CORPUS ARTISTIQUE ÉTAMPOIS
 
Romain Chaudé 
Élias Robert et le Musée d’Étampes
Notice de 1876
 
La salle des plâtres du Musée d'Etampes en 1903 (détail d'un cliché de Brière)  
La Salle des plâtres du Musée d’Étampes en 1903 (détail d’une carte postale Brière)

     Un an après la création du Musée d’Étampes, son premier conservateur, Romain Chaudé, rappelle le rôle décisif qu’y la décision de la veuve d’Élias Robert, sculpteur du Second Empire né à Étampes.
B. G., 2011
   
Romain Chaudé
ÉLIAS ROBERT ET LE MUSÉE D’ÉTAMPES

     L’intérêt de cette petit notice méconnue sur Élias Robert, et sur le Musée d’Étampes, est de nous faire connaître notamment les relations qui existaient entre le sculpteur et au moins certains membres du conseil municipal, comme surtout Romain Chaudé et de quelles cordes il savait jour pour se faire attribuer des chantiers à Étampes.

     Abel Romain Chaudé, né en 1815 dans une famille de simples portefaix étampois, s’était élevé au rang de propriétaire et avait dirigé le bureau de bienfaisance de la ville.  C’est lui qui devint le premier conservateur du Musée créé en 1875 autour de la collection de plâtre offerts à la ville par la veuve d’Élias Robert, décédé en 1874.

     Il paraît avoir lui-même entretenu de bonnes relations avec Élias Robert, de six ans son cadet, né comme lui à Étampes, et issu pour sa part d’une famille de marchands chaudronniers. Nous voyons comment en 1874, membre de l’équipe du maire Brunard, Chaudé était en train de négocier avec l’artiste la réalisation d’un portrait de Simonneau, maire d’Étampes célèbré dans toute la France en 1792 pour avoir été assassiné en défendant la Loi.

     Cette notice est vraisemblablement la source d’une erreur qui s’est propagée depuis longtemps sur la date de naissance d’Élias Robert, confondu avec un frère aîné homonyme mort en bas-âge. Notre Louis-Valentin II Robert, alias Élias Robert, était né en réalité en 1821, et non pas en 1819, comme je le prouve dans une autre page sur la simple base des registres d’État Civil de la ville d’Étampes.

B. G., 24 janvier 2011.

     Le Musée inauguré dans la ville d’Étampes, le 26 septembre 1875, est intimement lié au nom de l’artiste étampois mort au cours de l’année 1874, à l’âge de 54 ans*, c’est-à-dire dans la plénitude de son talent.

     Aucun établissement public ne comporte une somme de difficultés aussi complexe que la fondation d’un musée, dans une petite ville; le visiteur embrasse d’un premier coup d’œil l’ensemble des objets installés; il passe rapidement devant la collection, puis son regard interrogateur semble dire: «Quoi!… pas autre chose?» — Il ne se rend pas compte qu’avec quelques rouleaux d’or, on installe à bref délai une bibliothèque importante, riche quelquefois, par la raison qu’on sait toujours où sont les éléments, à quelle source on peut puiser. Les librairies anciennes et modernes sont nombreuses et bine garnies, de telle sorte que su « l’argument irrésistible » de Beaumarchais ne fait pas défaut, le but est toujours facile à atteindre.

     En est-il de même lorsqu’il s’agit de fonder un musée? Le nombre considérable de villes importantes qui en sont privées répond catégoriquement à la question posée.

     En effet, ces sortes d’établissement ne s’improvisent pas; il leur fait un sérieux point de départ, un noyau considérable d’objets d’arts ou de curiosité pour naître viables.

    C’est ainsi que la ville d’Angers, qui compte une population d’environ 55.000 âmes, n’est entrée en possession d’un musée réellement digne de ce nom, qu’après avoir reçu le legs de son glorieux compatriote David (d’Angers).
     * Élias Robert était mort à Passy, autrement dit à Paris dans le XVIe arrondissement,  le 29 avril 1874, âgé de 52 ans seulement. Chaudé se trompe sur sa date de naissance. Rappelons que le premier Musée se trouvait  dans l’Hôtel dit alors de Diane de Poitiers, dont j’ai montré en 2009 qu’il faut l’appeler désormais l’Hôtel d’Esprit Hattes (B.G.).
     Or la cité d’Étampes, avec sa modeste population et ses ressources artistiques plus modestes, eût-elle [p.40] pu rêver l’existence possible même d’une simple collection, sans l’acte généreux et essentiellement patriotique accompli par la veuve d’Élias Robert?

     Elle savait, la noble femme, à quel degré l’amour de son pays natal était profond dans le cœur de son mari!

     Elle savait aussi que son ombre applaudirait à l’interprétation d’une pensée que sa courte et douloureuse maladie ne lui avait pas permis de formuler!

     Elle savait tout cela… et le musée fut fait.
Signature de Julie Robert, veuve d'Elias (1875)
Signature de la veuve de l’artiste
     Louis-Valentin Robert (dit Élias) est né à Étampes le 15 septembre 1819*, son père y exerçait la profession de ferblantier-quincaillier; c’est au collège d’Étampes qu’il fit ses modestes études; enfant, sa nature l’attirait vers l’art: on se le rappelle à ses heures de récréation pétrissant la terre glaise ou martelant le cuivre de l’atelier paternel.

     Il venait de quitter les bancs du collège lorsqu’il perdit une vieille parente qui l’adorait et qu’il aimait comme il aimait sa mère; mu par un sentiment pieux, l’enfant se mit à un travail qu’il cachait à tous, — même à son père — puis, quelque temps après, la tombe de la vieille tante était ornée d’une belle colonne cannelée, surmontée d’une urne funéraire en bronze, d’un beau style et que chacun peut voir encore aujourd’hui dans le cimetière Saint-Gilles, sa paroisse.

     Sa première œuvre fut exécutée d’instinct, sans autre conseiller que son cœur qu’il y mit tout entier!


     Le père du futur artiste ne croyait pas à la vocation, il était en communauté d’idées avec beaucoup d’autres braves négociants de la province: «J’ai acquis ma petite fortune dans mon commerce, pourquoi mon fils ne deviendrait-il pas mon successeur?»

     Ce fut sur ce thème produit, à l’usage des grands parents, que s’engagea la lutte entre Élias et son père; nul ne voulut faire de concession, et le statuaire en herbe quitta la maison paternelle le cœur gros et le gousset plat.

     * Cette date est fausse, c’est celle de la naissance d’un frère aîné homonyme, mort un mois plus tard, le 23 octobre 1819 (comme je l’ai démontré ailleurs). Le deuxième Louis Valentin, plus tard surnommé Élias, était né le 6 juin 1821; il n’avait donc que 52 ans à son décès (B. G.).




Signature de Claude Robert, père de l'artiste, en 1821
Signature de Claude Robert
père d’Élias (1821)

     L’excellent homme qui voulut bine procurer le premier billet de mile francs au futur auteur du «Geoffroy [p.41] Saint-Hilaire» (*) n’a pas assez vécu pour applaudir aux succès de son protégé.

     Paris, l’immense Paris, accueille tous les arrivants, mais il n’en fait pas ses pensionnaires; il fallait vivre cependant; la gaieté traditionnelle de l’atelier abrège les journées, mais l’heure du dîner n’en arrive que plus vite.

     Dire ce que le jeune artiste employa de ruse pour tromper son appétit, les innombrables sujets de pendules et d’ornements que sa fraîche imagination rêva, créa, pour éviter un appel désespéré à la paternité, intransigeante, remplirait un gros volume. Dieu seul, — avec MM. Delafontaine et ses habiles confrères — sait comment fut exploitée la jeune sève de l’artiste.

     * M. Fulgence Godin, notaire à Étampes (note de Chaudé) [Il était mort le 5 mars 1856 (B.G.)]
     Enfin, l’aurore se leva pour lui; M. Vaudoyer, architecte de la ville de Paris, fut le premier qui voulut bine confier à l’artiste ignoré une commande pour un monument public, et les deux belles caryatides qui ornent l’entrée principale des Arts et Métiers, rue Saint-Martin, livrées à l’examen du grand jury parisien, posèrent le jeune artiste: la voie lui était désormais ouverte.

     Peu de temps après, ces deux caryatides, sentinelles avancées du monument, semblaient rendre les honneurs aux statues d’Olivier de Serres et de Vaucanson qui faisaient leur entrée à l’intérieur du savant Conservatoire.

     Le groupe monumental qui domine le fronton de la façade principale du Palais de l’Industrie, «la France distribuant des couronnes», jugé par la presse de 1855, et par des milliers de visiteurs français et étrangers, consacra définitivement le talent de notre compatriote.

     Le beau marbre qui décore le milieu de la place du théâtre, dont Étampes a raison de s’enorgueillir, valut à l’auteur, en 1858, la croix de chevalier de la Légion d’Honneur.

     Inutile d’énumérer ici les œuvres d’Élias Robert, qui [p.42] sont, au musée de la ville, au nombre de près de cent pièces: le musée est ouvert à tout le monde et le livret en contient le détail. Mais, en narrateur fidèle, citons les principales œuvres dont les modèles, pour des causes diverses, n’ont pu être placées au Musée:

     Le maréchal Jourdain, statue en bronze, de 2 m. 60 de hauteur, érigée à Limoges.
     L’Enfant-Dieu, méditant sur la couronne d’épines; statue en marbre, achetée par l’État.
     La Fortune, statue en bronze, de 2 m. de proportion.
     Fronton et cartouches exécutés en pierre à la façade de l’École des Mines, à Paris.

     L’ensemble du monument à la gloire de Dom Pedro IV, exécuté à Lisbonne, après concours (hauteur 27 m. 50).
     A l’inauguration de cette œuvre capitale l’artiste fut nommé commandeur de l’ordre du Christ de Portugal.

     Conservatoire des Arts et Métiers. —  Les statues en pieds d’Olivier de Serres et de Vaucanson. Hauteur 2 m. 50. — Trois figures dans les anges du plafond du grand escalier.
     L’Aigle du milieu du plafond.
     Quatre bas-reliefs dans le plafond de l’escalier.
     Les têtes du fronton et des clés.

     Musée de Versailles. — Buste en marbre du général Pajol; buste en marbre du général Bailly de Monthyon; buste en marbre de Charles Bonaparte; buste en marbre de l’amiral Blanquet de Chayle.

     École de médecine. — Buste en marbre du docteur Chaussier.

     Ville de Roanne. — Buste en marbre de M. le duc de Persigny.

     Théâtre d’Étampes. — Caryatides et figures d’enfants au foyer et aux avant-scènes.
     Portrait de Molière et de Corneille, grands médaillons sur la façade.

     A Saint-Germain de Corbeil. — Trois figures exécutées en pierre sur la façade de l’église.

     Enfin: le buste en marbre de Mme la vicomtesse de [p.43] Viart et plusieurs autres en possession des familles intéressées.


     La cruelle maladie à laquelle l’artiste étampois a succombé, l’a surpris en plein travail; il achevait le buste en marbre de M. Aimé Darblay, exposé au salon de 1875.


     Que de beaux projets ont été ensevelis avec lui… Il en est un par dessus tout, qu’il caressait avec bonheur; quelques lignes détachées d’une lettre qu’il écrivait le 4 février 1873 en témoignent éloquemment:

     «…Tu sais, depuis longtemps, que la ville d’Étampes peut toujours compter sur moi, surtout quand il s’agit de glorifier un de ses enfants morts pour son honneur… Elle m’a, de son côté, prouvé que je pouvais aussi compter sur elle et je suis profondément convaincu qu’elle considère comme impossible qu’un étranger vienne me remplacer en cette circonstance. Elle acceptera, je n’en doute pas, mon concours et mon dévouement.
     «Je me mets entièrement à la disposition du conseil municipal pour arriver à un prompt résultat, car il y a trop longtemps que ce pauvre Simonneau* attend que notre pays lui paie sa dette…»
R. CHAUDÉ.
     * Jacques Guillaume Simonneau, maire d’Étampes, assassiné le 3 mars 1792 lors d’une émeute frumentaire, qui fut célébré dans toute la France comme un martyr de la légalité républicaine (B.G.).


La salle des plâtres du Musée d'Etampes en 1903 (détail d'un cliché de Brière)  
     La Salle des plâtres du Musée d’Étampes en 1903. En 1897, Maxime Legrand persifle cette muséographie “sentant un peu trop le tombeau de famille” (Étampes pittoresque, tome I, p. 108).
BIBLIOGRAPHIE

Éditions

     Romain CHAUDÉ, «Élias Robert et le Musée d’Étampes», in Revue étampoise. 1876. Almanach d’Étampes. Annuaire de l’arrondissement. Deuxième année, Étampes, Lejeune, 1876, pp. 39-43.

     Bernard GINESTE [éd.], «Romain Chaudé: Élias Robert et le Musée d’Étampes (1876)», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/cae-19-eliasrobert1876chaude.html, 2011.

Pages liées

     Bernard GINESTE [éd.], «Sur la véritable date de naissance d’Élias Robert (2011)», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/cae-19-eliasrobert2011deces.html, 2011.

     Auguste ALLIEN [dir.], «Inauguration du Musée», in ID., Abeille d’Étampes. Journal des insertions judiciaires et légales de l’arrondissement. Littérature, Sciences, Jurisprudence, Agriculture, Commerce, Voyages, Annonces diverses, etc., paraissant tous les samedis 64/41 (samedi 9 octobre 1875), p. 3.

     Bernard GINESTE [éd.], «Auguste Allien: Inauguration du Musée d’Étampes (3 octobre 1875)», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/che-19-18751003inaugurationmusee.html, 2005.

     Suzanne de SAINT-PÉRIER, «Le Musée d’Étampes», in Bulletin Municipal d’Étampes n°1 (juillet 1963), pp. 24-25.

     Bernard GINESTE [éd.], «Suzanne de Saint-Périer: Le Musée d’Étampes (1963)», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/cae-20-saintperier1963musee.html, mai 2005.

     COLLECTIF, «Éphéméride du Musée d’Étampes», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/che-21-ephemeridedumusee.html, 2003.

     Bernard GINESTE et qui voudra, «Bibliographie du Musée d’Étampes», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/cbe-museedetampes.html, depuis 2010.



Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
Sources: Annuaire d’Étampes de 1876, texte saisi par Bernard Gineste en 2011.
 
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