À
tire d’ailes
Étampes en 1911
La vie locale n’a pas été
précisément calme à Étampes pendant l’année
que nous enterrerons demain. Notre ville s’est offert sa petite crise ministérielle
pour elle toute seule. Dame! Cela ne s’est pas passé sans quelque
tumulte, et des habitudes, nouvelles chez nous, se sont introduites dans
nos mœurs électorales si paisibles. N’évoquons pas ces journées
où l’on a confondu activité avec agitation et bornons-nous
à rappeler que depuis le mois de mai, M. Dujoncquoy, le vétéran
respecté de notre Hôtel de Ville, a pris en main comme maire,
à la suite de la démission de M. Louis, la direction de la
barque municipale qu’une partie de l’équipage a tendance à
transformer parfois en galère et à piloter vers les récifs.
Il y a encore bien du mouvement à bord et le Dieu des Tempêtes
seul sait comment se doublera au mois de mai prochain le redoutable cap du
renouvellement des Conseils municipaux. Autre changement: notre sous-préfet,
M. Jouhannaud, est devenu secrétaire général à
Versailles et a été remplacé par M. Darras.
Plus intéressante est pour nous tous l’inauguration
du chemin de fer départemental dont le sifflet éveille chaque
jour les échos de Brières-les-Scellés et de Villeconin.
Il a quelque peu troublé, au premier jour, les habitants de la rue
Saint-Jacques dont les trains de ballast faisaient vibrer les vieilles et
solides maisons. Le progrès ne va pas sans bruit. Nos voisins de
Milly seront très heureux dans quelques mois, quand la ligne d’Étampes
à Corbeil sera exploitée comme l’est celle d’Étampes
à Arpajon.
Un fait à relever, c’est la vie de plus en plus active de nos
sociétés locales. Celles qui se livrent au tir et aux sports
ont tenu haut et ferme leur drapeau. Elles ont utilement travaillé
et, de plus, nous ont donné de fort belles fêtes, matinée
des Enfants de Guinette, fête du tir de Chalou-Moulineux, concours
de gymnastique de Milly, course de natation du Pont-de-Pierre, kermesse de
la Revanche Étampoise à Guinette, fête du Club Sportif
sur le Port d’Étampes avec match de boxe, concours de la Fédération
des Sociétés de tir à Monnerville et à [ligne
manquante] dont notre Compagnie de sapeurs-pompiers se couvrit au concours
de Dol. Dans l’ordre musical, si nous avons entendu le De Profundis
de la Fanfare de Méréville, nous avons eu à La Ferté-Alais
un intéressant concours de musique, et nous avons assisté
à la naissance de la fanfare de Morigny. Enregistrons aussi pour
l’histoire à l’actif de 1911 l’apparition du Skating à Étampes
et la fondation d’une Société de cochonnet. Ce fut aussi une
belle journée de sport que la fête donnée à Étampes
en l’honneur du Raid hippique du Matin. Puisque nous parlons fête,
citons encore le succès de la Kermesse de l’Union des Industriels
et des Commerçants sur le Marché-franc.
Mais le sport le plus sensationnel
d’Étampes c’est toujours l’aviation, et cette passionnante rubrique
ne chôme guère. Nos écoles Blériot, Farman et
Deperdussin ont continué de produire un grand nombre d’aviateurs et
des exploits historiques ont eu Étampes comme point de départ,
vol de Gouguenheim sur Méréville, vols de Chevilliard sur Étampes,
envolées de Védrines et de Helen à Lhumery, établissement
du record de la hauteur par le capitaine Félix, vol d’Étampes
à Versailles de la première escadrille de sept aéroplanes,
etc. L’aviation a valu à Étampes sa première garnison,
faite de quelques sections de sapeurs-aérostiers, et sa première
caserne à laquelle l’Abeille a eu le plaisir de voir attribuer
le nom suggéré par elle du lieutenant Princeteau, mort tragiquement
brûlé par son moteur le jour du départ du Circuit Européen.
Et ce nom évoque aussi ceux des victimes étampoises de l’aviation, la pauvre Denise Moore qui voulut
voler pour faire plaisir à des amis et le lieutenant Lantheaume,
victime de son appareil abîmé par l’incurie de l’administration
militaire et aussi Lemartin, mort au départ du Circuit européen.
Crimes et délits? La rubrique est toujours fournie.
Dans le genre tragique nous avons eu l’incendie criminel de l’usine de la
Française rue du Moulin de la Digue, l’assassinat du carrier Maffeis
à Puiselet-le-Marais par son camarade Ahrant, le crime passionnel
de Maisse où le terrassier Clavier revolvérisa sa fiancée
et se suicida ensuite, l’assassinat resté mystérieux de la
mère Argant à Montanchaut, etc. Dans le genre joyeux, mentionnons
l’audace de ces gars de batterie qui scièrent la porte du violon du
Marché-Franc pour délivrer un de leurs camarades et celle des
mystérieux cambrioleurs de la rue Saint-Antoine qui entrèrent
dans la boutique d’un boucher
et emportèrent... vingt kilos de viande!
Nous aurons dit tout ce qu’il y a eu de remarquable chez nous
pendant cette année en mentionnant enfin l’angoisse patriotique avec
laquelle les Étampois ont suivi la crise extérieure: on en
eu la preuve à la belle cérémonie des Anciens Combattants.
Et à ceux qui nous reprocheraient de n’avoir pas pris assez au tragique
dans ce court historique les soubresauts de la vie municipale étampoise,
nous répondrons en leur donnant rendez-vous à l’année
prochaine pour voir avec eux si la rue Saint-Jacques ne sera plus livrée
aux travaux de réfection, si la place Geoffroy-Saint-Hilaire est
débarrassée de ses pavés et si le contribuable étampois
est plus content de son sort!
Moustique.
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L’Abeille d’Étampes
100/52 (30 décembre 1911), p. 1 (saisie de Bernard Gineste).
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