Abeille d’Étampes
Une conséquence inattendue
de la Grande Guerre
Numéro du 28 février 1920
Les Drames de
la Route
La guerre n’a pas fait seulement des ravages parmi les
hommes; elle a également prélevé un lourd tribut sanglant
dans les rangs de leurs plus fidèles serviteurs, les chevaux! Combien
sont revenus à l’écurie, à la ferme, des braves animaux
qui furent réquisitionnés? Bien peu, certainement, et c’est
encore le monde des paysans qui doit supporter ce sacrifice.
Il fallut se procurer de nouvelles bêtes à
des prix exorbitants et, celles-ci étant très jeunes, leur dressage
n’alla pas toujours sans difficulté, ni sans danger. C’est ainsi que
nous avons à déplorer cette semaine, dans notre arrondissement,
les deux terribles accidents suivants:
À Chalo-Saint-Mars
Le 16 février, vers 14 heures, M. Tiercelin (Victor),
charretier, au service de M. Simon, à Auvers-Saint-Georges, se rendit
chez M. Guérin, marchand d’engrais aux Sablons, pour faire, sur sa
voiture, un chargement d’engrais.
Or, la voiture était apprêtée et
le chargement commençait lorsque le cheval, une jeune bête de
3 ans, s’effraya au bruit causé par la chute du premier sac et s’emballa.
M. Tiercelin, courageusement, se jeta aux naseaux de
l’animal pour l’arrêter; mais, au moment où la voiture venait
de franchir la barrière, il tomba et la roue droite lui broya la tête.
M. Guérin se précipita à son secours,
le releva et envoya quérir d’urgence M. le docteur Solon; celui-ci
déclara que le transport à l’hôpital d’Étampes
s’imposait pour trépaner la malheureuse victime.
Mais, malgré les soins les plus attentifs, M.
Tiercelin y expira jeudi.
Nous nous associons à la douleur de la famille
de M. Tiercelin, et nous lui présentons nos vives condoléances.
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L’Abeille d’Étampes
109/9 (28 février 1920), p. 2 (saisie de B. G., 2018).
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À Maisse
À 800 mètres environ de la ville, à une courbe de
la côte dite « La Crotte », un terrible accident s’est produit
vendredi matin; la principale victime, M. Dupré, un honnête agriculteur
de Malesherbes, qui venait prendre possession d’une ferme à Valpuiseaux,
y a trouvé une mort tragique.
Voici les faits:
Le 20 février, dans la matinée, quatre
militaires de l’E. S. A. de Villesauvage, MM. Barré (A.), Brevet (B.),
Crochet (B.) et Petitcolas (P.), se rendirent, sous la conduite du soldat
de 1er classe Honegger (T.), à la gare de Maisse pour effectuer, sur
un camion automobile et une remorque, le chargement de restes d’avions.
Leur travail terminé, ils gagnèrent, sur
le dit camion, l’hôtel Saint-Médard ou ils déjeunèrent.
Après le repas, le mécanicien, le soldat
Barré (A.), s’efforça de réparer les freins de sa voiture,
freins qui fonctionnaient d’une façon défectueuse, puis les
cinq militaires se rendirent jusqu’à Gironville pour éprouver
la solidité des réparations faites par le mécanicien.
L’aller s’effectua sans incident; au retour, ils allaient
à petite allure et se trouvaient engagés dans la descente de
Maisse, lorsqu’ils aperçurent, venant à eux à une vive
allure, un cheval tirant une voiture sur laquelle le conducteur, tenant en
mains les guides, se trouvait debout.
Ils eurent l’intuition que ce cheval était quelque
peu effrayé, et afin d’éviter tout accident, ils ralentirent
autant qu’ils purent la marche du camion et se rangèrent tout à
fait à droite.
Malheureusement, alors que les deux véhicules
arrivaient à hauteur l’un de l’autre, le cheval fit un brusque écart
à droite, obstruant complètement la route avec la voiture. L’inévitable
choc se produisit: l’avant du tracteur buta fortement dans l’arrière
de la charrette, de telle sorte que le cheval fut ramené brusquement
sur la gauche de la chaussée où il tomba; le conducteur fut
projeté hors de la voiture et alla s’écraser la tête contre
le sol où il resta inanimé, perdant le sang à flot;
quant au camion, il s’immobilisait brusquement ayant son radiateur brisé.
Aussitôt, les militaires qui, eux, en étaient
quittes pour un léger choc, se portèrent au secours du charretier.
Tandis que deux d’entre eux le relevaient et s’efforçaient de le ranimer,
les autres voulurent s’occuper du cheval et de la voiture dont le châssis
arrière et le brancard de droite avaient été brisés;
mais le cheval qui n’était blessé que superficiellement, se
releva d’un bond et, brusquement emballé, parti dans la direction
de Gironville.
Un jeune agriculteur, M. Petit (René), rentrait,
à ce moment, des champs; il vit l’attelage s’amener sur lui en trombe
et il eut besoin de tout son sang- froid pour garer sa voiture; ce fut miracle
qu’un deuxième accident ne se produisît pas!
N’ayant pu arrêter le cheval emballé, il
poursuivit son chemin et arriva sur les lieux de l’accident; obligeamment,
il mit une de ses bêtes à la disposition d’un militaire qui se
lança à la poursuite de l’animal tandis que lui-même s’en
allait rapidement chercher à Maisse, M. le docteur Streiff.
Pendant ce temps, M. Dupré avait repris connaissance,
et parvenait, non sans peine, à décliner son nom; il expliqua
qu’il souffrait horriblement de violentes douleurs internes ainsi que de la
tête où il portait deux plaies béantes. Les soldats cherchèrent
alors à le transporter à Maisse, tandis que leur chef de corvée,
M. Honegger, allait prévenir la gendarmerie.
Le dévoué chef de brigade, M. Nicolas,
ne tarda pas à arriver sur les lieux et fit quérir une voiture
pour y coucher le malheureux charretier qui s’affaiblissait à vue d’œil.
Bientôt, à son tour, M. le docteur Streiff rejoignait la petite
caravane et, ayant examiné le blessé, diagnostiquait une fracture
du crâne, nécessitant le transport d’urgence à l’hôpital
d’Etampes.
En attendant que M. le Maire ait réquisitionné
une auto pour effectuer ce transport, M. Dupré était installé
dans une chambre de la Mairie et y recevait des soins empressés du
docteur et du personnel; mais la blessure avait été trop grave
et la malheureuse victime ne tardait pas à expirer.
L’enquête ouverte par la gendarmerie au sujet
de ce triste accident a démontré que l’inconscient auteur en
était le cheval, une jeune bête qui s’effrayait au passage des
autos. L’endroit où il fit son écart fut nettement marqué
par les traces des roues de la voiture; d’autre part, les traces des roues
du camion prouvent bien que les militaires tenaient leur droite; enfin, une
courbe très prononcée de la côte, à cet endroit,
empêchait le conducteur du camion d’apercevoir l’attelage arrivant
sur lui.
M. Boussaingault, agent d’assurances, put donner immédiatement
quelques renseignements sur la victime: quelques instants auparavant, M. Dupré.
cultivateur à Malesherbes, était venu le voir pour assurer
son cheval — funeste pressentiment! Il avait expliqué qu’il effectuait
son déménagement pour Valpuiseaux où il prenait une
ferme.
La gendarmerie y fit aussitôt prévenir
Mme Dupré qui accourut; la douleur de cette dame fit peine à
voir quand elle aperçut le cadavre de celui qu’elle avait quitté
plein de vie. Elle ne put donc donner aucun renseignement pour compléter
l’enquête et chargea des démarches funèbres son beau-
frère, M. Leduc, maire de Champmotteux.
Cette mort tragique a causé dans toute la région
où M. Dupré et sa famille sont très honorablement connus,
une bien vive émotion et une profonde tristesse à laquelle nous
nous associons.
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