G. H. Picard
Trouvailles archéologiques
à la gare d’Étampes
1892
Extrait du plan de Chastillon auquel se réfère l’auteur
Revue rétrospective
La colline de Guinette. – Quelques
trouvailles. – Un fossé. – Poterne et pont-levis. – Souterrains.
|
Abeille
d’Étampes 81/11 (12 mars 1892), p. 3.
|
Les
travaux de terrassement que l’on exécute depuis quelque temps pour
élargir la voie du chemin de fer ont eu pour objet l’attaque de la
colline de Guinette. On a fait diverses découvertes d’importance inégale;
c’est surtout devant l’emplacement de l’ancienne porte des Lions (sortie actuelle
des voyageurs) que la pioche des terrassiers a rencontré des vestiges
fort intéressants pour notre histoire locale.
De la porte Dorée surtout au point extrême des fouilles actuelles,
la colline a été entamée parallèlement aux anciens
fossés et au mur d’enceinte de l’ancien Étampes-le-Château.
Murs et fossés d’enceinte étaient communs entre la ville et
le château, et la porte Dorée était, par rapport aux
hâtes du château, la porte de lisière de la ville, la
porte d’entrée par excellence, puisqu’elle était la plus centrale,
au moins pour eux: Léon Marquis (Rues d’Étampes, p.
73) dit qu’elle avait été décorée et dorée
en l’honneur de quelque reine qui devait passer sous cette porte pour aller
de la ville à son château: c’est une pure supposition et le
fait aurait été accidentel et peu caractéristique. Nous
sommes plutôt tentés de croire à une étymologie
plus essentielle, tirée de la nature de cette porte et de son rôle
par rapport au château. C’était la porte d’orée, vieux
mot qui se disait du bord et de l’entrée dans la langue du Moyen-Âge
et du seizième siècle, l’orée des murs, dans Rabelais,
l’orée des chemins, dans Amyot; c’était à la fois une
entrée pour le mur et le chemin-creux (1),
puis pour le chemin qui mène à la route de Dourdan; en prononçant
porte d’orée, c’est-à-dire porte d’entrée, on entendait
et on a bientôt écrit Porte-Dorée (2).
Laissons cette question aux archéologues de profession (3) et faisons
notre petite revue de la tranchée, en curieux, sous la direction
de deux excellents guides, dont les noms deviennent de plus en plus inséparables
quand il s’agit des antiquités locales: MM. Léon Marquis et
Maxime Legrand.
|
(1)
Selon Frédéric Gatineau, Étampes
en lieux et places, Étampes, A travers
champs, 2003, pp. 43 et 81, c’est l’actuelle rue Léon Marquis qui s’est
appelée jusqu’en 1923 rue du Creux-Chemin (B.G., 2015).
(2) La profession de G.
H. Picard nous est inconnue, mais nous noterons que par exemple le , il donne
à l’Abeille d’Étampes du 2 janvier 1892 une «Chronique théâtrale» (B.G.,
2015).
(3) Inutile de dire que
cette étymologie est tout à fait invraisemblable, bien qu’elle
soit reprise et acceptée par Charles Forteau, «La Ruelle des Marionnettes», in Almanach d’Étampes publié par
le Réveil d’Étampes. 1912, Étampes, Maurice Dormann,
1911, p. 31; elle est au contraire justement refusée par Frédéric
Gatineau, op. cit., p. 48. Il y a aussi à
Paris une Porte Dorée. A moins humble avis cette porte tirait simplement
son nom de celui d’un habitant qui en était voisin, car Doré
est un patronyme assez répandu (B.G., 2015).
|
Non loin de l’axe perpendiculaire, au coin sud-ouest du donjon, on a
mis à découvert un fossé dont la terre argileuse rapportée
tranche à vif sur le sable de la couche environnante: une maçonnerie
rudimentaire en forme de V, à base élargie, forme les deux
parois ce fossé évasé et à fond étroit
devait être une amorce ou un prolongement, vu son peu d’importance,
du fossé marque de la lettre B sur le plan de Chastillon.
À l’encoignure nord-est de la butte, les ouvriers
terrassiers ont détruit les vestiges de deux murs parallèles
et, dans le talus même, ils ont rencontré des assises de pierre
de taille et moëllons à large base, revêtant une autre construction
qui elle-même recouvrait un fort pilier en pierre de taille et moëllons.
On était en présence des substructions d’un pont, selon l’opinion
raisonnée de M.M. Legrand. [sic] Ce pont donnait passage à
la voie qui, de la Porte des Lions, se continuait parallèlement aux
murs du château proprement dit: la construction en pierre de taille
prouve la nature du pont qui était un pont-levis; l’assise qui forme
la deuxième substruction fut construite pour supporter le pont fixe
qui succéda à l’autre; puis le mur, dont les vestiges avaient
au moins trois mètres de hauteur qui qui semble avoir été
très-solide, était un mur de soutènement.
|
|
On a retrouvé
dans les déblais et dans la maçonnerie, qui date d’une époque
plus récente, des débris précieux de la porte primitive,
tronçons de piliers, gargouilles, un carré de pierre, un boulet
en pierre, plusieurs ferrures. Ces objets, contemporains du donjon féodal,
sont au Musée, grâce à l’empressement serviable de l’entrepreneur.
À quelques mètres perpendiculairement aux vestiges du pont
et de la porte, on a trouvé les restes d’un escalier en moëllons;
ensuite une découverte beaucoup plus importante est venue donner une
ample matière à la curiosité de ceux qui s’intéressent
au passé. Une galerie souterraine composée de plusieurs branchements
s’est révélée samedi dernier sous la pioche des ouvriers.
Cette galerie affecte la forme d’un T dont la grande branche avait une longueur
de huit mètres environ, presque à hauteur d’homme, et reposait
sur une base de sable: la branche droite témoigne de plusieurs amorces
comblée: à gauche, une autre galerie prenait à angle
obtus dans les deux sens: la branche qui revenait vers la ville comblée
par des déblais remontait, semblait-il, vers un regard très
proche. La voûte de ces galeries est maçonnée d’une manière
rudimentaire en petits moëllons de pays et de terre. Au contraire, la
paroi est à angles droits en pierres de taille. – Ce double aspect
permet de supposer deux époques caractérisées dans la
construction de ces souterrains. La voûte a été refaite,
ou ajoutée comme accessoire. Y avait-il galerie couverte? Ou fossé
de défense à ciel ouvert?
M. Marquis, dans l’ouvrage déjà cité,
page 345, dit qu’en 1840, au moment de la construction de la voie ferrée,
on ne découvrit pas trace de souterrains, ni dans le calcaire, ni dans
le sable. Les souterrains de la ville s’arrêtaient aux fossés
d’enceinte. Or, les détails du siège de 1411 prouvent qu’il
devait y avoir des souterrains avec issue dans la campagne et propres aux
sorties des assiégés en temps de guerre.
La découverte actuelle semblerait justifier cette supposition: en
effet, la direction d’une des amorces de la galerie, à l’extrémité
de la grande branche du T, mène aux réservoirs récemment
construits: on a trouvé l’été dernier, dans les terrassements,
à une certaine profondeur, des vestiges d’un escalier en escargot
et une sorte de chambre sans trace de voûte maçonnée.
La ligne des galeries était donc à peu près parallèle
au mur latéral d’enceinte du château qui s’appuyait au donjon.
Viollet-le-Duc, dans l’Histoire d’une Fortification, pages 185 et 194,
dit qu’il y avait, du côté du donjon féodal, un souterrain
de secours. À la base du donjon était percé un trou
oblique, étroit qui, donnant dans la salle basse, aboutissait sur
le chemin de ronde laissé entre la grosse tour et sa chemise extérieure.
Le souterrain descendait la rampe du plateau et débouchait dans un
endroit suffisamment masqué; deux guetteurs se tenaient à
l’orifice protégé par une forte grille.
Avons-nous
sous les yeux les restes de ce souterrain fait à deux époques?
– C’est probable, car l’hypothèse d’un fossé fortifié
à angle répétés, comme c’était l’usage
pour la défense au Moyen-Âge, nous semble difficile à
admettre: la galerie est trop étroite. Nous laissons la question à
résoudre aux spécialistes en la matière. En simple chroniqueur,
curieux de l’archéologie comme de toute question intéressante,
nous essayons de comprendre, non de faire le décisionnaire.
Il y aurait peut-être
bien des questions accessoires à celle des souterrains découverts
cette semaine. Ainsi, que faut-il penser de la légende de Guinette,
unie par des galeries secrètes à Notre-Dame et au Temple? –
Y avait-il relation et correspondance entre ces souterrains du Château
et les galeries si nombreuses, dont on signale le lacis et la complexité
sous les maisons de la rue Saint-Jacques et de l’École des Frères?
Toujours est-il que le passage de l’historien d’Étampes, dom Basile
Fleureau, sur le démantèlement du Château, reste caractéristique.
Le Château était devenu une menace perpétuelle pour les
habitants selon les maîtres qui l’occupaient: ils en avaient, à
la fin du XVIe siècle, l’immense responsabilité. Lorsque Henri
IV fit ruiner, en 1589, ce qu’il y avait de fortifications, il est à
croire qu’ils mirent la main à l’œuvre, qu’ils détruisirent
les galeries et les fossés qui pouvaient être dangereux, aussi
bien qu’ils murèrent les galeries souterraines qui faisaient suite
à leurs caves. Le hasard des exigences actuelles du chemin de fer a
mis en présence d’un vestige précieux, d’un document, mais qui
servira difficilement seul à élucider la question des galeries
secrètes.
Comme le dit M. Marquis (Notice historique sur le
Château, page 81), où les fouilles seraient le plus riches,
c’est dans les ruines du Château proprement dit, sur l’emplacement des
corps de logis, dans la cour, enfin sur tout le devant du donjon: elles donneraient,
sans doute, le secret de la topographie du Château. Mais quand viendra
l’occasion de ces fouilles?
G. H. Picard
|
|
Extrait du plan de Chastillon auquel se réfère
l’auteur
|