CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
 
Paul Murray Kendall
 Louis XI à Étampes
les 14 et 15 juillet 1465
1971
 
 
Version française du Louis XI de Kendall
Version espagnole du Louis XI de Kendall
 
    Nous extrayons de cette biographie, si justement célèbre, ce qui concerne le passage à Étampes du roi et de son armée, à la veille de la bataille de Montlhéry (première section du chapitre 14). Cette page a tous les caractères d’une certaine historiographie anglo-saxonne: sûreté et fraîcheur des informations, vivacité du récit et des portraits, recherche à nouveaux frais autant que vulgarisation: et c’est probablement ce qui explique l’immense succès qu’y a rencontré cet ouvrage dans notre pays. 
 
 LOUIS XI
 
[Juillet 1465]
(pp. 161-166)
 
 
I.
   
     Le jeudi 11 juillet, le roi de France s’en alla entendre la messe en l’église Notre-Dame de Cléry, à huit milles au sud-ouest d’Orléans. Le fait de sa présence en ces lieux nous est connu grâce à un message exprès que Louis fit tenir à la veuve du duc d’Orléans, nièce du duc de Bourgogne, pour le prier de transmettre une mise en garde au comte de Charolais. D’après Panigarola, le roi avait chevauché «nuit et jour ». Louis XI consacra les vendredi et samedi 12 et 13 juillet à passer ses troupes en revue. La cavalerie lourde et les archers montés franchissaient alors la Loire en empruntant les ponts d’Orléans et de Beaugency. Des milliers de fantassins ainsi que la plupart des unités d’artillerie peinaient encore sur les routes du Bourbonnais, suivis par les arrière-gardes et les renforts venus du Languedoc. Le roi ne pouvait les attendre, de même qu’il ne pouvait accorder de repos à ses hommes. Il informa la capitale que son armée arriverait le mardi 11 juillet. Les courriers se succédaient, mais seules les nouvelles en provenance de Paris laissaient subsister quelque espoir. La masse des Parisiens restait envers et contre tout fidèle à son souverain. Le maréchal Roualt, qui ait pénétré dans la ville le 30 juin, avec cent lances, le lieutenant général du roi, Charles de Melun, et le futur évêque d’Évreux, Jean Balue, un ecclésiastique grossier et libertin mais doué d’un esprit énergique et entreprenant, avaient soigneusement organisé la défense de la capitale. [p.162]  

     Dans l’après-midi du 5 juillet, alors que le roi se trouvait encore à Montluçon, l’armée du comte de Charolais, qui comprenait quelque vingt-cinq mille hommes appuyés par la meilleure artillerie d’Europe, fit son apparition devant les murailles nord et ouest de Paris. Ni les tentatives d’intimidation ni les essais de corruption ne parvinrent à entamer la loyauté de la capitale. Les 7 et 8 juillet, les assauts lancés contre les portes furent aisément repoussés; nombre de Bourguignons, furieux que le duc de Bretagne eût manqué son rendez-vous avec eux, menaçaient de ne pas aller plus loin. Mais le comte de Charolais mit fin aux murmures des mécontents en déclarant qu’il continuerait même s’il ne lui restait qu’un page pour l’accompagner. Durant la nuit du 10 juillet, les Bourguignons s’emparèrent du pont de Saint-Cloud, à l’ouest de Paris. Désormais, la route du sud était libre.  

     Le dimanche 14 juillet à l’aube, le roi Louis, qui s’occupait de rassembler ses troupes à Beaugency, sur la rive gauche de la Loire, fut informé que l’armée bourguignonne avait franchi la Seine et descendait vers Orléans. Par ailleurs, il apprit que les Bretons approchaient dangereusement. Le duc de Berry et le duc de Bretagne étaient l’un et l’autre de piètres guerriers, mais ils avaient d’excellents capitaines, comme le comte de Dammartin — qui souffrait de la goutte mais dirigeait les opérations d’une litière —, Lohéac, autrefois maréchal de France, Jean de Bueil, l’ancien amiral du royaume, et l’habile Odet d’Aydie. En apprenant que le roi avait gagné Riom, l’armée bretonne, qui comptait quelque douze mille hommes, se mit à progresser vers l’est. Le comte du Maine, dont les troupes étaient presque aussi nombreuses, se retira prudemment devant elle. Les Bretons traversèrent la Loire aux Ponts-de-Cé, près des grandes murailles d’Angers, mais le roi René ne fit aucun mouvement pour leur barrer la route. Maine se repliant sur Tours, ils arrivèrent à Vendôme sans rencontrer la moindre résistance. Le 13 juillet à midi — ainsi que Louis en fut informé quelques heures plus tard —, ils entraient dans Châteaudun, à vingt-cinq milles au nord de Beaugency. Maintenant, ils étaient en mesure d’attaquer le roi par le flanc, si celui-ci décidait de marcher sur Paris, ou de rejoindre les troupes bourguignonnes avant même que Louis ne pût [p.163] lancer son armée contre elles. Pour compléter cet encerclement, les comtes d’Armagnac, de Nemours et de Bourbon s’avançaient du sud, le maréchal de Bourgogne du sud-est et le duc Jean de l’est avec une armée de cavaliers et de mercenaires suisses.  
   
     Jean-Pierre Panigarola, dont les dépêches reflètent la vive agitation, restait le plus près possible du roi «afin de savoir comment les choses évoluent d’heure en heure. La situation se fait toujours plus dramatique. Soit un accord interviendra très rapidement, soit il faudra se battre, auquel cas la lutte sera ,d’autant plus sanglante et mortelle que la haine est profonde entre les deux partis».  
   
     Les compagnons de Louis étaient en proie à l’abattement et à la peur; certains affirmaient ouvertement que le roi serait bientôt contraint de souscrire à toutes les exigences des princes, car, pour lui, livrer et perdre une bataille rangée signifierait la ruine. Face aux autres, Louis gardait une attitude résolue, mais Panigarola sentait qu’il était «tourmenté dans son esprit».  
   
     Dans la nuit du 13 au 14 juillet, le bruit courut à Beaugency que les Bretons quittaient Châteaudun pour rallier les troupes bourguignonnes. Si la rumeur se révélait juste, avant le lendemain soir une armée de trente-cinq mille hommes couperait le roi de sa capitale. A l’aube du dimanche 14, Louis et ses hommes se mirent une fois de plus en route. Après une marche forcée rendue plus pénible encore par la chaleur et la poussière de l’été, ils atteignirent Étampes dans le courant de la soirée. Ils avaient presque parcouru cinquante milles. Désormais, les Bretons, qui s’attardaient toujours à Châteaudun, se trouvaient loin derrière. Cependant, à quelques milles de là, les Bourguignons bloquaient la route de Paris. Au cours de la nuit, le comte du Maine, l’amiral de Montauban et Pierre de Brézé arrivèrent à Étampes avec les troupes qui avaient si complaisamment laissé les Bretons avancer à leur guise. Plusieurs milliers de soldats ainsi que le gros de l’artillerie du roi peinaient encore sur les routes du sud.  
   
     Tôt le lendemain, lundi 15 juillet, Louis rassembla son armée au milieu des champs. Entouré par ses soldats, il invoqua solennellement le secours du ciel. Des prêtres «chantèrent neuf messes auxquelles le roi fut continuellement présent dans une robe blanche, agenouillé les genoux nus...» [p.164]  

     Lorsque les messes eurent pris fin et que le roi eut prononcé de «très ferventes prières», il convoqua un conseil de guerre auquel devaient prendre part tous ses seigneurs et tous ses capitaines. Louis ouvrit la séance par une brève allocution. La Maison de Bourgogne avait eu, dit-il, l’audace de creuser un fossé entre lui et les princes de son sang y compris son frère. Depuis, la discorde risquait d’entraîner la ruine du royaume; mais il n’avait nullement l’intention de laisser les Bourguignons agir selon leur bon plaisir. Il croyait que «le Dieu tout-puissant et la très glorieuse Vierge Marie» accorderaient leur soutien à sa cause. Aussi, si l’armée royale attaque les Bourguignons, «nous les briserons tous et les mettrons totalement en déroute», déclara-t-il. Toutefois, pour conclure, il ajouta qu’avant de prendre une décision définitive, il souhaitait avoir l’avis de tous ses seigneurs et capitaines, car il voulait être guidé par la raison et non par l’émotion.  

     En tant que prince du sang, le comte du Maine parla le premier. Dépeignant les risques que représentaient une bataille rangée, il déclara que le roi devait éviter de se placer dans une situation aussi périlleuse. Ce n’était pas en fonçant tête baissée, mais en atermoyant et en négociant qu’il pouvait espérer la victoire. Son royal neveu devait à tout prix éviter de marcher contre les Bourguignons. Compère et amiral de Louis, Jean de Montauban appuya chaleureusement la stratégie préconisée par Charles du Maine: il était lui-même «absolument opposé à ce que Louis attaquât ses ennemis».  

     Si l’on en croit un témoin, «pendant que ces choses étaient dites, le roi perdit presque patience».  

     Puis ce fut au tour du grand sénéchal de Normandie de prendre la parole. Comme allaient le montrer les événements, Pierre de Brézé avait été en proie à une violente lutte intérieure. Par ses goûts comme par ses habitudes, il appartenait à l’époque de Charles VII et, malgré la haute considération que lui accordait Louis XI, il ne se souciait guère du nouvel ordre que celui-ci tentait d’instaurer. D’instinct, il avait répondu à rappel des princes à qui il avait promis obéissance. Cependant, maintenant qu’avait sonné l’heure des ultimes décisions, le ministre de la couronne était incapable de trahir la monarchie pour [p.165] laquelle il s’était jusque-là dépensé sans compter, de même que le valeureux gentilhomme se refusait intérieurement à déserter l’armée du roi au moment où celle-ci s’apprêtait à affronter un ennemi supérieur en nombre. Le sénéchal «résuma ce qui avait précédemment été dit au Conseil avec tant de sagesse qu’à l’entendre chacun fut frappé d’étonnement. Ensuite, il se tourna vers le comte du Maine, et, par un discours à la fois brillant et émouvant, il lui démontra que le roi devait à coup sûr livrer bataille contre les Bourguignons, qui, déclara-t-il, ne pouvaient manquer d’essuyer une défaite complète».  
   
     La plupart des autres capitaines accueillirent avec enthousiasme les paroles de Brézé.  

     Louis annonça alors qu’il continuerait son avance. Cependant, il voulait éviter qu’on l’accusât ensuite d’avoir cherché la guerre ou même d’avoir ouvert les hostilités. Il ajouta donc, comme il le raconta à Panigarola, et, beaucoup plus tard, à Philippe de Commynes, qu’en agissant ainsi il ne faisait rien d’autre que se conformer à sa première intention qui était d’entrer dans Paris pour rallier sous sa bannière la population de la capitale. Toutefois, si le comte de Charolais lui barrait la route, il n’hésiterait pas à se battre. Le roi déposa ensuite ses joyaux et ses trésors dans la tour fortifiée d’Étampes. Enfin, il envoya un message urgent à ses commandants de Paris: si, le lendemain, les Bourguignons contrecarraient sa marche, il leur livrerait bataille; auquel cas, si tout allait bien dans la capitale, le maréchal Roualt pourrait sortir de la ville pour attaquer l’arrière-garde de Charolais.  
   
     En fin d’après-midi, l’armée royale reprit sa marche vers Paris, dont vingt-quatre milles la séparaient encore. Cantonnées à quelques milles à l’ouest, les troupes du comte du Maine devaient rejoindre le roi dès le lendemain. Des éclaireurs vinrent bientôt annoncer que le comte de Saint-Pol, envoyé en avant-garde avec quelques milliers d’hommes, avait occupé le village de Montlhéry, situé à mi-chemin entre Étampes et Paris, mais qu’il avait été jusque-là incapable de prendre le château. Par ailleurs, ils informèrent le roi que le corps principal de l’armée de Charolais stationnait à Longjumeau, à trois milles et demi de là. Louis et ses hommes s’arrêtèrent pour passer la nuit à Étrechy, à dix milles au sud de Montlhéry. [p.166]
  
 

II.
  
     Le lendemain, mardi 16 juillet, les douces ténèbres de la nuit ne s’étaient pas encore dissipées que déjà le roi et son armée se mettaient en mouvement. Comme ils atteignaient Arpajon, à trois milles et demi au sud de Montlhéry, ils furent rejoints par les troupes du comte du Maine. A ce moment-là, des éclaireurs vinrent avertir Louis que l’armée du comte de Charolais avait rallié l’avant-garde de Saint-Pol et que les Bourguignons se rangeaient en bataille dans les champs situés au nord de la colline de Montlhéry. [...]  
 
     Source: Kendall, Louis XI (traduction d’Eric Diacon), Paris, Fayard, d’après la saisie numérique en ligne sur le site «Monthléry sur Internet» (montlhery.com), à la page http://montlhery.com/bataill2.htm (en ligne en novembre 2001), amendée d’après l’original. Sélection, avec quelques corrections typographiques: Bernard Gineste, novembre 2001.
 
 
 
L’AUTEUR

     Paul Murray Kendall, professeur d’histoire à l’Université du Kansas a publié plusieurs études sur le XVe siècle européen, dont Richard the Third (London & New York, 1955) et The Yorkist Age (London & New York, 1962).  
  
     Sa magistrale biographie de Louis XI est le fruit de quelque treize années de recherches, pendant lesquelles il a mis à jour et commencé de publier de nouvelles sources historiques italiennes jusqu’alors inexploitées, dont les dépêches des ambassadeurs milanais auprès de Louis XI, comme Jean-Pierre Panigarola.  
     

Version française du Louis XI de Kendall BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
  
  
     Paul Murray KENDALL, Louis XI, London, George Allen & Unwin L.T.D., 1971; traduction de l’anglais en français par Éric Diacon: Louis XI [584 p.; 22 illustrations; ouvrage majeur s’appuyant entre autres sur une documentation jusqu’alors inexploitée, les dépêches des ambassadeurs milanais; gros succès de librairie], Paris, Fayard, 1974; plusieurs réimpressions. 

     Paul Murray KENDALL & Vincent ILARDI [ed.], Dispatches, with Related Documents, of Milanese Ambassadors in France and Burgundy, 1450-1483, Ohio, 1970.   

  

Tout complément sera le bienvenu!
Any complement welcome! 
 
 
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