CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS

Clément Wingler
Le cinéma, miroir de la société étampoise (1904-1994)
2003
 
Adieu Poulet, scène tournée à la prison d'Etampes
Adieu Poulet, scène tournée en 1971 à la prison désaffectée d’Etampes

     Voici une remarquable synthèse sur l’histoire du cinéma étampois de 1904 à 1994, due à notre précieux directeur des archives municipales.
 

BULLETIN DE LA SHAEH
109e Année
n°73 (2003), pp. 153-179.
Le cinéma, miroir de la société étampoise
(1904-1994)

     I. LES PREMIERS PAS. — 1. La première séance. — 2. Le cinéma forain. — 3. La naissance du Casino. — 4. Cinéma ou théâtre filmé? II. D’UNE GUERRE À L’AUTRE  1914-1940. — 1. Une concurrence née de la guerre. — 2. Les séances, entre patriotisme et distractions. — 3. L’essor de l’après-guerre. — 4. Actualités et ciné-roman. — 5. Cinéma d’action et bobines américaines. — 6. Le cinéma éducatif et militant. — 7. La révolution du cinéma parlant.  III. LA GUERRE 1939-1945 ET SES CONSÉQUENCES.  1. Le poids de l’Occupation. 2. Libération et nouveaux projets. 3. Le cinéma de l’après-guerre. IV – CINÉMA "DE QUALITÉ" ET CINÉMA COMMERCIAL. — 1. Du ciné-club au cinéma d’art et d’essai.  2. Les premières années de Cinétampes.  3. Etampes sur la toile et à l’écran.


I – LES PREMIERS PAS

1. La première séance

     Le samedi 27 août 1904, une foule particulièrement dense se presse aux portes du théâtre municipal d’Etampes, pour y découvrir le cinématographe inventé quelques années plus tôt par les frères Lumière. Pour la première fois dans l’histoire de la ville, l’écran remplace la scène. Le programme de la soirée est annoncé en première page du journal l’Abeille d’Etampes. Il débute par un documentaire sur La Guerre en Extrême-Orient entre la Russie et la Japon, et se poursuit par des œuvres de fiction: «Le Petit Poucet, grande féerie en cinq tableaux; Le Coupeur de têtes; Les Omer
; Le Rêve d’un buveur; et Aladin, grande féerie en quarante-cinq tableaux tirée des contes des mille et une nuits».
 
     La postérité a gardé la trace de plusieurs de ces films, notamment Le Rêve d’un buveur, tourné par Pathé, film de truquage à vocation moralisatrice: 
«Après de nombreuses libations, un buveur installé dans un café s’endort sur le coin d’une table. Dans un rêve, il se voit en face de sa femme qu’il maltraite pour avoir de l’argent; dans la rue où, titubant, il se fait emmener au poste par des agents; dans un asile d’aliénés, en proie au delirium tremens. Enfin, il se réveille et, honteux, se rappelant de son rêve, il brise la bouteille devant laquelle il était attablé et jure de ne plus boire (1)
     (1) SADOUL (Georges), Histoire générale du cinéma, tome 2. Paris, Denoël, 1973, p. 214-216.
     Quant au documentaire Pathé qui permet aux Etampois de découvrir la guerre qui se déroule au même moment à plusieurs milliers de kilomètres de leur ville, l’Histoire du Cinéma de Bardèche et Brasillach (2) nous apprend qu’il a en réalité été tourné devant les tribunes de Chantilly avec des figurants français déguisés en soldats du Tzar et du Mikado, les reconstitutions plus ou moins anachroniques étant monnaie courante dans les documentaires de l’époque. Toujours est-il que la supercherie n’a pas été découverte par les Etampois.

     (2)
 BARDÈCHE (Maurice) et BRASILLACH (Robert), Histoire du cinéma, tome 1: le muet. Paris, Les Sept Couleurs, 1964, p. 294.     

2. Le cinéma forain

 
      Si la première séance de cinématographe rencontre un succès populaire indéniable, aucune projection n’a lieu au cours des huit années suivantes, de 1904 à 1912. En effet, le cinéma est encore à cette époque, exception faite de quelques centres urbains importants, un cinéma forain, un cinéma itinérant, que les habitants de la campagne découvrent ou redécouvrent chaque année à l’occasion de telle ou telle fête importante. Ce n’est guère qu’à l’occasion de la foire Saint-Michel qu’entre Palais des glaces et Train fantôme, réapparaissent  les images animées. Chaque année, plusieurs séances se déroulant dans des baraques ou sous chapiteau ont lieu pendant la durée de la fête sur la place du Port.

     Ainsi pendant la Saint-Michel de 1904, le théâtre ambulant dit 
«des Arts» présente au public plusieurs documentaires sur la guerre russo-japonaise, et «un répertoire nouveau qui, pour quelques instants trop courts hélas, conduit les spectateurs sous des cieux plus cléments, en Algérie, où ils peuvent voir défiler les brillantes cavalcades et assister aux fêtes données lors de la visite du Président de la République Emile Loubet» (3). La séance s’achève par la diffusion d’un documentaire inédit que les spectateurs suivent avec une attention d’autant plus grande que le sujet dont il traite est d’intérêt local: «La sortie de la grand messe à l’église Saint-Basile.»

     Lors de la Saint-Michel de 1911, la séance se déroule à l’Express-Cinéma, qu’on nous présente comme 
«un établissement moderne qui voyage avec un train automobile de cent chevaux, qui donne deux brillantes soirées-projections» (4). Le programme propose un documentaire sur la Russie, trois comédies et un film d’art en couleur. Par film d’art, il faut comprendre une adaptation d’œuvre littéraire, essentiellement dramatique, et par film en couleurs, un film tourné en noir et blanc mais dont la pellicule a été colorisée au pinceau, image par image.

     Les projections cinématographiques, lors de la Saint-Michel, semblent connaître une prospérité croissante puisqu’on passe d’un seul cinéma forain  en 1904 à trois lors de la fête de 1907, si bien qu’en novembre de cette année-là, le conseil municipal doit se prononcer sur une demande de monopole formulée par le propriétaire d’un cinématographe, monsieur Edouard, qui souhaite obtenir l’exclusivité des projections lors de la Saint-Michel de l’année suivante. En contrepartie, il se déclare prêt à payer dès à présent à la commune, son droit de place de trente francs, assorti d’une prime de cent francs. Les conseillers municipaux refusent finalement la proposition, estimant que l’instauration de monopole pour telle ou telle attraction pourrait nuire à la prospérité de la foire.

     Même si monsieur Edouard n’en souffle mot dans sa lettre au conseil municipal, on peut supposer qu’il travaille pour la firme Pathé. A l’été 1907, la maison de production fondée par Charles Pathé sept ans plus tôt, fournit en effet 90 % des forains et contrôle de ce fait la diffusion des films en France. Or en juillet 1907, Pathé décide brusquement de cesser la vente de ses films aux forains et de se doter d’une réseau de salles de projection lui appartenant et qui portera fort à propos le nom de Pathé Monopole. Cette nouvelle politique équivaut bien entendu à un arrêt de mort pour l’exploitant indépendant et pour le cinéma forain puisque le réseau que Pathé s’efforce de créer est constitué d’établissements sédentaires. En 1909, Pathé possède ou contrôle les deux cents salles les plus importantes de France, et seuls quelques petits forains utilisant des pellicules d’occasion, échappent encore à son emprise.

3. La naissance du Casino

       En 1912, Pathé trouve un allié de poids à Étampes en la personne de monsieur Pinguenet, gérant du Casino, le fameux établissement de spectacles situé sur la place du Port. A cette époque, deux salles donnant régulièrement des spectacles existent à Etampes: le théâtre, qui appartient à la Ville et le Casino, établissement privé, à la fois café-concert, salle de conférence, salle de bal, et piste de course de patins à roulettes. Le Casino est un établissement florissant qui rayonne sur tout l’Etampois, et même au-delà. Son directeur, dont la clientèle est particulièrement fidèle, a pu constater le succès rencontré par le cinématographe à l’occasion de la Saint-Michel. En conséquence, il décide de se lier à Pathé et d’ouvrir la première salle de cinéma sédentaire de la ville.

     La séance inaugurale a lieu le 16 février 1912; elle fait l’objet d’un compte-rendu dans le Réveil d’Etampes
«La séance a été bien accueillie et cela légitimement. Les vues sont très belles et ne fatiguent nullement les yeux; le programme très varié offre toujours un intérêt croissant. Tout cet ensemble fait bien augurer pour l’avenir» (5).

     Si le matériel de projection fourni par Pathé représente le dernier cri de la technique, la salle du Casino n’évolue guère. Son plafond et ses décors demeurent en toile et la charpente en bois apparent. Le chauffage est assuré par quatre poêles avec tuyaux disposés à même le parquet, au milieu du public, tandis que les spectateurs sont assis sur des chaises et des bancs isolés. L’éclairage est mi-électrique, mi-gaz, et l’accès à la salle se fait par trois portes d’entrée qui donnent sur la place du Port et par deux escaliers de secours en fer accessibles à partir de la galerie du premier étage. La salle est bien aérée et ventilée. La cabine de projection, en tôle, est située sur un balcon au fond de la salle. En 1925, on procède à des transformations pour respecter de nouvelles normes de sécurité contre l’incendie: le plafond en toile non ignifugée est remplacé par un plafond en plâtre sur métal, les poêles font place au chauffage central, l’éclairage au gaz est supprimé de même que les chaises individuelles et les bancs sont réunis par deux (6).

    Jusqu’à la première guerre mondiale, le Casino assure deux séances hebdomadaires de cinéma: le samedi en soirée vers 21 heures et le dimanche matin vers 9 heures, sauf lorsque la salle est utilisée pour des d’évènements particulièrement importants concernant la vie de la cité, tels que les bals du 14 juillet et de la Saint-Michel ou le banquet annuel des anciens élèves du collège…

La fête Saint-Michel au début du 20e siècle (carte postale Royer n°139)


     (3) l’Abeille d’Etampes des 24 sept. et 7 oct. 1904. Arch. Mun. d’Etampes (A.M.E.), 7 C 1.19.

     (4) l’Abeille du 2 décembre 1911, A.M.E., 7 C 1.21.





Le Casino en 1908 (carte postale Théodule Garnon n°509)

     (5) Le Réveil d’Etampes du 16 février 1912, A.M.E. 7 C 2.8.     

     (6) Voir photographie de la salle primitive du Casino, dans l’Abeille du 10 février 1912, A.M.E., 7C 1.21. Dossier des transformations de 1925, A.M.E., fonds cinéma, 3 W 46.


Le Casino à la veille de la guerre de 1914

4. Cinéma ou théâtre filmé?


     Celui qui s’intéresse aux projections de l’année 1913 constate tout d’abord l’absence de films ou de documentaires d’origine étrangère, l’ensemble de la production étant française. Les séances connaissent toujours un déroulement identique. Elles débutent par deux ou trois comédies burlesques qui ne durent guère plus de trois ou quatre minutes chacune. Les acteurs qui se partagent alors les faveurs du public sont Prince Rigardin, qui joue les ahuris attendrissants, et Max Linder, le comique aristocratique. Leur succès est tel, en France et à l’étranger, qu’ils tournent trois à quatre films par semaine. On les retrouve donc à l’affiche de presque chaque séance. Les comédies burlesques sont suivies d’un grand film qui dure en général une quarantaine de minutes mais on constate une augmentation progressive de la longueur des films entre 1912 et 1914, à mesure que les producteurs voient grandir leurs prétentions artistiques. On assiste alors à la grande vogue du théâtre filmé. Des acteurs de théâtre réputés, au premier rang desquels Sarah Bernhardt, acceptent d’apparaître à l’écran pour jouer des adaptations de tragédies et de romans, des comédies légères, des reconstitutions historiques et des "tranches de vie" à dimension sociale.

     Des réalisateurs spécialisés dans le film d’art apparaissent, à l’exemple d’Albert Capellani, dont on projette au Casino le 12 avril 1913, Les Mystères de Paris, d’après Eugène Sue, œuvre qui rencontre un succès colossal. Avec sa longueur de 1 500 m, la projection dépasse 1 h 30, durée encore rare pour l’époque. Outre les films, retenons la diffusion d’un certain nombre de documentaires d’intérêt local produits par Pathé, qui ont souvent l’aviation pour thème: Les prouesses de nos aviateurs à l’aérodrome de Villesauvage, Le pilote étampois Gugenheim, dont on filme quatre passages en avion à l’aide d’une caméra fixe au sol, et Le grand meeting aérien de Juvisy. D’autres documents traitent de La forêt de Fontainebleau en automne, et de La remise en état de la voie ferrée à La Ferté-Alais par une équipe de sapeurs du génie


II – D’UNE GUERRE À L’AUTRE  1914-1940

1. Une concurrence née de la guerre

     Pendant ses trois premières années d’existence, de 1912 à 1915, le cinéma du Casino ne connaît pas de concurrence. La situation change subitement pendant la guerre.

     Le 8 mai 1915, un cinéma forain appartenant à madame Stevens, cinéma de trois cents places qui est un habitué de la fête Saint-Michel où il a su conquérir de nombreux spectateurs, s’installe place du Jeu de Paume où il reste une semaine, puis à la sortie de la ville, sur la route de Dourdan. Les spectateurs affluent et la propriétaire décide de se mettre en quête d’un terrain qui pourrait accueillir sa baraque de foire à demeure, d’autant plus qu’elle bénéficie du soutien actif de la firme Gaumont, concurrente de Pathé, qui lui fournit films et documentaires. Madame Stevens jette son dévolu sur un terrain de l’ancienne Congrégation, situé près de la place Saint-Gilles, à l’angle de la rue des Cordeliers et de la rue Léon Grenier. Elle est bien décidée à rester dans la ville aussi longtemps que son public lui restera fidèle, ce qui provoque l’ire de Pinguenet, le gérant du Casino, qui exprime son ressentiment dans une lettre ouverte publiée par l’Abeille du 9 octobre 1915: 
«Ce n’est pourtant pas le moment de se concurrencer, après quatorze mois de guerre, mon établissement m’occasionnant de grands frais et mon fils étant sur le front depuis le mois d’août 1914, je suis vraiment défavorisé; donc au public de juger».

     De fait, le public a déjà jugé: il estime qu’il y a suffisamment de place à Etampes pour deux cinémas.

     L’Abeille ne s’y trompe pas, saluant en ces termes l’installation du nouvel établissement: 
«Nul doute qu’un excellent accueil sera fait par la population étampoise à madame Stevens qui malgré la mobilisation d’une grande partie de son personnel et des cruelles pertes éprouvées par celui-ci sur le front, a su maintenir son établissement à la hauteur de son excellente réputation… Quand le cinéma sortit de ses premiers essais pour prendre un caractère instructif, madame Stevens fut des premières à faciliter cette tentative d’éducation populaire, en s’assurant la concession de films artistiques, notamment l’adaptation au cinéma des œuvres théâtrales de nos meilleurs écrivains. Quand vint la guerre, madame Stevens se réfugia à Etampes et y installa à demeure son établissement, le seul endroit avec le Casino où pour tenter de chasser le cafard, nos concitoyens pouvaient trouver une saine distraction. Les blessés de nos hôpitaux, les réfugiés malheureux, les indigents d’Etampes et bien sûr les enfants des écoles y trouvèrent un coin réservé gratuitement à leur intention» (7).
     (7) l’Abeille du 8 mai 1915 et du 28 août 1920, A.M.E., 7 C 1.23.

2. Les séances, entre patriotisme et distractions


     Bien entendu, guerre oblige, le public de 1915 n’est plus le même qu’en 1913. Des centaines de personnes, soit de l’arrière, soit militaires au repos ou blessés, pour qui le cinéma n’était jusqu’alors qu’une distraction épisodique voire inusitée, deviennent des adeptes du septième art. Comme le souligne l’Abeille, le Stevens et le Casino deviennent les seuls endroits où l’on peut oublier le quotidien. Le nombre de projections s’en trouve multiplié, particulièrement pour les militaires. Bon nombre de places sont mises à leur disposition et, presque chaque semaine, des quêtes sont organisées en leur faveur. Les villes voisines connaissent la même évolution. Citant l’exemple de Milly-la-Forêt, l’Abeille du 6 novembre 1915 affirme que:

     
«le Modern Cinéma de Milly-la-Forêt est d’une incontestable utilité [pour la ville]; il rend de réels services, particulièrement aux zouaves du centre d’instruction qui ne peuvent aller en permission les dimanches et jours fériés. Que faire à Milly en dehors de la promenade et du café? Pour la promenade, les beaux jours sont passés, au café, c’est long d’y rester l’après-midi et la soirée entière, et c’est long aussi pour le porte-monnaie.Heureusement le cinéma donne à chaque séance, comme on sait, de curieux films des choses de la guerre qui ne manquent pas d’interroger les jeunes poilus qui n’ont pas encore vu le feu. Des scènes comiques et dramatiques complètent le programme; le tout d’une saine distraction.»

     Si le public évolue, il en va de même pour les films. Les usines et les acteurs étant réquisitionnés, il y a beaucoup moins de films neufs, et donc plus de rediffusions. Si Prince Rigadin, Max Linder et les autres comiques continuent à plaire au public, les actualités  acquièrent une importance nouvelle. Les images sont tournées par les sections cinématographiques des armées françaises et alliées, puis contrôlées par l’Etat-major français et mises à la disposition des diffuseurs. Les spectateurs du Casino découvrent ainsi, le 9 octobre 1915, Le bombardement du Bosphore par l’escadre russe. A en croire l’Abeille
«l’illusion est telle que les spectateurs peuvent aisément  se figurer qu’ils assistent, sur la dunette du vaisseau amiral, au bombardement des côtes de la Turquie et à l’attaque du Bosphore. Document historique de la plus haute importance …, il est aussi une éloquente illustration de ce qu’est la force invincible de nos puissants alliés qui mènent avec nous le bon combat pour libérer l’Europe de toutes les forces mauvaises de servitude et de barbarie».

     On le constate, les documentaires et même les films participent de l’effort de guerre patriotique. Le 2 octobre de la même année, le Casino, projette un
«ciné-drame» d’un certain Caillard, dont le titre évocateur est: Pour le pays. L’Abeille en donne le résumé suivant: «[un] jeune savant est occupé à chercher la formule d’un nouvel explosif qui doit révolutionner les meilleures méthodes de la fabrication de la poudre… Mais, comme tous les inventeurs, il est pauvre. Pour réussir, il lui faudrait une somme de 50 000 F. Le banquier Scharzmann, sujet allemand, qui a deviné son embarras, [lui] propose la somme nécessaire…, mais avec l’engagement formel et sur l’honneur de [lui] donner, en échange, l’exclusivité de l’explosif. L’accord est à  peine conclu que la guerre éclate et [le jeune inventeur] qui a trouvé la  magnifique découverte, doit abandonner ses travaux pour aller défendre la Patrie attaquée. C’est alors que l’on assiste à la plus poignante situation: celle [de l’inventeur] qui reçoit la visite de Scharzmann venant lui rappeler sa promesse… L’Allemand croyait avoir enfin  trouvé une bonne affaire et il savourait déjà la récompense que son audacieuse proposition lui vaudrait. Mais il a compté sans le cœur d’un Français. [L’inventeur] montre la formule à Scharzmann et, après lui avoir bien expliqué la façon de se servir de l’explosif [conformément à sa promesse], il le fait exploser. [Les deux hommes meurent] mais l’honneur d’un Français était sauf.»


3. L’essor de l’après-guerre


     Au lendemain de la première guerre mondiale, deux cinémas accueillent donc le public de la région d’Etampes. Les salles ont indiscutablement su fidéliser de nouveaux clients, phénomène que l’on retrouve dans toute la partie méridionale du département de Seine-et-Oise. La région est d’ailleurs bien desservie en salles de cinéma, des projections ayant lieu dans toute ville de quelque importance. Il est aisé d’en dresser la liste. Les établissements qui font généralement partie du réseau Pathé, sont implantés à Angerville (le Maès, installé salle de l’Hôtel de France), à Milly (le Modern Cinéma, salle Duché, puis le Ciné du Progrès), à Pussay (le Cinéma Jeanne d’Arc), à Étrechy (la Maison Fessu), à Maisse (le Cinéma de la Girafe), à Cerny (le Cinéma de l’Etoile), à Méréville (le Pathé Rural de la salle Gauron), et à La Ferté-Alais. Dans cette dernière ville, le cinéma Lafolie appartient à une vieille connaissance, madame Stevens, qui ouvre ainsi son second établissement après celui de la rue des Cordeliers à Etampes. Particulièrement entreprenante, l’intéressée semble avoir parfaitement su saisir les opportunités du temps.

     Ainsi, lorsqu’en 1917, avec l’arrivée de troupes américaines à Étampes, et plus encore en 1918, avec la fin de la guerre, la mode de la musique et des danses d’outre Atlantique déferle sur toute la France, madame Stevens cherche immédiatement à tirer avantage de ce phénomène. Elle profite des vacances de l’été 1919 pour transformer sa baraque foraine de la rue des Cordeliers en dancing et, après une période de trois mois pendant lesquels elle alterne projections de films et soirées dansantes, décide, à partir du 4 octobre 1919, d’abandonner totalement le cinéma au profit de la danse. Cette révolution marque le début des ennuis pour madame Stevens. Comme l’écrit l’Abeille, dans son édition du 28 août 1920: 
«[cette transformation] en dancing lui valut de voir accourir chez elle une jeunesse d’autant plus ardente au plaisir qu’elle en avait été sevrée pendant des années. Ce fut son bien et son mal: le dancing de la rue des Cordeliers connut une ère de prospérité inouïe mais des incidents se produisirent, la fermeture de l’établissement fut ordonnée et il fallut revenir au cinéma avec intermède de concerts».

     En effet, suite à une pétition des habitants du quartier qui se plaignent du bruit occasionné par les bals, et plus particulièrement par l’orgue qui les accompagne, la municipalité prend la décision d’ordonner la fermeture de l’établissement
(8). La salle Stevens étant une baraque foraine établie sous une tente en toile et Madame Stevens se refusant à financer la construction d’un édifice en "dur", avec isolation phonique, il ne lui reste plus qu’à vendre son dancing et à quitter Étampes pour Essonnes où la municipalité se montre moins exigeante.

       En 1923, l’établissement de la rue des Cordeliers passe aux mains de monsieur Morhange qui le rebaptise du nom d’Alhambra, et procède à sa modernisation. La salle, la scène et les décors sont reconstruits sur un châssis en bois recouvert de toile, la cabine de projection est séparée de la salle par une cloison en maçonnerie et la lumière ainsi que l’alimentation du projecteur sont obtenues grâce à un moteur à essence installé dans une pièce spéciale. Enfin, le chauffage central est installé en 1923
(9). Cette même année, le nombre de places est porté à 380, et à 430 en 1940. Un rapport de visite de la commission locale de sécurité en date d’octobre 1924, indique cependant quelques irrégularités: les issues qui donnent sur la rue Léon Grenier ne sont larges  que d’un mètre et encombrées, il n’y a pas d’extincteur et de liaison avec les pompiers, et surtout les bobines de films, très inflammables, sont conservées à même le sol dans la salle de projection. Cette négligence est cause d’un incendie qui se déclenche le 21 septembre 1924, fort heureusement en dehors des heures d’ouverture au public. En approchant une bobine d’une ampoule afin de pouvoir en lire le titre, le projectionniste met le feu à la bande. L’incendie se propage aux autres bobines, puis à l’ensemble de la cabine mais est rapidement maîtrisé. Le projectionniste est néanmoins blessé ainsi que le directeur, sérieusement brûlé au visage. Le matériel de la cabine, qui était neuf, est entièrement détruit, de même que douze bobines de films. Des leçons ne semblent pas avoir été tirées de cet accident, puisqu’un rapport du préfet en date du 6 avril 1944, rédigé vingt ans après l’incendie, conclut aux même déficiences et enjoint le maire au faire en sorte que l’établissement soit enfin mis en conformité avec les normes de sécurité.
     (8) Registre des délibérations du Conseil municipal, année 1919, p.147 et 297.  A.M.E., 1 D.

     
(9) Dossier de la commission locale de sécurité, 1914-1940, fonds cinéma, A.M.E., 3 W 46.

L'Alhambra


4. Actualités et ciné-roman


     Du lendemain de la guerre à la fin des années 20, les séances se déroulent toujours aux même horaires, tant au Casino qu’au Stevens. Trois séances régulières ont lieu chaque semaine, le samedi à 20 h 45, le dimanche à 14 h 45 et à 20 h 45. Le programme débute invariablement par les dernières actualités: le Pathé-Journal pour le Casino, Gaumont-Actualités pour son concurrent de la rue des Cordeliers. C’est un héritage de la période de guerre où les actualités se sont imposées comme élément indispensable de toute séance cinématographique. Les actualités s’apparentent souvent à des documentaires patriotiques. Nombreux sont les reportages sur l’empire colonial et les provinces reconquises, l’Alsace et la Lorraine. En 1920, par exemple, les Etampois peuvent découvrir Dakar et Saïgon, la culture du tabac en Indochine, mais aussi l’entrée des troupes françaises à Strasbourg en 1918, le gouvernement français en Allemagne occupée, et les armées stationnées en Rhénanie. Les grands évènements sportifs ne sont pas oubliés: les spectateurs suivent d’une semaine à l’autre les exploits de nos participants au Jeux Olympiques d’Anvers.

     Une place est également laissée à l’information locale. L’aéronautique, spécialité étampoise, est toujours à l’honneur. Ainsi, le 31 décembre 1920, les spectateurs sont témoins des premiers essais de l’avion à ailes mobiles, à Villesauvage.

     Les directeurs des deux cinémas font des efforts louables pour donner à leurs clients des informations locales importantes dans les meilleurs délais et le font savoir par voie de presse. L’Abeille du 6 décembre 1919 annonce ainsi qu’au cours de la séance du dimanche soir au Casino, les résultats des élections cantonales qui se déroulent le même jour à Etampes, seront projetés sur l’écran dès la fin du dépouillement.

     Après les actualités, le programme de chaque séance se poursuit, jusqu’à la fin des années 20, par une comédie ou un drame sentimental auquel le pianiste présent dans la salle tente de donner une intensité accrue. A ce film succède un intermède musical assuré par le pianiste ou par un chanteur, suivi de la pièce maîtresse de la séance: le feuilleton.

     Dès avant la première guerre mondiale, les producteurs et les réalisateurs ont pris conscience de l’intérêt qu’il y a à fidéliser le public en lui donnant l’occasion de suivre de semaine en semaine un héros identique, ayant pour vocation de sauver des jeunes filles enlevées et de lutter contre un méchant que l’on croit mort à la fin de chaque épisode et qui ressuscite au début de l’épisode suivant C’est la mode du ciné-roman, c’est-à-dire d’un film à épisodes dont la diffusion se poursuit de semaine en semaine sur deux ou trois mois et dont le scénario ou l’histoire écrite, la plupart du temps totalement loufoque, est publié en même temps sous forme de feuilleton à succès par un grand quotidien national, essentiellement Le Petit Parisien et Le Matin.

     Pathé et Gaumont se font une spécialité de ce genre de productions projetées simultanément par plusieurs centaines de salles à travers l’hexagone. Judex, le redresseur de torts, de Louis Feuillade, est ainsi à l’affiche du Casino pendant plusieurs mois de 1916, connaissant un extraordinaire succès auprès du public étampois, tout en étant projeté au même moment dans plus de quatre cents salles en France. Quant à Fantomas, également dû à Louis Feuillade, présenté en 1913, chaque livraison mensuelle du roman-feuilleton se vend, sous forme écrite, à six cent mille exemplaires.

     La presse locale participe du phénomène et s’enthousiasme pour les ciné-romans. En mai 1920,  annonçant le Maître du Mystère, projeté au Casino, l’Abeille affirme que «
les épisodes de ce film ont l’avantage de pouvoir être vus isolément tout en constituant un enchaînement des plus intéressants avec les aventures les plus stupéfiantes et les prouesses les plus extraordinaires»«Tous ceux qui ont lu le passionnant roman… voudront voir se dérouler sur l’écran les séances émouvantes ou amusantes, jamais triviales, jamais criminelles, interprétées dans de superbes décors et paysages français» (10).

     (10) Sur les ciné-romans, voir l’Abeille des 5 juin, 24 juillet et 28 août 1920. A.M.E.; 7C 1.26.
     Cette apparente vitalité du ciné-roman français due aux firmes Pathé et Gaumont ne doit pas faire illusion. L’étude de la programmation des cinémas étampois pour l’année 1920 et pour les années suivantes, confirme une tendance observée au plan national: le net déclin de la diffusion de films français au profit des productions d’Outre-Atlantique.


5. Cinéma d’action et bobines américaines


     Pendant la guerre, tous les films projetés étaient français. En 1920, deux ans après la fin des hostilités et l’ouverture de nos frontières aux produits culturels américains, seuls 35 % des films proposés par les deux cinémas étampois sont français, 61 % sont américains, 4 % italiens. Si Max Linder et Prince Rigadin connaissent toujours un certain succès, le haut de l’affiche est désormais occupé par des acteurs étrangers: Charlie Chaplin, Baby Marie Osborne, Bessie Love, Pearl While, Fanny Ward, Harold Lloyd et Tom Mix qui introduit le genre du western.

     Avec l’apparition des courses-poursuites entre cow-boys et Indiens, et la vogue des ciné-romans français tels que Fantomas et Judex, se multiplient les
«scènes d’action», fusillades, meurtres, explosions en tout genre dont le côté naïf nous fait sourire aujourd’hui mais qui, pour les spectateurs de l’époque, représentent une véritable révolution par rapport au théâtre filmé d’avant-guerre, beaucoup plus statique et moins brutal. Cette évolution vers le cinéma d’action va de pair avec une certaine banalisation de la violence dans la société (attentats anarchistes, exploits de la bande à Bonnot…).

     La question est alors de savoir si le cinéma entretient voire encourage cette violence ou s’il ne fait que s’en inspirer. Toujours est-il que les autorités tant nationales que locales s’en émeuvent. En 1912, un député affirme à la tribune de la Chambre, que le ciné-roman "Fantomas" est l’un des responsable des exploits de la bande à Bonnot. Le débat est lancé. Suivant l’exemple de plusieurs de ses collègues, le maire d’Etampes, Marcel Bouilloux-Lafont, prend, en 1912, un arrêté interdisant dans toute l’étendue de la commune, 
«les représentations cinématographiques ayant trait à des scènes de banditisme ou ayant un caractère criminel, ces représentations étant contraires à la morale et pouvant devenir un encouragement au crime» (11).
     (11) Registre des arrêtés du maire, 7 septembre 1912. A.M.E., 2 D.
     Cet arrêté semble avoir été peu suivi mais demeure théoriquement en vigueur aujourd’hui, n’ayant jamais été abrogé. Par ailleurs, dans l’histoire du cinéma à Etampes, un seul cas de censure nous est connu et encore ne concerne-t-il pas un film de gangsters mais une comédie sentimentale portant le titre Par Amour, adaptation d’un feuilleton paru dans le Petit Journal. Sa projection par le Casino, prévue en novembre 1919, est interdite par le commissaire de police, à la satisfaction du journal l’Abeille, qui constate que «les parent peuvent être certains que leurs enfants ne trouveront au Casino que des spectacles autorisées par les autorités».


6. Le cinéma éducatif et militant


     Comment le cinéma est-il perçu en tant qu’instrument d’éducation populaire et scolaire? Pour le critique de l’Abeille, partageant en cela l’opinion de la plupart des élites locales et nationales, la valeur d’un film repose tout autant sur ses qualités artistiques et le jeu des acteurs que sur son aptitude à encourager chez le spectateur, sentiment patriotique et bonnes mœurs. C’est particulièrement le cas dans les années qui suivent la première guerre mondiale.

     Le 5 juin 1920 par exemple, le chroniqueur de l’Abeille écrit:
«Vieillir est le titre de la belle comédie sentimentale projetée la semaine dernière sur l’écran du Casino. De tels films, d’esprit bien français, d’une grande moralité, méritent d’être vus; il s’en dégage des leçons qui valent d’être méditées».

     Quant aux enseignants d’Etampes, ils comprennent très tôt l’intérêt  que peut avoir le cinéma en tant qu’instrument éducatif. Dès 1923, l’Alhambra propose, en concertation avec les instituteurs, des séances commentées de «cinéma éducateur» le jeudi après-midi à 14 h 30. Ainsi le 2 juin, les élèves peuvent découvrir un programme qui alterne habilement documentaires et fictions de manière à retenir l’attention des enfants. A un documentaire, Voyage à Pompée (sic), succède une comédie, Bout de Zan et la Gamine, puis un documentaire sur la fabrication du papier, une autre comédie, et deux reportages, l’un sur la Tour Eiffel, l’autre sur une école d’éducation physique. Ce cinéma éducatif se développe tout au long des années vingt et trente. Le 12 avril 1930, le Réveil d’Etampes publie un grand article sur le cinéma d’éducation populaire dont il vante les vertus et, dès le 15 février 1930, cinq cents personnes assistent, à l’Alhambra, à la réunion interscolaire d’hygiène et d’éducation antialcoolique organisée par le directeur de l’école publique de jeunes filles de Saint-Martin, à l’appel de la Ligue nationale contre l’alcoolisme. Tous les directeurs d’établissements scolaires et de nombreux élèves y assistent. Un film est projeté: Un rayon de soleil, tragi-comédie sur les méfaits de l’alcool.

     Après 1935, à mesure que les luttes politiques s’exacerbent, et que la perspective d’une nouvelle guerre se précise, apparaît une nouvelle forme de cinéma
«éducatif». Des mouvements politiques et des associations para-politiques prennent l’habitude de louer soit le Casino, soit l’Alhambra, pour y organiser des projections militantes, à l’image des Amis de l’Union Soviétique qui, le 8 juillet 1939, au Casino, proposent un gala où les conférences alternent avec la projection de reportages soviétiques aux titres révélateurs: La marche des avions et L’heureuse jeunesse. Un mois plus tard, l’Alhambra, moins progressiste que son concurrent, diffuse La Reine Victoria, d’Herbert Wilcox, tout en faisant le communiqué de presse suivant: «Au moment où l’entente cordiale est plus que jamais à l’ordre du jour, La Reine Victoria est un très beau film qui doit être vu par tous les  Français.»

     Il ne faut pas se méprendre sur l’importance de ces séances, tant en ce qui concerne leur nombre, qui reste limité, que leur fréquentation. Les séances régulières connaissent quant à elles une évolution assez nette à partir de la seconde moitié des années vingt, qui se poursuit  jusqu’à la seconde guerre mondiale. Les ciné-romans qui constituaient le point d’orgue de toute programmation entre la première guerre mondiale et 1924 environ, disparaissent totalement à partir de cette date pour laisser la place à des comédies et histoires d’amour qui, à en croire l’Abeille du 4 mai 1929, 
«mènent dans la haute société, parmi le luxe et les décors somptueux des mondanités, permettant de pénétrer ainsi dans le grand monde, d’en vivre la vie, tout au moins par les yeux.»

     Le rêve est désormais à l’ordre du jour et, en 1929, 80% des films projetés à l’Alhambra et au Casino sont des comédies et histoires d’amour. A noter que la prédominance du cinéma américain se poursuit: sur 100 longs métrages à l’affiche des deux salles étampoises, 58 sont américains, 32 français et 10 seulement produits par des pays tiers.

La scène du Casino au début des années 20

7. La révolution du cinéma parlant


     Pendant l’été 1929, les deux salles connaissent d’importants travaux en vue d’introduire à Etampes la révolution qui s’est imposée à Hollywood l’année précédente: le cinéma parlant. Sous l’impulsion de son directeur, Watkins, l’Alhambra est le premier à se doter d’appareils de projection Continsouza et du Panatrope Brunschwick qui permet d’adapter la musique à la projection; il est bientôt suivi du Casino. La première conséquence en est la disparition de l’artiste présent sur scène au moment de l’entracte, au profit d’une audition de disques (12).
     (12) l’Abeille du 24 août 1929. A.M.E., 7 C 1.33.
     Le 7 septembre 1929, a lieu au Casino la première diffusion d’un film sonore, Le Danseur de Jazz, avec Conchita Piquer et Raymond de Sarka, et, le 21 février 1930, l’Alhambra projette pour la première fois à Etampes un film musical, entièrement sonore: Rhapsodie hongroise avec trois vedettes de cinéma allemand: Willy Fritsch, Dita Parlo et Lil Dagover. Cette projection inaugure la percée importante du cinéma allemand pendant les années 30, due aux productions de la firme berlinoise UFA (Universum Film Aktiengesellschaft) et à des réalisateurs tels que Carl Froelich, Fritz Lang et Josef von Sternberg. Tous les cinéphiles étampois connaissent alors les acteurs Marlène Dietrich, Lilian Harvey et Willy Fritsch ou encore Emil Jannings, le professeur Rath de L’Ange bleu.

     Le 23 mars 1935, Etampes fête un nouvel événement. Pour la première fois, le Casino propose un concert filmé, l’ouverture d’Obéron, de Weber, par l’Orchestre Philarmonique de Berlin, sous la direction de Bruno Walter.

     Parmi les grands films vus par les Etampois dans la seconde moitié des années 20 et dans les années 30, on peut retenir: Verdun, visions d’histoire, de Léon Poirier, projeté en première nationale en province, La Passion de Jeanne d’Arc de Carl Dreyer, avec René Falconetti et Sylvain, Crépuscule de Gloire de Josef von Sternberg, avec Emil Jannings, qui décrit le destin d’un officier russe devenu figurant de cinéma, La Rue sans joie tourné en 1925 par G.W. Pabst, avec Greta Garbo, Asta Nielsen et Werner Krauss, 
«qui oppose plaisirs des riches et malheurs des pauvres dans la Vienne de la famine et de l’inflation» ou encore La Tentatrice"de Fred Niblo, «dont l’interprétation est entièrement dominée par la très belle et si jeune tragédienne suédoise Greta Garbo» (13).
     (13) l’Abeille du 28 mars 1929. A.M.E., 7 C 1.33.
     Pendant les cinq années qui précèdent la seconde guerre mondiale, la diffusion de produits d’Outre-Atlantique décline fortement au profit d’un cinéma français qui, grâce au talent de réalisateurs tels que Jean Renoir, Marcel Carné ou Sacha Guitry, connaît un nouvel essor. En 1939, rares sont désormais les films américains à l’affiche du Casino et de l’Alhambra. Citons néanmoins le dessin animé Blanche-Neige et les sept nains diffusé à l’occasion des fêtes de Pâques, L’Impossible M. Bébé d’Howard Hawks, avec Katherine Hepburn et Cary Grant, et Amanda avec Ginger Rogers et Fred Astaire. Les grands succès populaires sont cependant français: L’Étrange Monsieur Victor de Jean Grémillon, avec Raimu, Pierre Blanchard et Viviane Romance, Adrienne Lecouvreur de Marcel L’Herbier, avec Pierre Fresnay, Un Carnet de bal de Marcel Carné, avec Raimu, Fernandel, Harry Baur, Louis Jouvet, Pierre Blanchard et Françoise Rosay ou encore L’Alibi de Pierre Chenal, avec Louis Jouvet et Eric von Stroheim.

III – LA GUERRE 1939-1945 ET SES CONSÉQUENCES

1. Le poids de l’Occupation

     Au moment de la déclaration de guerre, au début du mois de septembre 1939, les cinémas sont fermés par le ministère de l’Intérieur, mais l’Alhambra est autorisé à rouvrir ses portes dès le 30 septembre, suivi du Casino le 2 décembre. Quelques mois plus tard, après la débâcle de juin 1940, dix mille soldats allemands s’installent à Etampes et dans sa proche région. Le Casino est immédiatement réquisitionné par les autorités d’Occupation; ce qui signifie sa fin en tant que cinéma ouvert au public français, mais sa nouvelle affectation est de courte durée. Le bombardement qui frappe la ville le 10 juin 1944 détruit l’ensemble des bâtiments, provoquant ainsi la disparition du plus ancien cinéma de la ville.
 
     L’Alhambra qui, lui, n’est pas réquisitionné par l’occupant, demeure donc pendant toute la durée de la guerre, le seul cinéma où les habitants de la région d’Etampes peuvent, pendant quelques instants, oublier les difficultés de l’existence, même si bon nombre de séances ou de sièges sont réservées aux militaires allemands. Son directeur définit la ligne de conduite de l’établissement dans l’Abeille du 24 août 1940: 
«Comme par le passé, nous nous cantonnerons dans la meilleure production franco-européenne et tous les films français non encore passés à Etampes seront présentés en cours de saison. D’autre part, en raison de l’arrêt momentané de la production française, des reprises des meilleurs films français seront effectuées». Dans son numéro du 7 septembre 1940, le même journal précise que «les spectateurs du cinéma sont autorisés à rentrer chez eux après le couvre-feu fixé à 21 h. Il suffira de montrer les tickets d’entrée à toute réquisition de la police»

     Si la première diffusion des actualités parlées allemandes a lieu dès le 31 août, les films programmés au cours de la première année d’occupation sont essentiellement des reprises de productions françaises d’avant-guerre: de septembre 1940 à l’automne 1941, 50 films français sont programmés contre 3 films allemands. L’accent est mis avant tout sur des comédies sans prétention, dont le but est de distraire le spectateur de ses soucis du jour.



2. Libération et nouveaux projets


     A partir de la Libération, Etampes connaît pendant quelques mois une véritable anarchie cinématographique. La présence de nombreux soldats américains, la soif de films et de spectacles chez la population, entraînent une multiplication des salles de spectacles, souvent dans des baraques en bois où la sécurité est aléatoire. Une circulaire préfectorale tente d’y mettre bon ordre. Sont ainsi interdites les projections qui ont lieu dans un baraquement en bois du Marché-Franc, et dans la salle dite 
«Lafitte», construite en bordure de la Juine et de la route d’Orléans, ainsi que dans le cinéma installé dans une baraque à l’emplacement du Casino détruit. Seuls sont autorisés à poursuivre leurs activités, l’Alhambra et le ciné-club de l’école de garçons des Prés, qui projette des films 16 mm.

     En parallèle à cet assainissement de la situation, trois projets de construction de cinémas sont élaborés, dont deux connaissent une issue heureuse. Le premier projet concerne le Casino. En mars 1945, son propriétaire, monsieur Vatié, manifeste sa volonté de le reconstruire. Des plans sont présentés en mai 1950 et, à nouveau, en mars 1951, mais l’idée initiale d’un cinéma est abandonnée au profit d’un dancing-restaurant avec brasserie. Maxime Audhoin en est l’architecte. En novembre 1950, la commission municipale d’urbanisme émet un avis favorable à la reconstruction du Casino et, le 31 mai 1952, est délivrée l’autorisation provisoire d’exploitation du dancing-restaurant qui fonctionnera pendant 15 ans, jusqu’en octobre 1967, date de sa transformation en supermarché.

     Toujours dans l’après-guerre, en mai 1948, est aménagé un cinéma de trois cents places dans un garage sis au 115, rue de la République, à l’emplacement de l’ancienne auberge du Chariot d’or. Son directeur est un certain Imbert, originaire de Cachan, représentant la Société d’Exploitation Cinématographique sud-Banlieue. La salle, qui prend le nom de Royal, trouve rapidement son public, même si son existence indispose certains Étampois, à l’image de ce citoyen anonyme qui envoie une lettre au service de la reconstruction, le 29 octobre 1949, dans laquelle il estime que 
«dans une ville sinistrée comme Etampes, la municipalité ne fait pas son devoir, il y a tout de même les sans-abri avant (sic), d’autant plus qu’il y a déjà un cinéma à Etampes… Enfin, cela sera toujours la même chose en France. Avec de l’argent, on fait ce que l’on veut» (14).
Le Casino après le bombardement de juin 1944

    (14) Fonds cinéma, A.M.E., 3 W 46-47.
     Pour comprendre le ressentiment de l’auteur de la lettre, rappelons que plusieurs dizaines d’habitations étampoises ont été détruites par les bombardements de 1940 et 1944, et que le logement est encore, en 1948, un souci de premier ordre. Malgré les critiques, le cinéma Le Royal rencontre le succès pendant les années cinquante et soixante, avant de connaître une baisse de fréquentation, pendant les années 70, et de fermer finalement ses portes, le 2 novembre 1979.

     Le troisième projet de cinéma présenté après-guerre est le fait de Jean Duguay, propriétaire de l’Alhambra. Dans une lettre écrite au maire, le 5 février 1945, il constate les capacités insuffisantes de la salle et estime que le public étampois a droit à un nouveau cinéma plus moderne (15), tout en reconnaissant qu’«A l’heure actuelle la pudeur commande de ne pas demander à entreprendre sa réalisation alors que nombre de maisons sont à reconstruire à Etampes. C’est pourquoi, [Duguay] n’a effectué à l’Alhambra que des réparations sommaires en attendant mieux, mais [il] n’abandonne pas son projet de 1939…, qu’il serait peut-être intéressant de prévoir dans le nouveau plan d’urbanisme».
     (15) Fonds cinéma, A.M.E., 3 W 46-47.
     Dès octobre 1939, Jean Duguay, qui est propriétaire d’un terrain et d’une construction situés à l’angle de la rue Saint-Jacques et de la rue Lenicolaï, aujourd’hui rue Albert Masse, avait déposé aux services des travaux de la ville un projet de construction et d’aménagement à cet endroit, d’une salle de cinéma avec habitation en façade, dont les plans étaient l’œuvre des architectes étampois Fourgeau et Pourlier. Les premiers travaux de mise en œuvre commencés, fin avril 1940, avaient été interrompus en juin 1940 par l’arrivée des Allemands puis les bâtiments déjà achevés avaient été réquisitionnés par l’occupant, jusqu’à leur destruction par le bombardement aérien du 10 juin 1944. C’est donc un projet bien avancé que Jean Duguay reprend au lendemain de la guerre. Le 6 octobre 1948, il échange le terrain dont il est propriétaire au numéro 126 de la rue Saint-Jacques, contre un autre terrain, lui aussi situé rue Saint-Jacques mais plus près du centre-ville, aux numéros 102-114. Dès le 10 octobre 1951, le maire émet un avis favorable à la construction d’un cinéma à cet endroit et, le 6 novembre 1952, est pris l’arrêté d’autorisation d’ouverture définitive du nouvel établissement qui prend le nom de La Rotonde. L’architecte en est E. Lardillier.

     Au début des années cinquante, Étampes compte donc trois salles de cinéma, la Rotonde, qui vient d’ouvrir, le Royal, rue de la République, et l’Alhambra, la salle la plus ancienne encore en activité, le Casino ayant disparu en tant que cinéma en 1940.



3. Le cinéma de l’après-guerre


     Les premières années de l’après-guerre sont marquées par un retour du cinéma américain mais la majeure partie des films projetés restent français. En 1948, 70 % des films présentés par les deux cinémas étampois alors existants, la Rotonde n’étant pas encore construite, sont des films français, 24% sont américains, 3 % anglais. La grande nouveauté est bien entendu le cinéma en couleurs naturelles qui s’est imposé en Amérique à partir de 1941.

     Les mois qui suivent la fin du conflit témoignent également de la volonté des propriétaires de salles de participer à l’effort de reconstruction de la ville, dans un esprit de solidarité nationale. Ainsi, du 9 juin au 1er juillet 1945, est organisée la 
«Croisade nationale de l’air pur»«Jeunes gens et jeunes filles des mouvements de jeunesse ou des écoles présentent [aux spectateurs] des enveloppes-surprises. Leur vente permettra à des milliers d’enfants de profiter d’un séjour à la campagne, au soleil, à l’air pur» (16). Les recettes de la séance du 4 juillet sont intégralement reversées aux «Croisés de l’air pur». Quant aux bénéfices de la séance du 5, il sont destinés à la reconstruction de l’église Saint-Gilles, sévèrement endommagée par les bombardements pendant la guerre.
     (16) l’Abeille du 19 mai 1945 (Le Journal d’Étampes), 7 C 3.3.



     A la même époque, on assiste à un retour du cinéma militant. L’Association France-URSS, renouant avec une tradition d’avant-guerre, loue l’Alhambra à plusieurs reprises afin de diffuser des actualités et des films soviétiques synchronisés en français suivis d’une conférence sur…«la démocratie en URSS»! Les prisonniers et déportés libérés bénéficient d’une place gratuite.

     Le 14 février 1948, le Journal d’Étampes publie en page de titre une grande enquête consacrée au cinéma français, dénonçant la lourdeur des taxes prélevées par l’Etat sur les recettes des salles et des distributeurs et la pénétration massive des films américains, 
«alors que le cinéma représente pour la France un excellent moyen de propagande».

     Quelques mois plus tard, le 18 novembre, le chroniqueur cinématographique du Journal de Seine-et-Oise, débute une série d’articles consacrés à la 
«révolution du cinéma en couleurs» et, dans son numéro du 25 novembre, il s’interroge sur l’avenir du théâtre municipal: «les cinémas font au théâtre une concurrence terrible: faut-il maintenir le théâtre municipal?» Plusieurs témoignages recueillis auprès de la population sont publiés. Un chômeur sans domicile fixe déclare: «Oh! Moi, vous savez, je suis un vieux colonial, alors, je m’en moque de votre théâtre. Et puis, j’ai pas un rond pour y aller. Tiens, j’aimerais mieux qu’on y joue pas des pièces et qu’on l’ouvre à tout le monde: comme ça j’saurai où dormir.» Une habitante de la rue Saint-Jacques considère sa réouverture comme indispensable. Une jeune femme de la place Notre-Dame affirme que «le théâtre peut bien rester fermé, je n’y vais jamais. J’aime mieux le ciné, dans les films, c’est toujours plus corsé. Et puis dans le noir, on peut se bécoter, on est plus tranquille. Si on rouvre le théâtre, les directeurs de cinéma y vont plus pouvoir vivre honnêtement. Tiens: dans le théâtre y n’ont qu’à percer des fenêtres et faire des logements pour les jeunes mariés. Y a ma sœur qui vit depuis trois mois avec sa belle-mère: elles s’eng… tous les jours. Si elles vivaient chacune chez elles, ça n’arriverait pas.» On le voit: trois ans après la fin de la guerre, la question du logement reste au cœur des préoccupations.

IV – CINÉMA "DE QUALITÉ" ET CINÉMA COMMERCIAL

1. Du ciné-club au cinéma d’art et d’essai

     Au cours des années 60, alors que le cinéma commercial représenté à Étampes par trois salles, connaît un succès populaire inégalé, un groupe d’enseignants de l’école des garçons de Saint-Martin décide de créer un ciné-club qui privilégiera les films d’art et d’essai et dont les adhérents sont des membres de l’enseignement mais aussi en grande partie des habitants du quartier. De 1963 à 1966, les séances sont réservées aux écoliers et organisées dans le cadre des activités culturelles scolaires. Les adhérents étant de plus en plus nombreux, la décision est prise en juin 1967, d’étendre les activités du ciné-club à l’ensemble de la ville. Les premières projections ont lieu à l’école Saint-Martin puis, en raison du doublement d’adhérents en l’espace de quelques mois, à la salle Saint-Antoine, réaménagée en salle de projection par la municipalité. S’y retrouvent régulièrement des amateurs d’un cinéma de qualité. Les premiers artisans du succès de l’association sont M. Gresle, directeur de l’école André Buvat, M. Valet, inspecteur départemental de l’Education Nationale, puis Guy Bersat.

     Pour les membres du conseil d’administration de l’association, «la nouvelle salle doit être un lieu de réunions essentiel dans la cité moderne, pour réagir contre l’attitude passive d’un grand nombre d’habitués de cinéma ou de télévision» (17). A  noter que les débats qui agitent le monde du cinéma et les cinéphiles après 1968 trouve un écho au sein de l’association. Puis, progressivement, au cours des années 1970, la désaffection du public pour la forme ciné-club va conduire à l’essoufflement de l’association.
     (17) Bulletin municipal d’Étampes, second semestre 1968. A.M.E., 7 C 24.1.
     L’année 1979, enfin, voit l’institutionnalisation du cinéma d’art et d’essai à Etampes. Par délibération en date du 14 juin, le conseil municipal décide de créer un poste d’animateur culturel dont la mission consistera à diriger le cinéma d’art et d’essai dont la municipalité veut se doter. C’est ainsi que le samedi 20 octobre de la même année, Cinétampes voit le jour. Association régie par la loi de 1901, Cinétampes «se propose de promouvoir dans les plus larges couches de la population, une diffusion Art et Essai de films de qualité pour une confrontation vivante entre le public et les films» (18).
     (18) Registre des délibérations du Conseil municipal, année 1979. A.M.E., 1 D.
     Cinétampes est en réalité une émanation du service culturel municipal mais sa structure associative lui permet une plus grande souplesse dans la gestion administrative et financière. En sont membres de droit, le maire ou ses représentants, à savoir deux conseillers municipaux nommés par lui, ainsi qu’un représentant de l’administration communale désigné par le secrétaire général à titre consultatif. Cinétampes regroupe également des adhérents individuels qui acquittent une cotisation annuelle et qui élisent six à dix membres délégués qui composent le conseil d’administration avec les membres de droit. C’est le conseil d’administration qui élit le bureau. «Ainsi Cinétampes, tout en restant une initiative municipale, permet une représentation des usagers du cinéma au sein du conseil d’administration de l’association» (19).
     (19) Registre des délibérations du Conseil municipal, année 1979. A.M.E., 1 D.
     La séance inaugurale a lieu le 20 octobre 1979, au théâtre, mis à la disposition de l’association. Le programme prévoit la projection de dix-sept films burlesques de Georges Méliès, en présence de la petite fille du cinéaste. Au même moment, une exposition se tient à la salle des fêtes. Réalisée par le service des archives du film du Centre National de la Cinématographie (CNC), intitulée Lles Messagères du cinématographe, elle présente l’ensemble des travaux liés à la production et à la diffusion d’un film et permet de découvrir diverses machines de prises de vues et de projection.

     Pendant les neuf premiers mois de son activité, Cinétampes propose soixante-douze films au public, dont dix
«ciné-enfants» et les adultes peuvent assister, dès le 14 novembre 1979, à une première soirée-débat avec un réalisateur, Paul Vecchiali. Cinétampes gagne rapidement son pari. Au cours de ses dix premières semaines d’existence, qui voient la projection de seize films, mille sept cents entrées sont enregistrées, ce qui correspond à une moyenne hebdomadaire de 170 spectateurs (20).
     (20) A.M.E. Fonds cinéma, 3 W 35.
     Dès avant la fin de l’année 1979, Cinétampes peut compter sur le soutien de 220 adhérents dont 139 sont étampois et 81 domiciliés dans d’autres communes du sud-Essonne, ce qui démontre que le rayonnement de la salle d’art et d’essai dépasse les limites de l’agglomération.

2. Les premières années de Cinétampes


     L’organisation des séances laisse entrevoir une double programmation: Le programme "A" est représenté par la projection d’un film 
«art et essai» grand public en liaison avec l’actualité cinématographique, le programme «B» consiste en la présentation d’un film soit «art et essai» méconnu et dont la distribution a été difficile alors qu’il mérite d’être connu du public, soit «grand classique du cinéma» ou «grande reprise». Par ailleurs, tous les quinze jours, le mercredi et le samedi après-midi, est proposé un programme plus particulièrement destiné aux enfants de six à douze ans. En 1980, les scolaires représentent 15% du public, chiffre en constante progression dans les années suivantes.

     Une coopération étroite entre Cinétampes et les autres services culturels se met en place à partir du printemps 1980. Du 7 au 22 juin, a lieu le Vème festival de musique d’Etampes, consacré cette année-là à la musique italienne du XIVème siècle. Cinétampes y participe en inscrivant à son programme cinq films italiens ou qui ont l’Italie pour cadre.

     En 1980, le conseil général de l’Essonne salue le travail accompli par l’association en décidant de lui attribuer une subvention pour les travaux d’aménagement de la salle du théâtre et d’équipement technique de la scène qui viennent d’avoir lieu.

     Parallèlement à ses ambitions locales, Cinétampes s’efforce d’obtenir une reconnaissance plus grande des autorités nationales et de travailler en concertation avec d’autres salles d’art et d’essai. Une demande de classement 
«Art et Essai» est introduite auprès du C.N.C. le 22 août 1980, qui y répond favorablement le 24 décembre de la même année. Cinétampes devient alors membre fondateur de l’ACRIF, l’association des Cinémas de Recherches en Ile-de-France. Cette association, dont les statuts sont déposés le 30 octobre 1981, regroupe une vingtaine de salles associatives de la banlieue parisienne guidées par la volonté de «mettre en commun des moyens techniques, humains et financiers, et de permettre la mise en œuvre de pratiques de programmation, d’animation et de promotion de films destinés à favoriser la découverte de nouveaux spectateurs et la rencontre de publics locaux avec des œuvres cinématographiques de qualité» (21).
     (21) A.M.E. Fonds cinéma, 3 W 35.
     En 1981, les cinémas d’art et d’essai de la banlieue parisienne totalisent entre 8 et 12 % des entrées par film, pourcentage qui est loin d’être négligeable.

     L’année 1982 voit le classement de la salle du théâtre et de son décor, au titre des Monuments historiques, et l’inscription des façades et toitures à l’Inventaire supplémentaire du patrimoine immobilier protégé. Cette décision n’a pas d’influence sur les activités de Cinétampes qui, en mai 1982, fait l’acquisition d’un projecteur Hortson d’occasion de 16 mm, permettant de compléter le projecteur Philips de  35 mm acheté en 1979. La société Victoria Electric modifie alors la cabine de projection pour permettre d’utiliser indifféremment l’un ou l’autre matériel.
 
     Le nombre d’adhérents de l’association augmente régulièrement: de 245 en 1982, il passe à 322 en 1983,  à 336 en 1985 et à 436 en 1986. Cette année-là, "Astérix et la surprise de César" totalise 811 entrées en première exclusivité, ce qui en fait le plus grand succès de la saison.

     En 1995, l’association fête les cent ans du cinéma, de même que les Archives communales, qui présentent une exposition et une conférence sur le septième art. Au petit théâtre est projeté un film muet, Le Mécano de la Générale de et avec Buster Keaton, l’ambiance sonore étant assurée par un sextet de jazz.
 
     Dans son édition du 15 mars 1996, Etampes-Info donne la nouvelle du classement de Cinétampes comme 
«Cinéma de Recherche, reconnaissance officielle récompensant une politique de programmation mettant en valeur l’art vivant du cinéma et donnant toute leur place aux œuvres les plus novatrices». Notons également qu’en décembre 1994, la salle modernise son matériel de sonorisation en faisant l’acquisition d’un dispositif dolby-stéréo.

2. Le cinéma commercial à l’épreuve de la modernité

     En ce qui concerne la Rotonde, seul cinéma commercial qui subsiste à Étampes, à la fin des années quatre-vingt-dix, d’importants travaux bouleversent son aménagement en 1992. Le 21 octobre, mettant fin à un chantier de neuf semaines, sont inaugurées les trois salles du nouveau complexe dû à l’architecte Loïc Brejon, qui remplacent l’ancienne salle unique bâtie en 1951-1952 et remise à neuf, pour la dernière fois dans les années soixante-dix. Comme l’écrit Ghislaine Laussel dans le Républicain du 22 octobre 1992, ces travaux d’un coût total de 4 000 000 F, avalisés par le service départemental de l’architecture et le C.N.C. autorisent «la création d’une salle de 250 places avec écran curviligne, ce qui permet aux premiers rangs d’avoir un meilleur confort visuel et le son dolby, une seconde salle de 120 places et une troisième de 50 places pour jouer les prolongations.»

     Aux dires de Guy Lamory, son propriétaire, par ailleurs premier exploitant indépendant de salles en Essonne, la Rotonde peut ainsi «proposer vingt séances hebdomadaires qui misent sur trois facteurs, la qualité, le commercial et le divertissement…», attendu que «ses cinémas ne sont pas des maisons de la culture, et [qu’il] est obligé d’avoir une logique purement commerciale» (22).

3. Etampes sur la toile et à l’écran


     A partir des années 60, les rues et monuments d’Etampes servent régulièrement de cadre au tournage de films et de séries télévisées comme Les Brigades du Tigre, où apparaissent le cloître Notre-Dame et le Pont-Doré.
 
     Parmi les films et téléfilms les plus connus tournés en partie à Etampes, citons La Mariée était en noir de Truffaut, Adieu poulet, réalisé en 1971 par Pierre Granier Deferre, avec Lino Ventura et Patrick Dewaere, et L’Année sainte, de Jean Girault (1975), où Jean Gabin, incarnant son dernier personnage, joue un caïd du milieu s’évadant, déguisé en prêtre, en compagnie de Jean-Claude Brialy.

     Jean-Claude Brialy est d’ailleurs, très certainement, l’acteur qui a le plus souvent eu l’occasion de tourner à Étampes. Outre ses prestations dans L’Année sainte et La Mariée était en noir, il fréquente la ville en 1980 pour le tournage d’Arsène Lupin, d’Alexandre Astruc où, chose curieuse, les décors de la place de l’hôtel de Ville et de l’hôtel d’Anne de Pisseleu sont censés représenter une ville allemande
(23).
 
     Un des derniers films tournés à ce jour à Etampes, en août 1993, est Villa triste de Patrice Leconte, d’après Patrick Modiano avec Jean-Pierre Marielle et Hippolyte Girardot.

Clément Wingler
     (22) Réussir en Essonne, mars 1993, et le Parisien, 7.12.1992.

Jean Gabin et Jean-Claude Brialy lors du tournage de "L'Année Sainte" (1976)

     (23) Le Pli, n°12, 1980.


     I. LES PREMIERS PAS. — 1. La première séance. — 2. Le cinéma forain. — 3. La naissance du Casino. — 4. Cinéma ou théâtre filmé? II. D’UNE GUERRE À L’AUTRE  1914-1940. — 1. Une concurrence née de la guerre. — 2. Les séances, entre patriotisme et distractions. — 3. L’essor de l’après-guerre. — 4. Actualités et ciné-roman. — 5. Cinéma d’action et bobines américaines. — 6. Le cinéma éducatif et militant. — 7. La révolution du cinéma parlant.  III. LA GUERRE 1939-1945 ET SES CONSÉQUENCES.  1. Le poids de l’Occupation. 2. Libération et nouveaux projets. 3. Le cinéma de l’après-guerre. IV – CINÉMA "DE QUALITÉ" ET CINÉMA COMMERCIAL. — 1. Du ciné-club au cinéma d’art et d’essai.  2. Les premières années de Cinétampes.  3. Etampes sur la toile et à l’écran.
          
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE

Éditions

     Clément WINGLER, «Le cinéma, miroir de la société étampoise
», in Bulletin de la Société historique et archéologique de l’Essonne et du Hurepoix 109 (2003), pp. 153-179.

     Clément WINGLER, 
«Le cinéma, miroir de la société étampoise», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-21-wingler2003cinema.html, 2004.

Autres publications de Clément Wingler

     Bernard GINESTE [éd.], «Clément Wingler, une bibliographie», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cbe-clementwingler.html, depuis 2006.

Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
Source: Clément Wingler, disquette fournie par l’auteur en 2004 et photographies scannées sur la revue. On a ajouté trois illustrations à celle de l’article primitif de 2004.
       
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