CORPUS ARTISTIQUE ÉTAMPOIS
 
Christian Prigent et Patricia Legendre-Kvater
Keuleuleu le vorace (extraits)
Album illustré, 1999
 
 
Keuleuleu le vorace
     Patricia Legendre-Kvater, épouse de Philippe Legendre-Kvater et artiste peintre comme lui, a commencé sa carrière d'illustratrice à la demande de Bernard Clavel en 1979. Depuis, elle a réalisé plusieurs albums jeunesse en collaboration avec divers auteurs, dont certains en collaboration avec son mari. Voici par exemple Keuleuleu le vorace, paru en 1999 aux éditions Hesse, sur un texte dû à Christian Prigent. Nous en reprenons ici un extrait et deux critiques, déjà en ligne.

     Nous reproduisons ici, à peine modifié, l’extrait de cet album que le site NATYS.COM, LA NATURE SUR LE WEB, a déjà mis en ligne sur une page où l’on peut commander ce même album: http://www.natys.com/fr/pages/livre_keuleuleu.php3?reload. 
   
     
 
KEULEULEU LE VORACE
(extrait)

 

Keuleuleu        Le loup Keuleuleu était un grand loup gris, toujours affamé. On le surnommait pour cette raison Keuleuleu le Vorace.
       Ce matin-là, il sortit de sa tanière après avoir embrassé sa femme et ses louveteaux. Il partait à la chasse: plus de nourriture; ses enfants criaient famine. Et lui même, le ventre vide depuis plusieurs jours, avait une faim terrible. Une vraie faim de grand loup gris vorace. Il se glissait dans les fourrés, l’oreille aux aguets, la langue pendante, les yeux brillants de faim...
     Des heures passèrent. Toujours rien. Toujours bredouille. Toujours la faim. Il courait, traversait des bois, des prés, des halliers. Tant et si bien qu’il finit par arriver dans un lieu où jamais jusqu’alors, même dans ses chasses les plus longues, il n’était allé. La végétation avait changé. L’herbe était sèche, plus jaune. Les arbres plus maigres, plus bas, plus épineux, moins riches de feuilles vertes. Il faisait plus chaud aussi. Le soleil tapait. Le grand loup gris se sentait fièvreux, il étouffait. Mais la faim le poussait. Il continua sa route dans ce territoire inconnu.

     Tout d’un coup, il tomba en arrêt: derrière un bosquet d’épines broutait un drôle d’animal. Une sorte de cheval, se dit Keuleuleu. Mais quelle robe bizarre! Un pelage à rayures noires et blanches de la tête à la queue et même sur les pattes! Keuleuleu n’avait évidemment jamais vu de zèbre de sa vie...
      Keuleuleu se jeta sur le zèbre qui fut dévoré rayure après rayure, avant d’avoir pu dire ouf en zèbre..
     Alors Keuleuleu regarda son pelage et s’aperçut avec stupéfaction qu’il était devenu semblable à la peau du zèbre qu’il avait dévoré! Une sorte de terreur s’empara de lui. Au dessus les oiseaux moqueurs sautaient de branche en branche en pépiant à tire-larigot:
     — Le loup à rayu-reuhs! le loup à rayu-reuhs!
     Keuleuleu était désepéré. Il enrageait de honte et d’angoisse. Il repartit, toujours en courant, puis rencontra un singe. C’était un vieux babouin grisonnant. Il avait le derrière pelé, nu, lisse et rouge. Dans sa rage, Keuleuleu n’en fit qu’une bouchée. Aussitôt, la peau zébrée de son derrière pela, il se retrouva les fesses nues, rouges, lisses , brillantes...
Keuleuleu zèbre-giraffe      Un autre animal apparut. Immense, plus haut, lui sembla-t-il, que les grands chênes qui ombrageaient sa tanière. C’était une girafe. Il n’en savait rien. La rage et la voracité reprirent le dessus. Cachant du mieux qu’il pouvait son derrière écarlate, il bondit, saisit la girafe, commença à la manger.
     Mais à peine en eut-il avalé quelques bouchées qu’il se sentit une gêne affreuse dans le gosier. Son cou s’allongeait démesurément. Bientôt, sa tête dépassa des arbustes environnants. Il voyait alentours la grande plaine jaunâtre. Le soleil lui cuisait le crâne.
     Cou de girafe, fesses de singe, rayures de zèbres!

     Il délirait!


 

 
Etc.

© Christian Prigent, Patricia Legendre-Kvater & éditions Hesse, 2000.
 

 
 

BIBLIOGRAPHIE
 
Édition et extraits en ligne

     Bernard CLAVEL [auteur, 1923-] & Philippe LEGENDRE-KVATER [préfacier & illustrateur; 1947-], Le loup bavard [29 cm sur 22; 26 p.; illustrations couleur; relié],Saint-Claude-de-Diray, Hesse, 1998 [ISBN 2-911272-17-X; 79 FF à l’époque; € 12,04 en 2003].

     1) Dont une présentation et des extraits (dont deux images) et un bon de commande sur le site NATYS.COM,  http://www.natys.com/fr/pages/livre_bavard.php3?reload:
     Description du Livre: Méchant Loup / Grand Filou / Loup Garou / Tourlourou. // Pauvre Loup, comment sortira-t-il de sa cage? / Bernard Clavel, qui a plus d’un tour dans sa plume nous entraîne dans une histoire pleine d’humour où chaque personnage joue à "qui perd gagne !"
     2) Dont une présentation sur le site LIBRAIRIE DIALOGUES (source bibliographique: Electre), http://www.dialoguesenligne.com/decouvertes/auteur/25071 (en ligne en 2003): La rencontre du loup et du petit Gabriel qui arrive à berner la bête. Mais, le loup va lui jouer un drôle de tour...

      NATYS. COM, LA NATURE SUR LE WEB [éd.], «Livre: Le Loup bavard» [recension, extraits et bon de commande], http://www.natys.com/fr/pages/livre_bavard.php3?reload (en ligne en 2003).

     Bernard GINESTE, «Bernard Clavel et Philippe Legendre-Kvater: Le Loup bavard (album illustré, 1998)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-20-1998legendrekvater-loupbavard.html, 2003 (d’après l’extrait déjà mis en ligne par le site NATYS.COM).

 
Critiques
 
     Thierry GUICHARD, "Keuleuleu le vorace de Christian Prigent (Hesse, 12.04 €)", in Le Matricule des Anges 29 (janvier-mars 2000), pp. ?- ?, mise en ligne par le site LeLIBRAIRE.COM (http://www.lelibraire.com/din/tit.php?Id=7197, en ligne en août 2003), et par le site CITROUILLE (http://perso.wanadoo.fr/citrouille/contre/Keuleuleu.htm, en ligne en août 2003).

     Dans son premier album, Christian Prigent prend à rebrousse-poil la morale du conte. Il invite comiquement à goûter à l’inconnu. Non sans risque.
     Écrit pour sa fille Judith, Keuleuleu le vorace, le premier ouvrage pour la jeunesse de Christian Prigent, poète, romancier et essayiste (cf. Lmda n°28), reprend, jusqu’à un certain point, la forme du conte. Keuleuleu est un loup vorace, chargé d’une famille affamée. Il part en chasse mais doit traverser toute la forêt familière avant de tomber sur le moindre gibier. Son périple le conduit loin, jusqu’à des paysages ignorés. Là, il découvre un animal extraordinaire : un zèbre qu’il s’empresse d’avaler. Si la chair de l’animal est comestible, elle n’est pas inoffensive et Keuleuleu se retrouve le poil rayé noir et blanc. Le méchant loup vorace bien attrapé, on rit. On rira encore lorsque sur le corps de notre animal pousseront les épines du porc-épic ingurgité, lorsque son derrière perdra ses poils pour ressembler à celui du babouin dévoré où lorsque son cou s’allongera comme celui de la défunte girafe. Dans ce drôle de pays, on ne mange pas les animaux impunément.
     La situation du loup est inconfortable : tout le monde va se moquer de son nouveau physique. Honte, colère, gamberge. Puis idée de génie : pour retrouver forme de loup... mangeons un loup.
     La logique est implacable, l’histoire aussi. Revenu dans sa forêt, Keuleuleu s’attaquera à un autre loup "connu comme le loup blanc. Pour Keuleuleu, c’était presque un ami." La petite musique du conte s’arrête là sur ce coup de gong. Christian Prigent s’empare de la logique de l’histoire édifiante pour la retourner contre sa propre morale. Finalement, on peut tout manger puisqu’on aura toujours la possibilité de retrouver son apparence naturelle. Et si en fin d’ouvrage, Keuleuleu fait la leçon à ses louveteaux : "Ne quittez jamais les grands bois humides où vous êtes nés; faites toujours attention à ce que vous mangez" les bambins savent déjà qu’ils transgresseront cette loi.
Ce qui choque de prime abord, c’est la scène de cannibalisme, le fait que Keuleuleu, le héros puisse s’attaquer à un semblable. L’anthropomorphisme de l’histoire permettrait une identification forte avec le loup. Christian Prigent prend donc soin de désamorcer le rapport trop affectif que le lecteur pourrait entretenir avec l’animal en jouant sur les effets comiques du langage qui ridiculisent le loup en même temps qu’ils signalent une distance entre ce qu’il est et ce qu’il représente. Ainsi l’accumulation des adjectifs atténue la cruauté de la faim : "une vraie terrible faim de grand loup gris vorace" et le jeu de mot, "il restait gueule bée" insiste sur le fait que notre héros est bien un loup (l’anthropomorphisme aurait voulu qu’il restât "bouche bée").
     Reste le fait que le loup dévoré est "presque un ami" de Keuleuleu. Pourquoi ce détail accablant? L’illustration de Patricia Legendre, par ailleurs assez convenue, propose ici une hypothèse. Sur la partie gauche de l’image on voit la tête et le cou de Keuleuleu prêt à se jeter sur la croupe du loup dont on ne voit ni... le cou ni la tête. Comme si Keuleuleu se dévorait lui-même. L’histoire prend donc une autre dimension, plus symbolique. Les pistes de lecture se multiplient: de quoi est-il question? De s’affranchir des lois qui nous refusent l’accès à l’inconnu, d’évoquer le racisme et le métissage (restez purs!), d’oser sortir de soi? La forêt est vaste, et les chemins qui la traversent sont multiples. On peut s’y perdre, on peut aussi s’y trouver.
© Thierry Guichard & Le Matricule des Anges

     Thierry LENAIN, "Keuleuleu le vorace. L’album de Christian Prigent et Patricia Legendre (Éditions Hess) ravit l’esprit… ou indispose l’estomac", in CITROUILLE (http://perso.wanadoo.fr/citrouille/contre/Keuleuleu.htm (en ligne en août 2003)
     [N.B.: Thierry Lenain met face à face l’article de Thierry Guichard (qu’il intitule "pour"), et le sien propre (qu’il intitule "contre"). Cette polémique amusante (?)  pourrait être menée aussi bien contre Blanche Neige ou Peau d’âne, qui sont loin d’être des contes politiquement corrects! (B.G.)]
 
Keuleuleu Peupeu…
…ou "Après moi le déluge, et que les mômes se débrouillent!":
la morale d’un auteur qui ne mange que de la viande bien de chez lui.
 
     Ah, Marlaguette (celle du Père Castor), comme on se prend à aimer encore davantage ta belle aventure, même devenue classique, après la lecture de l’album Keuleuleu! La question que tu posais autrefois aux enfants (convient-il ou non qu’un loup se nourrisse de chair animale?) n’est plus de mise ici. La réponse de l’auteur, Christian Prigent, est claire: le loup est carnivore. Qu’il avale lapins et chevreuils n’est pas soumis à la critique du lecteur. Il s’agit d’autre chose avec son histoire. D’une autre conception du livre pour enfants, en réalité.
     Que lui arrive-t-il donc, à notre ami Keuleuleu? Un jour, hors de son territoire, affamé, il dévore des proies qui ne sont pas "des viandes bien de chez lui". Il fait ripaille d’animaux "pas normaux", "étranges". Des étrangers, quoi. Or Keuleuleu ignore que "qui mange mal devient le mal qu’il mange", et c’est la catastrophe: incapable de digérer ce qui ne lui est pas connu, il en devient difforme, se retrouve avec le cou de la girafe et les pics du porc, alors que les oreilles d’aucun lapin ne lui avaient jamais poussé auparavant, quand il mangeait peinard les mets de son territoire.
     Conclusion: de la chair, oui, mais pas n’importe laquelle, de l’identifiée, de l’étiquetée! Au détour d’une malice qui se voudrait maligne, l’auteur fait référence à la vache folle pour justifier son propos. S’agissait-il, dans son intention, d’avertir les jeunes lecteurs des dangers de nos dérives alimentaires? On voudrait lui laisser le bénéficie du doute. Mais la girafe, dans Keuleuleu, n’est pas indigeste parce qu’elle aurait été nourrie au maïs transgénique. La girafe est indigeste parce qu’elle est girafe, Autre, Étrangère. Simple maladresse, ou dérapage idéologique?…
     L’histoire ne s’arrête malheureusement pas là. Keuleuleu, qui veut retrouver son beau physique de loup gris, arrive à une conclusion inéluctable: pour contrer l’effet des viandes impures, il doit manger ce qu’il y a de plus pur: un animal de sa race. Certes, il sait qu’il lui faut pour cela trangresser un interdit fondamental, transmis de génération en génération dans sa communauté. Mais qu’importe. Keuleuleu avale un loup "presque ami" (le concept inventé par l’auteur, il faut bien qu’il serve à quelque chose…).
     Que soit évoquée la transgression dans un livre pour enfants ne me gêne pas. Le tout est de savoir ce qu’il en est fait, surtout dans un conte à valeur symbolique. Comment réagit donc Keuleuleu après sa terrible mésaventure? Il enjoint ses enfants de ne jamais "rien avaler de ce qui ne leur est connu" puis se tait "les yeux dans les vagues". Brave papa qui, des interdits fondateurs, ne dit rien, sans pour autant se priver de jeter la pierre à l’Autre. Brave papa, qui, en se rémémorant son odyssée, frissonne de dégoût… mais, on peut le penser aussi, du plaisir de l’interdit enfreint. D’ailleurs les louvetaux, à l’appétit aiguisé par un tel tableau, se jurent que devenus grands, ils courront au-delà de la forêt, découvrir "le secret qui fait frissonner et rêvasser leur grand loup vorace de père".
     Bref, dépourvu de tout enseignement courageux de leur paternel, les voilà condamnés à bientôt reproduire ses fautes et ses transgressions. Finalement, pourquoi pas? Que les mômes se débrouillent. A chacun son histoire faisandée, après tout…
Thierry Lenain  
 
Autres ouvrages de Christian Prigent

 
     Ecrit au couteau; une leçon d’anatomie (Journal de l’OEuvide) . —  Une erreur de la nature. —  A quoi bon encore des poètes. — Une Phrase pour ma mère. — Rien qui porte un nom : quelques peintres. —  Glossomanies: sotie en trois tableaux. — L’ Écriture, ça crispe le mou. — Le Professeur. — Berlin deux temps trois mouvements. —  L’Âme. —  Album du commencement. — Ceux qui merdRent. — Commencement. — Denis Roche. — Desbouiges, passeport 91-92: la cruche cassée. — Deux dames au bain avec portrait du donateur. — Dum pendet filius. — La Langue et ses monstres. — Une leçon d’anatomie. — Mobilis in mobilier. — OEuf glotte. — Power powder. — Salut les anciens / Salut les modernes. — À la Dublineuse. — Le Professeur. — Réel: point zéro. — Presque tout. — Grand-mère Quéquette (source: LELIBRAIRE.COM, http://www.lelibraire.com/din/tit.php?Id=7197, en ligne en 2003)
 
Sur Patricia Legendre-Kvater et ses autres ouvrages
 
     BIBLIOTHÈQUE PÉDAGOGIQUE DE CHATELLERAULT & C.R.I.C.H., «Patricia Legendre. Biographie» [à l’occasion de manifestations culturelles à Chatellerault les les 15, 16 et 17 mars 2000 & 7, 8, 9 et 10 mars 2001], in Lire et lire et Colégram, http://alecole.vienneinfo.org/sites/colegram2000/legendre.htm, 2001 (en ligne en 2003).

BIOGRAPHIE
•    Née en 1952 à Paris .
•    Après des études secondaires, entre aux «z’arts décos» ( Ecole Supérieure des Arts Décoratifs ) Etudes passionnantes, touchant aussi bien la communication que la sculpture, l’architecture d’intérieur, l’illustration. Finalement c’est la gravure qui lui paraît réunir toutes les qualités. A la fois très manuelle, permettant une expression très personnelle, cette technique est liée à l’histoire du livre depuis son apparition.
•    Diplomée en 1975, ce sera d’abord une activité purement artistique qui dominera. Pendant plusieurs années expositions personnelles ou en groupe dans des galeries ou d’autres lieux (Centres Culturels, Bibliothèques). Ces années seront le temps de la recherche personnelle, aussi bien sur le plan : du style, des thèmes (beaucoup de représentations animalières, mais également recherche abstraite et travail sur l’univers de la danse) et la mise au point d’une technique nécessitant beaucoup d’expérimentations (gravures taille douce, xylogravures, monotypes en couleurs.)
•    Depuis les années 80 anime un atelier pour enfants à l’atelier municipal d’Etampes. Réalise régulièrement des animations dans des écoles autour de l’illustration, la gravure et le décor dans le cadre d’opéras pour enfants.
•    Dans les années 90 commencera une autre période consacrée aux grands formats. Se succéderont alors plusieurs chantiers de décoration d’intérieur en secteur hospitalier. Réalisation de grands tableaux et modification des espaces par la création de volumes.
•    L’illustration de livres pour la jeunesse débutera à l’occasion d’une rencontre avec l’écrivain Bernard Clavel qui écrit «Les larmes de la forêt» et lui donne ce texte, après avoir vu ses gravures. Ce premier livre sera réalisé en gravure sur bois en couleurs. Ce moyen d’expression convient particulièrement à ce texte très dramatique.

     Bernard GINESTE [éd.], «Patricia et Philippe Legendre-Kvater: Une bibliographie (2003)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cbe-legendrekvater.html, août 2003.

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