Les obsèques du
maréchal des logis Laurent
Malgré l’heure matinale, une foule de
nos concitoyens, parmi lesquels la municipalité, le conseil municipal,
les conseillers d’arrondissement, les fonctionnaires, les sociétés
d’anciens combattants, de Vétérans, de la Croix-Rouge, les
délégués de l’Aéro-Club, les aviateurs de l’école
d’Étampes ont tenu à suivre samedi matin le convoi du maréchal
des logis Laurent, victime d’un accident d’aéroplane à Villesauvage.
Quatre grandes et belles couronnes avaient été
offertes par les groupes aéronautiques, les écoles d’aviation,
les camarades de régiment du malheureux sous-officier, elles étaient
portées par les jeunes sapeurs du groupe d’Étampes. L’une d’elle
en fleurs naturelles, roses chair, violettes, pensées, d’une fraîcheur
merveilleuse, semblait symboliser la jeunesse du malheureux pilote.
Les cordons du char étaient tenus par les maréchaux-de-logis
chefs Marc et Coste, et par les sous-officiers Debeste, Caron, Schildge
et Begneux.
Une délégation composée des maréchaux-de-logis
Loquin, Bessonnier, Cotton et Begneux, sous-officiers du 1er régiment
d’artillerie à Bourges, auquel appartenait le défunt, suivait
le convoi.
Le deuil était conduit par le frère du maréchal
des logis Laurent.
Après la levée du corps, dans la chapelle
de l’Hospice, le cortège s’est rendu à la gare où, —
en présence des MM. les colonels Hirschauer et Bouttiaux, du commandant
Buot de l’Epine, chef d’escadron d 1er régiment d’artillerie, du capitaine
Renault, commandant le centre de Belfort, et des lieutenants de Geyer, Jacquet,
Boucher, Dupin de la Morlaye et Combette, de M. François Carnot,
député, M. le sous-préfet Darras, M. Marcel Bouilloux-Lafont,
maire, M. Lassiat lieutenant de gendarmerie, des chefs des Ecoles civiles
d’aviation et d’une foule d’assistants sincèrement attristée
– M. le lieutenant Massol, commandant le centre d’Étampes, d’une
voix haute et ferme, où cependant perçait une pointe d’émotion,
dit le dernier adieu au valeureux sous-officier:
«C’est au nom de ses chefs, au nom de ses camarades
que je viens ici rendre hommage à la mémoire du maréchal
des logis Laurent – âgé de 22 ans à peine, il ne comptait
pas moins, déjà, parmi nos meilleures pilotes militaires.
Ses notes excellentes au 1er régiment d’artillerie
où il avait fait ses débuts dans la carrière militaire
et conquis rapidement ses galons de sous-officiers, l’avaient fait désigner
pour faire partie de la 1ère promotion de sous-officier aviateur.
Avant même que d’entrer dans le service
aéronautique, déjà passionné par les questions
de mécanique, il avait conçu un appareil et un moteur d’aviation
forts intéressants.
Dès ses débuts à l’école
militaire de Pau, en janvier dernier, il se révéla, en outre,
doué de qualités remarquables d’audace, d’énergie et
de sang-froid.
Après avoir passé dans le minimum de
temps ses épreuves de brevet d’aviateur, il confirma encore les espérances
que ses chefs avaient fondés sur lui.
Aussi, une place de choix – un poste d’honneur – lui
fut-il réservé.
Il fut nommé dans une de nos escadrilles de
la frontière, composées de nos meilleurs pilotes.
«Détaché momentanément à Étampes,
il y poursuivait un entraînement intensif pour acquérir la
maîtrise d’un nouvel appareil qu’il devait ramener à Belfort.
C’est au cours d’un de ces vols audacieux où
il émerveillait tout le monde par sa hardiesse et sa virtuosité
que la mort vint le frapper, son appareil n’ayant pu se défendre contre
la surprise d’un brusque coup de vent.
Intelligent et dévoué, d’une nature
ouverte et sympathique, il avait su, en quelques jours, acquérir l’amitié
de tous au centre d’Étampes, son zèle et sa bravoure le faisait
particulièrement apprécier de ses chefs.
C’est donc un ami que nous perdons. Mais pour cruelle
que soit sa mort, elle n’en est pas moins glorieuse!
Le maréchal des logis Laurent est tombé
en soldat, en service commandé.
Ce n’est pas, sans doute, la mort qu’il avait rêvée
quand, volant au-dessus de Belfort, il contemplait la plaine d’Alsace. Mais
cette mort, il l’avait regardée cependant en face en entrant dans
le service de l’aviation et, d’un grand cœur, en avait accepté les
risques.
C’est la mort d’un vaillant.
Que la grandeur et la noblesse de cette fin
puissent servir de consolation aux siens, qu’elle soit pour ses camarades
de l’aviation, soldats du même danger, un exemple inoubliable.
Au nom du Cercle militaire d’Étampes
— au nom de tous vos camarades de l’aviation — maréchal des logis
Laurent, adieu!»
M. Bouilloux-Lafont a exprimé en ces termes
les regrets de la population étampoise:
«Avant qu’à jamais ne s’éloigne
la dépouille de celui qui, nouveau venu parmi nous, a trouvé
sur notre sol une mort aussi tragique que prématurée, je veux
dire combien la population Etampoise s’associe au deuil qui frappe à
nouveau l’aviation militaire, et qui, dans la même journée
a doublement frappée l’avaition française.
«L’année qui va bientôt finir aura
été particulièrement curelle; en dehors des victimes
dont les habitants ont suivi les obsèques, notre ville aura vu partir
beaucoup de ses hôtes de passage qui ne reviendront pas, et parmi eux
combien de ces officiers étrangers qui sont allés chercher
sur les champs de bataille de Thrace et de Macédoine cette mort que
nos écoles d’aviation étampoise[s] leur avaient appris si souvent
à braver!
«Le maréchal des logis Laurent a
comme eux donné sa vie à son pays, et il l’a fait avec ce même
courage simple et tranquille avec lequel tous ses frères d’armes
font l’offre de leur existence à chaque envolée dans les airs.
« Et si une angoissante douleur nous étreint
lorsque l’élément meurtrier prend sa revanche sur le pilote
qui l’a si souvent dompté, nousne pouvons nous défendre d’un
indicible sentiment de fierté en songeant à la somme de bravoure,
d’énergie et de patience que représente la lutte incessante
de l’homme.
«Le maréchal des logis Laurent est
mort en soldat, victime de son devoir. Puisse cette considération,
plus encore que d’impuissantes paroles, aller au cœur d’une mère qui,
attendant joyeusement son fils permissionnaire, ne pourra que sangloter sur
son cercueil.
«En s’inclinant devant ses parents et une
fiancée inconsolable, le Maire d’Étampes les assure de la profonde
sympathie de la population toute entière.»
Enfin, M. Darras, sous-Préfet, a salué
en ces termes la mémoire du maréchal des logis Laurent, victime
du devoir:
«Messieurs,
«Un nouveau deuil a frappé l’aviation
militaire. C’est un deuil qui nous atteint tous, car c’est un soldat français
qui tombe, en accomplissant son devoir,
«Ce devoir, c’est le plus périlleux de
tous, car pour l’aviateur, la bataille se livre chaque jour. C’est la lutte
héroïque de l’homme contre les éléments, c’est
le perpétuel combat contre l’espace, contre le vent meurtrier, contre
le vide. Chaque champ d’aviation est un champ de bataille, le plus incertain
de tous et le plus traître. Mais c’est aussi un champ de gloire, car
chaque jour c’est la nature rebelle que l’homme dompte un peu plus et qu’il
asservit à son génie.
«Aussi, saluons tous fièrement le
maréchal des logis Laurent qui tombe victime d’une si noble cause.
Saluons son audace généreuse, sa belle confiance en lui-même,
son mépris souriant du danger. Ce sont là des choses bien
françaises et qui ne font pas seulement les héros, mais aussi
les grands peuples.
«Qu’il me soit donc permis d’adresser à
ses parents et à sa grannde famille miltaire qui le pleurent aujourd’hui,
l’hommage de notre douloureuse sympathie, et de saluer respectueusement son
cercueil,»
L’inhumation a eu lieu à Guéret
(Creuse)
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Blériot XI.2 du musée du Bourget
(cliché de Mikaël Restoux, 2006)
Hôtel-Dieu d’Étampes vers 1912 (cliché Allorge)
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