CORPUS ARTISTIQUE ÉTAMPOIS
 
Claude Vallier et G. Pomier
C’étaient des trimards
reportage sur un crime à Saint-Cyr-la-Rivière, 1959
      
 Enterrement d'un trimard à Saint-Cyr-la-Rivière (cliché Pomier 1959)
A L’ENTERREMENT DE LEJEUNE, UN SEUL ASSISTANT: BOULEAU, SON COPAIN DE MISERE...
 
     Souvent les affaires de justice nous révèlent des pans de la société qui autrement ne font pas beaucoup parler d'eux: c'est ici le sous-prolétariat beauceron des années 1950, celui des trimards et des déclassés alcooliques.
B.G., 1er septembre 2010
   
Claude Vallier et G. Pomier
C’étaient des trimards
Détective n°655 (16 janvier 1959)
 
 
     On a enterré sans fleurs ni. couronne Auguste LEJEUNE et Maurice SAULNIER, victimes d’une querelle d’ivrogne:

C’ÉTAIENT DES “TRIMARDS”

ÉTAMPES (De nos envoy. spéciaux)



     On aurait aimé entendre un sanglot. Voire une fleur. Deviner un regret. Il n’y eut rien. Qu’un frêle cercueil en bois blanc, sans poignées, sans ornements, sans plaque d’identité, et si étroit qu’il ne semblait pas y avoir place pour le corps d’un homme. Mais comment pourrait-on en vouloir à ceux qui n’avaient pas pleuré, quand celui qui était là, couché tout raide dans sa boîte de pauvre, avait lui-même depuis longtemps choisi d’être oublié?

     Une famille? Une maison? Ça n’avait jamais plu à Auguste Lejeune. Ce qu’il aimait, c’était la liberté, les ballades sur les routes, les amis de rencontre. Alors, un jour, il avait mis un sac sur son dos avec un peu de linge dedans, et il était parti au long des chemins. Il avait dormi à ciel ouvert l’été, dans les granges l’hiver. Il avait fait mille métiers avoués et peut-être — qui peut le dire — mille autres inavouables. Il avait été de la «batterie». Il avait été de la vendange. Bref, il étajt devenu trimard, Ni loi, ni feu, ni lieu, mal vu, souvent soupçonné, fouillé, arrêté, une botte de paille pour lit, une musette pour armoire. Mais il en était fier. Il n’aurait pas fait bon lui dire qu’il n’était qu’un vagabond, un vulgaire clochard des campagnes.

     En somme, à 35 ans, Lejeune pouvait se considérer comme heureux. Il ne demandait qu’une chose: travailler. Ce n’était pas toujours facile. Mais Lejeune commençait à être connu des employeurs beaucerons. On le savait courageux, habile. On refusait rarement ses services. Cette année encore, pour la troisième fois, Il, venait d’être engagé à l’entreprise de battage de Roger Lafouasse, à Saint-Cyr-la-Rivière près d’Etampes. Dès le premier jour, il s’y lia d’amitié avec deux autres compagnons de son âge Maurice Saulnier et René Bouleau. Vint le dimanche. Et que faire un dimanche d’hiver à Saint-Cyr, sinon aller à l’unique café du pays, voir la télévision.

Ils avaient pu vendre quelques balais...

     Malheureusement, II n’y a pas que la télévision. Il y a aussi le vin rouge qui coule sans arrêt des bouteilles dans les verres, et des verres dans les gosiers. Ce dimanche-là pourtant s’annonce bien. Lejeune et Saulnier viennent de vendre des balais qu’ils ont eux-mêmes confectionnés. Il ne leur reste plus qu’à dépenser en compagnie de Bouleau les cinq cents francs gagnés. On partage un pain frais. On boit un litre. Sans s’occuper des autres consommateurs qui emplissent la salle. Ils sont une dizaine, assis face à la télévision, et qui regardent le programme. Un seul est debout…

     Il se nomme Petit, André Petit. Ce n’est pas un trimard, mais un homme du pays. Il possède, sur la route de Saclas, une petite maisonnette jaune à volets verts, à demi-cachée derrière un haut mur en ciment. Il y vit seul depuis huit mois, sa seconde femme l’ayant quitté avec ses deux enfants.
     Un drôle d’homme que Petit. Il pourrait être riche et heureux. Charcutier de son métier, il a naguère été établi rue de Flandre, à Paris, puis rue d’Auteuil. Mais les affaires ne sont pas brillantes, et il a la nostalgie du pays. Aussi, en 1942, il revient s’installer à Saint-Cyr, dans la maison qu’il a fait construire. Il possède une camionnette, et sa femme fait des tournées dans la région. Tout irait bien si Petit n’aimait pas tant la dive bouteille.
    — Il avait le vin méchant, confiera sa femme plus tard...
Un trimard à Saint-Cyr-la-Rivière (cliché Pomier 1959)
… qui, une heure plus tard, ayant bouclé la mallette
qui contenait toute sa fortune, prenait la route...





     Une maison où tout n’était que saleté, tristesse et abandon.

     Si méchant même, que l’écho des disputes familiales retentit encore dans Saint-Cyr, et que Mme Petit, excédée, s’en va un jour avec ses deux enfants habiter une maison voisine. Pour vivre, elle entre aux établissements Bertrand-Faure à Brières-les-Scellés.

     Elle partie, le commerce de Petit périclite. A son tour il entre en usine, et, ironie, il est embauché aux mêmes établissements que son épouse. C’est un bon travailleur. il semble tout à coup s’être assagi. Il va à la chasse avec son fils. Et bien qu’il ne parle pas à son ancienne femme, il ne manque jamais quand il tue une poule ou un lapin, de lui en porter la moitié. Seulement, il y a les dimanches, ce jour de bonheur pour les uns, de solitude pour les autres. Et Petit est terriblement seul. Alors il boit, un litre, deux litres, parfois cinq litres. Ou bien, il invite, les hommes seuls comme lui.
     — Venez chez moi, les gars, on trouvera bien de quoi faire à dîner.

     Dans la maison, où depuis plusieurs mois aucune main de femme n’est passée, c’est la tristesse, l’abandon vaisselle sale dans l’évier, vêtements jetés sur les chaises, lit découvert, feu éteint. Une lumière parcimonieuse laisse deviner des murs sans papier ni peinture, noircis par la fumée du poêle. Il flotte là une écœurante odeur de repas pris à toute heure, un relent de vin rouge, de poubelles non vidées. Qu’importe à ces hommes qui en ont vu d’autres...

     Ils s’asseyent, débouchent une bouteille, et commencent à éplucher des oignons pour la soupe. Mais l’atmosphère est sinistre. Alors, Lejeune se lève, entre dans la chambre, et ouvre la radio. Petit bondit derrière lui et se met à crier.
     — Quand j’invite les gens, je n’aime pas qu’ils aillent partout et se servent de tout.
     Lejeune riposte. Ce que voyant, Bouleau qui n’aime pas les disputes, décide de partir. Il entend encore:
     — Puisqu’il y eu a un qui s’en va, que les autres foutent le camp.
     Puis, plus rien, Il descend la rue du village, et s’en va coucher dans une grange.

     Que se passa-t-il après son départ? Il est bien difficile de le savoir exactement. A 10 heures, quand le gendarme de service à Méréville décrocha le téléphone et entendit la voix de Petit, il n’en crut pas ses oreilles.
     — Voilà, vous pouvez venir, j’en ai aligné deux...
     — Qu’est-ce que tu dis?... Avec quoi? Avec ton fusil de chasse
?
     — Non, avec le poignard.
     Il disait vrai. Quand les gendarmes arrivèrent chez lui quelques instants plus tard, les corps de Lejeune et de Saulnier gisaient près de la porte.

La maison d'un ancien boucher parisien devenu ouvrier à Saint-Cyr-la-Rivière (cliché Pomier 1959)
LES ENQUETEURS RÉUNIS DEVANT LA MAISON DU CRIME…
Sept litres de vin...

     Lejeune surtout, avait été horriblement mutilé. Sept coups de poignard — un poignard S.S. de 25 cm. de lame — l’avaient atteint.
     — Ils ont voulu m’attaquer pour me voler. Je me suis défendu, dit Petit.
     Mais sa version parait bien difficile à admettre. La position des cadavres près de la porte donnant sur la cour, semble plutôt indiquer que les victimes, effrayées, ont cherché s’enfuir. La véritable raison du crime? Elle est sur la table: six litres de vin vides, un septième entamé.

     Petit réalise-t-il maintenant l’horreur de son geste? Il semble bien que non.
     — Ça y’est, ça y’est! Qu’est- ce que vous voulez que j’y fasse. Si le troisième avait été là, il y serait passé aussi...
     Voilà tout ce qu’il s trouvé à dire. Pas un mot de regret pour les deux gars de 35 ans, qui aimaient tant la route et le soleil.

     Oubliés qu’ils étaient. Oubliés ils le seront jusqu’au bout. Pour Saulnier, c’est encore, à la morgue, l’attente d’une femme retrouvée à Castelnau-de-Brassac, mais qui sans doute ne viendra pas. Pour Lejeune, c’est déjà le trou ouvert dans le carré des indigents, le cercueil si blanc, si étroit, si léger, quelques pelletées de terre mouillée, et là- bas, à la sortie du cimetière, la silhouette d’un gars qui s’enfonce dans le jour gris. C’est Bouleau, le rescapé, l’errant, l’amoureux des grands chemins. Devant lui, la route est longue, longue.... Adieu Compagnon.



Claude VALLIER
Reportage photo G. POMIER.

Un ouvrier à Saint-Cyr-la-Rivière (cliché Pomier 1959)
ANDRÉ PETIT, LE MEURTRIER: IL AURAIT DÛ ÊTRE HEUREUX.
  
BIBLIOGRAPHIE

Édition

     Claude VALLIER [texte] & G. POMIER [photographies], «C’étaient des trimards» [récit d’un crime à Saint-Cyr-la-Rivière; 4 photographies], in Détective 655 (16 janvier 1959), p. 7.

     Bernard GINESTE [éd.], «Claude Vallier et G. Pomier: C’étaient des trimards (reportage sur un crime à Saint-Cyr-la-Rivière, 1959)» in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-vallier1959saintcyr.html, 2010.


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     Source: saisie de l’original par B. G., 2010.
     
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