LA CORNE
D’ABONDANCE
Apportée
d’Etampes, le 24 juillet 1789.
RÉJOUISSEZ-VOUS, Parisiens, livrez vos cœurs à la plus
vive allégresse; la corne d’abondance est versée sur vos têtes,
elle répand des flots de vie; le bled, cet aliment si précieux,
qui vient de vous causer tant d’alarmes, arrive de toutes parts dans vos
greniers.
Etampes, ville voisine de vos foyers, renfermoit
des trésors, car les blés sont de véritables richesses;
on les avoit enfouis ces trésors, mais de généreux habitans
les ont découverts; en bon voisins, ils ont accouru à la capitale
pour vous faire part de cette riche moisson; & vous pourrez dire, avec
raison, que cette année Etampes nous aura donné double récolte. [p.2]
Cent cinquante
de vos braves gardes-françaises & de vos courageux concitoyens,
qui veillent jour & nuit pour vous, sont partis pour cette ville qui
possédoit un bien aussi précieux; ils sont arrivés, ils
ont vu & ils ont enlevé des milliers de sacs de farine que l’on
n’a pas osé leur disputer; vingt-quatre chariots en ont été
chargés; & vos généreux soldats vous ont conduit,
en faisant retentir les airs des cris de joie, la précieuse nourriture
du riche et du misérable.
Sur leur route, des villages affamés
se sont jettés à leurs genoux; il sont imploré leur
compassion; ils n’avoient pas même de son à pétrir,
& vos défenseurs sensibles leur ont abandonné une portion
de leurs richesses. Enfin, ils sont arrivés dans votre ville avec
dix-sept chariots de farine; le peuple s’est bientôt amassé
autour de ces heureuses sources de toutes consolations; ils ont béni
mille fois vos concitoyens & ceux qui les avoient suivis d’Etampes.
Ce sont vos pères nourriciers, les bons paysans & leurs femmes,
qui vous ont fait part de leur précieuse découverte; ils étoient
assis sur les sacs [p.3] qu’ils vous ont ammenés,
& ils recevoient les actions de grâce d’un peuple reconnoissant.
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Deux canons
escortoient ce riche convoi, la force ni la témérité
n’eussent obtenu de vos braves milices, ce qu’ils accordoient à la
pitié.
Les chariots ont été conduits
à la place de Grève, & les sacs déposés
dans les greniers de l’Hôtel-de-Ville; en les remettant au comité
permanent, vos concitoyens ont annoncé qu’ils y avoit encore dans
la ville d’Etampes, six mille sacs de farine, & qu’ils retournoient
s’en emparer au nom & pour les besoins de la capitale affamée.
Les sacs distribués pendant la route,
remplissoient six ou sept voitures, laissées dans autant de hameaux.
Les deux pièces de canon sont demeurées
sur la place de Grève. C’est à cinq heures du soir que ce convoi
est arrivé
à l’hôtel-de-ville.
Peuple de Paris, riches de la capitale, unissez-vous
pour célébrer les jours heureux qui ramènent l’abondance.
Déjà des milliers de visages pâles, annonçoient
les approches de la famine; les malheureux n’osoient déjà
plus [p.4] provoquer, par un trop grand
exercice, une faim qui leur coûtait trop à appaiser. Mais les
jours de désastre ont disparu; l’abondance va épanouir tous
les fronts, & chasser l’inquiétude des cœurs. Réjouissez-vous,
chers citoyens, vous avez des provisions; les moissons vont s’ouvrir, une
surveillance lumineuse va prévenir les attentats; déjà
le pain est diminué, avec l’espoir consolant qu’il reviendra bientôt
à un prix proportionné aux facultés de tous les individus.
Chassez, citoyens de Paris, les sombres nuages qui obscurcissent vos fronts,
car la corne d’abondance est versée sur vos têtes.
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