Jean Brouste
Henriette de Téhéran, une
artiste-peintre
à Ormoy-la-Rivière
2014
01. Henriette de Téhéran avant Ormoy-la-Rivière
(1856-1911)
Cette artiste
naquit à Téhéran le 21 mars 1856 de parents italiens.
Son père, Luigi Pesce, était un officier napolitain qui avait
participé en 1848-49 à la défense de l’éphémère
République de Venise contre les Autrichiens. Obligé de s’exiler
après la chute de Venise, il servit pendant trois ans comme instructeur
dans l’armée ottomane. L’évolution de la situation dans la
péninsule italienne ne lui permettant pas d’espérer un proche
retour dans sa patrie, il s’engagea en 1852, pour dix ans, au service du
shah de Perse. En 1855, il épousa à Constantinople, où
il avait gardé des liens, une jeune italienne, Iphigénie Pisani.
De cette union naquirent deux enfants, Henriette et Gaston. Durant son
séjour à Téhéran, Luigi Pesce s’initia à
la photographie. Il a acquis dans ce domaine une renommée internationale
car il a été le premier à photographier les sites archéologiques
de la Perse. Il mourut en 1864. Il avait 39 ans, sa veuve 25 ans et Henriette
8 ans.
Iphigénie, qui percevait une
pension du gouvernement persan pour elle-même et ses enfants, resta
à Téhéran et se remaria en 1866 avec un éminent
médecin français, Joseph Tholozan, qui est considéré
comme l’un des pionniers de l’épidémiologie française.
Il occupait alors les fonctions de médecin du shah de Perse, poste
qu’il conserva jusqu’à sa mort en 1897. Pour sa part, Henriette épousa
le 21 janvier 1872 (elle n’avait pas encore atteint son seizième anniversaire),
un Français, Alfred Lemaire, chef de musique militaire détaché
à Téhéran par le Ministère français de
la Guerre, à la demande du shah, pour occidentaliser les formations
musicales de l’armée persane. Entre 1872 et 1877, elle mit au monde
quatre enfants, dont trois survécurent. Mais l’union ne fut pas heureuse.
Henriette demanda et obtint la séparation de corps puis le divorce.
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Photographie prise en Iran par le père d’Henriette vers 1853
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Elle rejoignit en 1879 (elle avait 23 ans) sa mère qui s’était
établie à Paris. Douée pour le dessin et afin d’assurer
son indépendance, elle décida d’entreprendre une carrière
de peintre, sous le pseudonyme d’Henriette de Téhéran. Elle
suivit d’abord les cours d’une école de dessin de la ville de Paris,
rue d’Anjou, où elle obtint plusieurs médailles, puis s’inscrivit
à la célèbre Académie Julian où elle
eut des maîtres prestigieux, tel l’orientaliste Benjamin Constant.
A partir de 1883 et durant une vingtaine d’années, elle réussit
à se faire admettre au salon de Paris, ce qui était loin d’être
aisé pour une femme, et se fit connaître comme portraitiste.
En 1889, elle s’établit à Nice. C’est de cette période
que date un pastel orientaliste, intitulé « La fiancée
du Sultan », qui s’est vendu à Londres le 22 janvier 2013
pour 6 875 £ puis revendu à Istanbul le 6 octobre de la même
année pour 52 000 LT, soit un peu plus de 19 000 €. Cette
cote élevée pour un pastel montre combien son talent reste
apprécié.
En 1893, elle épousa
un jeune professeur de rhétorique, André Bellessort, qui mena
ensuite une carrière d’homme de lettres couronnée par son élection
à l’Académie française en 1935. Après leur mariage,
les époux effectuèrent de nombreux et longs voyages en Amérique
du Sud, en Roumanie, en Suède, à Ceylan, au Japon. Ils se
séparèrent de fait vers 1910 et divorcèrent en 1913.
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André Bellessort en académicien (1934)
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02.
Henriette de Téhéran à Ormoy-la-Rivière
(1856-1927)
Autant la documentation que l’auteur de cette notice
a pu réunir depuis près de 2 ans sur la vie et l’entourage
de cette artiste avant son second divorce est abondante, autant elle est
limitée pour les quelque 17 ou 18 ans qu’elle a passés à
Ormoy-la-Rivière, au Moulin de la Planche, jusqu’à sa mort
le 23 octobre 1928. Les seuls renseignements recueillis proviennent des recensements
et du dépouillement de L’Abeille d’Etampes. En voici les principaux
éléments:
L’hebdomadaire étampois
laisse entendre à deux reprises que le ménage Bellessort venait
en villégiature à Ormoy dès le début du siècle.
Or, au recensement de 1906, il n’est pas question des Bellessort, mais apparaît,
comme visiteur au Moulin de la Planche, M. Paul Giannuzzi, né à
Téhéran en 1864, qui n’est autre que le fils d’Antoine Giannuzzi,
collègue de Luigi Pesce et parrain d’Henriette. En 1911, Henriette
Bellessort est recensée au Moulin de la Planche. Alors qu’elle est
encore mariée, donc juridiquement mineure selon le droit civil de
l’époque, elle se déclare «chef de famille» et «patronne»
d’une entreprise de pisciculture.
D’indications épisodiques fournies par la
gazette locale, il ressort qu’au début de la Grande Guerre, elle
avait auprès d’elle au moins l’un de ses petits-fils, élève
du Collège d’Etampes (patronyme «Lemaire»), et qu’elle
s’est réfugiée à Brighton en août 1914. De retour
à Ormoy en mai 1915, elle a lancé une campagne de fabrication
de sacs à sable pour les tranchées et elle a accueilli en
convalescence au Moulin de la Planche une «gueule cassée».
En 1921, on la retrouve dans le recensement à la tête d’une
entreprise d’apiculture. En 1924, elle participe au premier salon artistique
du pays d’Etampes (cf. BHASE n° 3), puis à celui de 1925. En 1926,
elle est recensée, mais comme mère d’Elise Lemaire qui est
déclarée chef de famille et la case profession n’est pas renseignée.
L’Abeille d’Etampes, dans son numéro
du 27 octobre 1928, lui consacre un long article nécrologique très
élogieux, soulignant son implication dans la vie locale, sa générosité
et «sa grande bonté». Après son décès,
sa fille Elise Lemaire, divorcée d’un industriel belge, Adolphe
Seghers, conserve le Moulin de la Planche qu’elle transforme en hôtel
restaurant.
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Tombe d’Henriette de Téhéran à Ormoy
où l’on reconnaît une palette de peintre
(cliché de Bernard Gineste, 2015)
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Jean Brouste, 2014
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Illustrations
collectées par Bernard Gineste
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