CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Antoine-René d’Argenson
L’Élection d’Étampes
1784
 
Portait d'Antoine-René d'Argenson par Hyacinthe Rigaud
Antoine-René d’Argenson par Hyacinthe Rigaud
 

Préface

     Antoine-René de Voyer de Paulmy d’Argenson (1696-1764), après avoir été ambassadeur, succéda à son père et à son oncle comme Secrétaire d’État à la Guerre de 1757 à 1758. Alors logé à l’Arsenal, il y entreposa sa très impressionnante bibliothèque personnelle, noyau de l’actuelle bibliothèque de l’Arsenal.

     Ensuite retraité, il se consacra à ses ouvrages d’érudition, membre de l’Académie française déjà depuis 1748, de l’Académie des sciences à partir de 1764, ainsi que de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.

     Il publia notamment, de 1779 à sa mort, des Mélanges tirés d’une grande bibliothèque en 69 volumes, dans lesquels il donna nombre des notices résumant les ouvrages les plus intéressants qui se trouvaient à sa disposition.

     Au tome 45 de ce recueil, publié en 1784, parmi une série de notices consacrées méthodiquement aux différentes Élections de l’Île-de-France, il traite de l’histoire d’Étampes en
dix-neuf pages, dans lesquelles il s’appuie essentiellement sur les Antiquitez de la ville et du duché d’Estampes de dom Basile Fleureau (1612-1674), dont le texte avait été publié à Paris par Coignard en 1683.

     Il donne cependant d’autres renseignements qu’on ne trouve pas ailleurs, notamment sur le fameux chien barbet des cordeliers d’Étampes: son témoignage établi l’historicité
de cet épisode fort contestée au XIXe siècle, car il dit qu’on conservait encore de son temps chez ces religieux une représentation de cet animal, qui n’était donc pas une simple imagination de poète.

     C’est un résumé clair et intéressant, où il faut cependant relever deux ou trois étourderies, bien excusables chez un homme qui brasse une si vaste matière. Il faut reconnaître d’ailleurs que l’ouvrage de Fleureau est quelquefois diffus; par ailleurs, d’Argenson ne connaît pas personnellement les lieux, comme le manifestent clairement ces quelques bévues.

     Il ne faut pas confondre en effet Antoine-René avec son père René-Louis (1694-1757), ami du marquis de Valory qui paraît pour sa part avoir fréquenté ce seigneur du Bourgneuf puis de Saint-Pierre d’Étampes, au point qu’on lui doit même une aquarelle représentant le château Bourgneuf, précisément datée de 1752.

     On reconnaît bien dans ce résumé les traits les plus caractéritiques du XVIIIe siècle: surtout l’esprit de synthèse et de clarté, qui manquait à Fleureau; une discrète mais certaine répugnance pour le fanatisme, car d’Argenson est le premier auteur à ma connaissance qui évoque avec compassion l’expulsion des juifs étampois au XIIe siècle; mais aussi une certaine négligence pour les détails, qu’il partage avec un auteur comme Voltaire, dont les ouvrages fourmillent de renseignements inexacts.

Bernard Gineste, mai 2010.
Portait d'Antoine-René d'Argenson par Hyacinthe Rigaud
Antoine-René d’Argenson par Hyacinthe Rigaud



Antoine-René d’Argenson
L’Élection d’Étampes
1784

Introduction.

     Il me reste à parcourir huit Elections de la Généralité de Paris. […] [p.2] […] [p.43] […]

Election d’Etampes

     L’Election d’Etampes est à l’occident de celle de Melun, & d’ailleurs presque entiérement entourée de celle d’Orléans. Elle ne contient que quarante-sept paroisses, & n’a d’autres villes qu’Etampes même. Le territoire n’en est pas infiniment fertile, mais plutôt sablonneux; cependant on y recueille du blé, & on y nourrit quelques bestiaux. Le Bailliage Royal d’Etampes juge suivant une Coutume particuliere, rédigée en 1556. Les cas présidiaux sont portés au Présidial de Chartres. Il n’est pas décidé de quel grand [p.44] Gouvernement est Etampes, si c’est de celui de l’Isle de France ou de l’Orléanois. On met également en question si cette ville est située dans la Beauce, dans le Gâtinois ou dans le Hurepoix; mais il est certain qu’elle est du diocese de Sens, & qu’elle renferme quatre couvens d’hommes, deux de filles, & deux Chapitres ou Collégiales. La riviere qui la traverse s’appelle proprement la Juine; mais elle est plus connue sous le nom de riviere d’Etampes*: elle se jette dans la riviere d’Essonne, & celle-ci dans la Seine, près de Corbeil. Elle est étroite, très-profonde, & porte des bateaux, au moyen desquels on transporte à Paris les blés de la Beauce & de la Sologne; d’ailleurs l’eau en est fort claire, mais très-froide. Elle est poissonneuse, & produit entre autres les meilleures écrevisses de France. Autour d’Etampes sont des monticules dont on tire un sablon très-fin, que l’on porte à Paris, & que l’on préfere à tout autre pour l’écurage de la vaisselle. La Ville d’Etampes a une Histoire particuliere, imprimée, au dix-septieme siecle**, sur des Mémoires beaucoup plus anciens; elle ne laisse rien à désirer concernant cette ville. Je vais en tirer quelques traits curieux, [p.45] capables d’amuser ou d’intéresser mes Lecteurs.


Antiquitez d'Estampes (1683)
     * Il y a un flottement chez les auteurs anciens sur ce que désigne l’appellation Rivière d’Étampes. De nos jours on la réserve plutôt au cours forcé que prennent les eaux de la Louette et de la Chalouette au travers de la ville jusqu’au moment où elles se jettent dans la Juine (B. G.).


     ** Allusion aux Antiquitez de la ville et du duché d’Estampes, de dom Basile Fleureau (1612-1674), publiées à titre posthume (Paris, Coignard, 1683).
     On ne voit rien de plus ancien à Etampes que les restes d’une tour que l’on appelle de Brunehault: on croit qu’elle est même plus ancienne que cette Reine, parce que la construction paroît être du temps des Romains, & qu’on trouve encore dans ses fondemens des médailles romaines frappées au coin des premiers Empereurs. Il paroît qu’il y avoit déjà une église à Morigni sous le regne de Brunehault, c’est-à-dire, au commencement du septieme siecle; car en y travaillant mille ans après, au dix-septieme, on découvrit une boîte de plomb qui renfermoit des reliques, avec une inscription qui disoit que c’étoit la tête de Saint Julien, Martyr d’Antioche, apportée en France du temps de la Reine Brunehault, à laquelle on avoit joint un gros os de Saint Christophe & un bras de Gamaliel, un des premiers disciples de Jésus-Christ; mais on ignore par qui avoit été bâtie l’église à laquelle appartenoient ces reliques, & par qui elle croit desservie; on croit qu’elle étoit dédiée à Saint Martin*. Sous les regnes de [p.46] Charlemagne & de Charles le Chauve, il est question dans quelques Chartes du canton & de la ville d’Etampes, Stampæ, & l’on croit avec raison que celle de ce temps-là est la partie que l’on appelle encore vulgairement Etampes-la-vieille, & dans laquelle est l’église de Saint-Pierre**, autrefois monastere bâti sous la premiere Race de nos Rois, & détruit à la fin de la seconde, apparemment par les Normands. Quant à la partie d’Etampes que l’on appelle la nouvelle, il y a apparence qu’elle a commencé sous Robert, second Roi de la troisieme Race. On croit que ce Prince, qui a fait bâtir tant d’églises, est aussi Fondateur de celle de Notre-Dame, actuellement collégiale; que c’est lui qui a aussi fait élever le château, autrefois très-magnifique, très-fort pour son temps, & d’une vaste étendue. Il est à présent détruit, & il n’en reste plus qu’une tour ou donjon, où les vassaux du Duché ou Comté d’Etampes viennent rendre leurs hommages. Au même temps que le Roi Robert faisoit construire le château, la Reine Constance sa femme s’étoit formé un palais au milieu de la ville, sur la riviere, dans une [p.47] situation agréable, avec de beaux jardins. Il subsiste encore une partie de ce palais, que l’on nomme le Séjour; les bâtimens que l’on y voit aujourd’hui sont bien postérieurs au temps de la Reine Constance; ils ont long-temps passé pour un lieu agréable; mais la Reine Claude, femme de François I, a bien changé leur destination. On y tient aujourd’hui les séances du Bailliage, & les salles basses & caves de ce palais servent de prisons. Le Comté d’Etampes a dans sa mouvance quatre-vingt-un villages ou paroisses, sans compter la ville, auxquels sont annexés plus de quatre-vingts hameaux. La Justice du Bailliage s’étend au moins aussi loin, c’est-à-dire, que toutes les Justices subalternes de ces lieux-là ressortissent à Etampes, & ce Bailliage seul au Parlement de Paris. Depuis le regne de Robert & de Constance, Etampes n’a point été démembré du domaine de la Couronne, mais seulement engagé & donné en apanage.
Tour de Brunehaut (détail d'une gravure de Sarasin, XVIIIe siècle)
Tour de Brunehaut (gravure de Sarazin)
     * Première étourderie: d’Argenson confond la chapelle Saint-Julien avec l’église paroissiale de Saint-Martin, qui elle aussi, du moins selon Fleureau et la tradition locale, remonterait à l’époque mérovingienne, ayant été fondée, dit-on, par Clovis lui-même.

     ** Deuxième étourderie: l’église Saint-Pierre se trouve évidemment dans le quartier Saint-Pierre, paroisse remontant également à l’époque mérovingienne, à l’époque précisément de la fondation du monastère de Fleury, alias de Saint-Benoît-sur-Loire. Il apparaît que l’auteur ne connaît pas si bien le quartier que son père.
     On fait remonter jusqu’au temps du Roi Philippe I, petit-fils du Roi Robert, l’origine d’un privilége trop singulier pour que je n’en fasse pas ici l’histoire, d’après nos anciens Auteurs; c’est celui de la famille de Challo Saint-Mard. On assure [p.48] que le Roi Philippe avoit fait vœu de se rendre à Jérusalem, & de faire ce voyage en habit militaire, armé de toutes pieces; d’entrer en cet état dans l’église du Saint Sépulchre, d’y passer neuf jours en prieres & en dévotion, sans quitter ce harnois pesant & incommode, & de le déposer ensuite dans ce lieu sacré, comme un hommage & une preuve de la disposition où il étoit de défendre les lieux saints contre les ennemis de notre Religion. Le Roi n’eut pas plus tôt fait ce vœu singulier, qu’on lui en fit sentir toute l’indiscrétion. Il en convint, sollicita & obtint du Pape la permission de le faire remplir en son nom par quelque brave & vigoureux Chevalier. Dans cette circonstance, un courtisan se présente & offre ses services. Il étoit Maire, c’est-à-dire, Bailli ou Gouverneur d’un bourg ou village nommé Challo, surnommé de Saint-Mard ou Saint-Médard, & qui faisoit partie du domaine royal d’Etampes. Sa proposition est acceptée, & il en remplit toutes les conditions avec le plus grand succès & la plus grande exactitude. A son retour, le Roi Philippe.ne croit pas pouvoir lui témoigner trop de reconnoissance; il accorde les plus grands priviléges & les plus belles exemptions [p.49] à toute sa descendance, mâles & femelles. Ils doivent être exempts de toutes tailles, subsides, impositions, de quelque nature qu’elles soient, réelles ou personnelles, de tous péages, droits d’entrée & de sortie pour toutes les denrées & marchandises qu’ils voudront faire transporter, tant au dedans qu’au dehors du royaume. Cent ans après, le titre original de ces beaux priviléges étant perdu, le Roi Saint Louis voulut qu’il fût fait à ce sujet une enquête, dont le résultat fut, que les priviléges du Roi Philippe devoient être maintenus. Ce second diplôme, de l’an 1274, est conservé dans les archives de l’hôtel-de-ville d’Etampes. De regne en regne les descendans d’Eude, Maire de Challo, avoient une attention continuelle à faire reconnoître & confirmer leurs priviléges. Il y a des Lettres patentes à ce sujet de tous nos Rois, depuis Philippe de Valois jusqu’à François I. Ce ne fut que sous ce Monarque que l’on entreprit, non pas de révoquer ce privilége, mais d’en diminuer un peu l’étendue. Eude avoit eu huit enfans qui avoient formé chacun une branche. Les filles s’étoient mariées avantageusement, & avoient eu une postérité nombreuse, qui [p.50] s’étoit dispersée dans le royaume. Plusieurs d’entre eux prêtoient leur nom à des Marchands, pour faire entrer, sans payer, des marchandises dans le royaume. Ce fut cet abus que François I jugea à propos de réprimer; mais d’ailleurs les descendans de Challo, même par femmes, continuerent & jouir des priviléges de la noblesse, & même de quelques droits de plus, en prouvant bien leur filiation. Sous le regne d’Henri III, le Président Brisson, homme haineux, & qui avoit eu à se plaindre de quelqu’un d’eux, entreprit de faire absolument détruire & révoquer le privilége. La cause fut portée au Parlement. L’Avocat Général Despeisses porta la parole: nous avons son Plaidoyer imprimé dans les Œuvres de ce Magistrat. Il prouva, 1°. que plus ce privilége était ancien, plus il étoit respectable, étant bien constaté; 2°. que le Roi François I l’avoit suffisamment restreint; 3°. qu’il n’y avoit plus dans le royaume que deux cent cinquante-trois descendans d’Eude le Maire. Les uns portoient le nom de le Maire, d’autres celui de Challo. La famille des Chartier, illustrée par un Evêque de Paris, de savans hommes, & de grands Magistrats, en venoit par [p.51] [les] femmes, ainsi que plusieurs autres familles de Paris, entre autres celle de Boucher. Par ces motifs, ce privilége fut confirmé en 1598; mais, quelques années après, sous le ministere de M. de Sully, il fut aboli, ce Ministre étant absolument ennemi des exemptions, & sentant bien que ce sont elles qui produisent les surcharges. Cependant on admet encore à l’hôtel-de-ville d’Etampes ceux qui prétendent descendre d’Eude le Maire de Challo, à la preuve de cette descendance; & cette preuve forme du moins une prétention bien fondée à une très-ancienne noblesse; car on ne peut regarder que comme le plus beau, & peut-être le premier ennoblissement, le privilége accordé à Eude le Maire au douzieme siecle. Les armes d’Eude le Maire étoient, suivant les anciennes traditions, de gueules à la bordure d’or, le fond chargé d’un petit écusson d’argent, chargé d’une feuille de chêne de sinople. Saint Louis leur fit écarteler les armes de Jérusalem, qui sont d’argent à la croix potencée d’or, cantonnée de quatre croisettes de même. On peut reconnoître à ces armes ceux qui croient encore descendre des Challo.
     * Œuvres de M. Antoine d’Espeisses. Nouvelle édition, revue par M. Guy Du Rousseaud de La Combe [3 volumes in-f°], Lyon, Bruyset, 1750.

















     Sous le regne de Louis le Gros, il y [p.52] eut plusieurs actions de guerre mémorables aux environs d’Etampes. L’on sait que ce Monarque, & ensuite l’Abbé Suger, Ministre sous Louis le Jeune son fils, furent obligés de faire la guerre au Seigneur du Puiset. Ils assiégerent son château, situé dans le Gâtinois. Louis le Gros le prit une premiere fois d’assaut, & fit-prisonnier le Seigneur; mais il fut relâché ensuite, moyennant la cession du Comté de Corbeil. Il se révolta de nouveau; l’Abbé Suger l’attaqua, & fut repoussé. Le Roi y vint en personne, & fut plus heureux que l’Abbé. La forteresse du Puiset fut prise & entiérement rasée. On croit que le Seigneur périt dans cette occasion, du moins il n’en est plus fait mention dans l’Histoire.

     Sous le regne de Louis le Jeune, vers 1140, il se tint à Etampes un Concile national, dans lequel le Roi reconnut pour Pape légitime Innocent II, & rejeta l’anti-Pape Anaclet. Saint Bernard assista à ce Concile. Les deux Rois Louis le Gros & le Jeune avoient accordé de grands priviléges à la Commune d’Etampes; Philippe Auguste trouva que les habitans en abusoient pour vexer la Noblesse & les Ecclésiastiques, & il les révoqua [p.53] par une Charte de l’an 1199, qui nous reste, & est intitulée en propres termes: Cassatio Communiæ Stampensis. Ce même Monarque accorda cependant ensuite d’assez beaux priviléges aux Tisserands en toiles & en draps, établis à Etampes. Les Reines Blanche de Castille, mere de Saint Louis, & Marguerite de Provence, sa veuve, jouirent successivement, à titre de douaire, du domaine d’Etampes. Après la mort de celle-ci, Philippe le Bel le fit entrer dans l’apanage de Louis, son frere cadet, qui forma la branche d’Evreux. Le fils aîné de Louis parvint à la couronne de Navarre, en épousant Jeanne, fille unique du Roi Louis X, dit le Hutin. Le cadet, nommé Charles, eut pour partage le Comté d’Etampes, qui, après lui, passa à son fils Louis d’Evreux, second du nom: mais celui ci n’ayant point d’enfans, le remit au Roi Jean, qui en investit son second fils, le Duc d’Anjou, qui bientôt après fut appelé à la couronne de Naples. La conquête lui en couta si cher, qu’après sa mort, ses enfans furent obligés de vendre Etampes au Duc de Berry leur oncle. Celui-ci, sur la fin de ses jours, le céda au Duc de Bourgogne, en s’en réservant [p.54] l’usufruit; Philippe le Bon le fit passer à Jean de Bourgogne Comte de Nevers. Cependant le Roi Charles VIl ayant reconquis son royaume, après une guerre longue & sanglante, pendant laquelle la ville d’Etampes fut souvent prise & désolée, il donna ce Comté au Connétable Richard de Bretagne, en récompense des services qu’il lui avoit rendus. Par la suite il y eut procès au Parlement entre le Comte de Nevers & la veuve de Richard de Bretagne; mais le Parlement décida que la branche de Bourgogne-Nevers étant éteinte, Etampes devoit revenir à la Couronne. Nos Rois ne conserverent pas long-temps ce domaine. Louis XI le donna à Jean de Foix, Vicomte de Narbonne, qui prit d’abord le titre de Comte d’Etampes, & prétendit ensuite au royaume de Navarre, au préjudice de sa niece, Catherine de Foix, qui épousa Jean d’Albret. Jean de Foix fut marié à Jeanne d’Orléans, sœur de Louis XII, & en eut un fils, Gaston de Foix, cinquieme du nom, qui prit aussi quelquefois le titre de Roi de Navarre, mais fut bien plus connu sous celui de-Duc de Nemours. Ce Duc fut tué à la bataille de Ravenne, après l’avoir gagnée. Louis XII, ayant [p.55] pleuré son neveu, mort sans enfans, donna le Comté d’Etampes à la Reine Anne de Bretagne, de qui il passa à la Reine Claude sa fille, premiere femme de François I. Ce fut elle qui donna la forme au Corps Municipal de cette ville, composé d’un Maire & de plusieurs Echevin. Après la mort de la Reine Claude, le Comté d’Etampes fut successivement engagé à Arthus de Gouffier, Grand-Maître de France, & à Jean de la Barre, premier Gentilhomme de la Chambre de François I: mais ce Monarque étant devenu amoureux de Jeanne de Pisseleu, femme de Jean de Brosse ou de Bretagne, Comte de Penthievre, il retira le Comté d’Etampes, le donna à cette Dame en 1534, &, en 1536, l’érigea en Duché. Ce fut alors que la Dame prit le titre de Duchesse d’Etampes, qu’elle porta jusqu’à la mort du Roi son amant. Henri II, successeur de.François I, voulut l’en dépouiller, pour en investir Diane de Poitiers. On crut sans doute alors que la possession d’Etampes étoit particuliérement affectée aux maîtresses de nos Rois; cependant, en 1562, Charles IX le rendit a Jean de Bretagne, veuf de la premiere Duchesse; il mourut en 1564. Alors le Roi ayant [p.56] besoin du secours des Reîtres conduits par le Duc Jean Casimir, Prince Palatin, il engagea le Duché d’Étampes à ce Prince Allemand, qui ne le conserva que quelques années. II fut de nouveau engagé à Catherine de Lorraine, Duchesse de Montpensier, pour une somme considérable dans ce temps, qu’elle prêta ou fut supposée prêter au Roi. Du temps de la Ligue, en 1589, Henri III & Henri IV réunis furent obligés d’assiéger Etampes. Les Ligueurs s’y défendirent avec acharnement. La ville fut prise & pillée pendant trois jours. Henri IV l’ayant soumise, en, abandonna le domaine à la Reine Marguerite de Valois, & celle-ci, en 1598, en passa, au château d’Usson en Auvergne, une donation à Gabrielle d’Estrées, Duchesse de Beaufort, Pair de France (ce sont les termes de l’acte*), qui, comme on sait, étoit maîtresse du Roi, dont Marguerite n’étoit point encore séparée. César, fils d’Henri IV & de Gabrielle, en hérita, & elle est restée dans la Maison de Vendôme jusqu’à son extinction.
     * Antiquitez d’Estampes, p. 265.

     Il y a dans Etampes deux collégiales & cinq paroisses. La premiere, quoiqu’elle ait la prétentions [sic] d’être la plus ancienne, n’est cependant que de la fondation du [p.57] Roi Robert, au onzieme siecle. Nous avons des Chartes de confirmation de ce Chapitre par les Rois Henri I & Philippe I, fils & petit-fils du Fondateur. L’église est dédiée à Notre-Dame. Il paroît qu’elle eut d’abord à sa tête, comme bien d’autres collégiales, un Abbé, & que celle-ci fut composée de douze Chanoines. Par la suite, le titre d’Abbé a été éteint; la premiere dignité est actuellement le Chantre, & les Chanoines ont été réduits à dix. On voit au dessus du grand autel les châsses de trois Saints, dont les reliques furent données par le Roi Robert; on les nomme S. Cant, S. Cantien & Sainte Cantienne. Ils étoient de Rome, &, à ce que l’on croit, de la famille des Aniciens, dont étoit le fameux Boece. En voulant passer dans la Germanie ou dans les Gaules, pour fuir la persécution, ils furent martyrisés à Aquilée. Il paroît que le bâtiment de cette église collégiale est encore le même qui a été bénit par le Pape Innocent II lors du Concile national tenu à Etampes au douzieme siecle, & dans lequel ce souverain Pontife fut reconnu pour légitime.

     La seconde collégiale d’Etampes est dédiée à Sainte Croix, & l’on est persuadé [p.58] qu’elle a autrefois servi de synagogue aux Juifs. Le Roi Philippe Auguste ayant chassé tous ces malheureux Hébreux de son royaume, convertit la plupart de leurs lieux d’assemblées en églises chrétiennes, & presque par-tout on les dédia à la Sainte Croix. Celle d’Orléans en fournit encore la preuve, aussi bien que celle d’Etampes. La Charte de l’établissement de ce Chapitre est de l’an 1183. Il n’y eut d’abord qu’un petit nombre de Chanoines; mais plusieurs grands Seigneurs s’empresserent de donner des fonds suffisans pour y fonder plusieurs prébendes: enfin ce chapitre est devenu plus considérable que celui de Notre-Dame; car il est composé d’un Doyen, d’un Chantre, de dix-neuf Chanoines & de onze Chapelains. Les cinq paroisses d’Etampes sont, Saint Basile, qui étoit autrefois la chapelle du château bâti par le Roi Robert; Saint Gilles, Saint Martin, Saint Pierre & Saint Jean*; il y a d’ailleurs un très-ancien hôpital desservi par des Religieuses Hospitalieres. Plusieurs établissemens pieux de charité y ont été réunis; un collége fondé sous Charles IX, & dirigé par des Barnabites. Le couvent de Cordeliers, qui fut entiérement brûlé par [p.59] les Huguenots en 1567, mais qui a été depuis parfaitement rétabli, est un des plus anciens du royaume; car il a été fondé, en 1240, par la Reine Blanche, mere de Saint Louis; & Saint François d’Assise n’est mort qu’en 1226. L’histoire du barbet qui pêchoit des écrevisses & qui en fournissoit le couvent, est un petit conte dont on peut encore s’informer en passant à Etampes, & l’on montre même aux Cordeliers la représentation de ce barbet**. Le couvent des Religieuses de la Congrégation de Notre-Dame n’a été établi à Etampes qu’au dix-septieme siecle, en 1630. Les Capucins y sont plus anciens; ils s’y établirent dès 1580, & on les mit alors en possession des bâtimens appartenans à une Commanderie de l’Ordre de Saint Jacques de l’Epée, qui a été détruite.
     * Troisième étourderie de l’auteur, qui nomme au lieu de la paroisse de Notre-Dame une paroisse imaginaire Saint-Jean: car la chapelle de ce nom, qui se trouvait dans l’ancien hôpital Saint-Jean, au bout du Haut-Pavé, se trouvait sur le territoire de la paroisse de Saint-Martin.





     ** Il apparaît donc que cette historiette n’a pas été inventée de toutes pièces en 1714, comme l’ont cru certains érudits, par le poète étampois Claude-Charles Hémard de Danjouan qui l’a mise en vers latins, Canis Piscator, puis en vers français sous le titre Le Chien pêcheur ou le Barbet des Cordeliers (Lisez-le à cette adresse).
     Les Trinitaires, connus à Paris sous le nom de Mathurins, possedent dans le fauxbourg de Saint-Martin d’Etampes une de leurs plus anciennes maisons; on pretend que sa fondation est de l’an 1200, sous le regne de Philippe Auguste.

     L’abbaye de Morigny n’est qu’à un quart de lieue d’Etampes; elle fut fondée dès le douzieme siecle, & les Religieux [p.60] qui s’y établirent, furent tirés de celle de Flex ou Saint-Germer, diocese de Beauvais. Cette abbaye en dépendit d’abord, mais elle secoua bientôt le joug, Le Roi Philippe I supprima un petit Chapitre qui étoit dans le fauxbourg de Saint-Martin d’Etampes, & en donna l’église à l’abbaye de Morigny, & les prébendes aux Moines. Louis le Gros confirma ces donations; & les Garlande, qui furent tout puissans sous son regne, devinrent bienfaiteurs de Morigny. Dans ce temps, le Pape Calixte II vint en France, consacre l’église de Morigny, & lui accorda de grands priviléges. Cette abbaye continua de fleurir pendant plusieurs siecles, & l’on y conserve encore des Chartes fort honorables, accordées par plusieurs de nos Rois. On y introduisit la réforme de Cluni, & elle n’en a jamais reçu d’autre. Ce n’est qu’à la fin du quinzieme ou au commencement du seizieme qu’on voulut en confier le soin à des Abbés commendataires; mais on eut de la peine. Le Frere Jean Hurault, Bénédictin de la maison, fut élu, quoique le Roi François I eût voulu nommer un Commendataire. Ce ne fut qu’à sa mort, que Jean de Salazar, neveu de l’Archevêque de Sens de ce nom, la. posséda [p.61] en commende, & s’y fit aimer, ayant embelli & agrandi l’église & le palais abbatial; mais après lui, un second Jean Hurault, neveu du premier, & Moine comme lui, en reprit le gouvernement & y mena une vie très-édifiante. Malheureusement, sous son gouvernement, l’église fut volée & pillée. Son successeur fut encore de la même famille, toujours du nom de Jean, & il y en eut même un quatrieme. Ainsi, jusqu’à la fin du seizieme siecle, l’abbaye de Morigny parut être le patrimoine de la famille des Hurault. On juge bien que la dignité de Chancelier, à laquelle parvint M. de Chiverny, ne fit qu’assurer cette possession. Depuis le dix-septieme siecle, cette abbaye a passé dans d’autres familles. La mense abbatiale est encore assez bonne, mais la conventualité, après avoir été peu nombreuse, a enfin tout-à-fait cessé. La nomination des bénéfices appartenans à l’Abbé est considérable. On voit encore dans l’église plusieurs tombeaux des Hurault.

     
Bibliographie provisoire
 
Éditions

     Antoine-René de VOYER, marquis de PAUMY D’ARGENSON (secrétaire d’État à la guerre, 1722-1787) & André-Guillaume CONTANT D’ORVILLE (1730?-1800?), «L’Élection d’Étampes», in Mélanges tirés d’une grande bibliothèque [in-8°; 68 tomes en 58 volumes, 1779-1788]. Volume XX. Tome XLV. De la lecture des livres françois. Livres de Géographie & d’Histoire, imprimés en François au seizieme siecle. Tome treizieme [XVI+383 p.], Paris, Moutard, 1784, pp. 43-61.

     Dont une réédition numérique mise en ligne par Google Book, à cette adresse (cliquez ici), en ligne en 2010.

     Bernard GINESTE [éd.], «Antoine-René d’Argenson: L’Élection d’Étampes (1784)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-18-argenson1784etampes.html, 2010.
 

 
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