Sommaire alphabétique
Concierge
(nom commun et patronyme). — Debise (patronyme). — Gien (toponyme). — Montlhéry (toponyme). — Sergent (nom commun et patronyme). — Sublaines (toponyme).
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Introduction
On rangera ici sans
ordre, ou plutôt dans l’ordre inverse de leur mise en ligne, quelques
notes ou simples hypothèses sans prétention intéressant
l’onomastique prise dans son sens large, et susceptibles dans l’ordre
de servir à
d’autres chercheurs ou simples curieux, ou simplement à les distraire. Toute remarque sera appréciée
et fera l’objet d’une réponse.
Bernard
Gineste, avril 2009.
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006. Le mot Sergent
n’a pas été expliqué jusqu’à aujourd’hui de
manière satisfaisante. J’y suis venu par l’étude d’un
patronyme étampois attesté au XIIIe siècle, Sergent.
Que signifie ce mot, et quelle est son étymologie?
Il est transcrit à partir du début du XIIIe siècle par
sergent, mais on trouve plutôt avant cela sergant
et serjant. On le fait dériver généralement
d’un bas-latin servientem, du verbe servire, “servir”, sous prétexte que c’est ainsi que le mot est régulièrement rendu par
le latin médiéval, et qu’on a en provençal servent,
sirvent, en espagnol sirviente, en italien servente. Mais
le mot français me paraît difficilement avoir la même étymologie,
car on mal comment on aurait pu passer de l’un à l’autre, et spécialement
de -vi- à -j-.
Le sergent était
anciennement, selon Littré, un «officier
de justice chargé des poursuites judiciaires; on dit aujourd’hui huissier.» C’est pourquoi je préfère pour ma part expliquer
la formation de serjant comme une altération ancien d’un
ancien français serchant, dont une meilleure rétroversion
latine aurait été circans, du verbe circare,
“parcourir”, qui a donné
en berrichon, selon Littré, cercher, sercher,
sarcher et charcher, et en français
moderne chercher.
L’évolution
de -erch- en -erj- est bien documentée, par exemple
pour berge et serge, qui dérivent de berche (latin
barica) et serche (latin serica,
sarica). De même le verbe bouger (d’abord bougier)
vient d’un bas-latin bullicare, “bouillonner”, qui aurait dû donner boucher.
Le sergent était
donc en France un officier itinérant, circulant dans
le territoire d’une juridiction dans le cadre de poursuites judiciaires,
en d’autres termes, serchant. Le terme, une fois que sa formation
n’a plus été comprise par suite de l’altération de -ch-
en -j- (sous l’influence peut-être de gens), a été
rendu en latin médiéval par serviens, déjà
en usage pour rendre les mots provençal servent,
sirvent, espagnol sirviente et italien servente, qui, eux,
viennent bien de servire.
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005. Le mot Concierge
n’a pas été expliqué jusqu’à aujourd’hui de manière
satisfaisante. J’y suis venu par l’étude d’un nom de personne étampois.
Un tenancier, ou plutôt une tenancière des dames de Longchamp
à Étampes vers 1268, reçoit le nom de La Concierge.
Plus tard, en 1274, il est question de son fils, Macy fils à la
Concierge (censier des dames de Longchamp 1268, n°47: La Concierge; 1271, n°127: La
Concierge; 1274, n°7: Maci fiuz à la concierge).
Que signifie ce mot, et quelle est son étymologie?
Selon Émile Littré, un concierge est «Celui qui a la garde d’un château, d’un hôtel, d’une
prison.» Il précise que c’était autrefois le nom d’un
office considérable. Il cite Vallet de Viriville sur Isabeau de Bavière
: «La reine Isabelle de Bavière avait la garde royale; dès
le 24 février 1413, elle s’était fait nommer concierge de la
conciergerie du Palais; ce poste considérable, et quelquefois rempli
par les plus éminents personnages, donnait au titulaire la garde du
corps ou de la personne du roi». Cependant Littré ne cite aucun
texte d’époque antérieur au XIVe siècle.
Voici ce
qu’il écrit sur l’étymologie de ce mot:
«Picard,
conchierge; espagn. conserge, bas-lat. consergius,
dans un texte de l’an 1106. Ménage le tire de conservare; mais
conservare n’a jamais pu donner consergius.
Labbe propose le mot hybride con-skarjo, skarjosbirre
signifiant en allemand sergent; mais la forme
du mot et aussi le sens s’y opposent. Diez, qui écarte ces deux étymologies,
n’en propose aucune. La présence de la forme consergius, dans
un texte aussi ancien que l’an 1106, ne permet guère d’y voir autre
chose que le représentant roman d’un bas-latin conservius, dérivé
de cum et servire; servius donnant serge
ou sierge, comme serviens donne sergent. De sorte que
concierge ne signifierait que serviteur,
terme général déterminé ensuite par l’usage à
un sens particulier.»
Le Dictionnaire historique de la langue française
d’Alain Rey, tout récent, n’est pas plus affirmatif dans sa réimpression
de 2006:
«D’abord
cumcerge (1192) puis concierge (v.1220),
est probablement hérité du latin médiéval
consergius (1106 et 1190), altération d’un latin populaire
°conservius sous l’influence de serviens (voir: sergent).
Il représenterait le latin classique conservus, “compagnon d’esclavage”,
de cum, “avec” (voir: co-) et servus, “esclave”.
Voyons maintenant comment il explique le mot Conciergerie.
«Conciergerie
n.f. (1328; 1201, en latin médiéval, conciergeria),
“charge” et “logement de concierge”, désigne spécialement la
prison attenante au Palais de Justice de Paris (1400-1417) car celle-ci était
à l’origine le logement du concierge du Palais.»
Est-il nécessaire
d’expliquer à quel point cette étymologie est insatisfaisante
au point de vue de l’évolution phonétique? Le parallèle
douteux de sergent, supposé traditionnellement provenir de
serviens (terme par lequel on le rend en latin traditionnellement
et par analogie), n’est guère probant (Voyez l’article suivant sur
Sergent). Au reste serge ne vient pas de
servus ou servius comme le croyait Littré,
mais d’un bas-latin serica, sarica, via sarche, puis
sarge. Et de même berge vient de *barica,
via berche.
Quant à
l’évolution de sens supposée par cette étymologie, non
seulement elle n’est pas du tout documentée (où est passé
ce mot improbable de conservius pendant plus de mille ans?), mais
elle est tout à fait invraisemblable, puisque la spécialisation
de ce mot hypothétique de sens très vague ne reçoit
aucun élément d’explication. Et comment se fait-il qu’on ait
mis des prisonniers dans le logement du concierge du Palais? Et d’où
vient cette idée de surveillance toujours présente dans les
fonctions attribuées à ceux qui portent ce titre dont la racine
est pourtant obscure?
Niermeyer dans
son Lexicon du latin médiéval relève les graphies
concergius et consergius, avec le sens de
“concierge, door keeper”; et il se demande s’il ne viendrait pas d’un hypothétique
concerius, en renvoyant à la formation du
latin primicerius, secondicerius, “dont le nom était
porté en premier (ou second) sur la tablette de cire (cera)
contenant les noms des différents officiers en exercice”. Mais quelle
explication donner dans ce cadre au préfixe con-? Même
problème que pour l’hypothétique *conservius.
Le Lexicon
de Blaise quant à lui relève les graphies concergerius,
concergius, consergerius et consergius,
avec le sens de “concierge, portier”, mais il relève aussi les sens
de “garde-champêtre, messier ” (malheureusement sans références,
comme d’habitude).
Toutes
les solutions insatisfaisantes qui ont été jusqu’ici proposées
pour trouver l’étymologie de ce mot ont pour point commun de reconnaître
dans la première syllabe du mot le préfixe latin con-.
Ne s’agirait-il pas plutôt de l’altération d’une racine canch-?
Précisément,
selon le Lexique de Godefroy, il a existé en ancien français
un nom canchier, qui signifiait prison, et qui a la même étymologie
que le verbe cacher, à savoir le verbe bas-latin *coacticare,
“comprimer, serrer” (cf. aussi le français moderne cachot).
Un canchier, c’était donc un *coacticarium, un “serroir”,
d’après une image comparable à la métaphore argotique
moderne “il a été serré par les flics”.
Le mot
doit être né à la cour royale des premiers capétiens
pour désigner une nouvelle dignité, vers la même époque
où l’on adopte le mot archichancellier, apparemment créé
par la chancellerie du Saint-Empire Romain Germanique, et où survit
aussi la dignité carolingienne d’archichapelain. Je suppose
dans ce contexte un mot de création savante, ou plutôt demi-savante:
canchi-arche, “geôlier en chef” ou “chef de prison”. A l’époque contemporaine a été formé
de la même manière le mot énarque, “haut fonctionnaire issu de l’E.N.A., c’est-à-dire
de l’École Nationale d’Administration”.
Le mode de création
très spécial de ce mot l’a rendu très vite opaque et
il a été vite altéré par analogie en conchierche,
d’où le picard conchierge allégué par Littré.
En faveur de
cette évolution, on notera à Étampes tout au long du
dernier quart de XIIIe siècle un patronyme Lepatriarche
ou Patriarche, régulièrement rendu par ces deux graphies
savantes, mais qui est transcrit en 1298 Patriache (Censier de 1298,
item n°44) et une autre fois surtout Patrieige (item n°85):
il s’agit sans doute en ce dernier cas de la prononciation réelle
du patronyme, et les autres fois d’une normalisation savante. On la retrouve
ailleurs (Jean Favier, Les contribuables parisiens à la fin de
la Guerre de Cent Ans, p. 364, cite une Perrette La Patriaige),
et d’ailleurs ce patronyme
existe toujours.
Cette hypothèse
aurait l’avantage d’expliquer le fait que la Conciergerie de Paris ait été
une prison, aussi loin qu’on puisse le savoir. Quant au concierge
d’Etampes, il en aurait été aussi le geôlier en chef.
On se rappellera que dès 1108, la tour d’Étampes fut utilisée
par Louis le Gros pour incarcérer le châtelain de Sainte-Sévère,
d’après son historiographe Suger, et que c’est aussi à Étampes
que Philippe Auguste fit incarcérer son épouse Isambour de
Danemark au tout début du XIIIe siècle. Mais en fait le titre
de concierge semble très vite s’être dévalué pour qualifié bien d’autres officiers subalternes.
Le mot et titre
de concierge a connu une fortune proportionnelle a son opacité, en
conservant le sens général d’officier chargé d’une fonction
de surveillance, d’où sans doute les usages du mots en latin médiéval
qu’allègue, malheureusement sans références, le Lexicon
de Blaise, au sens de “concierge, portier”, mais aussi, sans doute à
date plus tardive, de “garde-champêtre, messier”.
C’est peut-être
ce sens qu’il revêt en 1268 et 1271 à Étampes dans le
censier des dames de Longchamp, car nous voyons que certains des censitaires
y sont listés comme payant non seulement un cens mais aussi un droit
de “garde”, qui doit se justifier par la rétribution
d’un officier chargé de surveiller toutes les parcelles de la censive.
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004. Le nom de la commune de Montlhéry. Comme je l’ai suggéré
dans une contribution de novembre 2008 au site Wikipédia (archivée
ici), le nom de cette ville est
un toponyme formé de façon classique à partir du nom
commun mont et du nom de personne germanique Leotheric,
courant dans la région du IXe siècle au XIe siècle.
Je concluais en disant
que ce Lhéry était donc probablement sinon le fondateur,
au moins l’un des premiers seigneurs de la place fortifiée de Montlhéry,
à l’époque carolingienne.
A la réflexion,
le toponyme est presque nécessairement plus ancien. En effet sa première
attestation, en 798, revêt la forme Aetricus mons. Or cette
graphie repose sur une dissimilation, le L de Lhéry étant
perçu à tort comme un déterminant introduisant un bizarre
adjectif aetricus, ce qui signifie que l’anthroponyme n’est plus
reconnu comme tel par le scribe de l’extrême fin du VIIIe siècle,
ce qui peut se comprendre peu avant la vogue du nom dans la région,
mais difficilement peu juste la mort du personnage qui a donné son
nom au lieu-dit.
Cela nous reporte
donc apparemment plutôt à l’époque mérovingienne
que carolingienne.
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003.
Le nom de la commune de Gien
pose un très vieux problème qui à ma connaissance
n’a pas encore trouvé de solution satisfaisante. Philologiquement,
il dérive évidemment du toponyme gaulois Genabum ou
Cenabum. Mais paradoxalement l’archéologie
a démontré que Genabum-Cenabum, c’était Orléans,
à quelque 73 kilomètres de là.
La solution est
extrêmement simple.
Le premier nom attesté
de l’actuel Gien a été, en réalité, Le
vieux Gien.
L’actuelle commune
de Gien est en fait située sur un autre lieu que le site du Vieux
Gien, car vers le IXe siècle l’agglomération s’est déplacé
vers un éperon rocheux plus facile à défendre que le
site gallo-romain originel: on eut dès lors pour ainsi dire un Nouveau
Vieux Gien.
Le dit Vieux
Gien en effet ne tirait pas son nom d’une antériorité
quelconque, bien qu’on l’ait très tôt compris en ce sens (dès
le XIe siècle).
Il s’agissait en
fait d’une réinterprétation erronnée du toponyme Le
Vié Gien, c’est-à-dire “le gué de Gien” (c’est-à-dire d’Orléans), compris erronément
Viez Gien, c’est-à-dire
“le Vieux Gien”.
La dénomination
primitive doit remonter à l’époque mérovingienne, ou
carolingienne, à une époque en tout cas où le passage
le plus commode de la Loire, lors que l’on allait de Bourges à Orléans,
était celui du Gien actuel, qui a conservé l’ancien toponyme
d’Orléans d’autant plus facilement que cette métropole l’a
de son côté abandonné au bénéfice du gentilé
Aureliani.
Cette mésinterprétation
de toponyme trouve de nombreux parallèles ailleurs en France à
la même date (au XIe siècle), notamment à Étampes,
comme je l’ai montré en 2004 (Cahier d’Étampes-Histoire
6, p. 75), où les “Les vieilles Étampes”,
c’est-à-dire le quartier Saint-Martin, recevaient en fait leur nom
des deux gués sur la Louette et la Chalouette que traversait à
l’époque mérovingienne et carolingienne la route de Paris à Orléans, avant l’érection
du pont dont l’existence n’est attesté, précisément,
qu’au XIe siècle.
La chose
est aussi avérée, et même absolument certaine, à
Pithiviers-le-Vieil (à 5 km de Pithiviers), au Vieil Amiens (Vetus Ambianum, 1184: c’est Neuville-les-Bray, à 38
km d’Amiens). et au Vieux Rouen (à
80 km de Rouen), toutes localités qui toutes se trouvaient sur un
gué important.
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002. Le nom de la commune de Sublaines,
en Indre-et-Loire, ne peut pas dériver de sabulum, “sable”. Il est attesté dès
le IXe siècle sous la forme Sublena (IXe siècle, sous
Louis le Pieux), puis on trouve Seblena (1060), sans qu’on sache
s’il s’agit d’un féminin singulier ou d’un pluriel neutre (comme
semble plutôt l’indique la suite, tantôt au neutre singulier,
tantôt au pluriel), Sublenum (1119, 1177), Sublanis
(XIIIe siècle), et en ancien français Subleines (XIIIe
siècle).
Je propose un toponyme
gaulois en deux éléments.
Su- peut dériver d’un gaulois Sego- “victoire,
ou force” (cf. latin securus > français
sûr), élément bien représenté
en position initiale pour des toponymes (cf. Segobriga, “Ségorbe”, Segodunum, Rodez, Segontia, Seguntia ou Saguntia,
“Sigiienza”, Segosa, “Escoussé”, Segovia, “Ségovie”, Segusio, “Suse”, Segustero, “Sistéron”, etc.
-blena ou
-blenum peut représenter un adjectif belenos
(postposé comme cela semble avoir été la règle
en gaulois), le même qui qualifiait le dieu Bélénos,
“puissant”.
Le tout pourrait
être compris “Puissante Victoire”, ou bien comme un adjectif composé qualifiant collectivement
les habitants et signifiant “puissants en victoires”, “aux puissantes
victoires”, comme dans l’anthroponyme bien connu Segomaros, de -maros, “grand”, généralement interprété “aux grandes
victoires” (cf. Lambert, La langue gauloise, 1995, p. 32).
Il faut donc peut-être comprendre:
“Puissante victoire”, ou
“Les Puissants Vainqueurs”, sans forcément
y chercher le souvenir d’un événement historique précis,
mais seulement la trace d’un nom chargé de connotations positives
et donc de bon augure.
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001. Le nom de famille Debise, dans toutes ses variantes graphiques,
signifie étymologiquement de bise, c’est-à-dire “habitant
le côté nord” de l’agglomération, celui qui
est exposé à la bise. D’ailleurs, dans bien des actes que
j’ai pu consulter il y a quelques années aux archives de Saône-et-Loire,
l’expression de bise est encore usuelle au XVIIe siècle pour
signifier “au nord” de telle ou telle parcelle, et
ce dans des textes où est attesté simultanément le
dit patronyme, ce qui met la chose hors de doute. Son sens était
alors absolument transparent.
Toute critique, correction
ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
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