CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
François Roux-Alphéran
Louis de Vendôme et la Belle du Canet
(extrait de Les Rues d’Aix)
1846 
 
Louis de Vendôme (1612-1669)
 
     François Roux Alphéran, auteur d’un ouvrage de référence sur Aix-en-Provence, nous y a transmis, au chapitre «Rue de la Verrerie», une tradition locale sur les amours de Louis de Vendôme (1612-1669), duc d’Étampes.
     Louis, veuf depuis 1657 de Laure Mancini et gouverneur de Provence, tomba amoureux de Lucrèce de Forbin-Soliés, elle-même veuve de Henri de Rascas, seigneur du Canet, premier consul d’Aix. Fait alors cardinal en 1667, et pour les besoins de la cause ordonné prêtre, Louis de Vendôme mourut  deux ans plus tard âgé de 57 ans, le mardi 6 août 1669, mais non pas en odeur de sainteté.
 
 
Rue de la Verrerie
[extrait]
     A quelques pas de la maison des Gaillard et sur la même ligne de cette rue, on trouve l’ancienne maison de la famille de Rascas, éteinte depuis environ un siècle, après avoir possédé les seigneuries du Muy, de Château-Redon, de Bagarris, du Cannet et autres, et avoir donné des magistrats au parlement et des premiers consuls à la ville d’Aix.
 
     De cette famille était Pierre Antoine de Rascas de Bagarris, l’un des plus savants antiquaires de son temps, né en cette ville le 8 février 1562. Henri IV l’avait attiré auprès de lui, et l’avait chargé de la garde du cabinet des médailles et antiquités du roi, dont Bagarris avait considérablement augmenté le nombre. Il eut le premier, l’heureuse idée de composer l’histoire des souverains par des médailles qui retraceraient les faits les plus glorieux de leur règne, et il a laissé divers ouvrages imprimés et d’autres manuscrits sur la numismatique. Après la mort d’Henri IV, il était revenu à Aix avec le titre honorifique de conseiller du roi, intendant des mers atlantiques, et il y mourut le mardi-saint, 14 avril 1620, étant primicier de l’université. C’est lui qui avait initié l’illustre Peiresc dans la connaissance des antiquités et des médaillons. (1)
 
     Ce savant homme avait un frère qui, par excès d’humilité s’était fait ermite dans le territoire de Marseille. Profondément scandalisé des licences auxquelles se livrent les gens du monde pendant les derniers jours de carnaval, il alla demander à son évêque la permission de monter en chaire le mardi-gras, espérant, par son éloquence, faire renoncer le peuple aux travestissements et autres farces de la journée. Le prélat, Jacques Turricella, était un Toscan accoutumé comme tous les Italiens aux mascarades des jours gras, et lui répondit: «Mais, vous n’y pensez pas, mon frère; quoi, vous voullez pêcher le jour de saint Carnaval!» (2)
 
     Henri de Rascas, seigneur du Canet, leur neveu, premier consul d’Aix en 1652, épousa Lucrèce de Forbin-Soliés, appelée la Belle du Canet, à cause de sa rare beauté. Louis de Vendôme, duc de Mercœur, gouverneur de Provence, devint passionnément amoureux d’elle après la mort de son mari.
 
     Ce prince était fils de César Monsieur, l’aîné des fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées. Il avait épousé Laure Mancini, l’une des nièces du cardinal Mazarin, qui le laissa veuf et père de deux enfants, en 1657. Ce fut quelques années après qu’il offrit son cœur et ses hommages à la Belle du Canet, devenue veuve, et qu’il éleva, dans la maison même de celle-ci, un monument, ENCORE EXISTANT, de sa galanterie et de son amour. C’est une chambre à coucher dont les murs et le plafond sont recouverts en entier de peintures, de glaces, de dorures, etc. Nous laisserons à d’autres le soin d’en compter les ronds et les ovales:
Ce ne sont que festons, ce ne sont qu’astragales.

     Nous nous bornerons à dire que les peintures sont en grande partie de Daret, peintre flamand, dont nous parlerons ailleurs, et qu’elles représentent Vendôme et sa maîtresse, tantôt sous les figures de Diane et d’Endymion, tantôt sous celles de Céphale et de Procris.
 
     La Cour, alarmée des soins que le duc rendait à la Belle du Canet et craignant un second mariage auquel il eût été peut-être difficile de s’opposer, n’imagina rien de mieux pour le prévenir que de solliciter à Rome un chapeau de cardinal en faveur de ce prince. Le pape Alexandre VII lui envoya la barrette rouge par le chevalier de Crillon, qui la lui présenta le vendredi-saint, 8 avril 1667. Le nouveau cardinal ne voulut pas s’en décorer le même jour, désirant recevoir auparavant les ordres sacrés, qui lui furent conférés trois jours après, par le cardinal Grimaldi archevêque d’Aix, dans sa chapelle domestique, en présence du cardinal de Retz et des consuls. Enfin, le 20 du même mois d’avril, il reçut solennellement la barrette dans l’église de Saint-Sauveur, en présence des mêmes cardinaux Grimaldi et de Retz, des cours souveraines, des consuls d’Aix, procureurs du pays et des personnes les plus distinguées de la province.
 
     On ne dit point ce que devint la Belle du Canet; mais la tradition nous a conservé que le cardinal duc de Vendôme, retiré dans le pavillon qu’il avait fait bâtir au faubourg des Cordeliers, et qu’on nomme aujourd’hui le Pavillon de la Molle, y faisait introduire de nuit, par une porte de derrière, des personnes déguisées, que les paysans du faubourg appelaient malicieusement las machouettos. C’est là qu’il mourut le mardi 6 août 1669, à peine âgé de cinquante-sept ans, ce qui fit dire alors aux paysans: las machouettos an tua lou duc.
 
     Nous tenons cette anecdote, qui s’accorde si bien avec le caractère connu de ce petit-fils d’Henri IV, du dernier président Saint-Vincens qui la racontait tout bas et d’une manière fort plaisante, à l’oreille de ses amis. C’est encore avec la même discrétion, sinon avec le même esprit et la même gaîté, que nous la transmettons à notre tour, à ceux de nos lecteurs qui veulent bien s’intéresser à nos recherches.
NOTES DE L’AUTEUR
(renumérotées)

     (1) Voyez la Biographie universelle de Michaud, tom. XXXVII, pag. 105, au mot Rascas.

     (2) Mémoires manuscrits d’Antoine de Félix, dont nous possédons une copie, en un vol. grand in-f° de plus de 450 pag.
Source: l’édition éléctronique de cet ouvrage mise en ligne par Jacques Clapié..
 
 
 
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
       
Éditions

     François ROUX-ALPHÉRAN, Les Rues d’Aix, ou Recherches historiques sur l’ancienne capitale de la Provence [2 vol. gr. in-8° (IX+664 p.; 547 p.); planches], Aix, Aubin, 1846-1848, tome 1 (1846), p. ?.

     François ROUX-ALPHÉRAN, Les Rues d’Aix, ou Recherches historiques sur l’ancienne capitale de la Provence [24 cm; réédition en fac-similé en un volume (IX+664 p.; 547 p.); illustrations], Montpellier, Presses du Languedoc, 1985, t. I, p. ?.

     François ROUX-ALPHÉRAN, «Rue de la Verrerie», in Jacques CLAPIÉ [éd.], «Roux Alphéran: Les Rues d’Aix, ou Recherches historiques sur l’ancienne capitale de la Provence» [«un livre rare de 1848 à consulter ou télécharger»; réédition numérique intégrale en mode texte, intégrant les illustrations], in  ID., Domisoft. Site dédié à Aix-en-Provence, http://clap.jac.free.fr/livre/verrerie.html, en ligne en 2003.

     Bernard GINESTE [éd.], «François Roux-Alphéran: Louis-Joseph de Vendôme et la belle du Canet  (1846)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-louisdevendome-rouxalpheran.html, 2003.     

Autres sources sur Louis de Vendôme
(sur la Toile en novembre 2003)
   
     Guillaume LE PRÊTRE [curé de Notre-Dame de Nantes], Registre des baptêmes de Notre-Dame, 1626, in ARCHIVES MUNICIPALES DE NANTES [éd.], Ressources en ligne. Inventaires. Inventaire de la série GG – Notre-Dame, http://www.archives.nantes.fr/PAGES/RESSOURCES/inventaires/GG/serie_gg_notre_dame.htm, en ligne en 2003.
     [Louis de Vendôme, à l’âge d’environ 14 ans, alors qu’il est fils de César, gouverneur de Bretagne, est mentionné comme parrain à l’église Notre-Dame de Nantes: «GG. 1. (Registre.) - In-f°, 232 fos papier. — 1585-1633. - Paroisse Notre-Dame. "Regestre du pappier baptistoire de la parroisse de Nostre-Dame de Nantes, commançant l’an 1585, vivant lors Me Guillaume Loriot, chanoyne, curé de ladite église". - Curés ; Julien Symon, Julien Noël, Robert Henquet, Robert de Nans, Yves Jus, Edmond Ragoys, Guy Regnon, Robert Gaultier, Samson Libort. (…) Le jeudy 7e jour de mai 1626 le fils du seigneur vicomte du Boschet (Isaac de Lescouet), a été apporté en ladite église, "pour y recevoir les saintes unctions quy luy ont esté aplicquées avec toutes les cérémonies requises par Révérend Père en Dieu Messire Guillaume Leprestre. Evesque de Cornouailles, Cer du roy en ses Conseilz". Et le nom de Louis lui a été imposé par H. et P. Prince Louis de Vendôme, duc de Mercœur, et Dlle Marie Chahu. Signé: Louis de Vendosme; Guille Le Prestre, E. de Cles; Marie Chahu; de Lescouet.»]
     LOUIS XIV, Lettres patentes... en forme de jussion... pour l’enregistrement des privilèges de l’ordre royal et militaire de N.-D. du Mont-Carmel et de Saint-Lazare de Jérusalem [suivi de:] Déclaration... d’avril 1664 [sic] en faveur dudit ordre, et de la Bulle du cardinal de Vendôme, du 7 juin 1668 [in-4°; 12 p.], sans lieu ni date (Paris, 1668) [conservé à la BNF].

     CHAUTARD, Jules-Marie-Augustin CHAUTARD (1835-1901), «Numismatique vendomoise: deux grandes médailles de César, duc de Vendôme, et sceau du cardinal Louis de Vendôme, suivis des dessins de deux jetons inédits de César et, d’un autre de Charles de Bourbon, 1er duc de Vendôme», in Bulletin de la Société archéologique du Vendômois (1899), pp. 47-54 [avec planche].

     Salvador MIRANDA, «Obituary (1667-1700)», in ID., The Cardinals of the Holy Roman Church. A digital resource created and produced by Salvador Miranda, consisting of the biographies of the 17th to the 21st century cardinals and of the events and documents concerning the origin of the Roman cardinalate and its historical evolution, http://www.fiu.edu/~mirandas/obit-xvii.htm, en ligne en 2003.
     [Louis de Vendôme, cardinal depuis 1667, est mort le 12 août 1669; on notera la divergence avec la date de Roux-Alphéran, qui porte le 6 août].
     Salvador MIRANDA, «Conclave of June 2 - 20, 1667 (Clement IX)», in «Conclaves of the XVII Century», in ID., The Cardinals of the Holy Roman Church, http://www.fiu.edu/~mirandas/conclave-xvii.htm, en ligne en 2003.
     «1669 (2). — August 12 - Louis de Vendôme (1667)»].
     [Après la mort d’Alexandre VII le 22 mai 1667, Louise de Vendôme participa du 2 au 20 juin, avec 60 autres cardinaux, au conclave qui élut le Cardinal Giulio Rospigliosi sous le nom de Clement IX.]

 
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