CORPUS  HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Bernard Gineste
Les Nouvelles Étampes
, c’est Morigny 
décembre 2006
 
CChapiteau de l'église de Morigny (XIIe siècle)

     Aux XIe et XIIe siècles nous entendons parler tantôt d’Étampes (Stampae), tantôt du Châtre d’Étampes (Castrum Stampis ou Castrum Stampense), tantôt du Château d’Étampes (Castellum Stampis), tantôt des Vieilles Étampes (Stampae Vetulae ou Veteres Stampae), et tantôt enfin des Nouvelles Étampes (Stampae novae).
     Après avoir proposé à la dénomination Les Vieilles Étampes une explication qui a paru satisfaire plusieurs spécialistes, nous proposons maintenant une solution encore plus simple à l’énigme que constitue l’appellation Les Nouvelles Étampes, attestée au tournant du XIe et du XIIe siècle.


B.G., 18 décembre 2006
     Pour citer cet article on voudra bien utiliser cette référence: Bernard GINESTE, «Les Nouvelles-Étampes, c’est Morigny», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/che-21-gineste2006nouvellesetampes.html, 2006.

Bernard Gineste
Les Nouvelles Étampes, c’est Morigny

Morigny et Saint-Martin d'Etampes sur la carte de Cassini de 1756
Saint-Martin d’Étampes et Morigny de part et d’autre d’Étampes (carte de Cassini, 1756)

I. État de la question

     Depuis 338 ans deux spectres jumeaux hantent l’historiographie étampoise. Le premier s’appelle «Les Vieilles Étampes», et le deuxième «Les Nouvelles Étampes».

     Tout naturellement, c’est le père de l’histoire étampoise, Basile Fleureau qui a le premier relevé l’existence de ces deux dénominations médiévales antithétiques, et discuté de leur interprétation. Dans son grand œuvre, Les Antiquitez de la Ville et du Duché d’Estampes, dont le manuscrit date des environs de 1668, il relève avec juste raison que la dénomination Les Vieilles Étampes désigne évidemment le quartier Saint-Martin. Il n’y a de fait pas le moindre doute à ce sujet, tant les preuves en sont nombreuses et évidentes.

     Il suppose par ailleurs que l’expression Les Nouvelles Étampes se rapporte au centre-ville actuel, autour de Notre-Dame. C’est ce que nous contestons ici.

     Quoi qu’il en soit, sa conclusion est extrêmement simple: le premier noyau de la ville d’Étampes se trouverait autour de l’église Saint-Martin, dont précisément une «tradition» attribuait la fondation à Clovis lui-même (mort en 511). Quant au centre-ville actuel, il ne se serait développé que bien postérieurement autour de la collégiale Notre-Dame, qui n’aurait pour sa part été fondée que par Robert II, à une date qu’il suppose assez proche de l’an 1003. Ainsi donc l’expression «les Nouvelles Étampes» serait purement et simplement synonyme de «Étampes-le-Châtre» ou 
«Étampes-le-Châtel» (1).

     Dans la suite des temps, et jusqu’à tout récemment encore, les historiens d’Étampes n’ont pas modifié fondamentalement les conclusions de Fleureau. On a essayé d’en retoucher certains détails, mais fondamentalement, on n’a pas reconsidéré la manière dont il a posé le problème. Nous ne donnerons ici que les grandes lignes de cette tradition historiographique.

     En 1836 Maxime de Montrond (2)
, imagine que «du vivant même du roi Robert, un nouveau quartier de la ville avait reçu le nom d’Étampes-le-Châtel, et que ce nom lui avait été donné par suite de la construction sur son territoire d’une vaste forteresse. Avant le règne de ce prince, on ne trouve dans l’histoire aucune trace du châtel d’Étampes, ni rien qui rappelle le souvenir de la nouvelle ville.»
     Notons dès à présent que l’existence d’une monnaie du roi Raoul portait la légende Stampis Castellum est depuis venu contredire cette affirmation.

     En 1881, Léon Marquis (3) répète de confiance que Robert le Pieux est le fondateur d’Étampes-le-Châtel.

     En 1938 le comte de Saint-Périer imagine encore que le toponyme «Étampes-les-Nouvelles» désigne un secteur d’urbanisation récente autour du Palais de Robert (qu’il identifie à l’actuel palais de justice) et du château (qu’il suppose s’être déjà situé à l’emplacement du château ultérieur dit de Guinette):
     «Autour du château fort et du palais, une nouvelle ville se constitua, que les documents du XIe siècle désignent sous le nom de Stampae castrum ou Stampae novae: Étampes-le-Châtel ou Étampes-les-Nouvelles. Mais la nouvelle ville en était trop éloignée pour que le roi qui avait assuré sa défense par des fortifications et pourvu à l’agrément de sa propre résidence ne songeât pas à y fonder des églises. (…). Dans le nouvel Étampes, le roi fit édifier Notre-Dame, sur les ruines d’une chapelle, et Saint-Basile au pied de la forteresse.» (4).
     Parlant de la Tour du Petit-Saint-Mars, il suggère par exemple qu’il s’agit d’«un ouvrage militaire, remontant peut-être à l’époque où seule existait Étampes-les-Vieilles, destiné à la défense de la vieille ville et à la surveillance de l’ancienne route d’Orléans par Saclas, qui s’étend à ses pieds.» (5)
    
     En 1957 l’abbe Léon Guibourgé fait lui aussi de Robert II le fondateur du château d’Étampes (6).

     En 1999, Monique Châtenet renouvelle profondément la question en montrant que les archives révèlent au cœur du centre-ville un secteur encore appelé au XVIe siècle le « Donjon», vestige toponymique du véritable site du palais de Robert II (7). Cette nouvelle donnée, qui n’a pas été à mon sens été suffisamment prise en compte, permet de supposer que la zone protégée par une enceinte, à l’époque de Robert II, était beaucoup plus réduite qu’on ne l’avait pensé jusqu’alors. 

     A la même date et dans le même ouvrage, Claudine Billot continue à penser que le quartier de Saint-Martin est le site originel d’Étampes, et qu’il a été appelé Stampae Vetulae à partir du XIe siècle par opposition à un «deuxième pôle de développemement»: «entouré de maison, enclos d’une première enceinte, ce nouveau pôle urbain reçoit par opposition aux vieux bourg Saint-Martin l’appellation d’Étampes-le-Châtel ou Étampes-les-Nouvelles.» (8).

     En 2003, dans le tome I du Pays d’Étampes (9), Michel Martin consacre plusieurs développements à cette question des différents noyaux urbains étampois. Il exclut totalement l’idée que le quartier Saint-Martin ait pu être le premier en date de ces noyaux.
     Il fait remarquer que la première dénomination latine des «Vieilles Étampes», utilisée en 1046, est Stampae Vetulae, où vetulae est théoriquement le diminutif de l’adjectif veteres plus généralement utilisé par les sources postérieures (Veteres Stampae). Il suggère donc que cette expression pourrait en fait signifier le contraire de son sens obvie, à savoir «un peu vieilles», «pas trop vieilles», et donc finalement «assez récentes».
     J’ai montré en 2003 (10) que cette opinion n’était pas défendable, d’une part parce que les diminutifs n’ont pas obligatoirement de valeur diminutive en latin, et parce que Vetulae alterne en réalité librement avec Veteres (11), et d’autre part parce
que cela n’expliquerait pas de toute façon la dénomination en question.

     
Par ailleurs cet auteur se refuse non moins catégoriquement à identifier à Étampes-le-Châtel et Étampes-les-Nouvelles
     La pensée de Michel Martin en cette affaire, si du moins je l’ai bien comprise, paraît être la suivante: il y aurait d’abord eu un noyau pré-urbain dans l’actuel centre-ville, ce qu’il appelle le castrum. Puis se serait développé celui de Saint-Martin. Enfin, en périphérie du castrum se serait constitué un nouveau quartier, appelé Les Nouvelles Étampes. Ainsi donc l’ancienneté du quartier Saint-Martin serait seulement relative à cette toute dernière évolution.

     Pour finir, en 2006, Xavier Peixoto, archéologue de l’INRAP, résume la situation dans des termes pratiquement équivalents à ceux de Montrond en 1836: «C’est sous l’impulsion du roi Robert le Pieux (996-1031) que se constitue un nouveau pôle urbain qui recevra les noms d’Étampes-le-Châtel ou d’Étampes-les-Nouvelles» (12).
     Certes, nos connaissances archéologiques ont nettement progressé depuis lors, et la zone considérée n’est plus exactement la même (car Montrond par exemple croyait encore par exemple que la construction du château dit de Guinette remontait à Robert II lui-même). Pourtant rien n’a fondamentalement changé dans la compréhension du problème.

     Sur les panneaux exposés au Musée d’Étampes en décembre 2006, et qui résument les premières conclusions des fouilles spectaculaires menées par l’équipe de Xavier Peixoto, cet archéologue expérimenté, à qui l’histoire d’Étampes doit déjà beaucoup, et dont elle espère encore plus, propose, entre autres, un plan qui semble accepter la théorie de Montrond et de Martin.
     A l’est du castrum proprement dit se serait développée jusqu’au moulin Sablon une vaste zone d’urbanisation montant au nord jusqu’au boulevard Henri-IV, au sud jusqu’à la rivière d’Étampes, comprenant donc autant l’église Saint-Basile que l’actuel Palais de Justice. C’est cette zone, selon la légende de notre plan, qui se serait appelée Les Nouvelles Étampes, et elle aurait été ceinte de nouvelles fortifications, quadruplant en gros la superficie du castrum originel.

     A tout cela rien d’impossible. Les découvertes archéologiques à venir confirmeront ou infirmeront cette reconstitution du développement urbain d’Étampes.

     La seule chose qui me gêne dans cette affaire est l’utilisation que l’on fait des sources littéraires de l’histoire d’Étampes, qui n’ont pas suffisamment été étudiées pour elles-mêmes: les archéologues d’Étampes ne peuvent pas encore s’appuyer sur un corpus de textes sûrs, et c’est bien dommage.

Stampis Castellum sur un denier de Raoul
Stampis Castellum sur un denier du roi Raoul (923- 936)










     (1) Antiquitez..., Paris, Coignard, 1683, p. 23.

     (2) Essais historiques sur la Ville d’Étampes, Étampes, Fortin, t. 1, 1836, p. 46).

     (3) Les Rues d’Étampes et ses monuments, Étampes, Brières, pp. 3-4.

     (4) La grande histoire d’une petite ville, Étampes, Étampes, Caisse d’Épargne, 1938, p.12.

     (5) Ibid., p. 103.

     (6) Étampes, ville royale, Étampes, chez l’auteur, 1957.

     (7) Étampes, un canton entre Beauce et Hurepoix, Édition du Patrimoine, 1999, pp. 39-41.

     (8) Ibid., pp. 31-32.

     (9) Pays d’Étampes. Regards sur un passé, tome I, Étampes, Étampes-Histoire, 2003.

    (10) «Les Vieilles Étampes», in ID., «Trois énigmes toponymiques», in Cahier d’Étampes-Histoire 6 (2004), pp. 72-75.

     (11) Le tour Stampae Vetulae est encore utilisé au XIIIe siècle: il ne signifie donc pas autre chose que Veteres Stampae.

     (12) Panneau exposé au Musée d’Étampes en novembre-décembre 2006.

II. Les textes

     Et en effet quels sont les textes qui nous parlent des Nouvelles Étampes? A part Michel Martin, personne ne semble jamais s’être penché sérieusement sur la question. Sauf erreur de ma part, et omission de la sienne, il n’en est que deux qui ait jamais été allégués, à savoir deux chartes de Philippe Ier, l’une de 1082, et l’autre de 1106.

       Or le premier de ces textes, à savoir la charte de 1082, n’a jamais été étudié pour lui-même, ni même été édité correctement. Sa dernière édition, par Maurice Prou en 1908, est en effet assez indigente, ainsi que je le montrerai prochainement dans une nouvelle édition en ligne sur le présent site du Corpus Étampois. Prou a bien vu que nous étions en présence d’un texte interpolé, dont nous n’avons qu’une seule copie fort tardive, et il a par ailleurs nettement amélioré le texte de la première édition qu’en avait donnée Fleureau en 1668. Mais il n’a pas observé pour autant que le texte qu’il a donné contenait encore au moins une demi-douzaine de corruptions, dont certaines sont pourtant assez faciles à corriger.

1. Le texte de la charte de 1106

     Le deuxième de ces textes, celui de la charte de 1106, qui nous a été conservé par la Chronique de Morigny, est nettement plus sûr. Nous ne le connaissons également que par une seule copie, mais de deux siècles antérieure, de la deuxième moitié du XIIIe siècle. Ce texte a été édité par Mabillon lui-même, puis par Fleureau, par Menault, et pour finir par Maurice Prou en 1908. C’est le seul à être relativement sûr et sur lequel nous puissions nous appuyer avec une relative sécurité.

     Or ce texte en en contradiction totale avec les hypothèses de Fleureau et de tous ses successeurs quels qu’il soient.
     Michel Martin l’a bien entrevu, mais n’en tire malheureusement pas les conclusions qui s’imposent. Voici ses propres termes: le terme de suburbium, qui signifie «faubourg», selon lui «n’est pas synonyme d’Étampes-les-Nouvelles (…) territoire qui comprend en 1106 Morigny, alors que ce bourg n’est pas inclus dans le suburbium en 1046» (1).

     Voici le texte en question, qui officialise le don par Philippe Ier de l’église de Saint-Martin aux moines de Morigny: «Nous avons donné l’église Saint-Martin des Vieilles-Étampes (de Veteribus Stampis) (…) au monastère de la Sainte-Trinité des Nouvelles-Étampes (de Novis Stampis) et à Rainault, en ce-temps-là abbé du même lieu qui s’appelle Morigny (ejusdem loci qui Maurigniacus vocatur)».

     Il ressort clairement et indubitablement de ce texte que ce que notre charte de 1106 appelle «les Nouvelles Étampes», c’est Morigny, purement et simplement.

     Et la raison en est parfaitement claire: c’est qu’à cette date depuis très peu de temps vient d’y être élevé un monastère, autour duquel se développe instantanément un petit noyau de peuplement. On appelle alors ce lieu Les Nouvelles Étampes, à la fois par analogie et par opposition avec le noyau urbain qui se trouve de l’autre coté du castrum, à savoir Les Vieilles Étampes, qui sont le quartier Saint-Martin.

     Je rappelle ici en passant que cette dénomination «Les Vieilles (Veis) Étampes», ainsi que je l’ai démontré il y a maintenant quelques années, repose sur l’oubli de la signification originelle du toponyme «Les Gués (Vés) d’Étampes», corruption qui a de nombreux parallèles ailleurs (le Vieil Amiens, le Vieux Rouen, Pithiviers-le-Vieil, etc.).

     La dénomination Les Nouvelles-Étampes paraît avoir été de création artificielle, et, très clairement, n’a pas pris. Personne n’en a voulu. On n’en entend plus parler ultérieurement. Dès le départ, l’auteur de l’acte ressent le besoin de préciser qu’il s’agit de Morigny.

     Voici donc l’énigme à laquelle nous sommes confrontés: comment aurait-on pu appeler «Les Nouvelles Étampes» à la fois le nouveau bourg de Morigny en 1106, et, vingt-quatre ans plus tôt, en 1082, un nouveau quartier de la ville d’Étampes, situé qui plus est du côté opposé du castrum d’Étampes, avant même l’installation des moines de Saint-Germer dans ce lieu-dit de Morigny?
     Rappelons en effet à ceux qui connaissent  mal la topographie d’Étampes que Morigny est nettement plus éloignée de Notre-Dame que ne l’est Saint-Martin.

2. Le texte de la charte de 1082

     Revenons donc maintenant au premier de ces deux textes, dont nous avons commencé par souligner le caractère douteux.
      Il s’agit d’une charte de 1082 dont nous avons conservé une seule copie,
qui contient d’ailleurs une interpolation du XIIIe siècle, et présente plusieurs autres corruptions évidentes dues à la négligence des copistes successifs, dans le cartulaire de Notre-Dame d’Étampes, qui est de la fin du XVe siècle.
     Le passage en question se trouve dans la partie finale appelée
«date»: Actum publice in palacio Stampis nouis, anno incarnati Verbi .M°. octogesimo .II°. etc.
     Voici comment tout le monde comprend actuellement ce texte : «Fait publiquement au palais d’Étampes-les-Nouvelles, l’an 1082 de l’Incarnation du Verbe, etc.»

     Cette localisation apparente du palais d’Étampes, 
Stampis nouis, est étrange et a fait couler de l’encre, notamment celle de Michel Martin, qui voudrait en tirer des conclusions relativement importantes en matière d’urbanisme étampois.

     On ne peut que lui donner raison sur le caractère isolé et bizarre de cette indication apparente. En effet, dans toutes les autres chartes datées du palais d’Étampes, ce palais est localisé simplement
«à Étampes», Stampis.

     Ainsi, on lit simplement Stampis dans une une charte de Robert II lui-même: Actum Stampis palatio publice, anno incarnati Verbi MXXX etc. (3), à savoir : «Fait à Étampes au palais publiquement, l’an de l’Incarnation du Verbe 1030.»

     De même, ultérieurement, dans une charte de Philippe Ier éditée par Maurice Prou et postérieure seulement de trois ans à celle qui nous occupe: Actum Stampis, mense martio in palatio, anno incarnatione 1085
(4), à savoir: «Fait à Étampes, au mois de mars, au palais, l’an de l’Incarnation du Verbe 1085, etc.».

     De même encore en 1112, dans une charte de Louis VI éditée par Menault: Actum Stampis in palatio publice, anno Incarnati Verbi M° C° XII° etc. (5), à savoir: «Fait à Étampes au palais publiquement, l’an de l’Incarnation du Verbe 1112, etc.»

     Comment interpréter cette bizarrerie? Que faut-il en penser? Peut-on s’appuyer sur ce texte bizarre et douteux pour reconstituer une histoire de l’urbanisme étampois? Évidemment non: nous sommes d’évidence en présence d’une des nombreuses corruptions qui émaillent la seule copie à notre disposition de la charte de 1082.

     On peut même reconstituer avec assez de vraisemblance la manière dont cette corruption s’est introduite dans le texte. Il faut d’abord observer que dans les manuscrits du temps, il est difficile de distinguer le u du n. Quand on a vu cela, il saute aux yeux que la troisième lettre du mot qui pose problème, nouis, peut être aussi bien un n qu’un u, et qu’on peut donc le lire nonis autant que nouis.

     Or le contexte est très favorable à la première de ces lectures, puisqu’il s’agit de la date.
     Il serait question des
«nones», latin nonae, ici à l’ablatif de date (6), ce jour-repère qui dans le calendrier romain traditionnel tombe le sept des mois de mars, mai, juillet et octobre, et le cinq des autres mois. Le quantième du mois, quand il est ainsi donné, l’est usuellement avant la mention de l’année de l’Incarnation et de celle du règne en cours.
     Ainsi, par exemple dans la chancellerie impériale d’Othon II:
Data Nonis Junii anno Dominicae incarnationis 988, etc., «Donné aux nones de juin de l’an de l’Incarnation du Seigneur 988»; ou encore: Data Nonis Junii, anno incarnationis Dominicae 983, etc. «Donné aux nones de juin de l’an de l’Incarnation du Seigneur 983» (7).

     De même dans la chancellerie des rois de France, nous trouvons une charte de Henri Ier de 1044 ainsi datée d’Orléans le
«cinquième jour avant les nones de mai»: Datum Aurelianis publice, quinto nonas maii, anno ab incarnatione Domini MXLIIII (8); une autre d’Orléans également le «sixième jour avant les nones de mai»: Datum Aureliae publice VI nonas Octobris, anno ab Incarnatione Domini millesimo quinquagesimo septimo, etc. (9); et encore une charte de Philippe Ier de 1070 datée d’Orry au pays de Senlis le «troisième jour avant les nones de mai»hec carta firmata est in pago Silvanectensi, apud Oriacum, .III. nonas maii, anno ab Incarnatione Domini .M.LXX., etc. (10).

     Il faut donc supposer que le nom du mois aura disparu dans le texte de notre charte par le fait d’un des copistes intermédiaires, peut-être par saut du même au même. On devait avoir quelque chose comme nonis maii anno etc., «aux nones de mai» (c’est-à-dire le 7 mai), ou bien peut-être nonis nouembris anno etc., «aux nones de novembre» (c’est-à-dire le 5 novembre), ou autre chose de ce genre.

     On peut aussi supposer qu'on avait une abréviation du genre no(nis). n(ouembr)is, qui aura été mal lu par un copiste, car on a a des exemples de mauvaises lectures de ce genre. Ainsi Maurice Prou (11) cite une charte de Coulombs en date de 1066 ou l'abréviation id. apr., mise pour idibus aprilis,
«aux ides d'avril», a été lue par un copiste maladroit idem approbante, «approuvant la même chose».

     Une fois le nom du mois ainsi disparu, le copiste suivant a été forcé de comprendre Stampis nouis. Et comme, par une malheureuse coïncidence, cette expression a bien été utilisée en 1106 pour désigner Morigny, la tradition historiographique inaugurée par Fleureau s’est enferrée jusqu’à nos jours dans une problématique sans issue.

Philippe Ier sur un de ses sceaux
Sceau de Philippe Ier













     (1) Op. cit., p.75.

     (2) Loc. cit.

     (3) Recueil des Historiens, t. X, p. 623.

     (4) Maurice Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, Paris, Imprimerie nationale, 1908, pp. 288. Cependant on notera que cette date de 1085 n'est pas sûre, apparaissant dans un passage évidemment interpolé.

     (5) Cartulaire de Morigny, Paris, Fortin, 1867, tome 2, p 41.

     (6) On a l’ablatif nonis pour le jour même des nones, et l’accusatif nonas pour les dates qui sont données relativement aux nones à venir. Ainsi on a nonis maii pour le 7 mai, pridie nonas maii pour le 6 mai, III nonas maii pour le 5 mai, IV nonas maii pour le 4 mai, etc.

     (7) Chartes d’Othon II éditées par Thomas Ried, Codex chronologicus diplomaticus episcopatus Ratisbonensis, Ratisbone, Schauff, 1816, t. 1, pp. 110 & 111.

     (8) Édition de Thillier et Jarry, Cartulaire de Sainte-Croix d’Orléans, p. 96


     (9) Recueil des Historiens, tome XI, p. 595.

     (10) Édition de Prou, p. 144.

     (11) Ibid., p. CCI, n. 2 (de la p. CC).
III. Conclusion

     Notre conclusion est donc extrêmemement simple. Le seul document qui nous parle certainement des Nouvelles Étampes est une charte de 1106 qui nous précise explicitement que ce terme est un pur et simple synonyme du toponyme Morigny.

     C’est le nom qu’on a essayé de donner à Morigny lorsque les moines de Saint-Germer de Fly s’y sont installés: mais personne n’en a voulu, et on est vite revenu à l’ancien toponyme.

     Le nom de Morigny doit d’ailleurs remonter très haut, et probablement, comme on l’a depuis longtemps supposé, au nom d’un propriétaire gallo-romain, Maurinus: puisqu’on vient de retrouver, au dit lieu, ces tous derniers jours, un sarcophage et quelques sépultures précisément datées du IVe siècle.



Morigny et Saint-Martin d'Etampes sur la carte de Cassini de 1756
Saint-Martin d’Étampes et Morigny de part et d’autre d’Étampes (carte de Cassini, 1756)
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE

Édition

     Bernard GINESTE, «Les Nouvelles-Étampes, c’est Morigny», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-21-gineste2006nouvellesetampes.html, 2006.


Publication la plus récente sur la question

     On a donné en notes quelques autres références.

     Michel MARTIN [dir.], Le Pays d’Étampes. Regards sur un passé, tome I, Étampes, Étampes-Histoire, 2003.


Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.

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