Du 365 à la minute!
Revue
des actualités étampoises de 1907
(En
prose et vers... libres).
PERSONNAGES:
L’Abeille d’Étampes.
— L’Aéronaute de la Ville de Paris. — Un Milliacois. — Un Mérévillois.
— Un Conseiller municipal. — Voyageurs, passants, employés — La foule.
La scène se passe à Étampes. Place de la
Gare. Foule énorme. Qui attend-on? Est-ce Albinet enfin arrêté?
Ou les escrocs de Parvilliez et de Villerville, célèbres au-delà
de Méréville? Ou bien encore «Mossieu» Guérin,
le directeur de la fanfare de Cyr-en-Val, disparu depuis le dernier concert?
Non, car tous regardent en l’air. Soudain un cri: «Le voilà!»
Et, décrivant une courbe merveilleuse autour de la tour de Guinette,
arrive le dirigeable Ville de Paris. Il atterrit pendant que la foule
chante un air connu:
Laisse-moi, laisse-moi
Contempler ton virage !...
L’Aéronaute. — Salut,
ceux d’en bas! Suis- je bien à Étampes, la célèbre
ville? (Il déclame, comme Monnet dans Œdipe-Roi) :
Enfants, du vieil Étampe
haute postérité,
Pourquoi jusques à moi vos cris ont-ils
monté?
Je suis venu moi-même, à bord
du dirigeable
Dont la gloire et le nom font un potin du
diable.
L’Abeille. — Pourquoi, ô
étranger, nous avoir si gentiment favorisés de ta première
grande sortie?
L’Aéronaute. — Voilà (Il chante):
(Air: Le cocher et son
cheval.)
Devant remplacer l’Patrie aux
frontières,
Je veux faire comm’ lui mes petites manières.
Il était d’abord venu par ici:
Hé bien! moi, je fais la même
chose que lui!
Mais j’espère mieux finir.
Et en attendant, puisque j’ai cinq minutes d’arrêt, qui va me montrer
les illustrations et les gros événements d’Étampes en
1907?
L’Abeille. — Voilà, j’y suis, et ce public servira
de spectateur.
L’Aéronaute. — À qui ai-je l’honneur?...
L’Abeille. — À l’Abeille d’Étampes,
toujours jeune malgré son âge, courtoise et empressée,
bien informée et moderne. Elle sait tout, elle dit beaucoup de choses
et n’ignore que les injures et les violences. (Elle chante.)
(Air: Ah ! Si vous voulez de l’amour.)
Ah! si vous voulez toujours
Savoir les faits du jour,
Lisez bien votre Abeille!
Toujours et partout elle veille,
Pour tous elle fait merveille,
Ce sera vos amours!
Et maintenant, en avant la revue!
Survient une bande d’enfants des
écoles. Ils chantent.
(Air: En rev’nant de la r’vue.)
Gais
et contents,
Nous venons triomphants,
Sans faire plus longtemps
Sauter le diable,
Sans hésiter,
Car nous voulons fêter,
Voir et complimenter
Le dirigeable.
Tous ont en mains leur diabolo et
improvisent une partie d’honneur pour l’Aéronaute en chantant sur
l’air du refrain de Funiculi-Funicula:
Ça monte ici, ça
descend la,
Diabolo-ci, Diabolo-là!
Ah! Ah! Diabolo-là!
Diabolo-ci, Diabolo-là!
L’Abeille. — C’est la grande
fureur de l’année dans toute la France. Mais à nous le pompon!
Le record en est acquis à Étampes par notre petit ami Meunier,
et le diabolo y est si en vogue que la Compagnie d’Orléans songe à
en mettre dans les salles d’attente à la disposition des voyageurs
pour leur faire prendre en patience les retards habituels des trains.
À ce moment survient un voyageur affolé, les yeux
désorbités, la tête congestionnée, l’aspect hagard
du monsieur qui avant de déjeuner vient d’attendre pendant dix minutes
à la hauteur de la Sucrerie de Morigny l’entrée du train en
gare:
Le Voyageur. — Ah! oui, parlons-en, de nos trains, parlons-en,
de notre gare. Une glacière!
Un Passant. — C’est votre faute, aussi! Pourquoi voyagez-vous?
(Il chante.)
(Air du Biniou.)
Sous la gare de notre ville
Il en souffle, un courant d’air!
Ça vous fich’ des escarbilles
Dans l’œil et des rhumes dans l’blair!
On tousse, on souffle, on crachote,
Quand on part, c’est tout en pleurs,
Et, bien qu’on ait la bouillotte,
On y attrape des douleurs.
Les douleurs sont des folles,
Mais ceux qui voyagent sont encore plus fous!
Moi j’ traîne pas mes
guibolles,
J’ai les pieds nicklés, aussi j’ m’en....
L’Abeille (lui coupant
la parole). — De quoi! De quoi! Des retards, des rhumes de cerveau, ce
n’est rien, tout ça, si l’on arrive sans être attaqué
en route! Le cambriolage de l’express de Toulouse, il y a de quoi faire trembler
tous ceux qui voyagent! (Elle chante.)
(Air de: Ah! mes enfants!)
Ah! oui, vraiment, c’est une
bien drôle d’affaire!
On n’osera plus aller en chemin de fer!
Ah ! mes enfants!
Sans emporter sur soi une cuirasse,
Trois revolvers et deux fusils de chasse
Ah! mes enfants!
Et avec çà que les
bagages sont en sécurité! Même à destination,
on est épié par les cambrioleurs. Rappelez-vous l’histoire
de notre principal du Collège! Vous qui voyagez, ne mettez pas votre
argent dans vos malles, et que la Compagnie fasse graver ceci dans les compartiments:
Si vous avez de l’argent en
grand nombre,
Si vous voulez arriver sans encombre.
Ah! mes enfants!
Souvenez-vous de l’affaire Delpeuch!
Portez toujours votre argent dans vos...
peuches!
Ah! mes enfants!
Une voix. — L’histoire du
train 16 ne s’est pas passée comme les journaux l’ont dit. J’ai tout
vu.
L’Abeille. — Qui donc es-tu?
L’homme. — Je suis le gardien du saxby nord!
Et voici le récit fidèle de l’événement:
C’était pendant l’horreur
d’une profonde nuit.
Saint-Basile sonnait trois coups après
minuit,
Quand l’express de Toulouse à mes
yeux s’est montré,
Comme à son habitude plutôt
très retardé.
Ce retard n’avait point augmenté
sa vitesse,
Il allait son chemin dans la douce mollesse
D’un train qui sait avoir pour lui toute
la nuit.
Soudain des coups de feu! Une flamme reluit.
Trois hardis malfaiteurs ont longé
les wagons,
Sont entrés brusquement dans l’un
des lourds fourgons,
Mais l’employé leur dit: «Vous
avez du toupet!!!
«Pouvez-vous me montrer, messieurs,
votre ticket?»
Il était périmé.
Et ça finira mal,
Par une bonne amende et un procès-
verbal.
Voilà toute l’affaire. Et,
pour en empêcher le retour, la Compagnie a acheté un lot de
chiens de berger primés au récent concours d’Angerville. Ils
veilleront à la sécurité des voyageurs et préviendront
les voyageuses de.... l’heure du berger!
L’Abeille. — Allons, tout arrive, même.....
Un Milliacois. — Même le tramway! Il
est enfin déclaré d’utilité publique et nous attirerons
bientôt les Étampois chez nous!
Un jeune homme timide. — Puissiez-vous dire
vrai! C’est si loin d’aller d’Étampes à Milly... (soupirant)
surtout quand on aime (Il chante.)
(Air de la Tonkinoise.)
Je suis gobé d’une petite,
C’est à Milly (bis), oui, qu’elle
habite,
Elle est vive, elle est charmante
C’est comme un z’oiseau qui chante,
Je l’appelle ma p’tite bourgeoise,
Ma Milliacoi (bis), ma Milliacoise :
Le tramway pourra un jour
Faciliter notre amour.
L’Abeille. — Oui, mais il
y a encore un cheveu. Où va-t-on mettre notre gare d’Étampes?
À Coquerive, à l’Abattoir, au Jeu de Paume?
Un Conseiller municipal. — Au Jeu de Paume, jamais! Vous
ne connaissez donc pas notre serment?
L’Abeille. — Quel serment?
Le Conseiller. — Le Serment du Jeu de Paume! Tous ensemble,
nous avons répondu au représentant de l’administration: «Allez
dire à l’ingénieur en chef que nous sommes au Jeu de Paume
de par la propriété du peuple et que nous n’en sortirons que
moyennant une indemnité de 100.000 francs!»
L’Abeille. — Avec ça vous pourriez donner de l’eau
à la ville. Quand on pense que nos petites communes font des sacrifices
pour faire jaillir l’eau du sous-sol et que la nôtre est pleine de
microbes, vrai, j’en suis honteuse pour Étampes.
Saint Michel. — Comment! De l’eau! Vous voulez de l’eau!
Vous n’en avez donc pas eu assez pendant ma fête? Ah! Ce saint Médard!
Il a trempé les braves pompiers du concours de pompes de Milly et
il a inondé le Beau Dimanche. Comme on chantait dans ma jeunesse:
Il a tant
plu
Qu’on ne sait plus
Quel est le jour où il a le plus plu.
Mais au surplus,
C’est superflu,
S’il eût moins plu, çà
m’eût plus plu!
L’Abeille. — Oui, et ce pauvre
feu d’artifice dont les pétards ont été mouillés!
Et l’illumination de la tour qui ne marchait pas quand même le public
chantait:
Embrase-toi, Guinette,
Embrase-toi!
La fête s’ra complète,
Guinette, Guinette!
Et l’on s’ra pompette,
Ah ! Guinette, embrase-toi!
L’Aéronaute. — Alors,
la fête locale, pas de monde, pas de spectateurs?
L’Abeille. — Non. Ça rappelait le Théâtre
d’Étampes, où le public brille souvent par son absence. Et
pourtant que de bonnes soirées nous a données notre dévoué
directeur !
(Elle chante.)
Il court, il court, M’sieu Furet,
Pour votre théâtre, Mesdames!
Il court, il court, M’sieu Furet,
Et toujours c’est bien joli!
Le drame et la comédie,
Le concert et l’opéra,
Il a donné de ceci,
Il a donné de cela.
Il court, il court, M’sieu Furet, etc.
Bénéfice net par an:
quelques centaines de francs de perte! L’argent ne récompense pas
toujours les efforts d’art !
Un Mérévillois. — De l’argent! Qui en veut?
j’en offre. Je vais rouler sur l’or. Un seul client m’a acheté tout
mon fonds.
L’Abeille. — Qui donc?
Le Mérévillois (Il se découvre.)
— Môssieu le Marquis Georges de Parvilliez, assisté de Môssieu
le Baron Raoul de Villerville (Il chante)
(Air de: Vive le cidre
de Normandie.)
Vive le sire d’Californie,
Jamais on n’a acheté comme ça!
Et d’acheter, ces gens-là,
Ont sûrement la maladie!
L’Abeille. — Mais, malheureux,
vous ne savez donc rien? Ce sont des escrocs, vous ne toucherez pas un radis!
Le Mérévillois. — Où sont-ils, que
j’y coure? À la prison?
L’Abeille. — Non. À la prison d’Étampes, il n’y a plus que des messieurs très
bien depuis que l’administration, fort galante, a nommé trois dames
au nombre des Membres de la Commission de surveillance. Faudrait plutôt
voir à Paris.
Le Mérévillois. — À Paris? je vais
d’abord téléphoner...
L’Abeille. — Imprudent! N’essayez pas! A cette heure
vous aurez le numéro 74 avec un seul fil. Prenez le train.
L’Aéronaute. — Non, pauvre homme, c’est moi qui
vais vous ramener. C’est plus sûr. Les voyageurs pour Paris, en nacelle!
Madame l’Abeille, la revue de l’année est-elle terminée?
L’Abeille. — Attendez que j’aie fini de tourner les pages
de ma collection de 1907. Voyons encore. Ah! l’horrible histoire de Piednoir:
le 4 février une meule brûle à Étréchy
et dans les décombres on croit trouver les restes de ce malheureux
gars de batterie, mais quatre jours après, on le revoyait dans les
rues: les débris humains n’étaient qu’un conglomérat
de grains de blé avec des cendres. Le 13 février, des masques
éteignent un incendie chez un boulanger de Saint-Martin: beau sujet
pour un peintre impressionniste et pour le Musée d’Étampes.
Au mois d’avril j’ai noté à La Ferté-Alais un concours
de chevilles ou de chenilles, je ne sais plus, au Pont-de-Villiers. Le Tribunal
d’Étampes est mis en joie par un prévenu qui a mis la grammaire
en chansons. En mai, la noble duchesse de Vilanda se casse la jambe en entrant
à la prison. En juin, histoire attendrissante du jeune marié
dont la femme disparaît le soir de la noce avec le portemonnaie du
mari. En juillet on vole à la consigne de la gare d’Austerlitz les
costumes des nouveaux officiers de pompiers. En août, exploits de Geraldy,
l’inventeur de l’escroquerie aux sacs d’avoine. Et cœtera! Et cœtera!
L’Aéronaute. — Une chose me frappe dans tout cela.
Étampes est-elle une oasis dans la France agitée? Il me semble
qu’il n’y a chez vous ni querelles, ni polémiques, ni divisions....
L’Abeille (vivement) — Si, si, nous avons aussi
nos agités, nos brouillons. Seulement, comme dit l’autre, ils veultent
bien, mais ils peuvtent pas. On ne les écoute pas. Bien faire et laisser
aboyer.....
L’Aéronaute. — Je comprends :
De méchants insulteurs
se martèlent les tempes
À trouver des gros mots. Ils n’iront
pas au but.
Car je crois deviner que l’Abeille d’Étampes
Leur fait un pied de nez et leur dit gaîment:
Zut!
Et il remonte dans la Ville de Paris
qui s’élève pendant que la foule applaudit et chante: «Tu
t’en vas et tu nous quittes!» et que l’Abeille salue ainsi le
public:
(Air de l’Internationale.)
C’est le Zut! final
Et pendant l’an prochain
À votre vieux journal
Tendez encore la main!
RIDEAU.
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L’Abeille d’Étampes
97/1 (4 janvier 1908), p. 1 (saisie de Bernard Gineste).
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