Bernard Gineste
Les Nouvelles Étampes, c’est Morigny
Saint-Martin d’Étampes et Morigny de part et d’autre d’Étampes
(carte de Cassini, 1756)
I.
État de la question
Depuis 338 ans deux spectres jumeaux
hantent l’historiographie étampoise. Le premier s’appelle «Les
Vieilles Étampes», et le deuxième «Les Nouvelles
Étampes».
Tout naturellement, c’est le père
de l’histoire étampoise, Basile Fleureau qui a le premier relevé
l’existence de ces deux dénominations médiévales
antithétiques, et discuté de leur interprétation.
Dans son grand œuvre, Les Antiquitez de la Ville et du Duché
d’Estampes, dont le manuscrit date des environs de 1668, il relève
avec juste raison que la dénomination Les Vieilles
Étampes désigne évidemment le quartier Saint-Martin.
Il n’y a de fait pas le moindre doute à ce sujet, tant les preuves
en sont nombreuses et évidentes.
Il suppose par ailleurs que l’expression Les
Nouvelles Étampes se rapporte au centre-ville actuel, autour
de Notre-Dame. C’est ce que nous contestons ici.
Quoi qu’il en soit, sa conclusion est
extrêmement simple: le premier noyau de la ville d’Étampes
se trouverait autour de l’église Saint-Martin, dont précisément
une «tradition» attribuait la fondation à Clovis lui-même
(mort en 511). Quant au centre-ville actuel, il ne se serait développé
que bien postérieurement autour de la collégiale Notre-Dame,
qui n’aurait pour sa part été fondée que par Robert
II, à une date qu’il suppose assez proche de l’an 1003. Ainsi
donc l’expression «les Nouvelles Étampes» serait purement
et simplement synonyme de «Étampes-le-Châtre»
ou «Étampes-le-Châtel» (1).
Dans la suite des temps, et jusqu’à
tout récemment encore, les historiens d’Étampes n’ont
pas modifié fondamentalement les conclusions de Fleureau. On
a essayé d’en retoucher certains détails, mais fondamentalement,
on n’a pas reconsidéré la manière dont il a posé
le problème. Nous ne donnerons ici que les grandes lignes de cette
tradition historiographique.
En 1836 Maxime de Montrond (2), imagine que «du vivant même du roi Robert, un nouveau
quartier de la ville avait reçu le nom d’Étampes-le-Châtel,
et que ce nom lui avait été donné par suite de
la construction sur son territoire d’une vaste forteresse. Avant le règne
de ce prince, on ne trouve dans l’histoire aucune trace du châtel
d’Étampes, ni rien qui rappelle le souvenir de la nouvelle ville.»
Notons dès à présent
que l’existence d’une monnaie du roi Raoul portait la légende
Stampis Castellum est depuis venu contredire cette affirmation.
En 1881, Léon Marquis (3) répète
de confiance que Robert le Pieux est le fondateur d’Étampes-le-Châtel.
En 1938 le comte de Saint-Périer
imagine encore que le toponyme «Étampes-les-Nouvelles»
désigne un secteur d’urbanisation récente autour du Palais
de Robert (qu’il identifie à l’actuel palais de justice) et du
château (qu’il suppose s’être déjà situé
à l’emplacement du château ultérieur dit de Guinette):
«Autour du château fort et du palais,
une nouvelle ville se constitua, que les documents du XIe siècle
désignent sous le nom de Stampae castrum ou Stampae novae:
Étampes-le-Châtel ou Étampes-les-Nouvelles. Mais la
nouvelle ville en était trop éloignée pour que le
roi qui avait assuré sa défense par des fortifications et
pourvu à l’agrément de sa propre résidence ne songeât
pas à y fonder des églises. (…). Dans le nouvel Étampes,
le roi fit édifier Notre-Dame, sur les ruines d’une chapelle, et
Saint-Basile au pied de la forteresse.» (4).
Parlant de la Tour du Petit-Saint-Mars,
il suggère par exemple qu’il s’agit d’«un ouvrage militaire,
remontant peut-être à l’époque où seule existait
Étampes-les-Vieilles, destiné à la défense
de la vieille ville et à la surveillance de l’ancienne route d’Orléans
par Saclas, qui s’étend à ses pieds.» (5)
En 1957 l’abbe Léon Guibourgé
fait lui aussi de Robert II le fondateur du château d’Étampes
(6).
En 1999, Monique Châtenet renouvelle
profondément la question en montrant que les archives révèlent
au cœur du centre-ville un secteur encore appelé au XVIe siècle
le « Donjon», vestige toponymique du véritable site
du palais de Robert II (7). Cette nouvelle donnée, qui n’a pas été
à mon sens été suffisamment prise en compte, permet
de supposer que la zone protégée par une enceinte, à
l’époque de Robert II, était beaucoup plus réduite
qu’on ne l’avait pensé jusqu’alors.
A la même date et dans le même ouvrage,
Claudine Billot continue à penser que le quartier de Saint-Martin
est le site originel d’Étampes, et qu’il a été appelé
Stampae Vetulae à partir du XIe siècle
par opposition à un «deuxième pôle de développemement»:
«entouré de maison, enclos d’une première enceinte,
ce nouveau pôle urbain reçoit par opposition aux vieux bourg
Saint-Martin l’appellation d’Étampes-le-Châtel ou
Étampes-les-Nouvelles.» (8).
En 2003, dans le tome I du Pays d’Étampes
(9), Michel Martin consacre plusieurs développements à cette
question des différents noyaux urbains étampois. Il exclut
totalement l’idée que le quartier Saint-Martin ait pu être
le premier en date de ces noyaux.
Il fait
remarquer que la première dénomination latine des «Vieilles
Étampes», utilisée en 1046, est Stampae Vetulae,
où vetulae est théoriquement le diminutif de l’adjectif
veteres plus généralement utilisé
par les sources postérieures (Veteres Stampae). Il suggère
donc que cette expression pourrait en fait signifier le contraire de
son sens obvie, à savoir «un peu vieilles», «pas
trop vieilles», et donc finalement «assez récentes».
J’ai montré en 2003 (10) que cette
opinion n’était pas défendable, d’une part parce que les
diminutifs n’ont pas obligatoirement de valeur diminutive en latin, et
parce que Vetulae alterne en réalité librement avec
Veteres (11), et d’autre part parce que cela n’expliquerait pas de toute façon la dénomination
en question.
Par ailleurs cet auteur se
refuse non moins catégoriquement à identifier à
Étampes-le-Châtel et
Étampes-les-Nouvelles
La
pensée de Michel Martin en cette affaire, si du moins je l’ai bien
comprise, paraît être la suivante: il y aurait d’abord eu
un noyau pré-urbain dans l’actuel centre-ville, ce qu’il appelle
le castrum. Puis se serait développé celui de Saint-Martin.
Enfin, en périphérie du castrum se serait constitué
un nouveau quartier, appelé Les Nouvelles Étampes.
Ainsi donc l’ancienneté du quartier Saint-Martin serait seulement
relative à cette toute dernière évolution.
Pour finir, en 2006, Xavier Peixoto,
archéologue de l’INRAP, résume la situation dans des termes
pratiquement équivalents à ceux de Montrond en 1836: «C’est
sous l’impulsion du roi Robert le Pieux (996-1031) que se constitue un
nouveau pôle urbain qui recevra les noms d’Étampes-le-Châtel
ou d’Étampes-les-Nouvelles» (12).
Certes, nos connaissances archéologiques
ont nettement progressé depuis lors, et la zone considérée
n’est plus exactement la même (car Montrond par exemple croyait
encore par exemple que la construction du château dit de Guinette
remontait à Robert II lui-même). Pourtant rien n’a fondamentalement
changé dans la compréhension du problème.
Sur les panneaux exposés au Musée
d’Étampes en décembre 2006, et qui résument les
premières conclusions des fouilles spectaculaires menées
par l’équipe de Xavier Peixoto, cet archéologue expérimenté,
à qui l’histoire d’Étampes doit déjà beaucoup,
et dont elle espère encore plus, propose, entre autres, un plan
qui semble accepter la théorie de Montrond et de Martin.
A l’est du castrum proprement dit se
serait développée jusqu’au moulin Sablon une vaste zone
d’urbanisation montant au nord jusqu’au boulevard Henri-IV, au sud jusqu’à
la rivière d’Étampes, comprenant donc autant l’église
Saint-Basile que l’actuel Palais de Justice. C’est cette zone, selon la
légende de notre plan, qui se serait appelée Les
Nouvelles Étampes, et elle aurait été ceinte de
nouvelles fortifications, quadruplant en gros la superficie du
castrum originel.
A tout cela rien d’impossible. Les découvertes
archéologiques à venir confirmeront ou infirmeront cette
reconstitution du développement urbain d’Étampes.
La seule chose qui me gêne dans cette
affaire est l’utilisation que l’on fait des sources littéraires
de l’histoire d’Étampes, qui n’ont pas suffisamment été
étudiées pour elles-mêmes: les archéologues
d’Étampes ne peuvent pas encore s’appuyer sur un corpus de textes
sûrs, et c’est bien dommage.
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Stampis Castellum sur un denier
du roi Raoul (923- 936)
(1) Antiquitez..., Paris, Coignard, 1683, p. 23.
(2) Essais historiques sur la Ville d’Étampes,
Étampes, Fortin, t. 1, 1836, p. 46).
(3) Les Rues d’Étampes
et ses monuments, Étampes, Brières, pp. 3-4.
(4) La grande
histoire d’une petite ville, Étampes, Étampes, Caisse
d’Épargne, 1938, p.12.
(5) Ibid., p. 103.
(6) Étampes, ville royale,
Étampes, chez l’auteur, 1957.
(7) Étampes,
un canton entre Beauce et Hurepoix, Édition du Patrimoine,
1999, pp. 39-41.
(8) Ibid.,
pp. 31-32.
(9) Pays d’Étampes. Regards sur
un passé, tome I, Étampes,
Étampes-Histoire, 2003.
(10) «Les Vieilles Étampes»,
in ID., «Trois énigmes toponymiques», in Cahier d’Étampes-Histoire
6 (2004), pp. 72-75.
(11) Le tour Stampae Vetulae est
encore utilisé au XIIIe siècle: il ne signifie donc pas autre
chose que Veteres Stampae.
(12) Panneau exposé au Musée
d’Étampes en novembre-décembre 2006.
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II. Les textes
Et en effet quels sont les textes qui
nous parlent des Nouvelles Étampes? A part Michel Martin,
personne ne semble jamais s’être penché sérieusement
sur la question. Sauf erreur de ma part, et omission de la sienne, il n’en
est que deux qui ait jamais été allégués, à
savoir deux chartes de Philippe Ier, l’une de 1082, et l’autre de 1106.
Or le premier de ces textes,
à savoir la charte de 1082, n’a jamais été étudié
pour lui-même, ni même été édité
correctement. Sa dernière édition, par Maurice Prou en
1908, est en effet assez indigente, ainsi que je le montrerai prochainement
dans une nouvelle édition en ligne sur le présent site du
Corpus Étampois. Prou a bien vu que nous étions
en présence d’un texte interpolé, dont nous n’avons qu’une
seule copie fort tardive, et il a par ailleurs nettement amélioré
le texte de la première édition qu’en avait donnée
Fleureau en 1668. Mais il n’a pas observé pour autant que le texte
qu’il a donné contenait encore au moins une demi-douzaine de corruptions,
dont certaines sont pourtant assez faciles à corriger.
1. Le texte de la charte
de 1106
Le deuxième de ces textes, celui
de la charte de 1106, qui nous a été conservé par
la Chronique de Morigny, est nettement plus sûr.
Nous ne le connaissons également que par une seule copie, mais
de deux siècles antérieure, de la deuxième moitié
du XIIIe siècle. Ce texte a été édité
par Mabillon lui-même, puis par Fleureau, par Menault, et pour finir
par Maurice Prou en 1908. C’est le seul à être relativement
sûr et sur lequel nous puissions nous appuyer avec une relative sécurité.
Or ce texte en en contradiction totale
avec les hypothèses de Fleureau et de tous ses successeurs quels
qu’il soient.
Michel Martin l’a bien entrevu, mais n’en
tire malheureusement pas les conclusions qui s’imposent. Voici ses propres
termes: le terme de suburbium, qui signifie «faubourg»,
selon lui «n’est pas synonyme d’Étampes-les-Nouvelles (…)
territoire qui comprend en 1106 Morigny, alors que ce bourg n’est pas inclus
dans le suburbium en 1046» (1).
Voici
le texte en question, qui officialise le don par Philippe Ier de l’église
de Saint-Martin aux moines de Morigny: «Nous avons donné l’église Saint-Martin des Vieilles-Étampes
(de Veteribus Stampis) (…) au monastère de la Sainte-Trinité
des Nouvelles-Étampes (de Novis Stampis) et à Rainault,
en ce-temps-là abbé du même lieu qui s’appelle Morigny
(ejusdem loci qui Maurigniacus vocatur)».
Il ressort clairement et indubitablement
de ce texte que ce que notre charte de 1106 appelle «les Nouvelles
Étampes», c’est Morigny, purement et simplement.
Et la raison en est parfaitement claire:
c’est qu’à cette date depuis très peu de temps vient d’y
être élevé un monastère, autour duquel se développe
instantanément un petit noyau de peuplement. On appelle alors
ce lieu Les Nouvelles Étampes, à la fois par analogie
et par opposition avec le noyau urbain qui se trouve de l’autre coté
du castrum, à savoir Les Vieilles Étampes, qui sont
le quartier Saint-Martin.
Je rappelle ici en passant que cette dénomination
«Les Vieilles (Veis) Étampes», ainsi que je
l’ai démontré il y a maintenant quelques années,
repose sur l’oubli de la signification originelle du toponyme «Les
Gués (Vés) d’Étampes», corruption qui
a de nombreux parallèles ailleurs (le Vieil Amiens, le Vieux
Rouen, Pithiviers-le-Vieil, etc.).
La dénomination Les Nouvelles-Étampes
paraît avoir été de création artificielle,
et, très clairement, n’a pas pris. Personne n’en a voulu. On n’en
entend plus parler ultérieurement. Dès le départ,
l’auteur de l’acte ressent le besoin de préciser qu’il s’agit de
Morigny.
Voici donc l’énigme à laquelle nous sommes confrontés:
comment aurait-on pu appeler «Les Nouvelles Étampes»
à la fois le nouveau bourg de Morigny en 1106, et, vingt-quatre ans plus tôt, en 1082, un nouveau quartier de la ville d’Étampes, situé
qui plus est du côté opposé du castrum d’Étampes,
avant même l’installation des moines de Saint-Germer dans ce lieu-dit
de Morigny?
Rappelons en effet à ceux qui connaissent
mal la topographie d’Étampes que Morigny est nettement plus éloignée
de Notre-Dame que ne l’est Saint-Martin.
2. Le texte de la charte
de 1082
Revenons donc maintenant au premier de
ces deux textes, dont nous avons commencé par souligner le caractère
douteux.
Il s’agit d’une charte de 1082 dont
nous avons conservé une seule copie, qui
contient d’ailleurs une interpolation du XIIIe siècle, et présente
plusieurs autres corruptions évidentes dues à la négligence
des copistes successifs, dans le cartulaire de Notre-Dame d’Étampes,
qui est de la fin du XVe siècle.
Le passage en question se trouve dans
la partie finale appelée «date»: Actum
publice in palacio Stampis nouis, anno incarnati Verbi .M°. octogesimo
.II°. etc.
Voici comment tout le monde comprend actuellement
ce texte : «Fait publiquement au palais d’Étampes-les-Nouvelles,
l’an 1082 de l’Incarnation du Verbe, etc.»
Cette localisation apparente du palais
d’Étampes, Stampis nouis, est étrange et a fait couler de l’encre, notamment
celle de Michel Martin, qui voudrait en tirer des conclusions relativement
importantes en matière d’urbanisme étampois.
On ne peut que lui donner raison sur le
caractère isolé et bizarre de cette indication apparente.
En effet, dans toutes les autres chartes datées du palais d’Étampes,
ce palais est localisé simplement «à Étampes», Stampis.
Ainsi, on lit simplement Stampis dans
une une charte de Robert II lui-même: Actum Stampis palatio publice,
anno incarnati Verbi MXXX etc. (3), à savoir : «Fait
à Étampes au palais publiquement, l’an de l’Incarnation
du Verbe 1030.»
De même, ultérieurement, dans une
charte de Philippe Ier éditée par Maurice Prou et postérieure
seulement de trois ans à celle qui nous occupe: Actum Stampis,
mense martio in palatio, anno incarnatione 1085 (4), à savoir: «Fait à
Étampes, au mois de mars, au palais, l’an de l’Incarnation du Verbe
1085, etc.».
De même encore en 1112, dans une charte
de Louis VI éditée par Menault: Actum Stampis in palatio
publice, anno Incarnati Verbi M° C° XII° etc. (5), à
savoir: «Fait à Étampes au palais publiquement, l’an
de l’Incarnation du Verbe 1112, etc.»
Comment interpréter cette bizarrerie?
Que faut-il en penser? Peut-on s’appuyer sur ce texte bizarre et douteux
pour reconstituer une histoire de l’urbanisme étampois? Évidemment
non: nous sommes d’évidence en présence d’une des nombreuses
corruptions qui émaillent la seule copie à notre disposition
de la charte de 1082.
On peut même reconstituer avec assez de
vraisemblance la manière dont cette corruption s’est introduite
dans le texte. Il faut d’abord observer que dans les manuscrits du temps,
il est difficile de distinguer le u du n. Quand on a vu
cela, il saute aux yeux que la troisième lettre du mot qui pose
problème, nouis, peut être aussi bien
un n qu’un u, et qu’on peut donc le lire nonis
autant que nouis.
Or le contexte est très favorable à
la première de ces lectures, puisqu’il s’agit de la date.
Il serait question des «nones», latin nonae, ici à l’ablatif de date
(6), ce jour-repère qui dans le calendrier romain traditionnel
tombe le sept des mois de mars, mai, juillet et octobre, et le cinq des
autres mois. Le quantième du mois, quand il est ainsi donné,
l’est usuellement avant la mention de l’année de l’Incarnation et
de celle du règne en cours.
Ainsi, par exemple dans la chancellerie impériale
d’Othon II: Data Nonis Junii anno Dominicae
incarnationis 988, etc., «Donné
aux nones de juin de l’an de l’Incarnation du Seigneur 988»; ou encore: Data Nonis Junii, anno incarnationis Dominicae 983, etc.
«Donné
aux nones de juin de l’an de l’Incarnation du Seigneur 983» (7).
De même dans la chancellerie des
rois de France, nous trouvons une charte de Henri Ier de 1044 ainsi datée
d’Orléans le «cinquième jour avant les nones de mai»: Datum
Aurelianis publice, quinto nonas maii, anno ab incarnatione Domini MXLIIII
(8); une autre d’Orléans également le «sixième jour avant les nones
de mai»: Datum Aureliae publice VI nonas Octobris, anno ab Incarnatione
Domini millesimo quinquagesimo septimo, etc. (9); et encore une charte de Philippe Ier de
1070 datée d’Orry au pays de Senlis le «troisième jour avant les nones de mai»: hec
carta firmata est in pago Silvanectensi, apud Oriacum, .III. nonas maii,
anno ab Incarnatione Domini .M.LXX., etc. (10).
Il faut donc supposer que le nom du mois
aura disparu dans le texte de notre charte par le fait d’un des copistes
intermédiaires, peut-être par saut du même au même.
On devait avoir quelque chose comme nonis maii anno etc., «aux
nones de mai» (c’est-à-dire le 7 mai), ou bien peut-être
nonis nouembris anno etc., «aux nones de novembre»
(c’est-à-dire le 5 novembre), ou autre chose de ce genre.
On peut aussi supposer qu'on avait une abréviation
du genre no(nis). n(ouembr)is, qui aura été mal lu par un copiste,
car on a a des exemples de mauvaises lectures de ce genre. Ainsi Maurice
Prou (11) cite une charte de Coulombs en date de 1066 ou l'abréviation
id. apr., mise pour idibus aprilis, «aux ides d'avril», a été lue par un copiste maladroit idem
approbante, «approuvant
la même chose».
Une fois le nom du mois ainsi disparu,
le copiste suivant a été forcé de comprendre Stampis
nouis. Et comme, par une malheureuse coïncidence, cette expression
a bien été utilisée en 1106 pour désigner
Morigny, la tradition historiographique inaugurée par Fleureau
s’est enferrée jusqu’à nos jours dans une problématique
sans issue.
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Sceau de Philippe Ier
(1) Op.
cit., p.75.
(2) Loc. cit.
(3) Recueil des
Historiens, t. X, p. 623.
(4) Maurice Prou, Recueil des actes de
Philippe Ier, Paris, Imprimerie nationale, 1908, pp. 288. Cependant on notera que cette date de 1085 n'est pas sûre,
apparaissant dans un passage évidemment interpolé.
(5) Cartulaire de Morigny, Paris, Fortin,
1867, tome 2, p 41.
(6) On a l’ablatif nonis pour le
jour même des nones, et l’accusatif nonas pour les dates qui
sont données relativement aux nones à venir. Ainsi on a
nonis maii pour le 7 mai, pridie nonas maii pour
le 6 mai, III nonas maii pour le 5 mai, IV nonas maii pour
le 4 mai, etc.
(7) Chartes d’Othon II éditées par Thomas Ried, Codex
chronologicus diplomaticus episcopatus Ratisbonensis, Ratisbone, Schauff,
1816, t. 1, pp. 110 & 111.
(8) Édition de Thillier et Jarry, Cartulaire
de Sainte-Croix d’Orléans, p. 96
(9) Recueil des Historiens, tome XI, p. 595.
(10) Édition de Prou, p. 144.
(11) Ibid., p. CCI, n. 2 (de la p. CC).
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III. Conclusion
Notre conclusion est donc extrêmemement
simple. Le seul document qui nous parle certainement des
Nouvelles Étampes est une charte de 1106 qui nous
précise explicitement que ce terme est un pur et simple synonyme
du toponyme Morigny.
C’est le nom qu’on a essayé de donner
à Morigny lorsque les moines de Saint-Germer de Fly s’y sont installés:
mais personne n’en a voulu, et on est vite revenu à l’ancien toponyme.
Le nom de Morigny doit d’ailleurs remonter très
haut, et probablement, comme on l’a depuis longtemps supposé,
au nom d’un propriétaire gallo-romain, Maurinus: puisqu’on
vient de retrouver, au dit lieu, ces tous derniers jours, un sarcophage
et quelques sépultures précisément datées du
IVe siècle.
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Saint-Martin d’Étampes et Morigny de part et d’autre d’Étampes
(carte de Cassini, 1756)
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