CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Clément Wingler 
Le théâtre au pays d’Étampes
sous la Renaissance
2002 
     
     Nous rééditons ici un article de Clément Wingler publié par le n°2 de L’Aboyeur, consacré à ce que l’on pourrait appeler la préhistoire du théâtre à Étampes, au tournant du Moyen Age et de la Renaissance.
  
     LE THÉÂTRE AU PAYS D’ÉTAMPES
SOUS LA RENAISSANCE


         Les Étampois peuvent, à juste titre, s’enorgueillir d’avoir su préserver des lieux de mémoire collective dont la richesse et la diversité trouvent rarement leur équivalent dans le patrimoine des autres communes de l’Essonne. La collégiale Notre-Dame et le donjon de Guinette en font bien entendu partie, de même que l’Hôtel de Ville, mais c’est le Théâtre qui exprime peut être le mieux ce trait de caractère fait à la foi de générosité, de détermination et d’astuce, qui est parfois celui des habitants de cette région. En effet, les gens d’Étampes ne sont-ils pas à l’origine de l’existence même du théâtre par la souscription qu’ils ont su lancer avec succès, fruit de l’union de tous leurs efforts? Remercions donc ces acteurs de l’histoire qui, il y a cent cinquante ans, ont décidé de donner à la région, la salle de spectacles que leurs propres ascendants avaient attendu ou espéré en vain peut être depuis le Moyen-Age, et très certainement depuis la Renaissance, cette période qui s’étend à peu près de 1470 à 1559 et qui est habituellement considérée comme un "âge d’or de l’histoire étampoise".  

     Ces années-là, la ville connaît alors une douce prospérité grâce aux ressources de l’agriculture et du commerce, sans oublier la bienveillance royale qui se traduit notamment par l’octroi du droit de municipalité aux habitants. De beaux hôtels particuliers sont construits et les églises embellies, la population croît de même que les fortunes, mais tous les domaines de la vie publique et culturelle ne profitent pas semblablement de ce souffle nouveau. Le théâtre et ce que nos contemporains qualifient de "spectacle vivant", sont indiscutablement les parents pauvres de la vie sociale. Les auberges, seuls lieux publics à l’abri des intempéries et non confessionnels, ne sont pas habilitées à proposer des spectacles montés par les rares troupes de comédiens itinérants qui s’aventurent dans la région. Aux termes du droit coutumier de l’Étampois, couché par écrit en septembre 1556, les hôtels, tavernes et cabarets ne sont-ils pas des "lieux de débauche où les habitants vont sans nécessité, ayans (sic) leurs maisons pour prendre leurs repas, ces sortes de lieux ayant été établis uniquement pour les passants et les étrangers"? (1). Mieux encore, les ordonnances générales de police interdisent aux bourgeois de fréquenter tavernes et auberges après neuf heures du soir, "ce que beaucoup n’observent pas cependant", reconnaît un avocat du XVIIème siècle. Ces interdits ne sont pas propres à la Renaissance.

     Déjà en 1254, une ordonnance de Saint-Louis, confirmée par Charles IX en 1567, "fait deffence aux aubergistes de recevoir femmes, enfants, hommes mariés et qui ont ménage, même pour le manger et boire, sous peine de punition corporelle" (2). Avec une telle sévérité de la législation, comment imaginer la représentation de pièces de théâtre autrement qu’en plein air, sur estrades, en de trop rares occasions ? En fait, le théâtre n’est encore, à cette époque, que très rarement affaire de professionnels même itinérants. Il est plutôt conçu comme un jeu collectif organisé par la population qui choisit en son sein des amateurs enthousiastes auxquels est confiée la mission de mettre en scène et de faire vivre des "tableaux" sur les places de la ville, à la faveur de grandes fêtes religieuses ou lors de l’entrée solennelle des souverains ou de grands personnages. En cela, la Renaissance ne se distingue guère du Moyen-age, à l’exception de certaines villes importantes.
 
     Du reste, les genres médiévaux continuent à jouir d’une très grande considération, à l’exemple des "Mystères" représentant des épisodes de l’Ancien Testament, de la vie du Christ ou des Saints. Ainsi, chaque année à partir de 1477, a lieu dans la collégiale Notre-Dame, au moment de la fête de l’Annonciation, une représentation qui porte le nom de "Salut par personnages" (3). Créé par Jean Hüe, doyen de la Faculté de Théologie, le "Salut" fait intervenir deux enfants, une fille habillée en Sainte Vierge et un garçon représentant l’ange Gabriel, qui jouent l’Annonce du Mystère de l’Incarnation, avant de chanter tour à tour l’Evangile sous forme de dialogue. Le but de la représentation, comme pour tous les "mystères, miracles ou moralités", est avant tout didactique; il s’agit d’instruire et d’édifier les fidèles, en leur offrant la possibilité de participer activement à l’élaboration du spectacle, par exemple en confectionnant costumes et décors, et en s’investissant dans les rôles mimés et parlés. Clergé et confréries ecclésiastiques sont alors les principaux commanditaires de pièces de théâtre aux auteurs le plus souvent anonymes, qui se contentent de recopier des oeuvres plus anciennes ou les Ecritures et les Vies des Saints, sans aucune prétention à l’originalité.

     Le séjour dans la région de membres de la famille royale ou de hauts seigneurs de la Cour, et plus particulièrement leur entrée solennelle dans la ville d’Étampes, constituent l’autre grande source de réjouissances publiques. Lors de la venue de Gaston V de Foix, roi de Navarre et comte d’Étampes, en 1506, six cent garçons munis de banderoles brodées ou peintes d’or, d’argent "et des couleurs les plus fines" (4), forment une haie d’honneur, tandis qu’en présence d’une "multitude innombrable", et au son des trompettes, violons et haut-bois, "une vache dorée jette par ses cornes, suffisamment de vin pour éteindre la soif de tous ceux qui assistent à la cérémonie". Même si les archives restent muettes à ce sujet, on peut supposer que la représentation de pièces par les habitants ou par des troupes de comédiens de métier profitant de l’aubaine, n’était pas absente de ce type de réjouissances auxquelles venaient assister des badauds de toute la région.

     Avec les dernières années de la Renaissance, un fossé commence à se creuser entre les campagnes, dont l’Étampois fait partie, où survivent les modestes et occasionnels spectacles populaires hérités du Moyen-Age, à l’image des "moralités" et des "farces", et les grandes villes où se fait jour l’exigence d’un théâtre savant, fruit de l’humanisme. Dans la voie défrichée par les théoriciens Du Bellay et Pelletier, s’engouffrent enfin des auteurs aux formes dramatiques nouvelles, imitées de l’Antiquité, tels Jodelle et La Péruse, ou encore des rénovateurs de la comédie, à l’exemple de Grévin et Baïf.

     Pour Étampes, ce fossé entre théâtre de saltimbanques et théâtre de qualité ne sera véritablement comblé qu’en 1851, avec la construction du premier chef d’œuvre de Gabriel Davioud.
 
Clément Wingler      

Notes:
(1) Marc-Antoine LAMY, Commentaire de la Coutume… d’Étampes, Paris, Charpentier, 1720, p 370.
(2) LAMY, op. cit., p 372.
(3) Dom Basile FLEUREAU, Les Antiquitez… d’Estampes, Paris, Coignard, 1683, p. 189.
(4) FLEUREAU, op. cit., p. 199.
            
Source: disquette fournie par l’auteur, directeur des Archives Municipales d’Étampes, septembre 2003.
 
 
 
Explicit
 
 
Sommaire généralCatalogue généralNouveautésBeaux-ArtsBibliographieHistoireLittératureTextes latinsMoyen Age Numismatique ProsopographieSciences et techniquesDom FleureauLéon MarquisLiensRemerciementsÉcrire au RédacteurMail to the Webmaster