Antoine-René d’Argenson
L’Élection d’Étampes
1784
Introduction.
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Il me reste à parcourir huit Elections de la Généralité
de Paris. […] [p.2] […] [p.43] […]
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Election d’Etampes
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L’Election d’Etampes est à l’occident de celle de Melun, &
d’ailleurs presque entiérement entourée de celle d’Orléans.
Elle ne contient que quarante-sept paroisses, & n’a d’autres villes
qu’Etampes même. Le territoire n’en est pas infiniment fertile, mais
plutôt sablonneux; cependant on y recueille du blé, & on
y nourrit quelques bestiaux. Le Bailliage Royal d’Etampes juge suivant une
Coutume particuliere, rédigée en 1556. Les cas présidiaux
sont portés au Présidial de Chartres. Il n’est
pas décidé de quel grand [p.44] Gouvernement est
Etampes, si c’est de celui de l’Isle de France ou de l’Orléanois.
On met également en question si cette ville est située dans
la Beauce, dans le Gâtinois ou dans le Hurepoix; mais il est certain
qu’elle est du diocese de Sens, & qu’elle renferme quatre couvens d’hommes,
deux de filles, & deux Chapitres ou Collégiales. La riviere qui
la traverse s’appelle proprement la Juine; mais elle est plus connue
sous le nom de riviere d’Etampes*: elle se
jette dans la riviere d’Essonne, & celle-ci dans la Seine, près
de Corbeil. Elle est étroite, très-profonde, & porte des
bateaux, au moyen desquels on transporte à Paris les blés
de la Beauce & de la Sologne; d’ailleurs l’eau en est fort claire, mais
très-froide. Elle est poissonneuse, & produit entre autres les
meilleures écrevisses de France. Autour d’Etampes sont des monticules
dont on tire un sablon très-fin, que l’on porte à Paris, &
que l’on préfere à tout autre pour l’écurage de la vaisselle.
La Ville d’Etampes a une Histoire particuliere, imprimée, au dix-septieme
siecle**, sur des Mémoires beaucoup plus
anciens; elle ne laisse rien à désirer concernant cette ville.
Je vais en tirer quelques traits curieux, [p.45] capables d’amuser
ou d’intéresser mes Lecteurs.
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* Il y a un flottement
chez les auteurs anciens sur ce que désigne l’appellation Rivière
d’Étampes. De nos jours on la réserve plutôt au
cours forcé que prennent les eaux de la Louette et de la Chalouette
au travers de la ville jusqu’au moment où elles se jettent dans la
Juine (B. G.).
** Allusion aux Antiquitez de la ville et du duché
d’Estampes, de dom Basile Fleureau (1612-1674), publiées à
titre posthume (Paris, Coignard, 1683).
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On ne voit rien de plus ancien à Etampes que les restes d’une tour
que l’on appelle de Brunehault: on croit qu’elle est même plus
ancienne que cette Reine, parce que la construction paroît être
du temps des Romains, & qu’on trouve encore dans ses fondemens des médailles
romaines frappées au coin des premiers Empereurs. Il paroît
qu’il y avoit déjà une église à Morigni
sous le regne de Brunehault, c’est-à-dire, au commencement du septieme
siecle; car en y travaillant mille ans après, au dix-septieme, on
découvrit une boîte de plomb qui renfermoit des reliques, avec
une inscription qui disoit que c’étoit la tête de Saint Julien,
Martyr d’Antioche, apportée en France du temps de la Reine Brunehault,
à laquelle on avoit joint un gros os de Saint Christophe & un
bras de Gamaliel, un des premiers disciples de Jésus-Christ; mais
on ignore par qui avoit été bâtie l’église à
laquelle appartenoient ces reliques, & par qui elle croit desservie;
on croit qu’elle étoit dédiée à Saint Martin*. Sous les regnes de [p.46] Charlemagne &
de Charles le Chauve, il est question dans quelques Chartes du canton &
de la ville d’Etampes, Stampæ, & l’on croit avec raison
que celle de ce temps-là est la partie que l’on appelle encore vulgairement
Etampes-la-vieille, & dans laquelle est l’église
de Saint-Pierre**, autrefois
monastere bâti sous la premiere Race de nos Rois, & détruit
à la fin de la seconde, apparemment par les Normands. Quant à
la partie d’Etampes que l’on appelle la nouvelle, il y a apparence
qu’elle a commencé sous Robert, second Roi de la troisieme Race. On
croit que ce Prince, qui a fait bâtir tant d’églises, est aussi
Fondateur de celle de Notre-Dame, actuellement collégiale; que c’est
lui qui a aussi fait élever le château, autrefois très-magnifique,
très-fort pour son temps, & d’une vaste étendue. Il est
à présent détruit, & il n’en reste plus qu’une tour
ou donjon, où les vassaux du Duché ou Comté d’Etampes
viennent rendre leurs hommages. Au même temps que le Roi Robert faisoit
construire le château, la Reine Constance sa femme s’étoit formé
un palais au milieu de la ville, sur la riviere, dans une [p.47] situation agréable,
avec de beaux jardins. Il subsiste encore une partie de ce palais, que l’on
nomme le Séjour; les bâtimens que l’on y
voit aujourd’hui sont bien postérieurs au temps de la Reine Constance;
ils ont long-temps passé pour un lieu agréable; mais la Reine
Claude, femme de François I, a bien changé leur destination.
On y tient aujourd’hui les séances du Bailliage, & les salles
basses & caves de ce palais servent de prisons. Le Comté d’Etampes
a dans sa mouvance quatre-vingt-un villages ou paroisses, sans compter la
ville, auxquels sont annexés plus de quatre-vingts hameaux. La Justice
du Bailliage s’étend au moins aussi loin, c’est-à-dire, que
toutes les Justices subalternes de ces lieux-là ressortissent à
Etampes, & ce Bailliage seul au Parlement de Paris. Depuis le regne de
Robert & de Constance, Etampes n’a point été démembré
du domaine de la Couronne, mais seulement engagé & donné
en apanage.
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Tour de Brunehaut (gravure de Sarazin)
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Première étourderie: d’Argenson confond la chapelle Saint-Julien
avec l’église paroissiale de Saint-Martin, qui elle aussi, du moins
selon Fleureau et la tradition locale, remonterait à l’époque
mérovingienne, ayant été fondée, dit-on, par
Clovis lui-même.
** Deuxième étourderie:
l’église Saint-Pierre se trouve évidemment dans le quartier
Saint-Pierre, paroisse remontant également à l’époque
mérovingienne, à l’époque précisément
de la fondation du monastère de Fleury, alias de Saint-Benoît-sur-Loire.
Il apparaît que l’auteur ne connaît pas si bien le quartier
que son père.
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On fait remonter jusqu’au temps du Roi Philippe I, petit-fils du Roi Robert,
l’origine d’un privilége trop singulier pour que je n’en fasse pas
ici l’histoire, d’après nos anciens Auteurs; c’est celui de la famille
de Challo Saint-Mard. On assure [p.48] que le Roi Philippe avoit fait vœu
de se rendre à Jérusalem, & de faire ce voyage en habit
militaire, armé de toutes pieces; d’entrer en cet état dans
l’église du Saint Sépulchre, d’y passer neuf jours en prieres
& en dévotion, sans quitter ce harnois pesant & incommode,
& de le déposer ensuite dans ce lieu sacré, comme un hommage
& une preuve de la disposition où il étoit de défendre
les lieux saints contre les ennemis de notre Religion. Le Roi n’eut pas
plus tôt fait ce vœu singulier, qu’on lui en fit sentir toute l’indiscrétion.
Il en convint, sollicita & obtint du Pape la permission de le faire
remplir en son nom par quelque brave & vigoureux Chevalier. Dans cette
circonstance, un courtisan se présente & offre ses services.
Il étoit Maire, c’est-à-dire, Bailli ou Gouverneur d’un bourg
ou village nommé Challo, surnommé de
Saint-Mard ou Saint-Médard, & qui faisoit partie du
domaine royal d’Etampes. Sa proposition est acceptée, & il en
remplit toutes les conditions avec le plus grand succès & la
plus grande exactitude. A son retour, le Roi Philippe.ne croit pas pouvoir
lui témoigner trop de reconnoissance; il accorde les plus grands priviléges
& les plus belles exemptions [p.49] à toute sa descendance, mâles & femelles. Ils
doivent être exempts de toutes tailles, subsides, impositions, de
quelque nature qu’elles soient, réelles ou personnelles, de tous
péages, droits d’entrée & de sortie pour toutes les denrées
& marchandises qu’ils voudront faire transporter, tant au dedans qu’au
dehors du royaume. Cent ans après, le titre original de ces beaux
priviléges étant perdu, le Roi Saint Louis voulut qu’il fût
fait à ce sujet une enquête, dont le résultat fut, que
les priviléges du Roi Philippe devoient être maintenus. Ce second
diplôme, de l’an 1274, est conservé dans les archives de l’hôtel-de-ville
d’Etampes. De regne en regne les descendans d’Eude, Maire de Challo, avoient
une attention continuelle à faire reconnoître & confirmer
leurs priviléges. Il y a des Lettres patentes à ce sujet de
tous nos Rois, depuis Philippe de Valois jusqu’à François
I. Ce ne fut que sous ce Monarque que l’on entreprit, non pas de révoquer
ce privilége, mais d’en diminuer un peu l’étendue. Eude avoit
eu huit enfans qui avoient formé chacun une branche. Les filles s’étoient
mariées avantageusement, & avoient eu une postérité
nombreuse, qui [p.50] s’étoit dispersée dans le royaume. Plusieurs d’entre
eux prêtoient leur nom à des Marchands, pour faire entrer, sans
payer, des marchandises dans le royaume. Ce fut cet abus que François
I jugea à propos de réprimer; mais d’ailleurs les descendans
de Challo, même par femmes, continuerent & jouir des priviléges
de la noblesse, & même de quelques droits de plus, en prouvant
bien leur filiation. Sous le regne d’Henri III, le Président Brisson,
homme haineux, & qui avoit eu à se plaindre de quelqu’un d’eux,
entreprit de faire absolument détruire & révoquer le privilége.
La cause fut portée au Parlement. L’Avocat Général Despeisses
porta la parole: nous avons son Plaidoyer imprimé dans les Œuvres
de ce Magistrat. Il prouva, 1°. que plus ce privilége était
ancien, plus il étoit respectable, étant bien constaté;
2°. que le Roi François I l’avoit suffisamment restreint; 3°.
qu’il n’y avoit plus dans le royaume que deux cent cinquante-trois descendans
d’Eude le Maire. Les uns portoient le nom de le Maire, d’autres celui de
Challo. La famille des Chartier, illustrée par un Evêque de
Paris, de savans hommes, & de grands Magistrats, en venoit par [p.51] [les] femmes, ainsi que
plusieurs autres familles de Paris, entre autres celle de Boucher. Par ces
motifs, ce privilége fut confirmé en 1598; mais, quelques années
après, sous le ministere de M. de Sully, il fut aboli, ce Ministre
étant absolument ennemi des exemptions, & sentant bien que ce
sont elles qui produisent les surcharges. Cependant on admet encore à
l’hôtel-de-ville d’Etampes ceux qui prétendent descendre d’Eude
le Maire de Challo, à la preuve de cette descendance; & cette
preuve forme du moins une prétention bien fondée à une
très-ancienne noblesse; car on ne peut regarder que comme le plus
beau, & peut-être le premier ennoblissement, le privilége
accordé à Eude le Maire au douzieme siecle. Les armes d’Eude
le Maire étoient, suivant les anciennes traditions, de gueules à
la bordure d’or, le fond chargé d’un petit écusson d’argent,
chargé d’une feuille de chêne de sinople. Saint Louis leur fit
écarteler les armes de Jérusalem, qui sont d’argent à
la croix potencée d’or, cantonnée de quatre croisettes de même.
On peut reconnoître à ces armes ceux qui croient encore descendre
des Challo.
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Œuvres de M. Antoine d’Espeisses. Nouvelle édition,
revue par M. Guy Du Rousseaud de La Combe [3 volumes in-f°], Lyon,
Bruyset, 1750.
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Sous le regne de Louis le Gros, il y [p.52] eut plusieurs actions de guerre
mémorables aux environs d’Etampes. L’on sait que ce Monarque, &
ensuite l’Abbé Suger, Ministre sous Louis le Jeune son fils, furent
obligés de faire la guerre au Seigneur du Puiset. Ils assiégerent
son château, situé dans le Gâtinois. Louis le Gros le
prit une premiere fois d’assaut, & fit-prisonnier le Seigneur; mais il
fut relâché ensuite, moyennant la cession du Comté de
Corbeil. Il se révolta de nouveau; l’Abbé Suger l’attaqua,
& fut repoussé. Le Roi y vint en personne, & fut plus heureux
que l’Abbé. La forteresse du Puiset fut prise & entiérement
rasée. On croit que le Seigneur périt dans cette occasion,
du moins il n’en est plus fait mention dans l’Histoire.
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Sous le regne de Louis le Jeune, vers 1140, il se tint à Etampes
un Concile national, dans lequel le Roi reconnut pour Pape légitime
Innocent II, & rejeta l’anti-Pape Anaclet. Saint Bernard assista à
ce Concile. Les deux Rois Louis le Gros & le Jeune avoient accordé
de grands priviléges à la Commune d’Etampes; Philippe Auguste
trouva que les habitans en abusoient pour vexer la Noblesse & les Ecclésiastiques,
& il les révoqua [p.53] par une Charte de l’an 1199, qui nous reste, & est intitulée
en propres termes: Cassatio Communiæ Stampensis. Ce même
Monarque accorda cependant ensuite d’assez beaux priviléges aux Tisserands
en toiles & en draps, établis à Etampes. Les Reines Blanche
de Castille, mere de Saint Louis, & Marguerite de Provence, sa veuve,
jouirent successivement, à titre de douaire, du domaine d’Etampes.
Après la mort de celle-ci, Philippe le Bel le fit entrer dans l’apanage
de Louis, son frere cadet, qui forma la branche d’Evreux. Le fils aîné
de Louis parvint à la couronne de Navarre, en épousant Jeanne,
fille unique du Roi Louis X, dit le Hutin. Le cadet, nommé Charles,
eut pour partage le Comté d’Etampes, qui, après lui, passa
à son fils Louis d’Evreux, second du nom: mais celui ci n’ayant point
d’enfans, le remit au Roi Jean, qui en investit son second fils, le Duc d’Anjou,
qui bientôt après fut appelé à la couronne de
Naples. La conquête lui en couta si cher, qu’après sa mort,
ses enfans furent obligés de vendre Etampes au Duc de Berry leur oncle.
Celui-ci, sur la fin de ses jours, le céda au Duc de Bourgogne, en
s’en réservant [p.54] l’usufruit; Philippe le Bon le fit passer à Jean de Bourgogne
Comte de Nevers. Cependant le Roi Charles VIl ayant reconquis son royaume,
après une guerre longue & sanglante, pendant laquelle la ville
d’Etampes fut souvent prise & désolée, il donna ce Comté
au Connétable Richard de Bretagne, en récompense des services
qu’il lui avoit rendus. Par la suite il y eut procès au Parlement
entre le Comte de Nevers & la veuve de Richard de Bretagne; mais le Parlement
décida que la branche de Bourgogne-Nevers étant éteinte,
Etampes devoit revenir à la Couronne. Nos Rois ne conserverent pas
long-temps ce domaine. Louis XI le donna à Jean de Foix, Vicomte
de Narbonne, qui prit d’abord le titre de Comte d’Etampes, & prétendit
ensuite au royaume de Navarre, au préjudice de sa niece, Catherine
de Foix, qui épousa Jean d’Albret. Jean de Foix fut marié
à Jeanne d’Orléans, sœur de Louis XII, & en eut un fils,
Gaston de Foix, cinquieme du nom, qui prit aussi quelquefois le titre de
Roi de Navarre, mais fut bien plus connu sous celui de-Duc de Nemours. Ce
Duc fut tué à la bataille de Ravenne, après l’avoir
gagnée. Louis XII, ayant [p.55] pleuré son neveu, mort sans enfans, donna le Comté
d’Etampes à la Reine Anne de Bretagne, de qui il passa à la
Reine Claude sa fille, premiere femme de François I. Ce fut elle
qui donna la forme au Corps Municipal de cette ville, composé d’un
Maire & de plusieurs Echevin. Après la mort de la Reine Claude,
le Comté d’Etampes fut successivement engagé à Arthus
de Gouffier, Grand-Maître de France, & à Jean de la Barre,
premier Gentilhomme de la Chambre de François I: mais ce Monarque
étant devenu amoureux de Jeanne de Pisseleu, femme de Jean de Brosse
ou de Bretagne, Comte de Penthievre, il retira le Comté d’Etampes,
le donna à cette Dame en 1534, &, en 1536, l’érigea en
Duché. Ce fut alors que la Dame prit le titre de Duchesse d’Etampes,
qu’elle porta jusqu’à la mort du Roi son amant. Henri II, successeur
de.François I, voulut l’en dépouiller, pour en investir Diane
de Poitiers. On crut sans doute alors que la possession d’Etampes étoit
particuliérement affectée aux maîtresses de nos Rois;
cependant, en 1562, Charles IX le rendit a Jean de Bretagne, veuf de la premiere
Duchesse; il mourut en 1564. Alors le Roi ayant [p.56] besoin du secours
des Reîtres conduits par le Duc Jean Casimir, Prince Palatin, il engagea
le Duché d’Étampes à ce Prince Allemand, qui ne le conserva
que quelques années. II fut de nouveau engagé à Catherine
de Lorraine, Duchesse de Montpensier, pour une somme considérable dans
ce temps, qu’elle prêta ou fut supposée prêter au Roi.
Du temps de la Ligue, en 1589, Henri III & Henri IV réunis furent
obligés d’assiéger Etampes. Les Ligueurs s’y défendirent
avec acharnement. La ville fut prise & pillée pendant trois jours.
Henri IV l’ayant soumise, en, abandonna le domaine à la Reine Marguerite
de Valois, & celle-ci, en 1598, en passa, au château d’Usson en
Auvergne, une donation à Gabrielle d’Estrées, Duchesse de Beaufort,
Pair de France (ce sont les termes de l’acte*),
qui, comme on sait, étoit maîtresse du Roi, dont Marguerite
n’étoit point encore séparée. César, fils d’Henri
IV & de Gabrielle, en hérita, & elle est restée dans
la Maison de Vendôme jusqu’à son extinction.
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Antiquitez d’Estampes, p. 265.
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Il
y a dans Etampes deux collégiales & cinq paroisses. La premiere,
quoiqu’elle ait la prétentions [sic] d’être la plus ancienne, n’est
cependant que de la fondation du [p.57] Roi Robert, au onzieme siecle. Nous avons des Chartes de confirmation
de ce Chapitre par les Rois Henri I & Philippe I, fils & petit-fils
du Fondateur. L’église est dédiée à Notre-Dame.
Il paroît qu’elle eut d’abord à sa tête, comme bien d’autres
collégiales, un Abbé, & que celle-ci fut composée
de douze Chanoines. Par la suite, le titre d’Abbé a été
éteint; la premiere dignité est actuellement le Chantre, &
les Chanoines ont été réduits à dix. On voit
au dessus du grand autel les châsses de trois Saints, dont les reliques
furent données par le Roi Robert; on les nomme S. Cant, S.
Cantien & Sainte Cantienne. Ils étoient de Rome, &,
à ce que l’on croit, de la famille des Aniciens, dont étoit
le fameux Boece. En voulant passer dans la Germanie ou dans les Gaules,
pour fuir la persécution, ils furent martyrisés à Aquilée.
Il paroît que le bâtiment de cette église collégiale
est encore le même qui a été bénit par le Pape
Innocent II lors du Concile national tenu à Etampes au douzieme siecle,
& dans lequel ce souverain Pontife fut reconnu pour légitime.
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La seconde collégiale d’Etampes est dédiée à
Sainte Croix, & l’on est persuadé [p.58] qu’elle a autrefois
servi de synagogue aux Juifs. Le Roi Philippe Auguste ayant chassé
tous ces malheureux Hébreux de son royaume, convertit la plupart
de leurs lieux d’assemblées en églises chrétiennes,
& presque par-tout on les dédia à la Sainte Croix. Celle
d’Orléans en fournit encore la preuve, aussi bien que celle
d’Etampes. La Charte de l’établissement de ce Chapitre est
de l’an 1183. Il n’y eut d’abord qu’un petit nombre de Chanoines; mais plusieurs
grands Seigneurs s’empresserent de donner des fonds suffisans pour y fonder
plusieurs prébendes: enfin ce chapitre est devenu plus considérable
que celui de Notre-Dame; car il est composé d’un Doyen, d’un Chantre,
de dix-neuf Chanoines & de onze Chapelains. Les cinq paroisses d’Etampes
sont, Saint Basile, qui étoit autrefois la chapelle du château
bâti par le Roi Robert; Saint Gilles, Saint Martin,
Saint Pierre & Saint Jean*; il y a d’ailleurs un très-ancien hôpital
desservi par des Religieuses Hospitalieres. Plusieurs établissemens
pieux de charité y ont été réunis; un collége
fondé sous Charles IX, & dirigé par des Barnabites. Le
couvent de Cordeliers, qui fut entiérement brûlé par [p.59] les Huguenots en
1567, mais qui a été depuis parfaitement rétabli, est
un des plus anciens du royaume; car il a été fondé, en
1240, par la Reine Blanche, mere de Saint Louis; & Saint François
d’Assise n’est mort qu’en 1226. L’histoire du barbet qui pêchoit des
écrevisses & qui en fournissoit le couvent, est un petit conte
dont on peut encore s’informer en passant à Etampes, & l’on montre
même aux Cordeliers la représentation de ce barbet**. Le couvent des Religieuses
de la Congrégation de Notre-Dame n’a été établi
à Etampes qu’au dix-septieme siecle, en 1630. Les Capucins y
sont plus anciens; ils s’y établirent dès 1580, & on les
mit alors en possession des bâtimens appartenans à une Commanderie
de l’Ordre de Saint Jacques de l’Epée, qui a été détruite.
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Troisième étourderie de l’auteur, qui nomme au lieu de la
paroisse de Notre-Dame une paroisse imaginaire Saint-Jean: car la chapelle
de ce nom, qui se trouvait dans l’ancien hôpital Saint-Jean, au bout
du Haut-Pavé, se trouvait sur le territoire de la paroisse de Saint-Martin.
** Il apparaît donc que cette historiette n’a
pas été inventée de toutes pièces en 1714, comme
l’ont cru certains érudits, par le poète étampois Claude-Charles
Hémard de Danjouan qui l’a mise en vers latins, Canis Piscator,
puis en vers français sous le titre Le Chien pêcheur ou
le Barbet des Cordeliers (Lisez-le à cette adresse).
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Les Trinitaires, connus à Paris sous le nom de Mathurins,
possedent dans le fauxbourg de Saint-Martin d’Etampes une de leurs plus
anciennes maisons; on pretend que sa fondation est de l’an 1200, sous le
regne de Philippe Auguste.
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L’abbaye de Morigny n’est qu’à un quart de lieue d’Etampes;
elle fut fondée dès le douzieme siecle, & les Religieux
[p.60] qui s’y établirent, furent tirés de celle de Flex
ou Saint-Germer, diocese de Beauvais. Cette abbaye en dépendit
d’abord, mais elle secoua bientôt le joug, Le Roi Philippe I supprima
un petit Chapitre qui étoit dans le fauxbourg de Saint-Martin d’Etampes,
& en donna l’église à l’abbaye de Morigny, & les prébendes
aux Moines. Louis le Gros confirma ces donations; & les Garlande,
qui furent tout puissans sous son regne, devinrent bienfaiteurs de Morigny.
Dans ce temps, le Pape Calixte II vint en France, consacre l’église
de Morigny, & lui accorda de grands priviléges. Cette abbaye continua
de fleurir pendant plusieurs siecles, & l’on y conserve encore des Chartes
fort honorables, accordées par plusieurs de nos Rois. On y introduisit
la réforme de Cluni, & elle n’en a jamais reçu d’autre.
Ce n’est qu’à la fin du quinzieme ou au commencement du seizieme qu’on
voulut en confier le soin à des Abbés commendataires; mais
on eut de la peine. Le Frere Jean Hurault, Bénédictin
de la maison, fut élu, quoique le Roi François I eût
voulu nommer un Commendataire. Ce ne fut qu’à sa mort, que Jean
de Salazar, neveu de l’Archevêque de Sens de ce nom, la.
posséda [p.61] en commende, & s’y fit aimer, ayant embelli & agrandi
l’église & le palais abbatial; mais après lui, un second
Jean Hurault, neveu du premier, & Moine comme lui,
en reprit le gouvernement & y mena une vie très-édifiante.
Malheureusement, sous son gouvernement, l’église fut volée
& pillée. Son successeur fut encore de la même famille,
toujours du nom de Jean, & il y en eut même un quatrieme. Ainsi,
jusqu’à la fin du seizieme siecle, l’abbaye de Morigny parut être
le patrimoine de la famille des Hurault. On juge bien que la dignité
de Chancelier, à laquelle parvint M. de Chiverny, ne fit qu’assurer
cette possession. Depuis le dix-septieme siecle, cette abbaye a passé
dans d’autres familles. La mense abbatiale est encore assez bonne, mais la
conventualité, après avoir été peu nombreuse,
a enfin tout-à-fait cessé. La nomination des bénéfices
appartenans à l’Abbé est considérable. On voit encore
dans l’église plusieurs tombeaux des Hurault.
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