À
tire d’ailes
Étampes en 1919
Au cours de
cette année, qui ne fut ni de de guerre, ni de paix, Étampes
s’essaya à reprendre sa vie d’avant-guerre, vie de laborieuse cité
agricole.
La démobilisation et le départ des prisonniers
de guerre — il ne reste plus guère qu’une cinquantaine de ceux-ci,
en fin d’année — lui firent perdre, chaque mois davantage, son aspect
si pittoresque de ville de garnison; l’hôpital auxiliaire n°217,
le Foyer du Soldat fermèrent leurs portes;
les moulins, occupés par les troupes et
les prisonniers, retombèrent dans le silence; et, pour entretenir
les fastes de l’armée en nos murs, il ne resta plus bientôt
qu’une compagnie du 104e régiment d’infanterie, celle-ci définitivement
attachée à notre ville, qui devient dépôt d’un
bataillon de ce régiment. Notre ciel lui-même retrouva sa parfaite
sérénité et notre vieille tour de Guinette n’eut plus
à contempler les majestueuses évolutions des grands oiseaux
blancs; seul, un avion postal, je crois, sillonna quotidiennement nos nues;
Villesauvage ne fut plus qu’un vaste dortoir d’oiseaux, qu’entretenaient
d’alertes et silencieux petits Indo-Chinois. Mais 1920 éveillera le
nid; et puisqu’il y aura encore des armées, nous voulons espérer
que l’administration militaire saura mettre à profit l’admirable et
moderne installation du camp en en faisant une forte école; alors
le C G. B. finira peut-être par faire la navette entre Étampes
et Villesauvage, ce qui rendra à notre ville son aspect militaire,
si joyeux, si vivant.
La perte d’une grande partie de sa garnison ne replongea
cependant pas Étampes dans une morne langueur; nos rues, dans le
courant de la journée s’entend et notamment aux heures d’entrée
et de sortie des bureaux et ateliers, continuèrent à présenter
une assez vive animation; l’essor industriel et commercial qu’avait donné
la guerre à notre ville ne se ralentit pas; les anciennes industries
ont prospéré; de nouvelles se sont créées; fonderie
Lory, usine de chaussures Chabeur, bonneterie Milet, sont trépidantes
d’activité; Société des Ateliers de boulonnerie, fabrique
de cadenas Fardet, moulin Sablons, ateliers de tricotage Morin de la rue
Magne, etc., prennent une extension chaque jour plus grande; des ateliers
d’électriciens — et à ce sujet nous signalons à la reconnaissance
des Étampois ces actifs artisans, MM. Gerbaux et Derancourt qui réalisent,
eux, simples particuliers, le tour de force d’éclairer chaque soir
l’entrée de notre noire ville et le quartier Saint-Basile — des ateliers
d’électriciens, disions-nous, des ateliers de mécaniciens, des
vastes entrepôts de machines agricoles se sont installés un
peu dans tous les quartiers ; les commerçants ont fait toilette neuve,
ont cherché à mieux s’achalander ; on a senti, enfin, partout,
une activité plus agissante qu’avant la guerre, une activité
qui ira grandissante, d'ailleurs, au fur et à mesure que s’industrialisera
la culture du sol. La motoculture — dont de multiples et intéressantes
démonstrations furent faites à Guinette, à Méréville,
à Janville-sur-Juine, etc., — la motoculture et l’électricité
s’introduisant dans les plus modestes fermes, obligeront les plus petites
villes à avoir leurs ateliers de mécaniciens: Méréville,
Milly, Angerville, Lardy, Saint-Vrain et nombre d’autres nous en ont déjà
fourni l’exemple.
Partout, les jeunes sont rentrés avec l’idée
de moderniser le travail; les Beaucerons n’ont pas fait exception à
la règle générale, ils se sont lancés hardiment
dans la voie du progrès; mais... ils ont trouvé nombre de pierres
d’achoppement: les trains ne marchèrent pas, ne transportèrent
pas — deux, trois heures, voire même une journée entière
furent nécessaires, au cours de l’été notamment, pour
atteindre Paris ou en venir, ce qui eut, en outre, pour effet malheureux
de priver notre ville de la présence des nombreux Parisiens, amis de
guerre, qui se fussent installés en notre coquette cité pendant
la belle saison et y eussent laissé pas mal d’argent au commerce local.
N’oublions pas qu’Étampes, tant par ses promenades que par ses monuments,
peut prétendre à de nombreux visiteurs; rappelons-nous du succès
qu’obtint, le 17 mai, la visite du Congrès archéologique de
France.
Mais les transports ne furent pas les seuls coupables dans
la paralysie du commerce et de l’industrie. L’électricité
se livra à mille facéties, fort préjudiciables aux
industriels — dont les moteurs marchaient ou s’arrêtaient quand bon
lui semblait — et aux commerçants qui usèrent nombre de bougies
pour éclairer leurs boutiques.
Quant au gaz, il se traça un horaire diurne
auquel il ne dérogea jamais et biffa purement et simplement l’horaire
nocturne ; les becs de gaz qui, au temps des gothas, firent jusqu’à
neuf ou dix heures du soir la nique aux lanceurs de bombes, refusent obstinément
tout service depuis que nous sommes en état de paix. Tant pis pour
eux si 1920 les dédaigne pour les remplacer par des ampoules électriques!
Notons, cependant, qu’en fin d’année, tous ces services de transports
ou de force motrice paraissent s’améliorer ; et pour peu que le C.
G. B. se mette de la partie — il marcha si bien le jour de la fête
de la Victoire! — toutes les villes de notre arrondissement, La Ferté
et Milly y compris, pourront commercer avec leur chef-lieu d’arrondissement,
devenu grand centre d'activité industrielle et agricole. Si les hommes
éprouvèrent des difficultés à mener à
bien leur tâche, les dames — celles qui ont charge d’une maison — se
trouvèrent également aux prises avec ces autres grosses difficultés
qui sont la vie chère et la pénurie des denrées; les
marchés ne furent pas brillants, en 1919; ils connurent eux aussi de
petites manifestations, oh! des manifestations peu tragiques et dont les lapins
furent les seules victimes; mais le ravitaillement d’Étampes en souffrit
et ce n’est que grâce au bon fonctionnement des Magasins municipaux
de la rue Saint-Jacques et de la place du Marché que les ménagères
purent s’approvisionner en œufs et en beurre. Pour la viande et les denrées
alimentaires, elles furent mieux partagées: grâce aux constants
efforts de notre Conseil municipal — qui, pour solutionner au mieux des intérêts
des habitants les mille difficultés de l’heure, tint un nombre de
séances qui constitue un record —, nos boucheries purent mettre en
vente de la viande frigorifiée, excellente, saine et relativement
bon marché; nos épiciers purent également fournir à
leurs clients des denrées du ravitaillement, pâtes, riz, haricots,
lard, saindoux. Il y eut enfin le «pinard» du ravitaillement
qui donna aux petites bourses, notamment lors de la vague de chaleur des
mois d’août et septembre, la faculté de rougir la boisson quotidienne.
Mais 1919 ne fut pas que l’année du travail, des difficultés;
elle rouvrit aussi l’ère des fêtes et des réjouissances
publiques. D’abord, on dansa partout, dans les villes, dans les villages;
les pianos mécaniques et les phonographes connurent une vogue jusqu’alors
insoupçonnée.
Puis en fin d’année, les Sociétés
de musique, en l’honneur de la Sainte Cécile, et les Sociétés
des sapeurs pompiers, en l’honneur de la Sainte Barbe, offrirent à
leurs membres honoraires banquets et bals des plus animés, des plus
gracieux. Le bal fermier, donné à l’occasion de la Saint-Michel,
fut un succès qui contribua à l’éclat de la foire locale
étampoise, enfin ressuscitée, comme ressuscitèrent les
fêtes locales milliacoise, mérévilloise, angervilloise,
etc.
Il y eut, en outre, les grandes fêtes nationales: la
Fête de la Victoire fut célébrée magnifiquement,
le 14 juillet, notamment à Milly, à Méréville,
à La Ferté-Alais, à Angerville, à Morigny, à
Boigneville, etc. Et tout l’arrondissement fêtait à nouveau
la Victoire, le 14 septembre à Étampes, en présence
de M. Abrami, sous-secrétaire d’État à la Guerre et
de M. le général Trouchot, commandant de la place de Paris;
fête magnifique qui nous valut des arcs-de-triomphe, une parade militaire
exécutée par les jeunes poilus du 104e sous le commandement
de notre distingué commandant de place, M. le chef de bataillon Courageux;
un brillant festival organisé par M. Condom, et enfin — et surtout
— la pose de la première pierre du Monument qui s’élèvera
à la mémoire des Enfants d’Étampes morts au champ d’honneur,
à la pointe de Dourdan, devenue par décision du Conseil municipal
le square du Souvenir — comme les allées du Port sont devenues les
allées de la Victoire.
On fêta les Vivants, mais on fêta aussi les Morts;
toutes les communes célébrèrent, le 3 août et
le 2 novembre, la fête de la Reconnaissance nationale, soit en élevant
des monuments dans leurs nécropoles — comme à Saclas, — soit
en faisant graver les noms des héros sur les plaques de marbre des
mairies. Et 1920 verra Étampes, Milly, Etréchy, etc., où
circulent avec succès les listes de souscription, immortaliser dans
la pierre, par le ciseau d’un sculpteur, l’héroïsme de leurs
enfants.
Étampes vit encore se dérouler d’autres belles
cérémonies; le 12 mai, il fêta sa Centenaire, Mme Marchand,
qui poursuit allègrement sa vie en son deuxième siècle;
les Anciens Combattants et Vétérans nous offrirent aussi une
belle manifestation le 2 novembre; et le samedi soir 8 novembre, c’était
une pittoresque retraite indochinoise qui se déroulait par nos rues;
l’arbre de Noël pour les Pupilles de la Nation,
délicate attention de M. Marcel Bouilloux-Lafont, clôtura l’ère
des fêtes pour 1919. Ajoutons que notre Théâtre ne chôma
pas, mais ne donna que peu satisfaction aux mélomanes; 1920 nous
ramènera-t-il M. Furet?
Il est un autre plaisir dont une certaine catégorie
de jeunes gens usa et abusa: le spectacle cinématographique. Et cet
abus valut à notre arrondissement une célébrité
à la Cour d’assises de Versailles dont il se serait fort bien passé;
signalons dans le domaine criminel les nombreux cambriolages des villas,
du début de l’année; puis les méfaits de la bande «Satanas»,
dans la région Pussay-Méréville-Estouches; enfin le
crime de la rue du Puits-de-la-Chaîne, par les jeunes énergumènes
de la bande aux «Foulards-Verts»; ajoutons à la sanglante
nomenclature l’assassinat de Mme veuve Ronceret, épicière à
Dannemois, la tragédie de la ferme Bédasne, à Angerville,
et le terrible drame du Petit-Saint- Mars.
Mais il ne suffit pas des actes criminels pour endeuiller
notre cité; la maladie frappa au hasard et arracha à notre
affection plusieurs de nos compatriotes les plus en vue; citons parmi celles
et ceux qui jouèrent un rôle prépondérant et charitable:
Mme Bouillet, présidente des Dames françaises; Mme Vayssière,
présidente de la Société de Secours aux Blessés
militaires; M. Émile Lesage, fondateur de la Caisse du Crédit
agricole et de l’Œuvre d’assistance aux Mutilés de l’arrondissement;
M. Charles Quérard, président intérimaire de la Société
de Secours mutuels des ouvriers d’Étampes; M. Henri Thomas, membre
du Conseil d’administration de la Caisse d’épargne d'Étampes;
M. Depreuve, juge de paix à Milly; M. Alfred Haran, conseiller municipal,
administrateur de la Caisse d’épargne d’Angerville.
Toutes ces personnalités eurent des funérailles
dignes de la grande place qu’elles tinrent dans la vie de nos cités
avant et pendant la guerre.
Nos sociétés perdirent leurs directeurs, leurs
présidentes; nombre de leurs membres furent victimes de la guerre;
elles n’en poursuivirent pas moins leur tâche: Société
de Secours aux Blessés militaires, Société des Dames
françaises, Sociétés des Anciens Combattants et des
Vétérans, Enfants de Guinette, Espérance étampoise,
Sociétés de Secours mutuels de Sainte-Marthe et des Ouvriers
d’Étampes réorganisèrent leurs bureaux et tracèrent
l’œuvre de demain; d’autres sociétés se fondèrent ou
ressuscitèrent, telles l’Association des mutilés, réformés
et veuves de la guerre, sous la présidence de notre glorieux confrère,
M. Maurice Dormann; le «Lendemain» présidée par
M. le docteur Grenet; enfin, l’Association sportive d’Étampes, présidée
par M. Gougenheim.
Il n’est pas jusqu’à la Société
d’horticulture, présidée par l’actif M. Georges Courty, qui
n’ait donné preuve d’une vitalité... vraiment fécondante
en nous offrant une magnifique exposition de fleurs et de légumes,
à l’Hôtel de Ville.
Et pour finir l’année, nous eûmes les élections;
élections législatives, d’abord, qui, vu le mode de scrutin,
ne revêtirent pas le caractère passionné d’antan, mais
qui permirent néanmoins à l’arrondissement d’Étampes
de conserver son distingué représentant, M. Amodru, élu
deuxième des députés de Seine-et-Oise. Élections
municipales, élections cantonales, qui donnèrent aux Étampois
l’occasion de manifester d’éclatante façon l’estime et la confiance
qu’ils éprouvent pour l’administrateur compétent qui gère
de si parfaite façon leurs affaires depuis 1912, M. Marcel Bouilloux-Lafont.
Avec lui revinrent au Conseil municipal, MM. Lescuyer, Gauché,
Berthelot, Hervé, Léauté, Lanceleux, Richou, de Rosère
et Gagneux ; y entrèrent leurs co-listiers, MM. Louis Lory, Marcel
Duclos, Durocher, Fugère, Charon, Dr Lacheny, Delton, Imbault, Randon,
A. Bloch, Quillout, David et Dr Grenet. Seront représentants au Conseil
général: M. Marcel Bouilloux Lafont (Étampes); M. Amodru
(La Ferté-Alais); M. Dufour (Méréville); M. le marquis
de Ganay (Milly). Au Conseil d’arrondissement : MM. Riche, Lory et Léauté
(Étampes); MM. Huré et Pillas (La Ferté Alais); MM.
Ph. Charpentier et Joubert (Méréville); MM. Aubry et Desmeaux
(Milly).
Parmi les maires réélus ou nouvellement élus
citons: MM. Marchand, à Chalo-Saint-Mars; Plisson, à Étréchy;
Riche, à Morigny; Dramard, à Chauffour; Loyer, à La
Ferté-Alais; Galmard. à Mondeville; Charpentier, à Méréville;
Chagot, à Milly; Brégé, à Angerville; Brinon,
à Pussay; Godeau, à Guillerval; Dr Mermillod, à Saclas;
Piollaine, à Lardy; Pillas, à Bouray, etc.
Avec des hommes d’une telle valeur pour présider à
ses destinées, notre arrondissement, devenu une ruche active de travaux
agricoles et industriels, ne peut manquer de jouir d’une grande prospérité
économique.
Tels furent les faits saillants, les événements
heureux ou graves qui illustrèrent la vie de notre cité en
l’année défunte.
Et le Chroniqueur achève son vol à tire d’ailes
au-dessus de la petite patrie, en souhaitant à chacun des amis et
des lecteurs de l’Abeille, douce et heureuse année. Que 1920 soit l’année
des entreprises à succès, de la vie moins chère, de
l’Union toujours plus grande entre tous les habitants de l’arrondissement!
La Juinette.
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L’Abeille d’Étampes
109/1 (3 janvier 1920), p. 1. (saisie de Bernard Gineste).
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