Corpus Historique Étampois
 
Terrier
À tire d’ailes, Étampes en 1917
L’Abeille d’Étampes du 5 janvier 1918
     
Tire d'ailes      

     Au seuil de l’année 1918, l’un des frères Terrier que nous navons pu identifier avec certitude, soit Léon (1869-1937) ou Auguste (1873-1932), propose aux lecteurs de L’Abeille d’Étampes un bilan de l’année 1917 qui vient de s’écouler, pour ce qui concerne du moins Étampes et sa région. Cette synthèse de l’actualité locale, si subjective soit-elle, a naturellement une valeur irremplaçable pour l’histoire locale du XXe siècle étampois, et c’est pourquoi nous la mettons à la disposition de tous les historiens comme de tous les curieux de l’histoire du Sud-Essonne.
Bernard Gineste, 2018
  
Terrier
À tire d’ailes, Étampes en 1917
L’Abeille d’Étampes du 5 janvier 1918
 

  À tire d’ailes
Étampes en 1917



   Tout à la guerre: tel fut le caractéristique de la vie locale, en l’année qui vient de finir.

   Comment, d’ailleurs, en serait-il autrement? Comment songer à autre chose alors que toute notre jeunesse est jetée dans la fournaise?

Aéroplane    Et, bien que loin au front, n’est-ce pas la guerre qui nous fournit les spectacles quotidiens par quoi s’affirme la vie d’une cité? Ces ronrons du moteur d’un Caudron, évoluant au-dessus de Guinette; ce roulement de tonnerre d’un lourd tracteur dévalant rue Saint-Jacques; ce pas cadencé d’une section de territoriaux, cette lourde marche d’un convoi de prisonniers se rendant à Saint-Martin, tout cela c’est la guerre... Et c’est encore la guerre, les rires joyeux de nos jeunes dames secrétaires rentrant de la «caserne»; et aussi, hélas! le son des cloches de nos églises qui annonce le service funèbre d’un enfant d’Étampes tombé pour la France!

   Tout à la guerre: il n’est pas d’intelligences, il n’est pas de bras, dans toutes les branches de l’activité humaine, qui n’aient donné leur maximum d’efforts pour aider à la solution des multiples problèmes posés par le grand Conflit.

   Au Conseil municipal, la presque totalité des questions étudiées, débattues et réglées ont porté sur l’organisation de la vie communale; il fallait remédier à la crise du combustible, à la crise des transports, à la vie chère! Nos édiles s’y attachèrent résolument; c’est ainsi que furent décidées la création de stocks de charbon et de bois, l’exploitation du terrain tourbeux offert par M. Mille, l’installation d’une porcherie municipale; en outre, de nombreuses démarches furent faites pour obtenir la main-d’œuvre des prisonniers de guerre en faveur du curage des rivières et des travaux agricoles.

   Pas de changement dans le personnel: les pilotes non mobilisés continuent à diriger la barque municipale avec habileté et à la satisfaction générale. Par contre, changement à la sous-préfecture: M. Darras nous quitte pour la sous-préfecture de Saintes et M. Viguié, sous-préfet de Mantes, le remplace en notre ville. Changement aussi dans le monde judiciaire: M. Rondelet, procureur de la République, s’en est allé juger à la cour d’appel d’Amiens et son poste a été confié au très sympathique M. Lair.

Brigand    Quelques graves affaires criminelles ont sollicité l’attention de ces deux magistrats ; entre les plus retentissantes citons: le double crime de Pierre-Brou qui coûta la vie à Mme veuve Dunaud et à sa petite bonne, crime dont l’auteur ne put être rejoint; l’incendie de Pussay qui détruisit des quantités de fourrages chez M. Thomin; l’exploit... de l’huissier Rose (chut...) et, enfin, l’atroce tragédie de Blandy au cours de laquelle les charretiers Sourceau et David tombèrent sous les balles du belge Vandermassen, aujourd’hui entre les mains de la justice.

   De trop nombreux incendies de meules de blé, quelques suicides, un infanticide, des vols d’argent... et de légumes mirent en branle notre gendarmerie; mais l’intérêt était ailleurs et le public n’y attacha qu’une minime importance.

   Par contre, il s’intéressa aux actions héroïques de nos poilus et aux généreuses initiatives de nos concitoyens et de nos concitoyennes.

   Les actions héroïques de nos poilus, d’abord: sur tous les points du front, les gars de Beauce, les régiments beaucerons se sont couverts de gloire. Dans les Flandres, en Champagne, en Orient, ils ont mérité des citations élogieuses et la liste déjà bien longue des héros cités à l’Ordre du Jour s’est accrue de plusieurs centaines de noms — de même, hélas! que s’allongeait la liste des morts au champ d’honneur, sur le mur de l’Hôtel-de-Ville d’Étampes où le tableau, dressé à cet effet, est désormais entièrement garni. Tribut formidable et sanglant payé à la Gloire, à la Victoire...

   Les généreuses initiatives de nos concitoyens et de nos concitoyennes, ensuite: dans cette catégorie, rangeons le don fait par notre sympathique maire, M. Marcel Bouilloux-Lafont, de 10 bourses de pensionnaires au Collège d’Étampes en faveur des orphelins de la guerre; la création d’un «Foyer» pour les soldats, par les soins du Comité de la Société de Secours aux Blessés militaires qui ne considéra pas sa tâche patriotique comme terminée lorsqu’il dut fermer l’hôpital Jeanne-d’Arc dont les locaux étaient nécessaires à l’Instruction publique ;
Moissonneur l’adjonction par la Société des Dames françaises d’un Centre de physiothérapie agricole à la formation sanitaire n°217, installée au Collège, où les dévouées infirmières continuent à donner les soins les plus attentifs aux blessés; la recrudescence d’activité fournie par les membres du Poste de Secours de la gare, par les Comités de l’Assistance aux Mutilés de l’arrondissement d’Étampes et de l’Œuvre des Prisonniers de guerre; enfin, l’inlassable dévouement des Dames du Comité des Réfugiés qui eurent — et ont encore — à surmonter bien des difficultés pour loger, entretenir et faire en quelque sorte renaître à la vie les malheureux Français libérés par nos vaillants soldats ou rendus par l’Allemagne. Dans un but patriotique, nos jeunes sportsmen du Sporting-Club et de l’Union sportive du Collège ont continué l’entraînement qui fera d’eux plus tard de forts soldats; nos bleuets des Enfants de Guinette et de la Revanche, de la Société de tir de Méréville ont persévéré dans leur apprentissage du métier des armes pour suivre leurs aînés sur le chemin de la gloire; et nos Vétérans et Anciens Combattants se sont fait un devoir d’honorer de leur présence tous les services funèbres en la mémoire des Enfants d’Étampes morts pour la Patrie et de tous les soldats et aviateurs décédés en notre ville. C’est dire qu’ils n’ont pas chômé, hélas! car ils furent nombreux les oiseaux de France qui vinrent briser leurs ailes audacieuses sur notre plateau beauceron en voulant, toujours plus haut, faire flotter les trois couleurs.

     Dames des Sociétés de la Croix-Rouge, Sociétés de préparation militaire, Vétérans et Anciens Combattants se firent également un devoir d’assister aux nombreuses prises d’armes qui se déroulèrent, place de l’Hôtel-de-Ville, particulièrement durant les six premiers mois de l’année;
Fantassin M. le Chef de bataillon Delalande, le distingué commandant de place, se fit, en effet, un plaisir d’offrir aux Étampois de nombreuses parades militaires à l’occasion des remises de Croix de guerre et des diplômes aux parents des Morts pour la Patrie. Et la foule y vint chaque fois, empressée et émue, saluer ses compatriotes à l’honneur ou à la peine, mais heureuse aussi de voir défiler alertement, au son des refrains guerriers jetés par une clique entraînée, les braves territoriaux du 2e bataillon du 58e, nos sympathiques hôtes depuis deux ans. À ceux-ci se joignirent parfois la compagnie d’Annamites employés à Villesauvage: et ils n’étaient pas les moins admirés au moment du défilé, nos braves petits amis jaunes, très crânes sous leurs coiffures nationales à pointes dorées!

   Mais le gros événement militaire de l’année fut, sans conteste, l’arrivée des Américains; longtemps on se souviendra à Étampes de ces braves Sammies, à allure de grands boy-scoots qui allaient par nos rues, tenant d’une main leur livret-guide et pressant tendrement de l’autre la menotte d’un petit Étampois.
Avec eux, notre vieil Étampes a définitivement complété la collection des specimens de races: Américains, Anglais, Belges, Portugais, Serbes, Asiatiques et Africains et les prisonniers Allemands et Autrichiens, enfin, ont défilé par nos rues.

   Comme nous voilà loin du temps où, pour toute garnison, Étampes ne possédait que quelques sections d’aérostiers! Et c’était cependant le bon vieux temps, le temps de la Saint-Michel, le temps de la vie à bon marché, un bon vieux temps dont nous désirons tous ardemment le retour.

   Aussi, c’est le souhait que nous formulons avec le plus d’ardeur au seuil de la nouvelle année: que, durant ces douze mois, la Victoire sourie à nos drapeaux et nous donne la Paix glorieuse.

   Et nous pourrons offrir à nos lecteurs, avec nos vœux de bonne année, une chronique où il ne sera plus question de vie chère, de stock de charbon, de pénurie de lait ou de tabac, de prises d’armes et de deuils, mais de travaux utiles et d’œuvres fécondes, génératrices de Vie et d’Amour.
La Juinette.
   L’Abeille d’Étampes et le Réveil d’Étampes 4/184 (5 janvier 1918), p. 1. (saisie de Bernard Gineste; nous corrigeons le titre, qui porte Étampes en 1918, pour l’harmoniser avec ceux des années suivantes).


Tire d'ailes  

   
SourceL’Abeille d’Étampes et le Réveil d’Étampes 4/184 (5 janvier 1918), p. 1 (saisie de Bernard Gineste, 2018).
BIBLIOGRAPHIE

Éditions

     Léon ou Auguste TERRIER, «À tire d’ailes, Étampes en 1918», in L’Abeille d’Étampes et le Réveil d’Étampes 4/184 (5 janvier 1918), p. 1.

     Bernard GINESTE [éd.], «Terrier: À tire d’ailes, Étampes en 1917
», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/che-20-terrier1918etampesen1917.html, 2018.


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