Corpus Historique Étampois
 
Terrier
À tire d’ailes, Étampes en 1919
L’Abeille d’Étampes du 3 janvier 1920
     
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     Au seuil de l’année 1920, l’un des frères Terrier que nous navons pu identifier avec certitude, soit Léon (1869-1937) ou Auguste (1873-1932), propose aux lecteurs de L’Abeille d’Étampes un bilan de l’année 1919 qui vient de s’écouler, pour ce qui concerne du moins Étampes et sa région. Cette synthèse de l’actualité locale, si subjective soit-elle, a naturellement une valeur irremplaçable pour l’histoire locale du XXe siècle étampois, et c’est pourquoi nous la mettons à la disposition de tous les historiens comme de tous les curieux de l’histoire du Sud-Essonne.
Bernard Gineste, 2018
  
Terrier
À tire d’ailes, Étampes en 1919
L’Abeille d’Étampes du 3 janvier 1920
 

  À tire d’ailes
Étampes en 1919


   Au cours de cette année, qui ne fut ni de de guerre, ni de paix, Étampes s’essaya à reprendre sa vie d’avant-guerre, vie de laborieuse cité agricole.

   La démobilisation et le départ des prisonniers de guerre — il ne reste plus guère qu’une cinquantaine de ceux-ci, en fin d’année — lui firent perdre, chaque mois davantage, son aspect si pittoresque de ville de garnison; l’hôpital auxiliaire n°217, le Foyer du Soldat fermèrent leurs portes;
Fantassin les moulins, occupés par les troupes et les prisonniers, retombèrent dans le silence; et, pour entretenir les fastes de l’armée en nos murs, il ne resta plus bientôt qu’une compagnie du 104e régiment d’infanterie, celle-ci définitivement attachée à notre ville, qui devient dépôt d’un bataillon de ce régiment. Notre ciel lui-même retrouva sa parfaite sérénité et notre vieille tour de Guinette n’eut plus à contempler les majestueuses évolutions des grands oiseaux blancs; seul, un avion postal, je crois, sillonna quotidiennement nos nues; Villesauvage ne fut plus qu’un vaste dortoir d’oiseaux, qu’entretenaient d’alertes et silencieux petits Indo-Chinois. Mais 1920 éveillera le nid; et puisqu’il y aura encore des armées, nous voulons espérer que l’administration militaire saura mettre à profit l’admirable et moderne installation du camp en en faisant une forte école; alors le C G. B. finira peut-être par faire la navette entre Étampes et Villesauvage, ce qui rendra à notre ville son aspect militaire, si joyeux, si vivant.

   La perte d’une grande partie de sa garnison ne replongea cependant pas Étampes dans une morne langueur; nos rues, dans le courant de la journée s’entend et notamment aux heures d’entrée et de sortie des bureaux et ateliers, continuèrent à présenter une assez vive animation; l’essor industriel et commercial qu’avait donné la guerre à notre ville ne se ralentit pas; les anciennes industries ont prospéré; de nouvelles se sont créées; fonderie Lory, usine de chaussures Chabeur, bonneterie Milet, sont trépidantes d’activité; Société des Ateliers de boulonnerie, fabrique de cadenas Fardet, moulin Sablons, ateliers de tricotage Morin de la rue Magne, etc., prennent une extension chaque jour plus grande; des ateliers d’électriciens — et à ce sujet nous signalons à la reconnaissance des Étampois ces actifs artisans, MM. Gerbaux et Derancourt qui réalisent, eux, simples particuliers, le tour de force d’éclairer chaque soir l’entrée de notre noire ville et le quartier Saint-Basile — des ateliers d’électriciens, disions-nous, des ateliers de mécaniciens, des vastes entrepôts de machines agricoles se sont installés un peu dans tous les quartiers ; les commerçants ont fait toilette neuve, ont cherché à mieux s’achalander ; on a senti, enfin, partout, une activité plus agissante qu’avant la guerre, une activité qui ira grandissante, d'ailleurs, au fur et à mesure que s’industrialisera la culture du sol. La motoculture — dont de multiples et intéressantes démonstrations furent faites à Guinette, à Méréville, à Janville-sur-Juine, etc., — la motoculture et l’électricité s’introduisant dans les plus modestes fermes, obligeront les plus petites villes à avoir leurs ateliers de mécaniciens: Méréville, Milly, Angerville, Lardy, Saint-Vrain et nombre d’autres nous en ont déjà fourni l’exemple.

   Partout, les jeunes sont rentrés avec l’idée de moderniser le travail; les Beaucerons n’ont pas fait exception à la règle générale, ils se sont lancés hardiment dans la voie du progrès; mais... ils ont trouvé nombre de pierres d’achoppement: les trains ne marchèrent pas, ne transportèrent pas — deux, trois heures, voire même une journée entière furent nécessaires, au cours de l’été notamment, pour atteindre Paris ou en venir, ce qui eut, en outre, pour effet malheureux de priver notre ville de la présence des nombreux Parisiens, amis de guerre, qui se fussent installés en notre coquette cité pendant la belle saison et y eussent laissé pas mal d’argent au commerce local. N’oublions pas qu’Étampes, tant par ses promenades que par ses monuments, peut prétendre à de nombreux visiteurs; rappelons-nous du succès qu’obtint, le 17 mai, la visite du Congrès archéologique de France. 

   Mais les transports ne furent pas les seuls coupables dans la paralysie du commerce et de l’industrie. L’électricité se livra à mille facéties, fort préjudiciables aux industriels — dont les moteurs marchaient ou s’arrêtaient quand bon lui semblait — et aux commerçants qui usèrent nombre de bougies pour éclairer leurs boutiques.
Nuit Quant au gaz, il se traça un horaire diurne auquel il ne dérogea jamais et biffa purement et simplement l’horaire nocturne ; les becs de gaz qui, au temps des gothas, firent jusqu’à neuf ou dix heures du soir la nique aux lanceurs de bombes, refusent obstinément tout service depuis que nous sommes en état de paix. Tant pis pour eux si 1920 les dédaigne pour les remplacer par des ampoules électriques! Notons, cependant, qu’en fin d’année, tous ces services de transports ou de force motrice paraissent s’améliorer ; et pour peu que le C. G. B. se mette de la partie — il marcha si bien le jour de la fête de la Victoire! — toutes les villes de notre arrondissement, La Ferté et Milly y compris, pourront commercer avec leur chef-lieu d’arrondissement, devenu grand centre d'activité industrielle et agricole. Si les hommes éprouvèrent des difficultés à mener à bien leur tâche, les dames — celles qui ont charge d’une maison — se trouvèrent également aux prises avec ces autres grosses difficultés qui sont la vie chère et la pénurie des denrées; les marchés ne furent pas brillants, en 1919; ils connurent eux aussi de petites manifestations, oh! des manifestations peu tragiques et dont les lapins furent les seules victimes; mais le ravitaillement d’Étampes en souffrit et ce n’est que grâce au bon fonctionnement des Magasins municipaux de la rue Saint-Jacques et de la place du Marché que les ménagères purent s’approvisionner en œufs et en beurre. Pour la viande et les denrées alimentaires, elles furent mieux partagées: grâce aux constants efforts de notre Conseil municipal — qui, pour solutionner au mieux des intérêts des habitants les mille difficultés de l’heure, tint un nombre de séances qui constitue un record —, nos boucheries purent mettre en vente de la viande frigorifiée, excellente, saine et relativement bon marché; nos épiciers purent également fournir à leurs clients des denrées du ravitaillement, pâtes, riz, haricots, lard, saindoux. Il y eut enfin le «pinard» du ravitaillement qui donna aux petites bourses, notamment lors de la vague de chaleur des mois d’août et septembre, la faculté de rougir la boisson quotidienne.

   Mais 1919 ne fut pas que l’année du travail, des difficultés; elle rouvrit aussi l’ère des fêtes et des réjouissances publiques. D’abord, on dansa partout, dans les villes, dans les villages; les pianos mécaniques et les phonographes connurent une vogue jusqu’alors insoupçonnée.
Bal Puis en fin d’année, les Sociétés de musique, en l’honneur de la Sainte Cécile, et les Sociétés des sapeurs pompiers, en l’honneur de la Sainte Barbe, offrirent à leurs membres honoraires banquets et bals des plus animés, des plus gracieux. Le bal fermier, donné à l’occasion de la Saint-Michel, fut un succès qui contribua à l’éclat de la foire locale étampoise, enfin ressuscitée, comme ressuscitèrent les fêtes locales milliacoise, mérévilloise, angervilloise, etc.

   Il y eut, en outre, les grandes fêtes nationales: la Fête de la Victoire fut célébrée magnifiquement, le 14 juillet, notamment à Milly, à Méréville, à La Ferté-Alais, à Angerville, à Morigny, à Boigneville, etc. Et tout l’arrondissement fêtait à nouveau la Victoire, le 14 septembre à Étampes, en présence de M. Abrami, sous-secrétaire d’État à la Guerre et de M. le général Trouchot, commandant de la place de Paris; fête magnifique qui nous valut des arcs-de-triomphe, une parade militaire exécutée par les jeunes poilus du 104e sous le commandement de notre distingué commandant de place, M. le chef de bataillon Courageux; un brillant festival organisé par M. Condom, et enfin — et surtout — la pose de la première pierre du Monument qui s’élèvera à la mémoire des Enfants d’Étampes morts au champ d’honneur, à la pointe de Dourdan, devenue par décision du Conseil municipal le square du Souvenir — comme les allées du Port sont devenues les allées de la Victoire.

   On fêta les Vivants, mais on fêta aussi les Morts; toutes les communes célébrèrent, le 3 août et le 2 novembre, la fête de la Reconnaissance nationale, soit en élevant des monuments dans leurs nécropoles — comme à Saclas, — soit en faisant graver les noms des héros sur les plaques de marbre des mairies. Et 1920 verra Étampes, Milly, Etréchy, etc., où circulent avec succès les listes de souscription, immortaliser dans la pierre, par le ciseau d’un sculpteur, l’héroïsme de leurs enfants.

   Étampes vit encore se dérouler d’autres belles cérémonies; le 12 mai, il fêta sa Centenaire, Mme Marchand, qui poursuit allègrement sa vie en son deuxième siècle; les Anciens Combattants et Vétérans nous offrirent aussi une belle manifestation le 2 novembre; et le samedi soir 8 novembre, c’était une pittoresque retraite indochinoise qui se déroulait par nos rues;
Théâtre l’arbre de Noël pour les Pupilles de la Nation, délicate attention de M. Marcel Bouilloux-Lafont, clôtura l’ère des fêtes pour 1919. Ajoutons que notre Théâtre ne chôma pas, mais ne donna que peu satisfaction aux mélomanes; 1920 nous ramènera-t-il M. Furet?

   Il est un autre plaisir dont une certaine catégorie de jeunes gens usa et abusa: le spectacle cinématographique. Et cet abus valut à notre arrondissement une célébrité à la Cour d’assises de Versailles dont il se serait fort bien passé; signalons dans le domaine criminel les nombreux cambriolages des villas, du début de l’année; puis les méfaits de la bande «Satanas», dans la région Pussay-Méréville-Estouches; enfin le crime de la rue du Puits-de-la-Chaîne, par les jeunes énergumènes de la bande aux «Foulards-Verts»; ajoutons à la sanglante nomenclature l’assassinat de Mme veuve Ronceret, épicière à Dannemois, la tragédie de la ferme Bédasne, à Angerville, et le terrible drame du Petit-Saint- Mars.

   Mais il ne suffit pas des actes criminels pour endeuiller notre cité; la maladie frappa au hasard et arracha à notre affection plusieurs de nos compatriotes les plus en vue; citons parmi celles et ceux qui jouèrent un rôle prépondérant et charitable: Mme Bouillet, présidente des Dames françaises; Mme Vayssière, présidente de la Société de Secours aux Blessés militaires; M. Émile Lesage, fondateur de la Caisse du Crédit agricole et de l’Œuvre d’assistance aux Mutilés de l’arrondissement; M. Charles Quérard, président intérimaire de la Société de Secours mutuels des ouvriers d’Étampes; M. Henri Thomas, membre du Conseil d’administration de la Caisse d’épargne d'Étampes; M. Depreuve, juge de paix à Milly; M. Alfred Haran, conseiller municipal, administrateur de la Caisse d’épargne d’Angerville.

   Toutes ces personnalités eurent des funérailles dignes de la grande place qu’elles tinrent dans la vie de nos cités avant et pendant la guerre.

   Nos sociétés perdirent leurs directeurs, leurs présidentes; nombre de leurs membres furent victimes de la guerre; elles n’en poursuivirent pas moins leur tâche: Société de Secours aux Blessés militaires, Société des Dames françaises, Sociétés des Anciens Combattants et des Vétérans, Enfants de Guinette, Espérance étampoise, Sociétés de Secours mutuels de Sainte-Marthe et des Ouvriers d’Étampes réorganisèrent leurs bureaux et tracèrent l’œuvre de demain; d’autres sociétés se fondèrent ou ressuscitèrent, telles l’Association des mutilés, réformés et veuves de la guerre, sous la présidence de notre glorieux confrère, M. Maurice Dormann; le «Lendemain» présidée par M. le docteur Grenet; enfin, l’Association sportive d’Étampes, présidée par M. Gougenheim.
Fruits Il n’est pas jusqu’à la Société d’horticulture, présidée par l’actif M. Georges Courty, qui n’ait donné preuve d’une vitalité... vraiment fécondante en nous offrant une magnifique exposition de fleurs et de légumes, à l’Hôtel de Ville.

   Et pour finir l’année, nous eûmes les élections; élections législatives, d’abord, qui, vu le mode de scrutin, ne revêtirent pas le caractère passionné d’antan, mais qui permirent néanmoins à l’arrondissement d’Étampes de conserver son distingué représentant, M. Amodru, élu deuxième des députés de Seine-et-Oise. Élections municipales, élections cantonales, qui donnèrent aux Étampois l’occasion de manifester d’éclatante façon l’estime et la confiance qu’ils éprouvent pour l’administrateur compétent qui gère de si parfaite façon leurs affaires depuis 1912, M. Marcel Bouilloux-Lafont.

   Avec lui revinrent au Conseil municipal, MM. Lescuyer, Gauché, Berthelot, Hervé, Léauté, Lanceleux, Richou, de Rosère et Gagneux ; y entrèrent leurs co-listiers, MM. Louis Lory, Marcel Duclos, Durocher, Fugère, Charon, Dr Lacheny, Delton, Imbault, Randon, A. Bloch, Quillout, David et Dr Grenet. Seront représentants au Conseil général: M. Marcel Bouilloux Lafont (Étampes); M. Amodru (La Ferté-Alais); M. Dufour (Méréville); M. le marquis de Ganay (Milly). Au Conseil d’arrondissement : MM. Riche, Lory et Léauté (Étampes); MM. Huré et Pillas (La Ferté Alais); MM. Ph. Charpentier et Joubert (Méréville); MM. Aubry et Desmeaux (Milly).

   Parmi les maires réélus ou nouvellement élus citons: MM. Marchand, à Chalo-Saint-Mars; Plisson, à Étréchy; Riche, à Morigny; Dramard, à Chauffour; Loyer, à La Ferté-Alais; Galmard. à Mondeville; Charpentier, à Méréville; Chagot, à Milly; Brégé, à Angerville; Brinon, à Pussay; Godeau, à Guillerval; Dr Mermillod, à Saclas; Piollaine, à Lardy; Pillas, à Bouray, etc.

   Avec des hommes d’une telle valeur pour présider à ses destinées, notre arrondissement, devenu une ruche active de travaux agricoles et industriels, ne peut manquer de jouir d’une grande prospérité économique.

Aéroplane    Tels furent les faits saillants, les événements heureux ou graves qui illustrèrent la vie de notre cité en l’année défunte.

   Et le Chroniqueur achève son vol à tire d’ailes au-dessus de la petite patrie, en souhaitant à chacun des amis et des lecteurs de l’Abeille, douce et heureuse année. Que 1920 soit l’année des entreprises à succès, de la vie moins chère, de l’Union toujours plus grande entre tous les habitants de l’arrondissement!

La Juinette.
   L’Abeille d’Étampes 109/1 (3 janvier 1920), p. 1. (saisie de Bernard Gineste).


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SourceL’Abeille d’Étampes 109/1 (3 janvier 1920), p. 1 (saisie de Bernard Gineste, 2018).
BIBLIOGRAPHIE

Éditions

     Léon ou Auguste TERRIER, «À tire d’ailes, Étampes en 1919», in L’Abeille d’Étampes 109/1 (3 janvier 1920), p. 1.

     Bernard GINESTE [éd.], «Terrier: À tire d’ailes, Étampes en 1919
», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/che-20-terrier1920etampesen1919.html, 2018.


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