Conférence des
sociétés savantes, littéraires et artistiques
du département de Seine-et-Oise
4e réunion (1909), pp. 100-109
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La Rivalité d’Anne
de Pisseleu
et Diane de Poitiers
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M. DESGARDINS
RIVALITÉ
D’Anne de Pisseleu et de Diane de Poitiers.
Aux visiteurs de leur vieille cité,
les archéologues étampois, guides empressés, ne manquent
jamais de signaler deux vestiges de la Renaissance, la maison d’Anne de
Pisseleu, que semble protéger le buste mutilé de François
Ier, et l’hôtel de Diane de Poitiers, orné des initiales de
Henri Il. Si, au point de vue archéologique, ces habitations ont conservé
leur intérêt, malgré la bizarrerie de leur destination
actuelle, il ne faut pas oublier que les belles dames, dont elles abritèrent
les amours royales, ont laissé dans l’histoire des traces de leur
influence. (Permettez-moi de vous présenter ces deux rivales, Diane
de Poitiers, grande sénéchale de Normandie, duchesse de Valentinois,
et Anne de Pisseleu d’Heilly, duchesse d’Etampes, sujet un peu léger
parmi vos travaux sérieux).
Diane, fille de Jean de Poitiers, seigneur de
St-Vallier, naquit en septembre 1499. Elle épousa à quinze
ans Louis de Brézé, comte de Maulevrier, grand sénéchal
de Normandie, beau plus Agé qu’elle. Veuve à 31 ans, elle
ne tarda pas à revenir à a cour, bien qu’elle fit parade
d’un deuil éternel.
Après la mort du dauphin François,
le roi qui la trouvait «bêle à la voir, et honeste à
la anter», lui dit son ennui d’avoir un fils, le dauphin Henri, dépourvu
de cette vivacité d’esprit qu’il prisait avant tout. La veuve inconsolable
lui répondit avec une certaine liberté de langage alors admise
à la cour: «L’amour est le meilleur maître pour former
le cœur et l’esprit des jeunes gens; je veux le rendre amoureux; j’en veux
faire mon galant chevalier.»
Elle avait alors 35 ans, et le dauphin, marié
à Catherine de Médicis, n’en avait que 24.
Comme il ne lisait pas et parlait peu, parce qu’il
ne pensait guère, [p.101] elle vit qu’il
lui serait facile de l’éduquer à sa guise, et de le dominer
d’autant mieux que Catherine de Médicis, peu suggestive, n’était
pas un obstacle sérieux â ses projets.
Déjà dégoûté
de sa femme, frappé de la noblesse d’allure de Diane, Henri prit
d’abord grand plaisir à sa conversation, comme entre mère et
fils, sans pensée lascive, au point que Marine Cavalli, ambassadeur
vénitien, et après lui plusieurs historiens, s’y trompèrent.
Puis il se laissa endoctriner jusqu’à prendre, pour lui plaire, de
bonnes manières; et enfin, pris au jeu, il tenta et réussit
l’assaut de cette place, qu’il jugeait inaccessible et imprenable.
On était alors en 1537, à l’apogée
d’Anne de Pisseleu d’Heilly, duchesse d’Étampes, maîtresse
de François Ier.
Née en 1508,
au château de Fontaine-Lavoganne, près de Beauvais, Anne de
Pisseleu avait passé sa jeunesse au château d’Heilly, moins
délabré que la demeure paternelle. Élevée soigneusement
par sa belle-mère, elle y était restée jusqu’au jour
où, devenue gente damoiselle, elle était partie frémissante
de joie et de crainte, en 1522, pour faire ses débuts dans la vie
comme fille d’honneur de la reine mère, Louise de Savoie, en compagnie
de Diane de Poitiers. Pendant trois ans, elle put y faire à bonne
école son apprentissage de la galanterie.
Puis vinrent le traité de Madrid et
le retour du roi en France. Louise alla au devant de son fils à
Bayonne, emmenant avec elle les jeunes beautés de sa cour, qui devaient,
d’après ses calculs, ruiner le crédit de Françoise
de Foix, comtesse de Châteaubriant, maîtresse du roi, accusée
de liaisons coupables avec Bonnivet et le connétable de Bourbon.
Le souvenir du traître suffisant à lui seul à condamner
la comtesse, la reine n’eut pas de peine à réussir. Françoise
de Foix, de treize ans plus âgée que Mlle d’Heilly, représentait
un passé que le roi voulait chasser comme un cauchemar. A Mont-de-Marsan,
il affecta de ne pas la reconnaître; et pour lui infliger la suprême
disgrâce, il lui écrivit avec une élégante désinvolture:
“Pour le temps qu’avec
toi j’ai passé,
Je peux bien dire: Requiescat in
pace!”
Rapportant de Madrid la haine de l’Espagne
et l’appréhension de son manage avec la brune Eléonore, François
Ier, pressé d’oublier avant la lettre sa femme épaisse de
taille, longue de corps et courte de jambes, cherchait autour de lui une
blanche Française capable de chasser de sa vue tous les spectres de
la défaite.
A peine eut-il remarqué Mlle d’Heilly,
que l’admiration lit place [p.102] à
l’amour. Le lendemain, le roi se parait déjà des couleurs
de la jeune fille; puis il dit sa passion et ne trouva pas trop cruelle cette
beauté d’apparence ingénue, que l’ambition dévorait.
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Diane de Poitiers
Anne de Pisseleu, premier portrait
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Pour sauver les principes, François
Ier voulut donner à sa nouvelle amie une dignité à
la cour en lui trouvant un mari qui fût d’assez haute naissance pour
se faire accepter des courtisans et d’assez maigre fortune pour consentir
à épouser la maîtresse avérée du roi.
Cet excès d’honneur et cette indignité, il les réserva
au fils d’un proscrit, à Jean de Brosse, comte de Penthiévre;
et leur mariage fut célébré à Nantes le 25 août
1532.
Fig.
XII. — MAISON D’ANNE DE PISSELEU, principale façade, vers 1885.
Aquarelle de N. Berchère
appartenant à M. Max. Legrand.
(Gravure extraite
de La Duchesse d’Étampes et François Ier,
par E. DESGARDINS).
Jean de Brosse
reçut aussitôt le prix de sa complaisance intéressée.
Réintégré dans toutes ses possessions de Bretagne,
il fut nommé gouverneur du Bourbonnais, pour l’éloigner de
la Cour... et de sa femme; puis, par lettres patentes du 23 juin 1534 il
reçut le comté d’Etampes érigé pour lui en duché
le 18 janvier 1536; enfin il obtint le cordon de l’Ordre du St Esprit.
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Jean de Brosses
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Quant à la duchesse d’Etampes, devenue puissante par la faveur [p.103] du roi, enrichie par un royal présent
de 72.000 livres, et magnifiquement titrée, elle parut à la
cour dans tout l’éclat de sa jeunesse, d son intelligence et de
son crédit.
Soutenue par le roi elle se pose dès
lors, pour la beauté et la puissance, en rivale décidée
de Diane de Poitiers, l’amie du dauphin. Toutes deux elles eurent leurs
admirateurs, leurs poètes, leurs artistes, leurs favoris et leurs
ennemis, selon que les courtisans envisageaient le présent ou l’avenir.
La maîtresse de François Ier,
plus jeune de neuf ans que celle du dauphin, était jolie, coquette
et habile. C’était une charmeuse doublée d’une ambitieuse.
Le teint frais sans avoir besoin de recourir aux ressources de l’art et de
l’hygiène, elle prodiguait à sa rivale les doux noms de vieille
édentée, vieille ridée avec de malignes allusions à
son blanc et à son rouge, à ses fausses dents et à
ses faux cheveux. Elle avait même à son service un poète
satirique, Jean Voûté, auteur d’une publication calomnieuse
contre Diane, alors âgée de 38 ans. Dans ses hendécasyllabes,
imprimés à Paris en 1537, il lui reprochait aussi son visage
fardé, ses dents artificielles et ses cheveux d’emprunt. Il allait
même jusqu’à vouloir compter ses rides tout en les prétendant
innombrables. Heureusement pour Diane, Vulteius l’attaquait en latin! Or
Madame d’Etampes avait beau se vanter d’être née le jour du
mariage de la grande sénéchale; il n’y avait entre elles que
neuf ans de différence; et Diane avait sans se farder le plus beau
teint du monde.
La maîtresse d’Henri vouait à
son corps un véritable culte. Levée de grand matin, elle se
lavait d’eau glacée, faisait à cheval une promenade dans la
neige ou la rosée, puis se remettait au lit, où elle lisait
jusqu’à midi. Quand elle paraissait à la cour, elle était
transformée. Vigoureuse, le teint frais et uni, les yeux éveillés,
les cheveux noirs et bouclés, la gorge sans défaut et la taille
élégante, elle séduisait par un air de belle santé
et de bonne humeur. Avec sa démarche de reine, elle ne pouvait manquer,
par un heureux contraste, de faire impression sur le dauphin. A cette action
des sens elle ajouta l’ascendant de son intelligence et de sa modération,
jouant fort habilement de son deuil immortel. Née sur les bords du
Rhône au cours impétueux, elle aurait dû avoir le caractère
emporté; mais elle avait passé les meilleures années
de sa jeunesse on Normandie, au pays de sapience. Elle y avait appris à
réfréner ses passions, à dissimuler ses plus intimes
sentiments, à mettre la modération dans ses discours, l’intrigue
et la violence dans ses actes. Cœur froid, tête politique, elle
avait, eu même temps que les [p.104]
agréments de l’esprit, la volonté décidée et
le mépris absolu de l’opinion d’autrui.
Pour expliquer malicieusement l’influence
de Diane sur le faible dauphin, les partisans de la duchesse d’Etampes
renouvelèrent coutre elle le conte de l’anneau enchanté de
Charlemagne. Ils publièrent qu’elle avait ensorcelé Henri
par des philtres, et surtout par la puissance magique d’une bague qu’elle
lui avait mise au doigt. Nicolas Pasquier et le Jésuite Gavasse semblent
y croire; de Thou lui-même raconte sérieusement cette fable.
Quant à Catherine de Médicis, elle était la première
à paraître accepter cette version surnaturelle, qui consolait
son amour-propre.
En revanche, la grande sénéchale,
ne pouvant contester à sa rivale le privilège de la jeunesse
et de la beauté, s’attaquait à sa fidélité.
Elle lançait contre elle les bruits les plus odieux, l’accusant d’être
la maîtresse de Chabot, de Dampierre, de Longueval et du comte de
la Mirandole. Ne réussissant pas à la séparer du roi,
elle rongeait son frein en attendant l’heure, où elle se vengerait
de la duchesse et de ses flatteurs.
Aussitôt après son élévation,
madame d’Etampes voulut passer pour Mécène des beaux esprits,
qui, en retour, l’appelèrent, avec Charles de Sainte-Marthe, la plus
belle des savantes et la plus savante des belles. La reine de Navarre vante
sa beauté et ses vertus. Etienne Jodelle, Olivier de Magny et Jean
de la Maisonneuve chantent ses louanges. Etienne Dolet lui écrit
de sa prison, l’appelant:
“... Dame prudente et
sage,
Dame adonnée à douceur et pitié”.
Marot lui prodigue l’encens un jour que, fatiguée
sans doute... d’un long voyage, elle a perdu un peu de sa fraîcheur:
“Sans préjudice
à personne
Je vous donne
La pomme d’or de beauté,
Et de ferme loyauté
La couronne
Vous reprendrez, je l’affie,
Sur la vie,
Le tainct que vous a osté
La déesse de beauté
Par envie .”
Et pour mieux lui faire sa cour, il ajoute
avec une ironie comprise des deux ennemies: [p.105]
“Que voulez-vous, Diane bonne,
Que vous donne?
Vous n’eustez, comme j’entends,
Jamais tant d’heur ou printemps
Qu’en automne! ”
Mais quand Marot vit décroître
l’influence de la favorite royale, il se tourna, comme tant d’autres, du
côté de l’astre naissant. En 1541, il célèbre
le Tournoi des Chevaliers Errants, qui eut lieu sous les auspices du dauphin
et de Diane dans les bois de la Berlandière près de Châtellerault;
il lui eût, sans doute, consacré sa lyre, s’il n’était
mort avant qu’elle fût dans sa toute-puissance. Du Bellay, Ronsard
et Peletier le remplacèrent, chantant les louanges de Diane, dont
le prénom se prêtait admirablement à leurs flatteuses
fantaisies.
Rivalisant avec les poètes, les peintres
représentèrent Madame d’Etampes en compagnie des plus illustres
personnages, sans pouvoir porter ailleurs leurs hommages. Ainsi, à
Fontainebleau, dans la galerie François Ier, lo Rosso, pour plaire
au dauphin et à sa maîtresse, avait osé peindre une
Diane figurant la nymphe de Fontainebleau. La duchesse d’Etampes, prise de
jalousie, obtint du roi que le tableau fût effacé et remplacé
par une composition du Primatice, Jupiter visitant Danaé. On se
demande vraiment pourquoi son portrait ne paraît pas dans l’album
de Madame de Boisy, comme celui de Diane, dont les traits furent maintes
fois reproduits sur des médailles.
Les architectes et les sculpteurs embellirent
ses résidences d’Egreville, de Challuau, de Limours et d’Etampes,
comme ils ornèrent celles de Diane, Anet, Azay-le-Rideau, Chenonceaux
et son hôtel d’Etampes, où M. Stein croit voir la main de Jean
Goujon. Mais malheur à ceux qui firent montre de quelque indifférence,
comme Benvenuto Cellini! Pour avoir refusé d’être son courtisan
et peut être aussi pour avoir fait le portrait de Diane, il dut
quitter la France et offrir au grand duc Cosme de Médicis son chef-d’œuvre,
la statue de Persée.
Les parents et amis de la favorite profitèrent
abondamment de son crédit. Le père de son beau-frère,
l’amiral Chabot de Brion, très intime avec elle, si l’on en croit
Diane et ses flatteurs, fut, rétabli dans sa charge en 1542, malgré
la dégradation prononcée contre lui par le Parlement. Ou s’adressait
à elle pour obtenir les plus hauts postes dans l’armée, la
magistrature et les finances, et Sauval prétend même qu’un
courtisan, le comte de Tavannes, [p.106] offrit
à la duchesse de rompre le charme, qui attachait Henri à son
amie, tout simplement... en coupant le nez à Diane!
En revanche, ses ennemis qui étaient
en même temps les amis de la grande sénéchale, étaient
abattus sans pitié. Elle fit disgracier Montluc. Buzambourg, qui
avait tenu sur elle des propos inconsidérés, n’eut que la temps
de quitter Meudon pour ne pas être pendu. En 1545, elle concourut à
le chute du chancelier Payet, auquel elle ne pardonnait pas d’avoir fait
condamner l’amiral Chabot de Brion. Diane jouera, du reste, plus tard la
contre-partie. Mais ce qui est plus grave, c’est que les deux rivales, non
contentes de diviser la France, séparèrent le père et
le fils, François et Henri.
En 1538, dans la folie d’une partie de plaisir,
Henri, devançant de beaucoup la mort de son père, s’amusait
à distribuer entre ses amis les grandes charges du royaume. Prévenu
par le fou Briandas, excité par la duchesse, François Ier
chassa son fils de la cour et fut trois semaines sans le revoir. Ajoutons
cependant que, si madame d’Etampes fomenta la mésintelligence entre
le père et le fils, ce fut moins contre l’inepte Henri, que contre
sa fière maîtresse.
Depuis 1539, elle sentait diminuer son influence
et croître celle de Diane de Poitiers. Elle fut ainsi poussée
à protéger le 3e fils du roi, le prince Charles d’Orléans,
qu’elle voulait marier à la fille de Charles-Quint avec le duché
de Milan ou les Pays-Bas pour dot. Elle s’assurait ainsi un appui et une
retraite à la mort de François Ier; mais la mort de son protégé
déjoua ses projets.
La rivalité des deux duchesses, ainsi
manifestée dans la politique, eut encore sa répercussion dans
la religion.
Il paraît probable qu’Anne de Pisseleu
s’était faite protestante par haine de Diane, ardente catholique.
Avec sa sœur Mme de Canny, elle propagea la doctrine de Calvin, son compatriote,
avec autant d’ardeur que Marot, Dolet et d’Andelot, frère de l’amiral
de Coligny, avec autant de passion que Madame d’Uzès, la reine de
Navarre et la vicomtesse de Rohan. Mêlée à toutes les
intrigues, Madame d’Etampes prenait par intérêt personnel le
parti religieux que d’autres suivaient par fanatisme ou par conviction réfléchie.
Cependant il est juste de reconnaître qu’elle persista dans ses opinions
aux plus mauvais jours de la persécution: elle termina sa vie dans
l’exercice de la religion réformée malgré les dangers
que couraient alors les Calvinistes; et pendant la guerre civile de 1576
elle reçut dans son château de Challuau les chefs protestants
réunis en conférence. En réalité, au temps où
l’on allait, suivant la mode et l’inconstance de la cour, des sermons au
prêche, la favorite de François Ier paraît n’avoir suivi
les princesses et les dames de haut [p.107] rang
dans la pratique de la nouvelle religion que pour ajouter encore une auréole
à sa réputation de puissance dans l’Etat.
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Anne de Pisseleu, autre portrait
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Diane était naturellement du parti adverse. En voyant dans les écrits
de l’époque la haine des Protestants à son égard
et les flatteries des catholiques sur son zèle et sa piété,
on est tenté de se demander si elle n’a pas contribué à
inspirer à Henri II ses cruelles idées d’intolérance
religieuse envers les disciples de Calvin. On connaît son attitude
au procès du couturier de Henri Il, où elle voulut prendre
part. “Contentez-vous, lui dit simplement le tailleur, d’avoir infecté
la France, sans vouloir mêler votre venin et ordure à une chose
tant sainte et sacrée”.
Fig.
XIII. — MAISON D’ANNE DE PISSELEU, façade postérieure, avant
1900.
Dessin de R. RAVAULT.
(Gravure extraite d’Etampes pittoresque,
par Max. LEGRAND).
Le Président de Thou, Théodore
de Bèze, Brantôme et Jean Crespin l’accusent nettement de haine
religieuse. Varillas prétend qu’elle refusait même tout entretien
à un Huguenot, par délicatesse de conscience. II est vrai
qu’elle profita de la confiscation des biens des Protestants. Aussi, plus
tard, à la mort de Henri II, quand [p.108]
elle n’eut plus rien à espérer de la persécution,
elle fut moins ardente; et même elle recueillit à Anet le
bouffon de cour, Brusquet, forcé de quitter Paris parce qu’il était
soupçonné de Protestantisme. Cependant elle resta jusqu’à
la fin catholique militante.
Par son testament, fait environ 12 ans avant
sa mort, elle déshéritait celle de ses filles qui abandonnerait
sa religion. On n’en tint pas compte, quand la duchesse de Bouillon se fit
Protestante.
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Diane de Poitiers
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C’est ainsi que s’est manifesté la rivalité des deux duchesses
dans leurs haines et leurs amitiés pendant le règne de François
Ier. Malheureusement pour la duchesse d’Etampes, le roi, miné par
la maladie, déclinait tous les jours. A partir de 1539, elle ne fut
plus guère pour lui, qu’une garde-malade dévouée, supportant
son aigreur de caractère, le réveillant quelquefois pour lui
ouvrir les yeux sur sa déchéance et l’empêchant de
céder le pouvoir au dauphin et à Diane de Poitiers.
Elle essayait bien quelquefois de remettre à cheval de roi de parade
pour le produire à la chasse et à l’armée; mais l’âme
était déjà morte. Ombre de la royauté, promenant
de château en château sa décadence physique et morale,
François Ier s’en alla tomber à Rambouillet le 31 mars 1547,
tel un cerf atteint d’une flèche empoisonnée. Dans une chambre
voisine la duchesse d’Etampes poussait des cris épouvantables; dans
une autre, Diane et son jeune prince attendaient insolemment la fin du moribond.
La curée allait commencer.
D’après une lettre de l’ambassadeur
vénitien, Francesco Giustiniani, datée du 3 août 1547,
François Ier avait fait, en mourant, de pressantes recommandations
à son fils en faveur de madame d’Etampes; aussi, lorsque son père
eut pour toujours fermé les yeux, Henri adressa de bonnes paroles
à la duchesse en lui offrant de rester à la cour. Un peu surprise,
elle remercia le nouveau roi, mais s’en alla toute dolente en son château
de Limours, pleurant à la fois le père et le fils, son protecteur
et son protégé, qu’un même convoi funèbre emportait
vers la tombe, pendant que Henri II, en compagnie de Diane, s’écriait:
“Voilà donc le bélitre qui fait l’avant-garde de ma félicité!”
La duchesse d’Etampes eut raison de quitter
la cour, où allait éclater contre elle une violente réaction
qui couvait depuis longtemps. Une partie de ses biens fut confisquée;
ses amis furent disgraciés; elle-même fut reléguée
par son mari au château de 1a Hardouinaye. Le duel bien connu de
Jarnac, son beau-frère, avec la Châteigneraie, l’ami de Diane,
fut son dernier succès. Le règne de la Salamandre est terminé;
celui du Croissant commence.
Le 27 janvier 1565, la mort de son mari
rendit la liberté à la [p.109]
duchesse d’Etampes, ennuyée de nombreux procès, dont un avec
Diane de Poitiers au sujet de sa seigneurie de Beynes. Elle se retira auprès
de son neveu à Heilly, dans l’isolement et l’obscurité.
Quant à Diane, elle usa et abusa de
sa puissance jusqu’au jour où périt Henri II. Alors elle subit
la même disgrâce et le même traitement que madame de
Chateaubriant et madame d’Etampes. Elle mourut en 1566. Anne de Pisseleu,
débarrassée successivement de son mari et de sa rivale, eut
ainsi le dernier mot dans la lutte, après avoir vu la fin de François
Ier, son protecteur, et de Henri II, son ennemi. Elle mourut elle-même
dans les premiers jours de septembre 1580. Ainsi finit une rivalité
désastreuse pour la France; et l’Histoire inexorable présente
sous un jour peu riant, ces deux figures, que la Légende entoure
injustement d’une auréole!
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Anne de Pisseleu, autre dessin
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