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Monsieur d’Estampes |
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Comment mourut
Colin, fou de M. d’Estampes
Feu M. d’Estampes (1) avoit un fou qui s’appeloit Colin, fort plaisant. Quand sa mort s’approcha, M. d’Estampes demanda comment se portoit Colin. On luy dit: «Pauvrement, Monsieur; il s’en va mourir, car il ne veut rien prendre. — Tenez, dit M. d’Estampes, qui lors estoit à table, portez-luy ce potage, et luy dites que, s’il ne prend quelque chose pour l’amour de moy, que je l’aimeray jamais, car on m’a dit qu’il ne veut rien prendre.» L’on fit ambassade à Colin, qui, ayant la mort entre les dents, fit response: «Et qui sont-ils ceux-là qui ont dit à monsieur que je ne voulois rien prendre?» Et, estant entourné d’un million de mouches, car c’estoit en esté, il se mit à jouer de la main à l’entour d’elles, comme l’on voit les pages et laquais et autres jeunes enfans aprés elles; et, en ayant pris deux au coup, en faisant le petit tour de la main qu’on se peut mieux représenter que de l’escrire: «Dittes à monsieur (dit-il) voilà que j’ay pris pour l’amour de luy, et que je m’en vais au royaume des mouches.» Et, se tournant de l’austre costé, le gallant trepassa (2). NOTES DE PASCAL
PIA (1981)
(1) Jean de Brosse, duc d’Étampes, mari complaisant d’Anne de Pisseleu, qui fut une des maîtresse de François Ier. (2) Cette historiette est de celles que Brantôme a prises aux recueils d’anecdotes. Elle figure dans les Contes d’Eutrapel de Noël du Fail. |
UNE SOURCE PARTIELLE DE
BRANTÔME
Nous avons retrouvé non sans difficulté le passage que Pascal Pia cite sans références des Contes d’Eutrapel de Noël du Fail. Il est effectivement évident que Brantôme se souvient ici du récit de Du Fail. Mais la matière même de son anecdote vient d’ailleurs. Qu’on en juge. Elle intervient dans un chapitre consacré à la goutte et peut sans doute nous aider à mieux comprendre celle de Brantôme. Mais le patient connoît mieux ce qui lui est propre et nécessaire, pour échauffer ou refroidir sa douleur, sans s’amuser aux divers conseils et recettes que lui donnent ceux qui le viennent visiter. Euripide, à ce propos, dit qu’il ne craint point tant la même maladie, comme les redites et répétitions de mots qu’il faut faire à ceux qui le voient, l’enquérant, combien de temps y a-t-il que vous êtes malade, comment est venu le mal, avez-vous été purgé, vous ennuie-t-il beaucoup, la tête vous fait-elle mal, allez-vous bien à vos affaires? Et autres interrogatoires, dont les malentendus font la guerre au pauvre patient, qui est contraint de leur répondre, s’il n’a donné ordre de les faire avertir qu’il ne soit importuné, oui, nenni; nenni, oui. Je leur mettrois un baloy au pied de mon lit, dit Eutrapel, comme fit une femme du Puis du Mesnil de Rennes, laquelle étant en plein champ de bataille d’injures verbales avec sa voisine, et voyant n’avoir plus de poudre d’invectives pour tirer et se défendre, mit un balai à sa fenêtre, en disant, selon le patois du pays, Palle va olu. Dom Robert Jouaut, de la paroisse de Saint-Erblon, près Rennes, encore qu’il eût la mort entre les dents, étoit fort pressé d’une demoiselle à répondre comme il se portoit, et entre autres, s’il n’avoit rien pris ce jour-là; oui, dit-il, j’ai pris ce matin une mouche qui bruyoit autour de mon lit. B. G., novembre 2003
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Sources: 1) l’édition PIA 1981, p. 437 pour ce qui est de Brantôme; 2) l’édition GUICHARD, 1842, p. 169, pour ce qui est du Du Fail, consultée sur le site Gallica. |
BRANTÔME [vers 1540-1614],
Œuvres [9 volumes in-12], Leyde, Sambix le jeune, 1665-1666. Noël DU FAIL, seigneur de LA HÉRISSAYE
[sous les pseudonyme de EUTRAPEL et de Léon LADULFI (vers 1520-1591)],
Baliverneries, ou Contes nouveaux d’Eutrapel, autrement dit Léon
Ladulphi [in-32], Paris, P. Trepperel, 1548. |
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