CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
 
E. Desgardins
La Rivalité d’Anne de Pisseleu et Diane de Poitiers
1909
 
   
Anne de Pisseleu (dessin attribué à l' école de François Clouet)
Diane de Poitiers (dessin attribué à l'école de François Clouet)
Anne de Pisseleu Diane de Poitiers
   
     On sait qu’Anne de Pisseleu, favorite de François Ier, fut la première duchesse d’Étampes, mais qu’après sa mort la dauphin monté sur le trône, Henri II, la dépouilla de ce duché au profit de sa propre maîtresse, Diane de Poitiers. Lors de la conférence d’Étampes de 1909, E. Desgardins, qui avait publié cinq ans auparavant un ouvrage sur Anne de Pisseleu, donna une conférence sur la rivalité qui opposa ces deux duchesses. En 1909, rappelons-le, tout le monde croyait encore que les deux hôtels particuliers étampois, dits l’un d’Anne de Pisseleu et l’autre de Diane de Poitiers, avaient réellement appartenu à ces favorites; on sait aujourd’hui avec certitude que c’est là une pieuse légende, d’ailleurs bien tardive.
B.G.
  
Conférence des sociétés savantes, littéraires et artistiques
du département de Seine-et-Oise

4e réunion (1909), pp. 100-109
La Rivalité d’Anne de Pisseleu
et Diane de Poitiers


M. DESGARDINS

RIVALITÉ
D’Anne de Pisseleu et de Diane de Poitiers.


     Aux visiteurs de leur vieille cité, les archéologues étampois, guides empressés, ne manquent jamais de signaler deux vestiges de la Renaissance, la maison d’Anne de Pisseleu, que semble protéger le buste mutilé de François Ier, et l’hôtel de Diane de Poitiers, orné des initiales de Henri Il. Si, au point de vue archéologique, ces habitations ont conservé leur intérêt, malgré la bizarrerie de leur destination actuelle, il ne faut pas oublier que les belles dames, dont elles abritèrent les amours royales, ont laissé dans l’histoire des traces de leur influence. (Permettez-moi de vous présenter ces deux rivales, Diane de Poitiers, grande sénéchale de Normandie, duchesse de Valentinois, et Anne de Pisseleu d’Heilly, duchesse d’Etampes, sujet un peu léger parmi vos travaux sérieux).


     Diane, fille de Jean de Poitiers, seigneur de St-Vallier, naquit en septembre 1499. Elle épousa à quinze ans Louis de Brézé, comte de Maulevrier, grand sénéchal de Normandie, beau plus Agé qu’elle. Veuve à 31 ans, elle ne tarda pas à revenir à a cour, bien qu’elle fit parade d’un deuil éternel.

     Après la mort du dauphin François, le roi qui la trouvait «bêle à la voir, et honeste à la anter», lui dit son ennui d’avoir un fils, le dauphin Henri, dépourvu de cette vivacité d’esprit qu’il prisait avant tout. La veuve inconsolable lui répondit avec une certaine liberté de langage alors admise à la cour: «L’amour est le meilleur maître pour former le cœur et l’esprit des jeunes gens; je veux le rendre amoureux; j’en veux faire mon galant chevalier.»

     Elle avait alors 35 ans, et le dauphin, marié à Catherine de Médicis, n’en avait que 24.

     Comme il ne lisait pas et parlait peu, parce qu’il ne pensait guère, [p.101] elle vit qu’il lui serait facile de l’éduquer à sa guise, et de le dominer d’autant mieux que Catherine de Médicis, peu suggestive, n’était pas un obstacle sérieux â ses projets.

     Déjà dégoûté de sa femme, frappé de la noblesse d’allure de Diane, Henri prit d’abord grand plaisir à sa conversation, comme entre mère et fils, sans pensée lascive, au point que Marine Cavalli, ambassadeur vénitien, et après lui plusieurs historiens, s’y trompèrent. Puis il se laissa endoctriner jusqu’à prendre, pour lui plaire, de bonnes manières; et enfin, pris au jeu, il tenta et réussit l’assaut de cette place, qu’il jugeait inaccessible et imprenable.

     On était alors en 1537, à l’apogée d’Anne de Pisseleu d’Heilly, duchesse d’Étampes, maîtresse de François Ier.


     Née en 1508, au château de Fontaine-Lavoganne, près de Beauvais, Anne de Pisseleu avait passé sa jeunesse au château d’Heilly, moins délabré que la demeure paternelle. Élevée soigneusement par sa belle-mère, elle y était restée jusqu’au jour où, devenue gente damoiselle, elle était partie frémissante de joie et de crainte, en 1522, pour faire ses débuts dans la vie comme fille d’honneur de la reine mère, Louise de Savoie, en compagnie de Diane de Poitiers. Pendant trois ans, elle put y faire à bonne école son apprentissage de la galanterie.

     Puis vinrent le traité de Madrid et le retour du roi en France. Louise alla au devant de son fils à Bayonne, emmenant avec elle les jeunes beautés de sa cour, qui devaient, d’après ses calculs, ruiner le crédit de Françoise de Foix, comtesse de Châteaubriant, maîtresse du roi, accusée de liaisons coupables avec Bonnivet et le connétable de Bourbon. Le souvenir du traître suffisant à lui seul à condamner la comtesse, la reine n’eut pas de peine à réussir. Françoise de Foix, de treize ans plus âgée que Mlle d’Heilly, représentait un passé que le roi voulait chasser comme un cauchemar. A Mont-de-Marsan, il affecta de ne pas la reconnaître; et pour lui infliger la suprême disgrâce, il lui écrivit avec une élégante désinvolture:
Pour le temps qu’avec toi j’ai passé,
Je peux bien dire: Requiescat in pace!

     Rapportant de Madrid la haine de l’Espagne et l’appréhension de son manage avec la brune Eléonore, François Ier, pressé d’oublier avant la lettre sa femme épaisse de taille, longue de corps et courte de jambes, cherchait autour de lui une blanche Française capable de chasser de sa vue tous les spectres de la défaite.

     A peine eut-il remarqué Mlle d’Heilly, que l’admiration lit place [p.102] à l’amour. Le lendemain, le roi se parait déjà des couleurs de la jeune fille; puis il dit sa passion et ne trouva pas trop cruelle cette beauté d’apparence ingénue, que l’ambition dévorait.


Diane de Poitiers (dessin attribué à l'école de François Clouet)  
Diane de Poitiers



Anne de Pisseleu (dessin attribué à l' école de François Clouet)
Anne de Pisseleu, premier portrait

     Pour sauver les principes, François Ier voulut donner à sa nouvelle amie une dignité à la cour en lui trouvant un mari qui fût d’assez haute naissance pour se faire accepter des courtisans et d’assez maigre fortune pour consentir à épouser la maîtresse avérée du roi. Cet excès d’honneur et cette indignité, il les réserva au fils d’un proscrit, à Jean de Brosse, comte de Penthiévre; et leur mariage fut célébré à Nantes le 25 août 1532.
Hôtel diit d'Anne de Pisseleu d'après Narcisse Berchère
Fig. XII. — MAISON D’ANNE DE PISSELEU, principale façade, vers 1885.
Aquarelle de N. Berchère appartenant à M. Max. Legrand.
(Gravure extraite de La Duchesse d’Étampes et François Ier, par E. DESGARDINS).
 
     Jean de Brosse reçut aussitôt le prix de sa complaisance intéressée. Réintégré dans toutes ses possessions de Bretagne, il fut nommé gouverneur du Bourbonnais, pour l’éloigner de la Cour... et de sa femme; puis, par lettres patentes du 23 juin 1534 il reçut le comté d’Etampes érigé pour lui en duché le 18 janvier 1536; enfin il obtint le cordon de l’Ordre du St Esprit.

Jean de Brosse (dessin attribué à l' école de François Clouet)
Jean de Brosses
     Quant à la duchesse d’Etampes, devenue puissante par la faveur [p.103] du roi, enrichie par un royal présent de 72.000 livres, et magnifiquement titrée, elle parut à la cour dans tout l’éclat de sa jeunesse, d son intelligence et de son crédit.

     Soutenue par le roi elle se pose dès lors, pour la beauté et la puissance, en rivale décidée de Diane de Poitiers, l’amie du dauphin. Toutes deux elles eurent leurs admirateurs, leurs poètes, leurs artistes, leurs favoris et leurs ennemis, selon que les courtisans envisageaient le présent ou l’avenir.

     La maîtresse de François Ier, plus jeune de neuf ans que celle du dauphin, était jolie, coquette et habile. C’était une charmeuse doublée d’une ambitieuse. Le teint frais sans avoir besoin de recourir aux ressources de l’art et de l’hygiène, elle prodiguait à sa rivale les doux noms de vieille édentée, vieille ridée avec de malignes allusions à son blanc et à son rouge, à ses fausses dents et à ses faux cheveux. Elle avait même à son service un poète satirique, Jean Voûté, auteur d’une publication calomnieuse contre Diane, alors âgée de 38 ans. Dans ses hendécasyllabes, imprimés à Paris en 1537, il lui reprochait aussi son visage fardé, ses dents artificielles et ses cheveux d’emprunt. Il allait même jusqu’à vouloir compter ses rides tout en les prétendant innombrables. Heureusement pour Diane, Vulteius l’attaquait en latin! Or Madame d’Etampes avait beau se vanter d’être née le jour du mariage de la grande sénéchale; il n’y avait entre elles que neuf ans de différence; et Diane avait sans se farder le plus beau teint du monde.

     La maîtresse d’Henri vouait à son corps un véritable culte. Levée de grand matin, elle se lavait d’eau glacée, faisait à cheval une promenade dans la neige ou la rosée, puis se remettait au lit, où elle lisait jusqu’à midi. Quand elle paraissait à la cour, elle était transformée. Vigoureuse, le teint frais et uni, les yeux éveillés, les cheveux noirs et bouclés, la gorge sans défaut et la taille élégante, elle séduisait par un air de belle santé et de bonne humeur. Avec sa démarche de reine, elle ne pouvait manquer, par un heureux contraste, de faire impression sur le dauphin. A cette action des sens elle ajouta l’ascendant de son intelligence et de sa modération, jouant fort habilement de son deuil immortel. Née sur les bords du Rhône au cours impétueux, elle aurait dû avoir le caractère emporté; mais elle avait passé les meilleures années de sa jeunesse on Normandie, au pays de sapience. Elle y avait appris à réfréner ses passions, à dissimuler ses plus intimes sentiments, à mettre la modération dans ses discours, l’intrigue et la violence dans ses actes. Cœur froid, tête politique, elle avait, eu même temps que les [p.104] agréments de l’esprit, la volonté décidée et le mépris absolu de l’opinion d’autrui.

     Pour expliquer malicieusement l’influence de Diane sur le faible dauphin, les partisans de la duchesse d’Etampes renouvelèrent coutre elle le conte de l’anneau enchanté de Charlemagne. Ils publièrent qu’elle avait ensorcelé Henri par des philtres, et surtout par la puissance magique d’une bague qu’elle lui avait mise au doigt. Nicolas Pasquier et le Jésuite Gavasse semblent y croire; de Thou lui-même raconte sérieusement cette fable. Quant à Catherine de Médicis, elle était la première à paraître accepter cette version surnaturelle, qui consolait son amour-propre.

     En revanche, la grande sénéchale, ne pouvant contester à sa rivale le privilège de la jeunesse et de la beauté, s’attaquait à sa fidélité. Elle lançait contre elle les bruits les plus odieux, l’accusant d’être la maîtresse de Chabot, de Dampierre, de Longueval et du comte de la Mirandole. Ne réussissant pas à la séparer du roi, elle rongeait son frein en attendant l’heure, où elle se vengerait de la duchesse et de ses flatteurs.

     Aussitôt après son élévation, madame d’Etampes voulut passer pour Mécène des beaux esprits, qui, en retour, l’appelèrent, avec Charles de Sainte-Marthe, la plus belle des savantes et la plus savante des belles. La reine de Navarre vante sa beauté et ses vertus. Etienne Jodelle, Olivier de Magny et Jean de la Maisonneuve chantent ses louanges. Etienne Dolet lui écrit de sa prison, l’appelant:
“... Dame prudente et sage,
Dame adonnée à douceur et pitié”.

     Marot lui prodigue l’encens un jour que, fatiguée sans doute... d’un long voyage, elle a perdu un peu de sa fraîcheur:
Sans préjudice à personne
Je vous donne
La pomme d’or de beauté,
Et de ferme loyauté
La couronne
Vous reprendrez, je l’affie,
Sur la vie,
Le tainct que vous a osté
La déesse de beauté
Par envie
.

     Et pour mieux lui faire sa cour, il ajoute avec une ironie comprise des deux ennemies: [p.105]
Que voulez-vous, Diane bonne,
Que vous donne?
Vous n’eustez, comme j’entends,
Jamais tant d’heur ou printemps
Qu’en automne!


     Mais quand Marot vit décroître l’influence de la favorite royale, il se tourna, comme tant d’autres, du côté de l’astre naissant. En 1541, il célèbre le Tournoi des Chevaliers Errants, qui eut lieu sous les auspices du dauphin et de Diane dans les bois de la Berlandière près de Châtellerault; il lui eût, sans doute, consacré sa lyre, s’il n’était mort avant qu’elle fût dans sa toute-puissance. Du Bellay, Ronsard et Peletier le remplacèrent, chantant les louanges de Diane, dont le prénom se prêtait admirablement à leurs flatteuses fantaisies.

     Rivalisant avec les poètes, les peintres représentèrent Madame d’Etampes en compagnie des plus illustres personnages, sans pouvoir porter ailleurs leurs hommages. Ainsi, à Fontainebleau, dans la galerie François Ier, lo Rosso, pour plaire au dauphin et à sa maîtresse, avait osé peindre une Diane figurant la nymphe de Fontainebleau. La duchesse d’Etampes, prise de jalousie, obtint du roi que le tableau fût effacé et remplacé par une composition du Primatice, Jupiter visitant Danaé. On se demande vraiment pourquoi son portrait ne paraît pas dans l’album de Madame de Boisy, comme celui de Diane, dont les traits furent maintes fois reproduits sur des médailles.

     Les architectes et les sculpteurs embellirent ses résidences d’Egreville, de Challuau, de Limours et d’Etampes, comme ils ornèrent celles de Diane, Anet, Azay-le-Rideau, Chenonceaux et son hôtel d’Etampes, où M. Stein croit voir la main de Jean Goujon. Mais malheur à ceux qui firent montre de quelque indifférence, comme Benvenuto Cellini! Pour avoir refusé d’être son courtisan et peut être aussi pour avoir fait le portrait de Diane, il dut quitter la France et offrir au grand duc Cosme de Médicis son chef-d’œuvre, la statue de Persée.

     Les parents et amis de la favorite profitèrent abondamment de son crédit. Le père de son beau-frère, l’amiral Chabot de Brion, très intime avec elle, si l’on en croit Diane et ses flatteurs, fut, rétabli dans sa charge en 1542, malgré la dégradation prononcée contre lui par le Parlement. Ou s’adressait à elle pour obtenir les plus hauts postes dans l’armée, la magistrature et les finances, et Sauval prétend même qu’un courtisan, le comte de Tavannes, [p.106] offrit à la duchesse de rompre le charme, qui attachait Henri à son amie, tout simplement... en coupant le nez à Diane!

     En revanche, ses ennemis qui étaient en même temps les amis de la grande sénéchale, étaient abattus sans pitié. Elle fit disgracier Montluc. Buzambourg, qui avait tenu sur elle des propos inconsidérés, n’eut que la temps de quitter Meudon pour ne pas être pendu. En 1545, elle concourut à le chute du chancelier Payet, auquel elle ne pardonnait pas d’avoir fait condamner l’amiral Chabot de Brion. Diane jouera, du reste, plus tard la contre-partie. Mais ce qui est plus grave, c’est que les deux rivales, non contentes de diviser la France, séparèrent le père et le fils, François et Henri.

     En 1538, dans la folie d’une partie de plaisir, Henri, devançant de beaucoup la mort de son père, s’amusait à distribuer entre ses amis les grandes charges du royaume. Prévenu par le fou Briandas, excité par la duchesse, François Ier chassa son fils de la cour et fut trois semaines sans le revoir. Ajoutons cependant que, si madame d’Etampes fomenta la mésintelligence entre le père et le fils, ce fut moins contre l’inepte Henri, que contre sa fière maîtresse.

     Depuis 1539, elle sentait diminuer son influence et croître celle de Diane de Poitiers. Elle fut ainsi poussée à protéger le 3e fils du roi, le prince Charles d’Orléans, qu’elle voulait marier à la fille de Charles-Quint avec le duché de Milan ou les Pays-Bas pour dot. Elle s’assurait ainsi un appui et une retraite à la mort de François Ier; mais la mort de son protégé déjoua ses projets.

     La rivalité des deux duchesses, ainsi manifestée dans la politique, eut encore sa répercussion dans la religion.

     Il paraît probable qu’Anne de Pisseleu s’était faite protestante par haine de Diane, ardente catholique. Avec sa sœur Mme de Canny, elle propagea la doctrine de Calvin, son compatriote, avec autant d’ardeur que Marot, Dolet et d’Andelot, frère de l’amiral de Coligny, avec autant de passion que Madame d’Uzès, la reine de Navarre et la vicomtesse de Rohan. Mêlée à toutes les intrigues, Madame d’Etampes prenait par intérêt personnel le parti religieux que d’autres suivaient par fanatisme ou par conviction réfléchie. Cependant il est juste de reconnaître qu’elle persista dans ses opinions aux plus mauvais jours de la persécution: elle termina sa vie dans l’exercice de la religion réformée malgré les dangers que couraient alors les Calvinistes; et pendant la guerre civile de 1576 elle reçut dans son château de Challuau les chefs protestants réunis en conférence. En réalité, au temps où l’on allait, suivant la mode et l’inconstance de la cour, des sermons au prêche, la favorite de François Ier paraît n’avoir suivi les princesses et les dames de haut [p.107] rang dans la pratique de la nouvelle religion que pour ajouter encore une auréole à sa réputation de puissance dans l’Etat.

Anne de Pisseleu (dessin attribué à l' école de François Clouet)
Anne de Pisseleu, autre portrait
     Diane était naturellement du parti adverse. En voyant dans les écrits de l’époque la haine des Protestants à son égard et les flatteries des catholiques sur son zèle et sa piété, on est tenté de se demander si elle n’a pas contribué à inspirer à Henri II ses cruelles idées d’intolérance religieuse envers les disciples de Calvin. On connaît son attitude au procès du couturier de Henri Il, où elle voulut prendre part. “Contentez-vous, lui dit simplement le tailleur, d’avoir infecté la France, sans vouloir mêler votre venin et ordure à une chose tant sainte et sacrée”.
Hôtel diit d'Anne de Pisseleu d'après René Ravault
Fig. XIII. — MAISON D’ANNE DE PISSELEU, façade postérieure, avant 1900.
Dessin de R. RAVAULT.
(Gravure extraite d’Etampes pittoresque, par Max. LEGRAND).

 
     Le Président de Thou, Théodore de Bèze, Brantôme et Jean Crespin l’accusent nettement de haine religieuse. Varillas prétend qu’elle refusait même tout entretien à un Huguenot, par délicatesse de conscience. II est vrai qu’elle profita de la confiscation des biens des Protestants. Aussi, plus tard, à la mort de Henri II, quand [p.108] elle n’eut plus rien à espérer de la persécution, elle fut moins ardente; et même elle recueillit à Anet le bouffon de cour, Brusquet, forcé de quitter Paris parce qu’il était soupçonné de Protestantisme. Cependant elle resta jusqu’à la fin catholique militante.

     Par son testament, fait environ 12 ans avant sa mort, elle déshéritait celle de ses filles qui abandonnerait sa religion. On n’en tint pas compte, quand la duchesse de Bouillon se fit Protestante.

Diane de Poitiers (dessin attribué à l'école de François Clouet)  
Diane de Poitiers
     C’est ainsi que s’est manifesté la rivalité des deux duchesses dans leurs haines et leurs amitiés pendant le règne de François Ier. Malheureusement pour la duchesse d’Etampes, le roi, miné par la maladie, déclinait tous les jours. A partir de 1539, elle ne fut plus guère pour lui, qu’une garde-malade dévouée, supportant son aigreur de caractère, le réveillant quelquefois pour lui ouvrir les yeux sur sa déchéance et l’empêchant de céder le pouvoir  au dauphin et à Diane de Poitiers. Elle essayait bien quelquefois de remettre à cheval de roi de parade pour le produire à la chasse et à l’armée; mais l’âme était déjà morte. Ombre de la royauté, promenant de château en château sa décadence physique et morale, François Ier s’en alla tomber à Rambouillet le 31 mars 1547, tel un cerf atteint d’une flèche empoisonnée. Dans une chambre voisine la duchesse d’Etampes poussait des cris épouvantables; dans une autre, Diane et son jeune prince attendaient insolemment la fin du moribond. La curée allait commencer.

     D’après une lettre de l’ambassadeur vénitien, Francesco Giustiniani, datée du 3 août 1547, François Ier avait fait, en mourant, de pressantes recommandations à son fils en faveur de madame d’Etampes; aussi, lorsque son père eut pour toujours fermé les yeux, Henri adressa de bonnes paroles à la duchesse en lui offrant de rester à la cour. Un peu surprise, elle remercia le nouveau roi, mais s’en alla toute dolente en son château de Limours, pleurant à la fois le père et le fils, son protecteur et son protégé, qu’un même convoi funèbre emportait vers la tombe, pendant que Henri II, en compagnie de Diane, s’écriait: “Voilà donc le bélitre qui fait l’avant-garde de ma félicité!”

     La duchesse d’Etampes eut raison de quitter la cour, où allait éclater contre elle une violente réaction qui couvait depuis longtemps. Une partie de ses biens fut confisquée; ses amis furent disgraciés; elle-même fut reléguée par son mari au château de 1a Hardouinaye. Le duel bien connu de Jarnac, son beau-frère, avec la Châteigneraie, l’ami de Diane, fut son dernier succès. Le règne de la Salamandre est terminé; celui du Croissant commence.

      Le 27 janvier 1565, la mort de son mari rendit la liberté à la [p.109] duchesse d’Etampes, ennuyée de nombreux procès, dont un avec Diane de Poitiers au sujet de sa seigneurie de Beynes. Elle se retira auprès de son neveu à Heilly, dans l’isolement et l’obscurité.

     Quant à Diane, elle usa et abusa de sa puissance jusqu’au jour où périt Henri II. Alors elle subit la même disgrâce et le même traitement que madame de Chateaubriant et madame d’Etampes. Elle mourut en 1566. Anne de Pisseleu, débarrassée successivement de son mari et de sa rivale, eut ainsi le dernier mot dans la lutte, après avoir vu la fin de François Ier, son protecteur, et de Henri II, son ennemi. Elle mourut elle-même dans les premiers jours de septembre 1580. Ainsi finit une rivalité désastreuse pour la France; et l’Histoire inexorable présente sous un jour peu riant, ces deux figures, que la Légende entoure injustement d’une auréole!

Anne de Pisseleu (dessin attribué à l' école de François Clouet)
Anne de Pisseleu, autre dessin
   
Sources: Saisie en mode texte de l’édition en mode image de la BNF par B.G., juin 2006.
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
      
Éditions

     E. DESGARDINS, «Rivalité d’Anne de Pisseleu et de Diane de Poitiers», in Conférence des sociétés savantes, littéraires et artistiques de Seine-et-Oise. Compte rendu et communications de la quatrième réunion tenue à Étampes les 13 et 14 juin 1909 sous la présidence de M. Maurice Croiset, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et de M. Alfred Paisant, vice-président de la Commission départementale des Antiquités et des Arts de Seine-et-Oise [24 cm; 264 p.], Étampes, Librairie Flizot, 1909, pp. 100-109.

     BNF, «Conférence des sociétés savantes, littéraires et artistiques du département de Seine-et-Oise. 1909» [réédition numérique en mode image], in Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k664342, en ligne en 2006, pp. 100-109.

     Bernard GINESTE, «E. Desgardins: La Rivalité d’Anne de Pisseleu et de Diane de Poitiers (1909)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-desgardins1909rivalite.html
, 2006.

Autre ouvrage de Desgardins

     E. DESGARDINS, Les favorites des rois. Anne de Pisseleu, duchesse d’Étampes, et François Ier [in-16; 129 p.; portraits, planches, fac-similé; gravure en couleur], Paris, Champion, 1904.

Sur Anne de Pisseleu et Diane de Poitiers



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