne
boude plus, comme trop souvent il le fait, à la maison devant un
menu qui n’est pas à sa convenance. Deux heures de plein air constituent
le meilleur des stimulants... Et quel appétit encore lorsque à
16 heures, tout ce petit monde se réinstalle à table pour le
goûter: bananes, tartines de confitures, tartines de beurre, que les
mamans ont glissé au départ, dans le petit panier....
Maternelle elle aussi, Mme Lavail place devant chacun
la tasse d’eau sucrée qui aide à digérer les tartines...
des tartines d’une dimension parfois bien grandes pour de si petites bouches!....
Avec Mme Genestie, nous avons pu constater que, pour
parfaite que soit l’œuvre, il pourrait, il devrait encore y être
apporté des améliorations: agrandissement des lavabos, vestiaire,
parquetage du baraquement, aménagement pour le repos du rond-point
des Marronniers, acquisition de mobilier, de jouets, etc.
Il serait également fort intéressant
d’organiser pour le retour, un service d’auto-car; car si l’ascension
du matin est un exercice parfaitement sain, la descente, après dix
heures de plein air, constitue pour les dames dévouées comme
pour les enfants, une réelle fatigue. Le ministère de
la Guerre — en l’espèce l’aviation qui possède de superbes camions
— ne pourrait-il venir en aide à l’instruction publique?
Ne doutons pas, en tous cas, que la Municipalité
et les nombreux philanthropes que compte notre ville n’aident l’œuvre de
l’école en plein air, qu’il faudrait voir se généraliser
aux trois écoles maternelles étampoises.
Santé, physique d’abord, et ensuite santé
morale — car un peu d’idéal pénètre et restera dans
l’âme des enfants élevés au contact de la nature — c’est
le résultat certain de cette œuvre excellente. Et lorsque la dépopulation
supprime chaque année, comme le disait M. Lecuyer, trois villes de
l’importance d’Etampes, il est utile au moins de sauver les enfants vivants
et conserver au pays des forces vives, des cœurs sains, des intelligences
fécondes.
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Grandes tartines... petites bouches...
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Par ce que nous venons d’écrire; par ce que les photographies
de notre ami Jolivet montrent, il est aisé de comprendre que les vacances
ne seront pas un attrait pour les enfants en question — dont les parents
habitent pour la plupart les rues Basse de la Foulerie, la place Saint Gilles,
la rue de la Juiverie.
Il faudrait organiser une garderie de vacances, nous
as expliqué Mme Genestie. Les parents, dont quelques-uns occupent
des situations commerciales assez aisées, sont tout prêts à
augmenter l’indemnité quotidienne; mais il faudrait tout de même
assurer un salaire fixe et justement rémunérateur aux trois
dames qui durant un mois nous remplaceraient...
Le problème consiste donc à trouver
trois dames de bonne volonté — dont une institutrice habituée
aux enfants et deux femmes de charge — et un petit budget.
Il ne doit pas y avoir de solution impossible quand
il s’agit de préserver la santé des petits français.
L.T.M.
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L.T.M. pour Léon
Terrier-Mugnier, ce dernier nom étant celui de son épouse
(B.G.)
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Une partie de quille au rond-point des Maronniers.
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