À
tire d’ailes
Étampes en 1909
La vie
locale de l'arrondissement d’Étampes en 1909 n’a pas été
très animée et le chroniqueur de la fin d’année en
a bien vite fait le tour.
Après le grand coup des élections sénatoriales
du 3 janvier 1909 qui a renouvelé les pouvoirs de MM. de Courcel et
Poirson et appelé au Sénat MM. Aimond et Ferdinand Dreyfus,
la vie électorale a été absolument nulle durant toute
l’année. On se prépare au nouveau grand coup des élections
législatives de mai 1910 et du renouvellement partiel du Conseil général
et du Conseil d’arrondissement au mois de juillet 1910. Faites vos jeux!
Faites vos jeux! Que d’ambitions déchaînées! Que de polémiques
pleines de promesses! Que de curiosités en émoi! Nous allons
donc revoir les clichés usuels: «Tous aux urnes! Pas d’abstentions!
Électeurs, on vous trompe» etc., etc. Il y aura du bon pour
les agents électoraux, pour les journaux, pour les salles de réunion
et pour les marchands de vestes!...
La vie municipale a été calme. Notre municipalité
continue posément son œuvre d’administration et d’amélioration
avec le souci de ne pas grever les budgets des contribuables déjà
si énergiquement frappés par l’État. La question de
la caserne d’artillerie a montré combien l’état précaire
de nos finances municipales enrayait l'essor et les ambitions de la ville,
car le Ministère de la Guerre ne l’envisage qu’au point de vue financier
et à toutes les bonnes raisons des municipalités ne répond
que par le mot fameux des seigneurs féodaux pressurant les serfs
taxables et corvéables à merci: «Çà, de
l’argent! çà, de l’argent!» C’est un peu la défense
nationale à l’adjudication. Du moins un vœu de notre Conseil général
réserve-t-il les droits et les aspirations d’Étampes en ce
qui concerne la possibilité de l’établissement d’une caserne
de cavalerie.
Et puis, il y a cette question de l’eau! On y revient toujours
et plus encore maintenant que l’autorité militaire considère
l’eau d’Étampes comme insuffisamment saine et qu’elle efface notre
ville des itinéraires des régiments. Et puis, il y a encore
cette question du renouvellement du traité décennal du Collège!
Voilà de la tablature pour notre assemblée municipale où
chacun du moins reconnaîtra que la majorité et l’opposition
sont toutes deux également actives.
N’oublions pas de signaler ici la brillante inauguration
de la mairie de Méréville, le 13 juin dernier, où le
sous-secrétaire d’État des Beaux-Arts, M. Dujardin-Beaumetz,
répondant à l’invitation de la municipalité et du
Comité des fêtes et cédant aux instances de notre député,
M. Amodru, vint brillamment représenter le gouvernement de la République.
Questions d’intérêt général? Il
faut mettre en première ligne l’adjudication et le commencement des
travaux du chemin de fer d’intérêt local d’Étampes à
Arpajon et d’Étampes à La Ferté- Alais, Milly et Corbeil.
Que d’efforts il a fallu pour aboutir à ces expropriations et à
ces premiers coups de pioche! Quand la locomotive joindra enfin Étampes
à Arpajon et aux Halles Centrales d’une part et à deux chefs-lieux
de canton d’autre part, notre arrondissement pourra enfin être fier
de son réseau de communications et la vie économique de la
région en sera singulièrement facilitée. Notons aussi
le doublement des voies de Brétigny à Étampes qui fait
honneur à la Compagnie d’Orléans et qui ne s’achèvera
que lorsque sera résolue la grosse question de l’agrandissement de
la gare d’Étampes.
Alors Étampes sera appelée à devenir
un centre de tourisme. Elle sera amenée à se galvaniser. Tâche
difficile du fait de la carte de la ville et de la composition même
de la population. On a la preuve de cette stagnation dans le chiffre trop
restreint des spectateurs ordinaires du Théâtre d’Étampes
où les efforts de M. Furet ne sont pas encore assez encouragés
par le public. Elle sera du moins combattue par la formation en 1909 d’un
groupement nouveau, l’Union des Commerçants et Industriels, qui veut
défendre les intérêts du commerce local et attirer les
visiteurs et qui a brillamment inauguré sa carrière par une
kermesse au Port le 25 juillet, où la célèbre musique
du 1er régiment du génie nous donna un si remarquable concert.
Le deuxième acte sera le concours de gymnastique du 26 juin 1910:
nul doute qu’il n’ait le même succès, l’accord des bonnes volontés
étant aujourd’hui accompli.
Une égale activité s’est manifestée
dans les rangs de la jeunesse par le développement des sociétés
de gymnastique et la fondation de nombreuses sociétés de tir.
Nous avons eu à ce propos deux belles fêtes, la fête de
gymnastique organisée le 27 juin à Étréchy par
la municipalité et la société l’Espérance, et
où les petites pupilles de Sèvres se couvrirent de gloire,
et la fête de tir donnée le 4 juillet à Chalou-Moulineux.
On a même pu organiser dans l’arrondissement une Fédération
des sociétés de tir. Voilà un heureux mouvement et dont
les résultats seront féconds. Bravo, jeunes gens! C’est bien
le ludus pro patriâ.
Toujours sur ce terrain des sports, rappelons la création
d’une société de pêche, la Truite d’Étampes, qui
en est à ses débuts. Mais surtout il faut enregistrer nos
petites annales aéronautiques. Les chercheurs d’ailes n’ont pas oublié
Étampes, et nous avons eu successivement le vol de Blériot
d’Étampes à Chevilly (42 kilomètres) le 13 juillet,
magnifique performance qui prépara ce roi de l’air à la sensationnelle
traversée de la Manche le 25 juillet ; le très original concours
de planeurs et cerfs-volants organisé le 19 septembre à Étampes
par l’actif C. S. E., et dont les lecteurs du New-York Herald eurent un récit
si détaillé; les premiers essais en octobre de l’aviateur
Villermet sur la route de Dourdan; et enfin, le 21 décembre, la tentative
hardie de l’aviateur Jacques de Lesseps qui partit de Guinette pour gagner
le prix de 100 kilomètres en ligne droite et, après un fort
beau départ, alla échouer à Villesauvage, tentative
qu’il a renouvelée hier jeudi et qui, on le verra plus loin, a eu
le même sort. Remercions ces hommes courageux qui ont marqué
à notre bonne ville une petite place fort honorable dans l’histoire
de la conquête de l’air, et rappelons aussi à ce propos combien
fut profondément ressenti à Étampes le deuil national
lors de la catastrophe du dirigeable République, frère de
la Patrie, et qui explosa au retour des grandes manœuvres.
Crimes, procès, faits-divers, cette rubrique ne chôma
guère. Hors de [ligne manquante] Albinet, l’auteur de l’attentat
contre l’express de Toulouse, condamné à mort par la Cour d’assises
de Seine-et-Oise, résigné aux aveux après sa condamnation
et qui fut grâcié; et Petitjean, comte de Parvilliez, baron
de Bourainville, chef des Californiens de Méréville, qui se
laissa pincer à Lyon et fait en ce moment le tour et la joie des tribunaux
des diverses villes où il s’acquit tous droits à un séjour
perpétuel à la Guyane. Auprès de ces gloires de la
prison d’Étampes les autres hôtes de l’immeuble de la rue de
la Prison ne sont qu’un menu fretin et nos annales judiciaires ne sont remarquables
que par le procès de chasse fait à ce gamin de Cerny qui avait
capturé un animal inconnu ni sauvage ni domestique, quelque léporide
sans doute; et par quelques procès de presse qui ne relèveraient
pas le prestige de la profession de journaliste à Étampes
s’ils ne découlaient tous du même parti pris de scandale.
Rayon des accidents. La terrible explosion de la poudrerie
du Bouchet le 6 octobre a fait trois victimes, dont une à Itteville,
le jeune poudrier Beauvilliers: notre député sut dire aux obsèques
le deuil de nous tous pour ces braves gens tombés au champ d’honneur.
Quelques incendies graves, particulièrement à Chalo-Saint-Mard
où le 9 mai le feu dévora les bois de la vallée de
la Chalouette à Boinville et le 29 novembre une partie du chantier
de M. Trillaud, sinistre qui aurait pu devenir une catastrophe sans la brillante
intervention des pompiers de Chalo-Saint-Mard et d’Étampes.
Rayon des grèves. Il fut plus actif, trop actif cette
année. Celle des ouvriers de la fonderie Lory au mois de mai fut toute
pacifique. Celle des P. T. T. fit faire de nombreuses pertes à tous
nos concitoyens. Mais la plus sérieuse fut celle des ouvriers terrassiers
de l’Orléans qui le 22 août à Étréchy envahirent
la voie et renversèrent une locomotive et le 28 août, après
une réunion agitée au Casino, envahirent notre gare sans billets
et s’embarquèrent de force dans un train.
Nous aurons terminé cette revue de fin d’année
en rappelant la fondation à Étampes d’une Société
d’Agriculture qui s’efforcera de donner à nos cultivateurs des informations
et des études techniques, et en mentionnant l’invasion des cantons
de Méréville et d’Étampes par les mulots.
Et maintenant que l'année 1910 soit douce à
nos concitoyens et nous fournisse dans douze mois une chronique plus variée
et plus heureuse!
Paul Clermont.
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L’Abeille d’Étampes
99/1 (1er janvier 1910), p. 1 (saisie de Bernard Gineste).
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