Les Antiquitez
de la Ville et du Duché d’Estampes
Paris, Coignard, 1683
Première Partie, Chapitre Premier,
pp.
1-3 |
Du nom d’Estampes
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PREMIÈRE PARTIE, CHAPITRE
PREMIER
Du Nom d’Estampes.
LA premiere
question dont les Historiographes, aussi-bien que les Philosophes,
traitent au commencement de leurs Ouvrages, regarde l’explication
des noms des choses, dont ils veulent parler, parce que l’on a toûjours
estimé qu’il y avoit des mysteres cachez sous les noms propres,
non seulement des hommes et des animaux; mais aussi des Citez &
des Villes, ausquelles on les a imposez pour quelque sujet particulier;
quoy que bien souvent on ne puisse le penetrer. Cette difficulté se
rencontre en l’imposition du nom d’Estampes à la Ville qui
le porte aujourd’huy, [p.2] dont
on ne peut rendre une bonne raison; si ce n’est que suivant l’opinion
de ceux qui disent que le territoire de Paris a esté premierement
habité, & la ville fondée par quelques Troyens,
qui fuyans les Grecs aprés la ruïne de leur ville, se retirerent
en Gaule, en ces lieux là, qui estoient encore inhabitez: &
qu’après s’y estre establis ils commencerent à
s’étendre aux lieux circonvoisins, suivant le cours des rivieres,
nous disions que que quelques-uns d’eux, suivant celle de Juisne, depuis
son emboucheure dans la Seine jusques vers sa source, ils rencontrerent
une fort agréable prairie, arrosée de plusieurs ruisseaux,
remplie de beaucoup d’arbres, & environnée de collines, au
dessus desquelles s’étendent des pleines
[sic] tres-fertiles, ils y fonderent une Ville,
à laquelle ils imposerent le nom de Tempe, qu’il a esté
facile de convertir en celuy d’Estampes, à cause de la ressemblance
de ce lieu avec celuy de Thessalie appelé Tempe.
Pour moy je ne puis me persuader que les Troyens soient venus
dans les Gaules y fonder des Villes: & j’estime que la Franciade
de Ronsard n’est qu’une pure Fable poëtique. Car car encore que les
forces des Troyens eussent esté aussi entieres qu’elles estoient
avant la ruïne de leur Ville, ils n’auraient pû fournir tant
de colonies, peupler tant de pays, & fonder des Estats aussi grands
& aussi puissans que ceux qu’on leur attribuë. C’est pourquoy
j’estime qu’on peut croire avec plus de probabilité, qu’au commencement
Estampes a esté nommé Tempe, ou
temph par les premiers Gaulois,
qui se servoient de la Langue Grecque, au rapport de César, en
ses Commentaires, au moins les plus sages, ausquels seuls il appartient
de donner les noms aux choses: Et que ce nom qui signifie indifferemment
toutes sortes de lieux meslez de prairies, de ruisseaux, de collines, &
de bocages, a esté donné par antonomase à la ville
d’Estampes à cause de son agréable situation; de mesme qu’à
une partie de Thessalie; & qu’avec le temps qui change toutes choses,
du nom de Tempe, l’on a, par l’addition de quelques lettres,
formé celuy d’Estampes.
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Le paysage d’Estampes est l’un des plus beaux
de la France, à cause de sa situation, & de ses diversitez.
Il est à quatorze petites lieuës de Paris, ville capitale
du Royaume, & à ving lieux seulement d’Orleans, l’une des
plus belles, & des plus anciennes villes de la France, soit que
nous l’entendions sous le nom de Genabum Carnatum, dans César,
ou de celui d’Aurelia, à cause de l’Empereur Aurelius qui
l’a fit [sic] rétablir,
& sur le grand chemin qui de l’une de ces Villes à l’autre:
aux confins des Provinces du Gastinois, de l’Heurepois, & de la Beausse,
Province renommée pour l’abondance, & pour la [p.3] bonté de son bled,
& communément appellée l’un des greniers de la France.
C’est en cette Province que Jules Cesar voulant s’en retourner en Italie,
sur la fin de l’an 55. avant la Nativité de Jesus-Christ, pour
continuër ses brigues à Rome, envoya une partie de ses légions
en quartier d’Hyver. Ce paysage est composé d’un valon fort large, &
fort étendu vers le Midy, dans lequel est une agréable
prairie, si bien partagée par quantité de hayes élevées
en forme de palissades, & de divers plans de saules, & autres
arbrisseaux qui ont accoustumé de naistre et de s’élever
dans les lieux humides, qu’à les voir de dessus les collines
qui l’environnent, on le prendroit facilement pour un agreable parterre.
Ce valon tirant du costé d’Orleans est partagé en deux
autres plus étroits, dont l’un s’étend vers le Midy, &
est arrosé de la riviere de Juisne, laquelle a sa source à
cinq lieuës d’Estampes, au lieu qui luy donne le nom: & l’autre
vers l’Occident. Ce dernier a deux rivieres qui coulent dans la plaine
à trente pas de distance l’une de l’autre. La premiere qu’on appelle
Chaloüette, prend son origine d’une fontaine, au dessous du village
de Challou la Reine: & l’autre nommé Loüette, commence un
peu au dessus d’un hameau appellé Aubterre, dans la Paroisse de Challo
saint Mard. Toutes ces rivieres s’unissent ensemble dans la prairie au
dessous de la ville d’Estampes, & font une riviere assez forte pour
porter des batteaux. Cette derniere riviere ainsi composée porte le
nom de riviere d’Estampes, & les autres perdent le leur. Elle va se
décharger dans la riviere de Seine à Corbeil; où par
l’un de ses bras qui passe sous le pont-levis de la porte de Paris, elle
sépare le Gastinois d’avec l’Heurepois, de mesme que le long de son
cours depuis Estampes. Les collines qui environnent ces valons sont la plus
part chargées de vignes sur des pentes, qu’il n’est pas facile de
labourer pour y semer du bled, ou sont ornées de tres-agreables bocages;
& au dessus, le pays commence à s’étendre, & à
faire connoistre la fertilité des plaines de la Beausse. Sa situation
à l’égard du Ciel est en longitude de 22. degrez 20. minutes.
Sa latitude est de 48. degrez 10. minutes.
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