À
tire d’ailes
Étampes en 1917
Tout à la guerre: tel fut le caractéristique
de la vie locale, en l’année qui vient de finir.
Comment, d’ailleurs, en serait-il autrement? Comment songer
à autre chose alors que toute notre jeunesse est jetée dans
la fournaise?
Et, bien que loin au front, n’est-ce pas la guerre qui nous
fournit les spectacles quotidiens par quoi s’affirme la vie d’une cité?
Ces ronrons du moteur d’un Caudron, évoluant au-dessus de Guinette;
ce roulement de tonnerre d’un lourd tracteur dévalant rue Saint-Jacques;
ce pas cadencé d’une section de territoriaux, cette lourde marche
d’un convoi de prisonniers se rendant à Saint-Martin, tout cela c’est
la guerre... Et c’est encore la guerre, les rires joyeux de nos jeunes dames
secrétaires rentrant de la «caserne»; et aussi, hélas!
le son des cloches de nos églises qui annonce le service funèbre
d’un enfant d’Étampes tombé pour la France!
Tout à la guerre: il n’est pas d’intelligences, il
n’est pas de bras, dans toutes les branches de l’activité humaine,
qui n’aient donné leur maximum d’efforts pour aider à la
solution des multiples problèmes posés par le grand Conflit.
Au Conseil municipal, la presque totalité des questions
étudiées, débattues et réglées ont porté
sur l’organisation de la vie communale; il fallait remédier à
la crise du combustible, à la crise des transports, à la
vie chère! Nos édiles s’y attachèrent résolument;
c’est ainsi que furent décidées la création de stocks
de charbon et de bois, l’exploitation du terrain tourbeux offert par M.
Mille, l’installation d’une porcherie municipale; en outre, de nombreuses
démarches furent faites pour obtenir la main-d’œuvre des prisonniers
de guerre en faveur du curage des rivières et des travaux agricoles.
Pas de changement dans le personnel: les pilotes non mobilisés
continuent à diriger la barque municipale avec habileté et
à la satisfaction générale. Par contre, changement
à la sous-préfecture: M. Darras nous quitte pour la sous-préfecture
de Saintes et M. Viguié, sous-préfet de Mantes, le remplace
en notre ville. Changement aussi dans le monde judiciaire: M. Rondelet,
procureur de la République, s’en est allé juger à la
cour d’appel d’Amiens et son poste a été confié au
très sympathique M. Lair.
Quelques graves affaires criminelles
ont sollicité l’attention de ces deux magistrats ; entre les plus
retentissantes citons: le double crime de Pierre-Brou qui coûta la
vie à Mme veuve Dunaud et à sa petite bonne, crime dont l’auteur
ne put être rejoint; l’incendie de Pussay qui détruisit des
quantités de fourrages chez M. Thomin; l’exploit... de l’huissier
Rose (chut...) et, enfin, l’atroce tragédie de Blandy au cours de
laquelle les charretiers Sourceau et David tombèrent sous les balles
du belge Vandermassen, aujourd’hui entre les mains de la justice.
De trop nombreux incendies de meules de blé, quelques
suicides, un infanticide, des vols d’argent... et de légumes mirent
en branle notre gendarmerie; mais l’intérêt était ailleurs
et le public n’y attacha qu’une minime importance.
Par contre, il s’intéressa aux actions héroïques
de nos poilus et aux généreuses initiatives de nos concitoyens
et de nos concitoyennes.
Les actions héroïques de nos poilus, d’abord:
sur tous les points du front, les gars de Beauce, les régiments
beaucerons se sont couverts de gloire. Dans les Flandres, en Champagne,
en Orient, ils ont mérité des citations élogieuses
et la liste déjà bien longue des héros cités
à l’Ordre du Jour s’est accrue de plusieurs centaines de noms — de
même, hélas! que s’allongeait la liste des morts au champ d’honneur,
sur le mur de l’Hôtel-de-Ville d’Étampes où le tableau,
dressé à cet effet, est désormais entièrement
garni. Tribut formidable et sanglant payé à la Gloire, à
la Victoire...
Les généreuses initiatives de nos concitoyens
et de nos concitoyennes, ensuite: dans cette catégorie, rangeons
le don fait par notre sympathique maire, M. Marcel Bouilloux-Lafont, de
10 bourses de pensionnaires au Collège d’Étampes en faveur
des orphelins de la guerre; la création d’un «Foyer»
pour les soldats, par les soins du Comité de la Société
de Secours aux Blessés militaires qui ne considéra pas sa
tâche patriotique comme terminée lorsqu’il dut fermer l’hôpital
Jeanne-d’Arc dont les locaux étaient nécessaires à
l’Instruction publique ;
l’adjonction par la Société des
Dames françaises d’un Centre de physiothérapie agricole à
la formation sanitaire n°217, installée au Collège, où
les dévouées infirmières continuent à donner
les soins les plus attentifs aux blessés; la recrudescence d’activité
fournie par les membres du Poste de Secours de la gare, par les Comités
de l’Assistance aux Mutilés de l’arrondissement d’Étampes
et de l’Œuvre des Prisonniers de guerre; enfin, l’inlassable dévouement
des Dames du Comité des Réfugiés qui eurent — et ont
encore — à surmonter bien des difficultés pour loger, entretenir
et faire en quelque sorte renaître à la vie les malheureux
Français libérés par nos vaillants soldats ou rendus
par l’Allemagne. Dans un but patriotique, nos jeunes sportsmen du Sporting-Club
et de l’Union sportive du Collège ont continué l’entraînement
qui fera d’eux plus tard de forts soldats; nos bleuets des Enfants de Guinette
et de la Revanche, de la Société de tir de Méréville
ont persévéré dans leur apprentissage du métier
des armes pour suivre leurs aînés sur le chemin de la gloire;
et nos Vétérans et Anciens Combattants se sont fait un devoir
d’honorer de leur présence tous les services funèbres en
la mémoire des Enfants d’Étampes morts pour la Patrie et
de tous les soldats et aviateurs décédés en notre
ville. C’est dire qu’ils n’ont pas chômé, hélas! car
ils furent nombreux les oiseaux de France qui vinrent briser leurs ailes
audacieuses sur notre plateau beauceron en voulant, toujours plus haut,
faire flotter les trois couleurs.
Dames des Sociétés de la Croix-Rouge,
Sociétés de préparation militaire, Vétérans
et Anciens Combattants se firent également un devoir d’assister aux
nombreuses prises d’armes qui se déroulèrent, place de l’Hôtel-de-Ville,
particulièrement durant les six premiers mois de l’année;
M. le Chef de bataillon Delalande, le distingué
commandant de place, se fit, en effet, un plaisir d’offrir aux Étampois
de nombreuses parades militaires à l’occasion des remises de Croix
de guerre et des diplômes aux parents des Morts pour la Patrie. Et
la foule y vint chaque fois, empressée et émue, saluer ses
compatriotes à l’honneur ou à la peine, mais heureuse aussi
de voir défiler alertement, au son des refrains guerriers jetés
par une clique entraînée, les braves territoriaux du 2e bataillon
du 58e, nos sympathiques hôtes depuis deux ans. À ceux-ci se
joignirent parfois la compagnie d’Annamites employés à Villesauvage:
et ils n’étaient pas les moins admirés au moment du défilé,
nos braves petits amis jaunes, très crânes sous leurs coiffures
nationales à pointes dorées!
Mais le gros événement militaire de l’année
fut, sans conteste, l’arrivée des Américains; longtemps on
se souviendra à Étampes de ces braves Sammies, à allure
de grands boy-scoots qui allaient par nos rues, tenant d’une main leur
livret-guide et pressant tendrement de l’autre la menotte d’un petit Étampois.
Avec eux, notre vieil Étampes a définitivement complété
la collection des specimens de races: Américains, Anglais, Belges,
Portugais, Serbes, Asiatiques et Africains et les prisonniers Allemands
et Autrichiens, enfin, ont défilé par nos rues.
Comme nous voilà loin du temps où, pour toute
garnison, Étampes ne possédait que quelques sections d’aérostiers!
Et c’était cependant le bon vieux temps, le temps de la Saint-Michel,
le temps de la vie à bon marché, un bon vieux temps dont
nous désirons tous ardemment le retour.
Aussi, c’est le souhait que nous formulons avec le plus
d’ardeur au seuil de la nouvelle année: que, durant ces douze mois,
la Victoire sourie à nos drapeaux et nous donne la Paix glorieuse.
Et nous pourrons offrir à nos lecteurs, avec nos
vœux de bonne année, une chronique où il ne sera plus question
de vie chère, de stock de charbon, de pénurie de lait ou de
tabac, de prises d’armes et de deuils, mais de travaux utiles et d’œuvres
fécondes, génératrices de Vie et d’Amour.
La Juinette.
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L’Abeille d’Étampes
et le Réveil d’Étampes 4/184 (5 janvier 1918), p.
1. (saisie de Bernard Gineste; nous corrigeons le titre, qui porte Étampes
en 1918, pour l’harmoniser avec ceux des années suivantes).
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