BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE
DE CORBEIL D’ÉTAMPES ET DU HUREPOIX
15e Année-1909, 2e livraison
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PROMENADE
ARCHÉOLOGIQUE
du 5 juillet 1909
à Étampes
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Le 19 octobre
1896, notre Société inaugurait ses promenades archéologiques
en allant visiter la ville d’Étampes qui jouit du privilège,
assez rare, d’avoir conservé ses églises et ses maisons historiques.
Depuis cette époque, notre Société s’est en partie
renouvelée, et lors de l’assemblée générale
du 7 juin 1909, beaucoup de nos collègues demandèrent avec
insistance que l’excursion de 1909 eût lieu à Étampes,
que beaucoup de membres de la Société ne connaissaient pas.
Cette proposition, chaudement appuyée, obtint le succès qu’elle
méritait: en conséquence, l’assemblée décida
que la promenade archéologique de 1909 aurait pour but la visite de
la ville d’Étampes et se ferait le 5 juillet de la même année.
Ce jour-là le soleil brillait d’un éclat
inaccoutumé, d’autant mieux apprécié que nous traversions
une période de pluie fort ennuyeuse; aussi nos collègues
répondirent, nombreux, à l’invitation qui leur avait été
adressée.
Cette excursion fut donc très réussie
et nous pensons qu’elle a laissé un agréable souvenir aux
personnes qui y ont pris part.
Le choix d’Étampes avait en effet le double
avantage de rappeler aux excursionnistes de 1896 de l’agréable voyage
qu’ils y firent alors, et à tous d’offrir l’attrait de la visite
d’une ville pittoresque et de monuments anciens des plus curieux.
Grâce au beau temps, le voyage fut très
gai, et après l’arrêt obligé de l’embranchement de
Juvisy, le train d’Orléans nous déposait à Étampes
vers 10 heures du matin.
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Sur la route,
et notamment à Lardy, nous avions recueilli de nouveaux adhérents
qui attendaient notre passage pour se joindre à nous, et à
Étampes nous en trouvions d’autres, assez nombreux, venus au devant
de nous pour nous souhaiter la bienvenue. Parmi ces derniers, c’est un
devoir de reconnaissance, de citer M. L.E. Lefèvre, savant archéologue
et historien d’Étampes, qui avait bien voulu, avec la plus grande
obligeance, se charger de nous diriger et de nous présenter, en les
expliquant, les monuments et les curiosités de sa ville, qu’il connaît
si bien, pour les avoir longuement étudiés.
Le cortège se forme, on est une cinquantaine
environ, parmi lesquels nous sommes heureux de compter beaucoup de dames
et de jeunes filles. Sous la conduite de notre aimable guide, M. Lefèvre,
on se dirige vers la vénérable tour Guinette, le plus ancien
des monuments d’Étampes qui, par dessus la gare, domine la ville
et la contrée environnante, comme il domina pendant de longs siècles
toute l’histoire d’Étampes.
M. Lefèvre rappelle que la fondation du vieux château
féodal remonte au roi Robert-le-pieux, vers l’an 1020.
Souvent pris et repris, il devint, sous Louis VI, prison
politique où plusieurs personnages de marque furent enfermés
(1). Et ce qui est plus intéressant
pour notre histoire de Corbeil, c’est que, vers la fin du XIIe siècle,
la malheureuse reine Isburge, épouse de Philippe-Auguste, y fut longtemps
retenue dans une dure captivité; ce ne fut que plus tard, lorsqu’elle
fut rendue à la liberté, qu’elle vint à Corbeil où
elle finit ses jours en 1236, et fut inhumée dans l’église
de St-Jean-en-l’Isle, dont elle avait été la bienfaitrice.
Son tombeau subsista dans cette église jusqu’à la révolution.
A cette époque elle fut désaffectée et servit à
des usages divers. Depuis une quinzaine d’années, ce charmant édifice
du XIIIe siècle abrite nos collections du musée St-Jean.
Le roi Henri IV s’empara du château d’Étampes
en 1589, la forteresse fut détruite (1589-1590), il n’en resta que
la tour du donjon qui fut démantelée; ce fut la fin de sa
puissance militaire. Mais la solidité de ses assises jette encore
un défi au temps, et cette tour, telle que nous la voyons, imposante
encore, semble faire partie pour toujours du panorama d’Étampes.
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(1) Cf. Notice historique sur le château
féodal d’Étampes, par Léon Marquis, Paris, 1867.
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La terrasse
qui est devant la tour est le meilleur point d’observation de la ville
et de la vallée; cependant, du haut de la tour on peut jouir d’une
vue beaucoup plus étendue, et pour y parvenir, on a installé,
à l’intérieur de la vieille tour ruinée, des échelles
plus ou moins branlantes, qui conduisent jusqu’aux créneaux. Les
intrépides, il y en a toujours parmi les archéologues, tentent
l’ascension, quelques dames même, non moins intrépides, ne craignent
pas d’affronter les échelles, tandis que les prudents, les sages,
restés en bas, suivent avec intérêt une montée
et surtout une descente qui n’est pas sans quelque péril.
Mais
les instants sont comptés et l’on abandonne à regret le vieux
donjon pour entrer dans la ville d’Étampes; l’église la plus
rapprochée est Saint-Basile; M. Lefèvre nous y conduit.
Cette église, avec son antique verrière
et son portail roman du XIe siècle, nous transporte dans la
période la plus reculée de l’histoire d’Étampes ;
elle est en effet la paroisse la plus ancienne de la ville; le roi Robert,
dit-on, la fit bâtir ; quoi qu’il en soit, son architecture porte
l’empreinte de diverses époques, mais conserve nettement les traces
de sa première fondation, tel son portail qui est de pur style roman
du XIe siècle; le tympan représente le jugement dernier. Ces
sculptures sont fort intéressantes mais on ne peut s’empêcher
de regretter que des réparations fâcheuses aient été
faites dans les détails de ce curieux portail.
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De Saint-Basile
on descend au musée, qui est proche. Là, on se trouve en pleine
renaissance, car le musée d’Étampes est installé dans
la gracieuse maison d’Anne de Poitiers; c’est donc une demeure historique.
Avant d’entrer au musée, on admire les fines sculptures
qui décorent la façade sur la cour, les jolies lucarnes
avec leurs médaillons à personnages, puis toutes les pierres,
sculptées ou gravées qui garnissent la cour, c’est la partie
lapidaire du musée.
On entre ensuite dans les salles; là, notre
collègue M. Forteau, qui en est le conservateur, reprend ses droits
et guide les visiteurs dans les différentes pièces, en leur
faisant remarquer les objets les plus intéressants; on admire, chacun
selon ses goûts, les collections de numismatique, les outils
préhistoriques, pierres taillées et polies des différents
âges, la dinanderie, la serrurerie, les meubles anciens, les
tableaux, etc., etc. Nos collègues se répandent dans toutes
les salles du rez-de-chaussée et du premier étage, mais le
temps s’écoule, rapide, et l’on a grand’peine à les rappeler
et à les réunir, car l’heure du déjeuner est arrivée,
et l’on a encore beaucoup à voir après le repas, qui sera aussi
un repos bien gagné.
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L’on se dirige
donc vers l’hôtel des Trois-Rois rue St-Jacques, où nous
sommes impatiemment attendus.
Là, autour d’une table artistement décorée
et bien fleurie, prennent place 49 convives que le grand air et la promenade
ont bien préparés pour faire honneur au déjeuner qui
va leur être servi; voici le menu, dont chaque convive a un exemplaire
imprimé sur carte postale illustrée de monuments ou vues
d’Étampes.
Comme nous venons de le dire, la table comptait 49 convives
des deux sexes en nombre presque égal, et si M. P., de Morsang-sur-Orge,
n’avait point été empêché au dernier moment
par un deuil de famille survenu inopinément, il serait venu
accompagné de Madame et Mademoiselle P., et alors les dames eussent
été en majorité, ce qui est assez rare dans ce genre
de réunion.
Nous ne pouvons indiquer tout le monde, nous bornant à
citer les personnes les plus connues. Commençons par M. le
Dr Boucher, Vice-Président de la Société, accompagné
de Mme et de Mlle Boucher; M. Gérard de Corbeil, Mme et Mlles Gérard;
M. et Mme Rousseaux; M. et Mme Geoffroy; M. et Mme Jarry, de Corbeil;
Mme Léon Marquis, d’Étampes, Vve de l’historien regretté
de cette ville; Mme Huard, également d’Étampes; M. Robert
Dubois et Mlle Dubois de Brunoy; M. Humbert, notaire à Brunoy
et Mme Humbert; la famille Michelez de Lardy, composée de six personnes;
M. et Mme Dameron, de Corbeil; M. et Mme Lucien Bourdin, de Paris; M.
Delessard, de Lardy; M. Dufour, secrétaire général
de la société; Mlle Loisel, de Corbeil; M. Forteau, le sympathique
directeur du musée d’Étampes; M. J. Prestat, de Paris; M.
Ch. Sebrou de Corbeil; M. Creuzet, l’aimable historien de Corbeil; M. L.
Hutteau d’Étampes; MM. Amiot et Collomp de Paris; M. Flizot, d’Étampes;
M. L.-E. Lefèvre, le guide dévoué des excursionnistes;
M. A. Marc-Pasquet, de Corbeil; M. Clavier, d’Étampes, etc., etc.
Le repas fut très gai, et les convives, mis en appétit
par la course matinale, lui firent largement honneur; et chose assez
rare, le service fut rapide et bien fait; aussi l’on eut que des éloges
à adresser au maître-queux des Trois-Rois, et l’on n’y manqua
pas. Au dessert, le sympathique Président, M. Boucher, adresse de
gracieux remerciements aux personnes présentes. Il salue particulièrement
les dames qui sont venues, nombreuses, embellir par leur présence
la promenade de ce jour; il rappelle l’excursion faite, il y a 13 ans,
dans cette même ville d’Étampes, et qui eut autant de succès
que celle d’aujourd’hui. Il termine son allocution par un rapide exposé
des visites faites dans la matinée, et de ce qu’il nous reste à
voir dans l’après-midi, puis il donne la parole au Secrétaire
général qui joint ses remerciements à ceux du Président,
et présente les excuses des collègues qui, empêchés
à la dernière heure, n’ont pu se joindre à nous, tel,
entre autres, le cas de M., Mme et Mlle Périn de Morsang-sur-Orge.
Il regrette tout particulièrement l’absence forcée de M. Maxime
Legrand, vice-président de notre Société, que sa
mauvaise santé a empêché de prendre part à
notre réunion. Il donne ensuite quelques indications relatives
aux voitures à prendre et aux monuments à visiter. En terminant,
le Secrétaire général tient à remercier chaleureusement
M. L.-E. Lefèvre, le savant archéologue Etampois, qui a bien
voulu mettre sa science à la disposition de la société,
pour guider ses membres à travers la ville et leur montrer les curieux
monuments qu’elle a su conserver, tout en faisant admirer les beautés
et en expliquant les origines et l’histoire.
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Hors d’œuvre
Sardines, saucisson, olives, beurre;
Saumon de la Loire, sauce mayonnaise.
Entrée
Poulets sautés Marengo.
Rôti
Selle de mouton de la Beauce.
Petits pois à la Guinette,
Foie gras à la gelée,
Salade romaine.
Desserts
Gâteau d’amandes d’Étampes.
Petits fours.
Fraises, cerises.
Parfait glacé au café.
Vins
Bordeaux rouge et blanc
Champagne.
Café et liqueurs, eaux minérales.
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Le champagne
saute, les toasts se succèdent, débordant de cordialité,
puis l’heure pressant, l’on quitte presque à regret cette salle où
l’on vient de passer de si bons moments.
Devant les Trois-Rois, de grands breacks attendent
les excursionnistes pour les transporter à St-Martin dont la tour
penchée fait songer à celle de Pise, quoique à Étampes
l’inclinaison soit moins forte. M. Lefèvre, qui a repris son rôle
de cicérone bénévole, nous fait pénétrer
dans l’église où nous sommes accueillis par M. le curé
Lauderault avec toute la bienveillance qui le distingue.
Ce bon curé nous montre les curiosités de son
église et M. Lefèvre les fait valoir et en raconte l’histoire
et les origines. Il fait remarquer les piliers géminés du
déambulatoire, qui sont d’une ornementation à la fois sévère
et élégante. Le triforium, qui festonne entre les fenêtres
et les arcs en tiers-point qui constituent la nef, est d’un motif ferme
et gracieux. La partie la plus curieuse est assurément le chœur,
d’une très belle ordonnance, et les travées du pourtour qui
renferment les trois chapelles posées en trèfle (2).
L’église St-Martin renferme encore de nombreuses pierres
tombales du XIIIe siècle à la renaissance.
Mais l’heure passe et il faut se hâter;
on remonte en voiture pour regagner le centre de la ville. On s’arrête
un instant au Petit-Saint-Mars, où M. Lefèvre a identifié
un monument militaire inconnu dont il ne reste qu’une tour, qu’il croit
antérieure au XIIe siècle.
On passe devant
les Portereaux et les remparts et l’on rentre en ville. |
(2) Maxime Legrand, Étampes pittoresque,
la ville, Étampes 1867.
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On admire rapidement
l’Hôtel de Ville, construction ancienne qui a grand air, puis la
maison d’Anne de Pisseleu , où l’on remarque un fronton de porte
hardiment fouillé.
Tout cela demanderait beaucoup de temps, mais
il faut se hâter pour aller voir l’église Notre-Dame, la
perle des églises d’Étampes.
Et cependant, l’on a été obligé
de négliger l’église St-Gilles qui ne manque pas d’intérêt,
ainsi que les curieuses maisons anciennes à piliers qui se trouvent
sur la place près de l’église. Le temps qui reste avant l’heure
du train, temps trop court, hélas! est consacré à la
visite de l’église Notre-Dame. M. Lefèvre fait admirer la
façade fortifiée, avec ses curieux créneaux qui lui
ont fait donner le nom de Notre-Dame du Fort, et surtout la haute et élégante
tour du clocher, dont la vue fait gémir ceux de Corbeil, qui rappellent
que leur ville possédait aussi une Notre-Dame, ornée d’une
merveilleuse tour presque semblable à celle d’Étampes; les
révolutions, les discordes, les guerres, l’ont fait disparaître
avec les autres églises de cette pauvre cité de Corbeil, privée
aujourd’hui de ses monuments; une seule lui reste, l’église
St-Spire, qui n’est pas la plus belle de celles qu’elle a possédées.
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En pénétrant à
l’intérieur de N.D. d’Étampes, on ne peut s’expliquer le plan
bizarre adopté pour ce monument et l’on sent bien que la forme primitive
a été modifiée au cours de la construction. La nef
centrale et ses deux bas-côtés , avec le prolongement du chœur,
forment véritablement la partie la plus remarquable, comme la plus
ancienne; on la croit contemporaine de Robert le pieux ou d’Henri 1er; mais
telle qu’elle est, avec ses piliers élancés, elle est claire
et élégante.
Une crypte antique, dite de St-Seurin, occupe
une partie du sous-sol du chœur et du sanctuaire, un double escalier y
conduit de chacun des collatéraux. Cette crypte est certainement
une des parties les plus intéressantes de l’église N.D. Elle
est divisée en trois nefs par deux rangs de colonnes monocylindriques,
et elle ne prend jour, aujourd’hui, que par les escaliers qui y conduisent
(2).
Les archéologues s’engouffrent dans l’escalier,
conduits par leur infatigable cicérone, qui leur conte la légende
de St-Seurin, et les mène ensuite dans un vieil ossuaire qui a peut-être
renfermé le tombeau du Saint. Remontés dans l’église,
M. Lefèvre leur fait admirer le vitrail célèbre des
Sybilles qui est une véritable merveille. Le sujet, souvent traité
au XVIe siècle, mais toujours différemment, représente
les douze Sybilles.
Nous admirons encore, toujours avec notre guide, deux magnifiques
statues romanes de Saint Pierre et Saint Paul, qui avaient autrefois orné
un portail extérieur et qui maintenant, et depuis fort longtemps, sont
reléguées dans une chapelle assez retirée du centre
de l’église. C’est probablement à cette circonstance qu’elles
doivent de n’avoir point été mutilées, comme celles
qui sont restées à l’extérieur.
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On s’arrête
encore devant quelques tableaux intéressants et, après une
visite à la sacristie, très curieuse elle aussi, on donne le
signal du départ. Tout en partant, M. Lefèvre nous donne encore
quelques explications sur l’Hôtel-Dieu, qui est presque attaché
à l’église Notre-Dame et qui fut doté de fondations
royales par Philippe-le-Bel et ses successeurs.
Mais l’heure presse, on se hâte vers la
gare, accompagnés par nos amis d’Étampes qui ne veulent
nous quitter qu’à la dernière minute. On se serre les mains,
on se dit au revoir et le train nous emporte, heureux de cette bonne journée
qui nous laissera l’excellent souvenir de l’aimable réception qui
nous a été faite dans cette bonne ville d’Étampes,
si pittoresque, si calme, mais si pleine de son glorieux passé.
X.
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