Archives Nationales, Collection Le
Nain
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Arrêt
du Parlement réglant le marché du jeudi à Étampes
(1479)
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Paul Dupieux est certainement l’un des trois historiographes à qui
Étampes doit le plus, avec dom Basile Fleureau et Charles Forteau,
et c’est pourtant, comme eux, l’un des moins lus. Il a édité,
en marge de ses études sur le seizième siècle étampois,
une cinquantaine de pièces justificatives datées de 1456
à 1598.
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Nous rééditons ici le texte d’un Arrêt du Parlement
de Paris en date du 20 mars 1479 dont il avait trouvé une copie dans
l’un des 505 volumes de la Collection Le Nain. Le texte de l’édit royal originel du 6 juin 1478
n’a pas été jusqu’ici retrouvé à ma connaissance.
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Jean Le
Nain (1613-1668), maître des Requêtes, avait constitué
en son temps une très vaste collection d’extraits des registres du
Parlement de Paris, qui fut légèrement augmentée après
sa mort. Autrefois conservée à la Bibliothèque de la
chambre des députés, elle est depuis 1959 aux Archives nationales
sous les cotes U *2000 à *2504.
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Il faut
noter que Dupieux donne les références de plusieurs autres documents
de cette même précieuse série encore aujourd’hui inédits,
qu’il importerait maintenant de collecter méthodiquement et d’éditer
à leur tour, pour donner plus de matière à l’histoire
locale de cette période précise.
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B.G., 23 septembre 2010.
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Hardi de Louis XI frappé en 1478 à
Bordeaux (© cgb)
2. Texte
de l’arrêt de 1479
III. — 1479
(n. st.), 20 mars, Paris.
Arrêt
du Parlement de Paris, portant règlement pour le marché d’Étampes
du jeudi, en exécution de lettres royaux du 6 juin 1478.
(Coll. Lenain-Cons. t. 4, fol. 326: Bibl. Ch. des Députés,
n°495.)
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Le dit jour, 20 mars, veu par la cour les lettres
d’arrest données entre les manans et habitans ès paroisses de
Notre-Dame et St-Basille d’Estampes, d’une part et les habitans de St Giles
dudit Estampes, d’autre, le 6e jour de juin dernier passé, ensemble
la requeste attachée à iceluy, baillée par les dits habitans
de Saint Gilles.
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La Cour
a ordonné et ordonne que, en ensivant le dit arrest, sera faicte defense
de par le Roy à grandes peines à luy appliquer ausdits manans
et habitans, tant marchans que aultres, des dites paroisses de Nostre Dame
et de St Basille d’Estampes, de quelque estat qu’ils soient, et aussy aux
marchans forains et autres du païs d’environ, et à chacun d’eux,
de non vendre ou achepter, ne estaller, le jour de jeudy, bled, vin, draps,
cuirs, bestail, merceries, ne autres marchandises quelconques ailleurs que
en la place ordonnée à tenir le marché de la dite ville,
en la dite paroisse de Sainct Gilles,
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et, sur
mesmes peines, leur sera faict commandement de par le dit seigneur, et à
un chacun d’eux et aus dits forains aussy que le dit jour de jeudy ils se
rendent, à l’heure accoustumée de tenir marché, en ladite
place, pour illeques vendre ou exposer en vente leurs denrées, sans
souffrir rien estre vendu, ce dit jour, ailleurs que au dit lieu de Sainct
Gilles,
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et outre, pour ce que les dits habitans de St Gilles maintiennent
que les dits manans et habitans des dictes paroisses de Nostre-Dame et de
St Basille et les marchans forains, et autres du païs d’environ, pour
frauder le dit marché de jeudy, font et pourchassent grandes assemblées
de gens au jour de samedy, et autres jours de la sepmaine, pour vendre et
achepter toutes denrées et marchandises par forme de marché,
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information
sur ce sera, hinc inde vocatis vocandis*,
faicte par le premier des conseillers, pour, sur ce la dicte information
faicte, en ordonner ou le raporter à la cour, pour par icelle y estre
donnée provision, comme elle verra estre à faire par raison.
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*
“étant convoqués ceux qui
doivent l’être de part et d’autre” (B.G.).
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Paul
DUPIEUX [éd.], «Documents», in ID., Les Institutions
royales au pays d’Étampes (comté puis duché: 1478-1598),
Paris, Mercier, 1931, p. 243 (pièce n°III).
3. Ce qu’en
a écrit Basile Fleureau (1668)
Lors que les Anglois courroient,
& pilloient toute la France, même aux environs d’Estampes, comme
j’ay dit, on jugea propos l’an 1360. pour la seureté des Marchands,
& des marchandises, qui venoient au marché de saint Gilles, d’en
transferer la tenuë dans la Paroisse de saint Basile, au dessous du Château,
& en la place qui est devant l’Eglise de Nôtre Dame, qui servoit
de fort de ce côté-là & avoit été environnée
de fossez pour ce sujet, dés l’an 1353. comme je l’ay remarqué,
jusques à ce que les guerres étant cessées, on pût
le tenir avec assurance au lieu accoûtumé. Cent ans aprés
la même chose arriva encore pour un semblable sujet. Ces changemens
de lieu de la tenue du marché furent dans la suite du temps, la cause,
& l’origine de plusieurs grands differends, entre les habitans de saint
Basile, & de Nôtre Dame d’une part, & ceux de [p.99] saint Gilles d’autre; ceux-cy demandant avec
justice la tenuë du marché en leur place, que ceux-là
ne vouloient pas leur accorder, s’efforçans par tous moiens de s’en
conserver la possession, pour l’utilité qu’ils en recevoient. Mais
voyans que la justice y repugnoit, en l’an 1490. ils obtinrent des Lettres
parentes du Roy, par lesquelles il leur permit de tenir marché, &
assemblée en la place, qui est devant Nôtre Dame le jour de Samedy,
& les autres jours de la Semaine. Ceux de saint Gilles jugeans prudemment,
que cette concession alloit à la ruine totale de leur marché,
s’opposerent à la verification de ces Lettres, sans que l’on sçache
quelle fut l’issuë de leur opposition, sinon qu’il y a grand sujet de
croire que tous ces differends mûs, à cause du marché,
furent terminez par un accord & transaction, qui regla les choses en
la maniere qu’elles se pratiquent aujourd’huy; sçavoir que l’on peut
vendre en la place de Nôtre Dame, le Samedy, & les autres jours
de la Semaine toutes sortes de menues victuailles, beurre, œufs, fromages,
volailles, fruits, & autres choses, que l’on apporte vendre à
la ville: & pour les bleds, les vins, les chevaux, & les autres bestiaux,
on les vend le Samedy en la place de saint Gilles.
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Louis XI (camée des années 1630)
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Dom Basile FLEUREAU,
Les Antiquitez de la ville d’Estampes [texte
rédigé en réalité vers
1668], Paris, J.-B. Coignard, 1683, pp. 98-99.
4.
Ce qu’en
a écrit Paul Dupieux (1931)
Les marchés.
— Cette importance [des transactions
commerciales dans la ville d’Étampes] s’était
accrue depuis le seizième siècle, dans des proportions considérables.
A mesure que la population parisienne augmentait, la ville d’Étampes
devenait un centre économique plus prospère.
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Pendant
la guerre de Cent Ans, le marché se tint, non plus le jeudi sur la
place Saint-Gilles, mais le samedi auprès de Notre-Dame (6). L’église Notre-Dame
était fortifiée, et la sécurité des marchands
se trouvait ainsi sauvegardée. Mais après la conclusion de la
paix, les habitants du quartier Saint-Gilles voulurent, comme par le passé,
avoir l’avantage exclusif de tenir le marché. A cette prérogative
étaient attachés trop de privilèges, pour qu’ils consentissent
à l’abandonner. Le Roi leur accorda satisfaction, le 8 [sic] juin 1478. Le 20 mars 1479, un arrêt
du Parlement défendait aux habitants des quartiers Notre-Dame et
Saint-Basile d’Étampes de [p.137] vendre ni d’acheter du vin, du blé, des draps, des cuirs,
du bétail pendant la semaine, sauf le jeudi sur la place Saint-Gilles.
Aucune réunion commerciale ne devait plus avoir lieu à l’avenir
le samedi, près de Notre-Dame. Seul un trafic restreint et d’ordre
privé serait autorisé chaque jour (1).
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(6)
Arch. nat., Reg. Parl., Apr. dîn., X1.a 8318, f°518r° et v°.
(1) P. just., n°III.
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Ces défenses ne furent pas respectées. Des procès s’engagèrent
entre les habitants des quartiers rivaux d’Étampes (2).
La concurrence économique battait son plein.
La rivière d’Étampes venait d’être rendue navigable. Des
bateaux chargés de vivres quittaient Étampes le samedi, suivaient
la Juine, l’Essonne et la Seine et arrivaient à Paris le mercredi
(3). Or le
quartier Notre-Dame était plus proche du port que celui de Saint-Gilles.
Pour aller de la place Saint-Gilles jusqu’au lieu de l’embarquement, un muid
de blé était grevé de cinq ou six sols de plus que s’il
partait de la place Notre-Dame. Au surplus, les forains, qui expédiaient
des denrées le samedi, après les avoir achetées le jeudi
précédent, devaient passer deux nuits dans une hôtellerie
étampoise. Le samedi offrait plus de commodités, car c’était
le jour des embarquements, et l’on pouvait charger, le soir même, le
grain acheté le matin. Les habitants des quartiers Saint-Basile et
Notre-Dame soutenaient que le commerce des vivres devait s’effectuer quotidiennement.
Cela devenait une nécessité économique. Et cela eût
permis aux pauvres, aux courts d’argent, de négocier comme les riches
(4). Le prévôt
des marchands et les échevins de Paris se ralliaient à ces vues
(5), qui avaient
pour elles le sens des besoins économiques nouveaux. Ils se préoccupaient
surtout de trouver des remèdes à la cherté des produits
alimentaires dans la capitale. On voit qu’au fond le débat avait assez
d’importance. Il s’agissait d’une véritable opposition
[p.138] entre
des privilèges anciens, sacrés, immuables, et l’extension du
négoce, qui répondait à un accroissement de la consommation
parisienne. Les officiers d’Étampes prirent parti pour les habitants
des quartiers Saint-Basile et Notre-Dame.
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(2) Arch. nat., Reg. Parl.,
Apr. dîn., X.1a 8318, fol. 506 v° - 507 v°: 1486, 18 juillet;
fol. 514 r° - 515 r°: 28 juillet; fol. 517 v°
- 519 v°: 1er août. — X.1a 8325, fol. 94 r° - 96 r°: 1498
(n.st.): 16 févr. — Les habitants des paroisses Saint-Basile et N.-D.
assemblaient trois cents personnes le samedi devant N.-Dame. On vendait de
la chandelle, du poisson, etc… Le Parlement avait envoyé à Étampes
un huissier des Requêtes de l’Hôtel pour faire respecter ses
arrêts. L’huissier fut battu: «et luy fut osté un anneau
d’or et eut une plaie en la teste».
(3) Arch. nat., Reg. Parl.,
Apr. dîn., X.1a 8318, fol. 517 v° et 518 r°.
(4) Ib., fol. 519
r° et v°.
(5) Ib., fol. 506
v°.
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Mais les
paroissiens du Saint-Gilles présentaient des arguments qui semblaient
avoir quelque force. Leur place était spacieuse. Elle convenait parfaitement
à une assemblée commerciale. Auprès de Notre-Dame,
au contraire, les marchands se trouvaient gênés, les voitures
circulaient difficilement. Un motif plus sérieux jouait en faveur
du quartier Saint-Gilles. Les ordonnances interdisaient de tenir, marché
le même jour dans deux villes, qui étaient distantes de moins
de quatre lieues (1). Or, à trois lieues d’Étampes, à Dourdan,
un marché avait lieu chaque samedi (2). Le Parlement, gardien par excellence
des ordonnances et des privilèges, se montrait sensible à ces
raisons. Le 27 février 1501, il ordonna une enquête, une information
plus ample et il chargea de cette besogne l’un de ses conseillers, Mais il
tenait par dessus tout à faire respecter son arrêt du 20 mars
1479 en faveur du marché Saint-Gilles. Il en proclamait la force et
la vertu (3).
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(1)
Dupont-Ferrier, Les off. royaux des bailliages, p. 296-297. [On notera que la persistance de cette problématique
à travers les siècles; car la même difficulté
a été soulevée en 2009 lors de l’ouverture du nouveau
centre commercial Leclerc (B.G., 2010)].
(2) Arch. nat., ib.,
X.1a 8318, fol. 516 v° - 517 r°.
(3) Reg. Parl. Coll. Lenain,
Ch. des Députés, ms. n°498, fol. 26 v°.
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Quand
et comment se terminèrent les procès? Nous n’avons pu l’apprendre,
malgré nos recherches. Mais nous savons qu’à la date de 1534,
il y avait au moins deux marchés par semaine à Étampes,
le jeudi sur la place Saint-Gilles et le samedi près de Notre-Dame.
Le marché du samedi devait encore être illicite. Les regrattiers
avaient de plus la permission de vendre leurs denrées chaque jour,
sans payer aucun droit (4). Cette situation dura jusqu’au 17 août 1576. A cette date,
une sentence du bailliage fixa au samedi le jour du marché qui aurait
lieu sur la place Saint-Gilles (5).
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(4)
Arch. municip. d’Étampes, Plaidoyer de Girard Garnier dans un procès
relatif au grenier à sel.
(5) Plisson, Rapsodie,
éd. Forteau, Ann. du Gâtinais, 1919, p. 240.
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Mais les
forains demeuraient en proie à des vexations sans nombre. En 1554,
le prévôt d’Étampes avait défendu à tout
marchand, sous peine de la hart, de vendre ou d’acheter du blé ailleurs
qu’au marché d’Étampes. Il avait interdit de transporter dans
une autre [p.139] ville des grains, qui n’auraient pas été d’abord
achetés à Étampes. Il avait donc retourné en sa
faveur les arrêts du Parlement, qui lui défendaient de percevoir
un droit de minage ou de mesurage sur d’autres denrées que les denrées
vendues aux halles d’Étampes. Le résultat, de l’ordonnance prévôtale
ne se fit pas attendre. Le blé de vint rare à Paris. Le pain
renchérit. Le procureur du roi au Parlement demanda une prompte intervention
de la Cour. Il l’obtint, le 18 janvier 1556. L’ordonnance du prévôt
d’Étampes fut immédiatement rapportée et la liberté
de commerce des grains reprit quelque peu, en attendant des sanctions, qui
ne vinrent sans doute jamais (1).
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(1)
Reg. Parl. Coll. Lenain, Bibl. des Dép., m. n°516, fol. 222.
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Cette
liberté commerciale était d’ailleurs fort relative, on pourrait
même dire à peu près inexistante. Le roi lui-même
ne la désirait pas. Ainsi, en juin 1545, il avait institué à
Étampes, deux auneurs de draps, chargés de percevoir un droit
sur l’aunage des étoffes (2). Le 11 mars 1546, il pourvut de l’un de ces offices Pierre Guyton
marchand-drapier (3).
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(2)
P just., n°XXVIII.
(3) Bibl. nat., ms fr.
5127, fol. 3 (mention).— Actes François Ier, V, p. 35, n°14838.
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Paul DUPIEUX, «Les marchés», in ID., Les Institutions
royales au pays d’Étampes (comté puis duché: 1478-1598),
Paris, Mercier, 1931, pp. 136-139.
Hardi de Louis XI
frappé en 1478 à Bordeaux (© cgb)
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