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Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Moi, Brunard, libre, né de parents libres, tant pour le salut de mon âme que pour le salut de mon père et de ma mère, ainsi que de mes parents, je remets et je transfère deux manses que je possède en propre par héritage au très bienheureux Germain, protecteur de la ville de Paris, situés dans le domaine du saint évêque qui s’appelle Souzy, dans le pays étampois. Nous cédons l’ensemble au dit saint, intégralement, avec ce qui en dépend, les terres cultivées comme les incultes, les prés, avec aussi un moulin, quoique avec cette clause: que du revenu qui en sera tiré puisse être entretenue une lumière devant sa sainte tombe, afin que, par ses vertueux mérites et ses intercessions, nous puissions obtenir du Seigneur la perfection spirituelle et Le contempler siégeant sur le trône de sa majesté. Mais s’il se trouve (ce que je ne crois pas) quelqu’un de mes successeurs pour essayer de s’élever contre cette donation, qu’il soit contraint payer une amende de dix livres, et en outre qu’il n’obtienne pas gain de cause du tout, et que viennent sur lui toutes les malédictions qui sont écrites dans les livres. Fait à Paris la dixième année du règne de Charles, aux calendes d’avril, sous l’abbatiat de Gozlin. Moi, Brunard, qui ai demandé que soit faite cette donation, je l’ai confirmée de ma main. Conrad, comte: a souscrit. Gozlin, abbé: a souscrit. Foulques, Wibert et Jérôme, fils de Brunard: ont souscrit. [traduction:
Bernard Gineste, 2002]
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Aleu (alodum): L’aleu est essentiellement un «mode de possession»; c’est «la propriété personnelle, qui se transmet héréditairement.» [Guérault] Calendes d’avril: c’est-à-dire le premier avril. Charles (Carolus): Charles II le Chauve (823-877), fils de Louis le Pieux et de la reine Judith, roi de France à partir du traité de Verdun en 843 (et plus tard empereur d’Occident, à partir de 875). Son règne est marqué par le développement de la féodalité. Conrad (Conradus): «La souscription de ce personnage, au bas d’un contrat passé à Paris, semble indiquer, comme le pensait Guérard, qu’il gouvernait le comté dont cette ville était le chef-lieu, et c’est là un argument, — le seul d’ailleurs, — à opposer aux auteurs qui refusent d’inscrire Conrad, oncle maternel de Charles le Chauve, sur la liste des comtes de Paris (voir à ce sujet T. Du Plessis, Nouvelles annales de Paris, p. 156-157). Conrad, l’un des frères de l’impératrice Judith, est surtout connu comme comte d’Auxerre; il mourut le 22 mars 865 ou 866 (Lebeuf, Mémoires sur l’histoire civile et eccl. d’Auxerre, t. II, p. 31 à 35; T. Du Plessis, op. cit.), laissant trois fils: Conrad II, qui figure en 879 dans les Annales Bertiniani comme comte de Paris; Hugues l’Abbé, marquis de Neustrie, de 867 à 886, et Rodolphe, qui ceignit la couronne royale dans la Bourgogne jurane, en suite de la déposition de Charles le Gros, et fut ainsi le fondateur d’une dynastie qui occupa le trône pendant une période de cent quarante-six ans (887 à 1033).» [Longnon, 1886] Domaine (villa): Stéphane Guérault propose de la villa carolingienne ces deux définitions: «1) Propriété rurale de différentes tailles, en général un vaste domaine relevant d’un seigneur, qui peut-être aussi bien une personne physique qu'une communauté. 2) Complexe de biens fonciers et de bâtis, dont l’assise pouvait correspondre au territoire d'un village actuel. Les éléments d'un domaine pouvaient aussi être dispersés sur plusieurs terroirs et ‘coexister’ avec d’autres domaines.» Gozlin (Gozlinus): «Gozlin, abbé de Saint-Germain des Prés, de 843 environ à 853, époque où il fut pris par les Normands, gouverna une seconde fois l’abbaye, de 867 à 884; à cette date, il fut élu évêque de Paris et mourut en 886, alors que les Normands assiégeaient sa ville épiscopale, dont il fut l’un des plus valeureux défenseurs.» [Longnon, 1886] Libre (ingenuus): Ce passage est de ceux qui montre clairement que la société du temps est très nettement encore fondée sur l’esclavage. (B.G.) Les Livres (libri): Cette indication vague reflète merveilleusement l’effroi qu’inspire alors aux analphabètes, qui sont le plus grand nombre, la puissance mystérieuse des Écritures, quelles qu’elles soient. (B.G.) Manse (mansus): C’est tant «une exploitation rurale, une ferme, tenue par un ou plusieurs foyers» qu’une «unité d’imposition des charges domaniales.» [Glossaire de Guérault]. Pays étampois (Pagus Stampinsis): «L’Étampois, pagus ou comté de l’époque franque, dont la première mention connue se trouve au traité d’Andelot (587), tirait son nom d’Étampes (Stampæ) qui en était le chef-lieu.» [Longnon] Saint Germain (Germanus): Saint Germain de Paris (†576), à ne pas confondre avec saint Germain d’Auxerre, abbé de Saint-Symphorien d’Autun puis évêque de Paris, familier du roi Childebert II, dont la vie a été écrite par Venance Fortunat. Sur son tombeau se développa d’abord l’abbaye de Saint-Vincent, puis celle de Saint-Germain-des-Prés. Suivant l’usage du temps, on donne officiellement à saint Germain ce qui dans le fait appartiendra à l’abbaye qui porte son nom. (B.G.) Une lumière: Il s’agit probablement de l’huile qui alimentera une lampe perpétuelle, à moins qu’il ne s’agisse d’un cierge de cire, ce qui paraît moins probable. Siégeant sur le siège de sa majesté: Locution empruntée à l’Évangile selon saint Matthieu, et qui évoque la seconde venue du Messie, à la fin des temps, en vue du Jugement dernier. XIX,28: Jésus leur dit: «Amen, je vous dis que vous qui m’avez suivi, lors de la régénération quand le Fils de l’homme siègera sur le trône de sa majesté, vous aussi siègerez sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël»; XXV,31: «Or lorsque viendra le Fils de l’homme dans sa majesté et tous les anges avec lui, alors il siègera sur le trône de sa majesté, 32 et toutes les nations seront rassemblées devant lui et il les séparera les uns des autres comme un berger sépare les brebis des chèvres.» (B.G.) Souscriptions: Longnon précise en note que les trois souscriptions (suscripsit, suscripsit et subscripserunt) sont notés «en écriture tironnienne» (c’est-à-dire par une abréviation sténographique, la tradition faisant remonter l’invention de cette technique à Tiron, secrétaire de Cicéron). (B.G.) Souzy (Celsiacus): Souzy-la-Briche, département de l’Essonne (anciennement de Seine-et-Oise), arrondissement d’Étampes, canton d’Étréchy (anciennement d’Étampes). |
Texte latin édité par Longnon
(1886): In
nomine sancte et individue Trinitatis. Ego Brunardus ingenuus, de ingenuis
parentibus natus, tam pro remedio anime meæ, quam pro remedio genitoris
mei seu genetricis necnon parentum meorum, trado et transfundo duos mansos
proprie ereditatis meæ beatissimo presuli Germano Parisiacæ
urbis, sitos in villa ipsius sancti pontificis, nomine Celsiaco, in pago
Stampinse. Totum eidem concedimus sancto cum integritate et cum omnibus
eorum appenditiis, terris cultis et incultis, pratis, et cum una molendini
area: eoquidem tenore, ut de redituro censu, quod exinde exierit, queat
lumen habere ante sanctum ejus sepulcrum; quatinus, ejus piis meritis et
intercessionibus, valeamus adipisci perfectionem mentis a Domino, et contemplari
eum in sede magestati (sic)
suæ. Si quis vero, quod minime credimus, fuerit successorum nostrorum,
qui contra hanc traditionem assurgere temtaverit, coactus auri libras X
componat, et insuper quod repetit minime adquirat; et veniant super eum
omnes maledictiones que sunt scripte in libris.
Actum Parisius anno regni X Karoli, kalendas apriles, abbate Gozlino. Ego Brunardus, qui hanc traditionem fieri rogavi, mea manu firmavi. Conradus comes suscripsit. Gozlinus abbas suscripsit. Fulco, et Wibertus et Jeronimus, filii Brunardi, subscripserunt. |
Bibliothèque nationale de France, ms. lat. 12832 (olim Sangermanensis, lat. 439bis), fol. 59 v°. Benjamin GUÉRARD [éd.], Polyptique de l’abbé Irminon, ou Dénombrement des manses, des serfs et des revenus de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés sous le règne de Charlemagne [...], avec des prolégomènes pour servir à l’histoire de la condition des personnes et des terres depuis les invasions des barbares jusqu’à l’institution des communes [2 vol. in-4°], Paris, Imprimerie royale, 1836-1844, p. 116. Auguste LONGNON [éd.], Polyptyque de l’abbaye de Saint-Germain des Prés, rédigé au temps de l’abbé Irminon et publié d’après le manuscrit de la Bibliothèque Nationale. Première partie: Texte du Polyptyque [in-8°; texte latin annoté], Paris, Honoré Champion, 1886, pp. 153-154 [dont une édition numérique (en mode texte) par le Corpus Étampois, 2002].. Dieter HÄGERMANN [dir.], Konrad ELMSHÄUSER & Andreas HEDWIG, Das Polyptychon von Saint-Germain-des-Prés [editio critica; 30 cm; XXIX+317 p.; 2 planches; introduction en allemand et texte latin], Köln & Weimar & Wien, Böhlau, 1993. Bernard GINESTE [éd.], «Brunardus. Donation alodi in Celsiaco villa siti, hodie Souzy-la-Briche, anno 849» [page web], in Corpus Étampois, 2002. Auguste LONGNON, Polyptyque de l’abbaye de Saint-Germain des Prés, rédigé au temps de l’abbé Irminon et publié d’après le manuscrit de la Bibliothèque Nationale. Première partie: Texte du Polyptyque [in-8°; Texte latin annoté], Paris, Honoré Champion, 1886, pp. 152-153. Auguste LONGNON, Polyptyque de l’abbaye de Saint-Germain des Prés, rédigé au temps de l’abbé Irminon. Deuxième partie: Tables [in-8°; 2e partie. Tables], Paris, Honoré Champion, 1889. Auguste LONGNON, Polyptyque de l’abbaye de Saint-Germain des Prés, rédigé au temps de l’abbé Irminon. Introduction [in-8°; 408 p.], Paris, Honoré Champion, 1895. Robert FOSSIER, Polyptyques et censiers, Turnhout, Brepols [«Typologie des sources du moyen-âge occidental» 28], 1978. Werner JANSSEN & Dietrich LOHRMANN [éd.], Villa-curtis-grangia. Économie rurale entre Loire et Rhin de l'époque gallo-romaine au XII-XIIIème siècles, München & Zürich, [«Beihefte der Francia» 11], 1982. Adriaan VERHULST [éd.], Le grand domaine aux époques mérovingiennes et carolingiennes (Actes du colloque international de Gand, 8-10 septembre 1983), Gand, Centre belge d’histoire rurale [«Publication du Centre...» 81], 1985. Jean-Pierre DEVROEY, «Problèmes de critique autour du polyptyque de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés», in Hartmut HARTMUT [éd.], La Neustrie. Les pays au nord de la Loire de 650 à 850, Sigmaringen, [«Beihefte der Francia» 16/1], 1989, pp. 441-465. Konrad ELMSHÄUSER & Andreas HEDWIG, Studien zum Polyptychon von Saint-Germain-des-Prés, Cologne, Weimar & Vienne, Bölhau, 1993.
Yoshiki MORIMOTO, «Autour du grand domaine carolingien: aperçu
critique des recherches récentes sur l’histoire
rurale du haut Moyen Age (1987-1992)», in Adriaan VERHULST ADRIAAN
& Yoshiki MORIMOTO, Économie rurale et économie urbaine
au moyen-âge, Gand, Centre belge d’histoire
rurale [«Publication Centre...» 108] & Kyushu, University
Press, 1994.
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