Bulletin de
la Société Historique et Archéologique de Corbeil d'Étampes
et du Hurepoix 7 (1901), pp. 13-23
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Le
Château du Bourgneuf,
résidence des baillis d’Étampes
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A l’extrémité du faubourg Saint-Pierre d’Étampes, est
la rue Sadi-Carnot autrefois rue du Bourg-Neuf, Grande rue
du Faubourg Saint-Pierre, Grande rue du Sablon; enfin, pendant bien
longtemps et il y a eu d’années encore, rue du Sablon.
Cette rue aboutissait: d’une part, à l’église
Saint-Pierre démolie en 1804, malgré les vives protestations
des habitants, au cimetière de ce nom, qui existe encore, et à
la route de Corbeil; d’autre part, et selon d’anciens titres, à la
porte de Pithiviers, car le faubourg était autrefois fortifié,
et les anciens remparts Saint-Pierre sont même indiqués sur
le plan cadastral.
A gauche de cette rue, en partant de la ville,
est un grand clos appelé le parc du Bourgneuf. C’est là
en effet, qu’était situé l’ancien château, demeure seigneuriale
de ce nom, qui a appartenu pendant le XVIe siècle aux familles Roiger
de Mauchesne, Marainville et Le Ragois, et pendant les XVIe et XVIIe siècles,
aux familles de Guérin, de Cœurs et de Valori.
On trouve en effet, dans l’Inventaire des archives de
Seine-et Oise, série E, l’indication des actes suivants:
— Bail vers 1570, par demoiselle Cécile Roiger,
dame des fiefs du Bourgneuf et Mayrerie Saint-Pierre,... à Gilles
Buchon, procureur au bailliage d’Étampes, moyennant 8o livres tournois
de rente et demi-muid de blé, du lieu seigneurial du Bourgneuf, maisons,
jardins, devant et derrière, prés, vignes, terres, etc. (E.
3777).
— Vente du 26 février 1580, par Georges Roiger
de Mauchesne, Cécile Roiger, veuve de François de Marainville,
sieur de Guiller ville, à Benigne Le Ragois, conseiller, notaire et
secrétaire du roi,
[p.14] demeurant à Guignonville, des seigneuries
du Bourgneuf et de la Mayrerie, moyennant 3666 écus d’or. (E. 3771).
— Vente du 24 mars 1655, par dame Gobelin, veuve
de Bénigne Le Ragois et tutrice de Jean Le Ragois, à Nicolas
de Cœurs, conseiller du roi, receveur et payeur de rentes à l’hôtel-de-ville
de Paris, de la terre et seigneurie du Bourgneuf. (E. 3770).
— Vers 1679, dans les procédures pour les
créanciers aux successions de Nicolas de Coeurs et de Antoinette Martin,
sa femme, il est question de Alexis François de Cœurs, seigneur du
Bourg-Neuf, conseiller du roi au châtelet de Paris. (E. 3808).
Suivant arrêt du Parlement de Paris, du 6 mars
1701, Louise Julie de Cœurs est déclarée adjudicataire des
biens de la succession de Alexis François de Cœurs, seigneur du Bourgneuf.
(E. 3811).
— Adjudication par décret (5 février
et 6 avril 1710) de la terre et seigneurie du Bourgneuf sur Louise Julie de
Cœurs, au profit d’Alphonse de Germain de Guérin, chevalier, seigneur
de Moulineuf et deTiercelin. (E. 3772 bis — 3774 — 3805).
— Transaction du 14 février 17 les héritiers
de Alphonse de Germain de Guérin et Henriette Françoise Le Camus,
sa veuve, mineure de i8 ans, par laquelle ils abandonnent à cette
dernière la terre et seigneurie du Bourgneuf. (E. 3775).
Cette résidence avait déjà
une certaine importance au XVIe siècle, car en 1580, elle se composait
de deux seigneuries:
1° celle du Bourgneuf composée d’un
grand corps de logis couvert en tuiles, cour, grenier, cave, grange, étable
et jardin.., le tout d’un seul tenant et clos de murs,.., du moulin dit du
Bourg- neuf, sur la Juine avec les sauts d’autres moulins.
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Léon Marquis
(cliché conservé au Musée d'Étampes)
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2°
celle de la Mayrerie «consistant en une place estant joignante le prieuré
de l’église Saint Pierre, contenant un arpent ou environ... où
il y avait un logis et reste encore une cave et des fondements » (1).
On l’appelait aussi «le Carrefour de l’église».
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(1) Arch. de S.-et-O.
E. 3771.
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Quelques
mots en passant sur les écoles d’Étampes:
Dès la fin du XIIe siècle une bulle
du pape Luce III accorde aux chanoines de Sainte-Croix le droit d’avoir deux
maîtres d’école pour enseigner les sciences et la musique, droit
qui existait déjà pour le chapitre de Notre-Dame (2).
[p.15]
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(2) Fleureau, Ant.
d’Étampes, pp. 382, 389, 421.
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Selon
le Cartulaire de cette église (1), le prêtre Jean Thomas est
nommé maître des écoles de Notre-Dame, le 10 octobre
1367, par le chantre Ivard de Lunaires (2).
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(1) Publié
par l’abbé Alliot, 1888, in-8, p. 56.
(2) Fleureau, pp. 351, 422.
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D’après
des manuscrits existant aux archives de l’Yonne, il avait en 1566, à
Étampes, des écoles pour l’instruction gratuite de la jeunesse
(3), mais les documents les plus précieux pour les écoles d’Etampes
au moyen âge sont aux archives de Seine-et-Oise, fonds Valori.
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(3) Arch. de l’Yonne.
G. 613.
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Ainsi,
en 1630, une donation est faite «par Bénigne Leragois, sieur
du Bourgneuf, à la fabrique de l’église Saint-Pierre, d’une
maison sise au faubourg Saint-Pierre, contenant deux espaces, cour et petit
jardin derrière icelle, à la charge par les marguilliers faire
habiter et loger en icelle maison un maistre d’école pour instruire
la jeunesse du dit faulxbourg» (4).
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(4) Arch. de S-et-O.
G. 657.
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La
même année, comme prix du déplacement de la rue Torse
devant le Bourgneuf, Leragois donne encore «livres tournois de rente
annuelle à la fabrique de Saint Pierre pour estre employée
au paiement d’un maistre d’escolle pour instruire la jeunesse du dit faulxbourg...
et fournir le logement pour icelluy maistre des colle» (5).
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(5) Arch. de
S-et-O. E. 3793.
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A
la fin du XVIIe siècle, un titre de rente de 100 sous tournois est
passé au profit de Nicolas de Cœurs, seigneur du Bourgneuf, par Jeanne
Bouchon, veuve en dernières noces de Charles Adam, maître d’école,
faubourg Saint-Pierre, grande rue de la Boucherie (6).
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(6) Arch. de
S.-et.O. E. 3795.
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Un
acte du XVIIIe siècle nous apprend qu’il existait des écoles
dans d’autres paroisses de la ville, car ce titre est la vente d’une maison,
sise rue du Sablon, au profit du marquis de Valori par Pierre Gervais Boivin,
maître des Petites Écoles de la paroisse Saint Gilles (7).
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(7) Arch. de
S-et-O. E. 3828.
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Dès
le XVIIe siècle il y avait une chapelle dans le lieu seigneurial du
Bourgneuf. Cela résulte du procès-verbal de la visite de [p.16] cette chapelle faite
le 16 mai 1642 par J. Hochereau, doyen de la chrétienté d’Étampes,
assisté de Claude Delaporte, curé de Saint Gilles, et de Cantien
Chasseculier, promoteur au dit doyenné, curé de Saint-Pierre.
«On trouve, en l’entrée de la gallerie, un pavillon couvert
d’ardoises, bien vouté, faict en chapelle bien ornée, un autel
et plusieurs beaux tableaux de dévotion et choses nécessaires
et requises pour la décoration de ladite chapelle, selon les saincts
canons et statuts synodaux» (1).
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(1) Arch. de S-et-0.
E. 3799.
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Sur
le vu de cet acte, Octave de Bellegarde, archevêque de Sens, accorde
le 16 mai 1642, à Bénigne Le Ragois, la permission de faire
dresser un autel en sa demeure et donne commission à l’abbé
de Morigny d’en faire la bénédiction.
Le 18 novembre 1710, Hardouin Faustin de La Hoguette,
archevêque de Sens, «donne commission pour aller réconcilier
et bénir la chapelle du lieu du Bourgneuf». Au dos de l’acte
est le procès-verbal de cette bénédiction faite le 8
février 1711 par Voizot, doyen
rural du district, assisté de François Maupas, curé
de Saint Pierre (2).
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(2) Arch. de S..ct-O.
E. 3799,
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Au
XVIIe siècle, la seigneurie s’était sensiblement agrandie:
au fief de la Mayrerie s’ajoutaient ceux des Harengois, de Saint-Bonnet ou
des Longs, et de Foresta ou de Longchamp (3). Elle avait même une telle
importance que la plupart des propriétaires d’Étampes et des
environs tenaient à cens des biens qui en relevaient; c’est ce que
nous apprennent les longues listes de noms des nombreuses déclarations
d’héritages tenus à cens. Sur l’une d’elles, on voit D. Basile
Fleureau, supérieur des Barnabites d’Etampes pour la censive des Harengois
(4).
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(3) Arch, de
S-et-O. E. 3811, 3911, 3912.
(4) Arch. de S-et-O. E. 3785.
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Au
XVIIIe siècle, le château du Bourgneuf devait être dans
toute sa splendeur, car il était devenu la résidence de Guy
Louis-Henri de Valori, gouverneur de Lille, qui agrandissait peu à
peu ce domaine par l’achat de maisons et de terres avoisinantes.
En 1736, Louis de Bourbon, prince de Conti et
duc d’Étampes, autorise Valori à fermer les deux bouts de la
rue Torse (5).
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(5) Arch. de
S-et-O. E. 3826.
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Un
acte de cette époque nous indique l’emplacement de l’auditoire [p.17] «ou audience
du bailli». On y voit que Pierre Jabineau de la Voûte, procureur
au bailliage d’Etampes, prévôt, juge civil et criminel au prieuré
de Saint-Pierre, au nom des Chartreux d’Orléans, cède à
Gui L. H. de Valori, une maison ruinée avec terrain derrière
un triangle, faubourg Saint-Pierre, au coin des rues du Sablon et de l’Avaloir,
vis-à-vis la maison du Prieuré, appartenant aux dits Chartreux,
moyennant 3 livres de rente à la fabrique Saint-Pierre. Une note ajoute:
C’est sur ce terrain qu’est bâti l’auditoire (1).
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(1) Arch. de S.-et-O.
E. 3786.
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Nous
ne savons pas à quelle époque le marquis de Valori est venu
habiter le château de Bourgneuf, mais tout porte à croire que
c’est vers l’année 1721, qui est celle de son mariage avec Henriette-Françoise
Le Camus, veuve de Alphonse Germain de Guérin, chevalier, seigneur
de Moulineuf, Tiercelieux et du Bourgneuf, tué colonel et lieutenant
des Grenadiers du régiment des Gardes-françaises au siège
de Fribourg en octobre 1713 (2).
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(2) Moréri,
Dict. hist. — Arch. de S. de S.-et-Oise. E. 3739, 3820,
3821. — Nous ne nous expliquons pas le silence des Mémoires
de Valori sur cette alliance.
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Alphonse
de Guérin, père de ce dernier, et mort avant 1714, était
gouverneur de Namur; de là vinrent probablement des rela tions avec
Valori, gouverneur de Lille (3).
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(3) Arch. de S-et-O.
E. 3775.
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Par
son mariage avec la veuve de Guérin, alors âgée de vingt
cinq ans, et qui était dame du Bourgneuf, Valori devint seigneur de
ce lieu. Lorsqu’il y résidait, il recevait toutes les célébrités
de l’époque: princes et princesses du Nord qui étaient de passage
à Paris; ses frères, le chevalier de Valori, ingénieur
à Cambrai et l’abbé de Valori, grand prévôt de
Lille; ses amis Voyer d’Argenson et très souvent Voltaire, qui a dit
«qu’il cherchait au plus digne Français des querelles d’allemand
pour se sauver de son château d’enchanteurs». Enfin, telle était
l’affluence des personnes distinguées qui s’y rendaient que la Dauphine,
mère du roi Louis XV, disait un jour: «La cour va être
déserte, le vieux marquis de Valori vient de retourner à sa
terre d’Etampes» (4).
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(4) Comte de
Valori, Mém. des négociations du marquis de Valori,
1820, vol. in-8, T.1, pp. 53, 54.
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Le
marquis d’Argenson (René Louis) étant ministre des Affaires
étrangères allait souvent au Bourgneuf. Dans ses mémoires,
cet [p.18]
homme d’état dit que Valori est son ami et son voisin car il habitait
le château de Segrez près de Dourdan (1). Il était même
de sa famille, car Antoinette Catherine de Voyer de Paulmy d’Àrgenson,
tante de René Louis, avait épousé Louis de Valori d’Estilly,
cousin de l’ambassadeur. Par suite de cette alliance, les Valori devinrent
alliés à la maison royale de Bragance. Du reste, ils étaient
déjà alliés aux maisons d’Aragon, de Bourbon, de Valois,
d’Anjou, de Montmorency, de Champagne, de Savoie, etc.; l’un d’eux descendait
directement de Guillaume-le-Conquérant et un autre de Henri IV; une
Valori avait pour arrière-petits-neveux les rois de France François
II, Charles IX et Henri III; enfin, Paul Valori, prince de Fiésole,
avait pour petits-neveux les rois Henri IV, Louis XIII et Louis XIV. Ajoutons
qu’on fait remonter la filiation de la famille de Valori à l’année
978 et qu’elle s’appelait alors Rustichelli; sous ce nom elle a donné
depuis le XIII siècle à la république de Florence 35
doges ou grands gonfaloniers et 222 grands prieurs (2).
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(1) Rathery, Journal
et mémoires du mis d’Argenson. 9 vol. in. 8. Tome 7, p. 356.
(2) L’abbé André. Précis de
l’histoire de la maison de Valori, 1855, in-8.
— Extrait du blason de la maison de Bourbon
et généalogie des Valori, 1862, in-8.
— Lettres pat. sur l’origine souveraine de
la maison de Valori, 1862, in-8,
— Filiation des aînés de la maison
de Valori, 1864, in-8.
— Jugement en faveur des princes de Valori,
1864, in-8.
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Nous
avons dit que Voltaire séjournait souvent au Bourgneuf. Un jour, il
y reçut un soufflet d’une servante qui s’appelait Trinité,
suivant une tradition locale ce qui en confirmerait l’authenticité,
c’est que les papiers de la famille de Valori, qui sont aux archives de
Seine-et-Oise, mentionnent souvent le nom d’une famille Trinité.
On y voit notamment que Valori acheta une masure, rue du Sablon, à
Marie Barué, veuve de Louis Trinité (3) Il est question de
cette aventure peu agréable, arrivée à Voltaire, dans
une lettre que lui adresse Frédéric, roi de Prusse, où
il dit : Je vous promets la lec ture d’un poème épique de quatre
mille vers ou environ, dont Valori est le héros et où il n’y
manque que cette servante qui alluma dans vos sens des feux séditieux
que sa pudeur sut réprimer vivement» (4). [p.19]
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(3) Arch, de S.-et-O.
E. 3805, 3813.
(4) Lettres particulières à Voltaire,
de Frédéric. T. 3, p.38.
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Le
roi de Prusse plaisante souvant son ami sur cette mésaventure, et
dans une autre lettre où il l’engage de revenir à sa cour,
il ajoute, pour achever de le déterminer, qu’il lui garde «une
gentille Hébé de vingt ans, et non une mal-apprise comme la
cuisinière de Valory».
Cette aventure fit grand bruit à Berlin,
et les Mémoires de Valori nous apprennent que la pauvre cuisinière
finit ses jours à Sans- Souci (1).
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(1) Mém.
déjà cités. T. I, p.62.
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La
relation la plus intéressante, quoique fantaisiste, fait l’objet d’un
poème très spirituel d’Eugène de Gasville inséré
dans un recueil de poésies (2). Par licence poétique, l’auteur
place la scène à Berlin, à l’ambassade de France et
non au Bourgneuf comme cela devrait être au point de vue historique.
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(2) Les Soirs,
1831, in-12, pp. 169 à.177.
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Voltaire,
comme les frères de Valori, Voyer d’Argenson et les autres seigneurs
de la cour, ne devait pas s’ennuyer au Bourgneuf. Il y avait une riche bibliothèque
qui était à leur disposition. En 1760, après le décès
de la marquise de Valori, née Henriette Françoise Le Camus,
l’inventaire constate qu’elle contenait 1900 volumes et les archives 95 articles
(3).
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(3) Arch. de
S.-et-O. E. 3766.
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A
la révolution de 1793, par suite de la saisie des biens des émigrés,
le catalogue qui fut dressé porte le nombre des livres de cette bibliothèque
à 4663, sans compter 3 liasses de manuscrits. Un catalogue avait
été précédemment rédigé en novembre
1773, par E. de Lizy; il diffère peu du précédent. Ces
deux catalogues existent heureusement à la Bibliothèque de
l’Arsenal (4), mais que sont devenus les livres? que sont devenus les 290
marcs d’argenterie et les objets mobiliers saisis au même lieu par
les agents du conventionnel Couturier?
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(4) Catalogue
des livres provenant de chez Valori, émigré. Man. 5394 (860
quinquiês. H. F.). Catalogue des livres de la bibliothèque de
Valory par de Lizy. Man. 5275 (868 septiés H F.).
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La
bibliothèque contenait des livres en tous genres, concernant notamment
la théologie, la jurisprudence, la poésie et surtout l’histoire.
Il y avait un exemplaire des Antiquités d’Etampes, par dom
Fleureau, relié en veau brun; le Dictionnaire géographique
de l’abbé d’Expilly; la Géographie de la France par
Dumoulin; le Dictionnaire [p.20] de Moreri; les Mélanges tirés d’une grande bibliothèque,
par de Voyer de Paulmi d’Argenson, qui forment à eux seuls 68 volumes;
des titres et des généalogies de la maison de Valori, etc.
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On
jouait aussi la comédie au château du Bourgneuf; et il y avait
une salle aménagée à cet usage. C’est là que
naquit le avril 27 Jean Baptiste Guignard, dit Clerval, célèbre
acteur et chanteur, fils d’un jardinier de Valori. On raconte que dès
son enfance, il jouait un râle dans les pièces en vogue que
le marquis aimait à faire représenter de concert avec ses amis.
De là, sans doute, la vocation du jeune Guignard, qui débuta
en 5759 à l’Opéra-Comique.
Ayant une jolie figure, une tournure distinguée
et un jeu qui se ressentait de la haute société qu’il fréquentait,
on le vit s’élever au premier rang de son emploi et il fut nommé
le Molé de la comédie italienne. Tous les ans il envoyait à
son père, qu’il soutenait, une
forte somme d’argent par l’entremise de l’abbé Boivin, curé
de Notre-Dame d’Étampes, mort octogénaire en 1807 (1).
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(1) Biog. Didot
et Michaud.
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Le
marquis d’Argenson, pour varier ses distractions, avait l’habitude de faire
les dessins des châteaux où il séjournait; aussi a-t-il
fait, en 1752, un charmant dessin au lavis de celui de Bourgneuf, vue prise
de l’intérieur du parc. Nous en donnons une vue réduite d’après
l’original qui est à la bibliothèque de l’Arsenal (2).
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(2) Œuvre topographique
de M. le Mis d’Argenson (René Louis), lavé â l’encre de
Chine d’après ses dessins. — Man. N°6144 de 93 feuillets renfermant
plus de 100 dessins, représentant les châteaux de Ségrez,
d’Argenson, de Souzy, etc.
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A
défaut d’un plan détaillé, on peut se faire une idée
assez exacte de la résidence d’après ce croquis complété
par la description suivante, tirée d’un Aveu et dénombrement
du fief du Bourgneuf, après le décès de la marquise
de Valori, par François Marthe Hubert de Valori, gendre du marquis,
et autres héritiers:
«1° Le château et lieu seigneurial
du Bourgneuf, consistant en un château couvert d’ardoises, composé
d’un vestibule, ayant porte d’entrée sur la cour et un autre sur le
jardin, grand escalier en icelui; à gauche dudit vestibule, un grand
salon, au bout duquel est un
appartement composé d’une chambre, cabinet et garde-robe, un autre
appartement y joignant; un autre bâtiment en aile composé de
plusieurs chambres basses et chambres hautes; à droite du dit vestibule
un salon à manger, au bout duquel est un cabinet et une garde-robe,
et à la suite une chambre au bout d’icelle, un cabinet [p.21] servant de bibliothèque,
et un bâtiment en aile consistant en une cuisine et un grand commun
et un office au premier étage un grand corridor communiquant à
plusieurs chambres et cabinets; grenier sur le tout; au midy du dit bàtiment,
un jardin contenant environ un quartier de terre, et au nord la basse-cour
consistant en écuries, vacheries et bûchers couverts de tuiles;
auquel lieu était autrefois un petit jardin: tout ce que dessus compris
entre les rues Pavée, la rue Torse, actuellement enclavées
dans le jardin et cour du dit seigneur, avouant et mouvant du roy, et la
Grande rue du Sablon, contenant en superficie demi arpent environ, tenant
d’une part, d’orient, à l’emplacement de la dite rue Torse, d’un bout
du midy, par le jardin, à la rue du Sablon, et d’autre bout, du septentrion,
par la basse-cour, à la dite rue Torse, laquelle subsiste encore en
cet endroit et va communiquer à la rue de Lalun...
2° Un moulin fesant de bled farine appelé
le moulin du Bourgneuf, situé au dit faubourg Saint Pierre sur la rivière
de Juine, avec le sault du dit moulin et bâtiments en dépendant...
Le droit de pesche en la dite rivière de Juine des deux bords, depuis
les écluses de Vauroux, jusqu’au lieu appelé la Teste-à-l’Abbé
et paroisse Saint-Germain, avec la chaussée des deux bords de la dite
rivière, depuis les dites écluses jusqu’au jardin des héritiers
Michel Durandet» (1).
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(1) Arch. de S-et-O.
E. 3832.
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Valori
est nommé successivement gouverneur d’Etampes le 9 avril 1767, et
bailli d’épée du bailliage le 18 mai suivant (2). L’une de
ses filles, Henriette Charlotte Aimée de Valori, née en avait
épousé son cousin au 50 degré, François Marthe
Hubert de Valori et en avait eu six enfants, dont Charles Jean Marie de Valori,
chevalier, seigneur d’Elcé, capitaine au Régiment de Lorraine.
L’ambassadeur étant mort le 19 octobre 1774,
sa fille Henriette en 1761 et son gendre en 1765 (3), ce fut son petit-fils
Charles Jean Marie qui vint résider au Bourgneuf et qui le remplaça,
en avril 1775, dans les fonctions de gouverneur et de bailli d’Étampes
(4).
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(2) Mém.
de Valori. T. I, p. 50.
(3) Arch. de S-et-O. E. 3766.
(4) Éloge de Guy Louis Henri de Valori
prononcé le 24 avril 1773 par C... (Courtin) avocat au bailliage, lors
de l’installation de Charles Jean Marie de Valori, etc... 1776, in-8 de 47
p.
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Le
nouveau bailli avait aussi amélioré ou agrandi son domaine,
[p.22] car le 21 août 1779, par suite d’un échange, les
habitants de Saint- Pierre lui cèdent une maison située rue
de Lalun (1) servant de presbytère, avec cour et jardin de
10 perches. En échange de cela, Valori reçoit 3 quartiers de
terre en ouche, clos de murs et appelés «l’ouche aux barons»
qui ont été vendus sous la révolution au profit du domaine
(2).
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(1) Dans une déclaration
de cens du XVIe siècle, on voit Pierre Lalun, pour le fief des
Longs. Telle est sans doute l’origine du nom de cette rue. (E. 3935).
(2) Arch. de S.-et.O. E. 3829.
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Charles
Jean Mari de Valori ayant jugé prudent d’émigrer sous la Terreur,
on confisqua en 1793 une caisse renfermant 290 marcs d’argenterie (3), ainsi
que les objets mobiliers, les livres qui sont à la bibliothèque
de l’Arsenal et une quantité considérable de titres et papiers
qui sont aux archives de Seine-et-Oise.
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(3) P.V. de la
Convention.
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Le
château et le parc furent confisqués également comme
biens nationaux et adjugés le 7 prairial an VII à Jean Prax,
moyennant 750.500 francs (4).
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(4) Arch. de
S.-et-O. — Reg. des biens nat.
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Le
domaine fut acheté en 1821 par Jean-Joseph Laveissière, marchand
de métaux à Paris, et le octobre 5823 par Jean-Louis Blavet,
quincaillier, père de l’ex-président de la société
d’horticulture d’Etampes, qui en est aujourd’hui le possesseur (5).
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(5) Doc, particuliers.
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Le
plan ci-joint représente le clos actuel de Bourgneuf dont la superficie
est de 34.531 mètres carrés, en déduisant 1000 mètres
qui ont été enlevés dans l’angle méridional,
il y a quelques années (6).
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(6) Id.
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On
remarquera qu’il y avait une glacière; une fontaine et un colombier
existent toujours, et on voit encore dans ce dernier l’échelle pivotante
qui était d’un fréquent usage.
Auprès du colombier il y avait un puits
aujourd’hui comblé, et, non loin de là, on voit le long du mur
deux gros piliers indiquant la trace d’une ancienne porte.
La chapelle était vraisemblablement à
côté, vers la rue Torse, car on aperçoit dans le mur de
retour la position de quatre grandes fenêtres ogivales.
Enfin, dans le clos et en face le colombier on
a découvert il y a quelques années, en bêchant à
0m50 de profondeur, les traces d’un ancien bassin en ciment d’environ trois
mètres de diamètre. [p.23]
La position des ancines bâtiments composant
le château proprement dit a été indiquée approximativement,
d’après le dessin dont nous avons donné une réduction,
et d’après des anciens titres.
On voit qu’il y avait un grand jardin au milieu
du parc, et des arbres à droite et à gauche. Ce dessin est donc
conforme à une tradition suivant laquelle la propriété
était boisée.
En face du château est la petite ruelle
Saint Symphorien, conduisant à la fontaine de ce nom, aujourd’hui
tarie, et qui a fait l’objet d’une étude de notre infatigable confrère,
M. Maxime Legrand, parue dans ce bulletin (1).
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(1) Année 1895,
p.34.
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A
gauche, on remarque l’auditoire, en face l’église St-Pierre entourée
par le cimetière et le prieuré. On voit encore le grand bâtiment,
reste d’un monastère fondé dès le VIIe siècle
(2) ; les piliers d’une ancienne porte les restes du mur septentrional de
l’église, avec, colonnettes à l’intérieur et contre-forts
à l’extérieur.
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(2) Fleureau,
Ant. d’Ètampes, p. 21.
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Les
Mémoires de Valori, publiés en 1820 par le Comte Henri Zosime
de Valori, son petit-neveu, contiennent une notice sur sa vie, mais on est
surpris de lire que son humble mausolée, situé dans l’église
Saint-Pierre d’Étampes, a été respecté dans des
temps de désastres. C’est une erreur manifeste qui se propage dans
d’autres écrits, notamment dans l’un des principaux ouvrages de l’abbé
André sur la famille Valori (3).
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(3) Précis
déjà cité, p. 56.
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De
celui qui fut l’ami et le compagnon d’armes du Grand Frédéric;
Lieutenant général des armées du roi; Ambassadeur et
Ministre plénipotentiaire en Prusse et en Angleterre; Gouverneur de
Elle, de Rue et d’Étampes; Commandeur des Ordres du Mont-Carmel et
de Saint-Lazare; Seigneur de Bourgneuf, des Harangois et autres lieux; Haut
justicier et censier du prieuré Saint-Pierre, il ne reste rien! Son
mausolée a disparu à la suite de la révolution en même
temps que le temple du faubourg.
Dans le cimetière de Saint-Pierre qui était
adossé à l’ancienne église et qui existe encore en partie,
on voyait il y a peu d’années la pierre tumulaire qui recouvrait le
mausolée mais elle a servi, dit-on, pour les fondations d’un caveau
funéraire moderne. Personne n’a eu l’heureuse idée de noter
l’inscription qu’elle portait.
L. MARQUIS.
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