CORPUS ARTISTIQUE ÉTAMPOIS
 
Henri de Grandmaison 
Ils tuent, meurent et rient
gravure, vers 1871
   
Henri de Grandmaison: Ils tuent, meurent et rient (lithographie)

Signature de Grandmaison      Cette gravure allégorique de l’Étampois Henri de Grandmaison, officier et aquafortiste, est inspirée par un prétendu «vieux refrain scandinave» rapporté par Théophile Gautier dans sa nouvelle fantastique Avatar, publiée en 1856: Ils tuent, meurent et rient! Elle fut imprimée par Alfred Cadart, donc avant 1875. Le traitement du sujet donne à penser que l’artiste pense ici à la guerre de 1870.
   
Henri de Grandmaison
Ils tuent, meurent et rient
gravure allégorique, vers 1871

   
Ils tuent, meurent et rient (détail: visage de la Mort)
Quelqu’un a-t-il une observation à faire sur ce casque?

   
Signature de Grandmaison      De quand date cette gravure?
     La nouvelle de Théophile Gautier où l’artiste a trouvé son inspiration, Avatar,
avait d’abord été publiée en feuilleton par le Moniteur Universel en 1856 (alors que l’artiste avait 22 ans), puis à part en 1857, et rééditée en 1863.
Notification de l'imprimeur Auguste Cadart      Par ailleurs le grand imprimeur Auguste Cadart est mort en 1875, après quoi les gravures publiées par son atelier porteront «Veuve A. Cadart»; tandis qu’on a bien ici «A. CADART, Edit. Imp. Paris».
     Enfin Henri de Grandmaison commença sa carrière d’aquafortiste dans les années 1860, et, à partir de 1870, se tourna vers la lithographie. Quant au traitement du sujet, puisqu’on voit à l’arrière-plan un village en flammes, il
donne à penser que l’artiste fait allusion aux tristes événements de la guerre de 1870.
     Nous pensons donc qu’il convient de dater cette
gravure des environs de 1871.

Signature de Grandmaison      Il semble en effet que la carrière artistique de Grandmaison ait pris son commencement en Afrique du Nord, dans les années 1860, en même temps que sa carrière militaire. Précisément, dans la nouvelle de Théophile Gautier, le prétendu refrain scandinave se rapporte au portrait de l’un des personnages de la nouvelle, «le comte Olaf Labinski, revenu de la guerre du Caucase après une glorieuse campagne». Tant la France que la Russie sont alors en pleines guerres coloniales.

     C
est le prétexte pour Henri de Grandmaison dune gravure allégorique. Dans la pensée du romancier, ce prétendu refrain scandinave servait à évoquer la sauvagerie foncière du caractère militaire et le caractère spécialement farouche des combattants slaves (ce qui n’est pas tout à fait arbitraire: rappelons que la monarchie russe a été fondée par un chef de guerre viking). Mais il semble que Grandmaison en fasse ici une application moins forcée, et plus d’actualité, à la barbarie prussienne.

     Derrière la mort en tenue de combat, qui parcourt un champ de bataille désolé, on voit au loin un village qui brûle. L’épée qui gît à gauche est peut-être ici le symbole de la défaite amère des armées françaises en 1870.

Ils tuent, meurent et rient (détail)


Extrait du roman qui a inspiré cette gravure
(vers la fin du chapitre 3)

     «C’était là qu’habitaient depuis quelque temps — le lecteur l’a sans doute déjà deviné — la comtesse Prascovie Labinska et son mari le comte Olaf Labinski, revenu de la guerre du Caucase après une glorieuse campagne, où, s’il ne s’était pas battu corps à corps avec le mystique et insaisissable Schamyl, certainement il avait eu affaire aux plus fanatiquement dévoués des Mourides de l’illustre scheikh. Il avait évité les balles comme les braves les évitent, en se précipitant au-devant d’elles, et les damas courbes des sauvages guerriers s’étaient brisés sur sa poitrine sans l’entamer. Le courage est une cuirasse sans défaut. Le comte Labinski possédait cette valeur folle des races slaves, qui aiment le péril pour le péril, et auxquelles peut s’appliquer encore ce refrain d’un vieux chant scandinave: “Ils tuent, meurent et rient!”»

 

Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue.
Auguste Cadart (1828-1875) Auguste Cadart

     Auguste Cadart était un graveur et un éditeur très en vue. Il fut le principal artisan, avec Auguste Delâtre, de la création de la Société des aquafortistes, en 1862. On y entrait seulement par cooptation: les artistes ainsi présentés devaient soumettre une œuvre à un jury de cinq membres; à ceux qui étaient reçus, Cadart, qui tenait boutique rue de Richelieu, accordait des facilités pour faire graver leurs œuvres et les exposer.

     Il exposa des artistes tels que Boudin, Manet et Morisot. Après sa mort, survenue en 1875, sa veuve continua son œuvre jusqu’en 1881. Son influence fut grande non seulement en France mais aussi dans le monde anglo-saxon, où il contribua beaucoup à faire renaître et reconnaître l’art de l’eau-forte.

BIBLIOGRAPHIE

Éditions

Signature de Grandmaison H. de Grandmaison delineavit et sculptavit      Henri de GRANDMAISON, «Ils tuent, meurent et rient» [gravure; 23 cm sur 15,5 cm], Paris, Imprimerie d’Alfred Cadart, vers 1871.

     Bernard GINESTE, «Henri de Grandmaison: Ils tuent, meurent et rient (gravure allégorique, vers 1871)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-grandmaison-ilstuent.html, 2005.


Sur Henri de Grandmaison

     Henri BERALDI, Les Graveurs du XIXe siècle. Guide de l’amateur d’estampes modernes [gros in-8°; 12 tomes en 10 volumes; planches; tome 1 (122 p; 1885): Abbema-Bovinet; tome 2: Bracquemond-Chéret; tome 3: Cherrier-Dien; tome 4 (207 p.; 1886): Doré-Gavard; tome 5: Gavarni-Guérard (242 p.; 1886); tome 6: Guérin-Lacoste; tome 7 (278 p., 1888): Laemlein-Mécou; tome 8 (296 p., 1889): Meissonier-Piguet; tome 9: Pillement-Saint-Evre; tome 10 (292+32 p; 1890): Saint-Marcel-Zwinger], Paris, L. Conquet, 1885-1892 [dont une réédition en fac-similé (24 cm; 10 vol.), Nogent-le-Roi, LAME, 1981], tome 5 (1886), pp. ?-?.

     Jacques BUSSE [éd.], E. BENEZIT [†], «Grandmaison, Henri de», in ID., Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays, par un groupe d’écrivains spécialisés français et étrangers. Nouvelle édition entièrement refondue sous la direction de Jacques Busse, Gründ, 1999, tome 6, p. 372.

     ART OF THE PRINT [galerie d’art canadienne], «Henri de Grandmaison: Graveurs du XIXe siècle», in artoftheprint.com, http://www.artoftheprint.com/artistpages/de_grandmaison_henri_lesgraveursduxixsiecle.htm, en ligne en 2005.

Auguste Cadart (1828-1875)      Bernard GINESTE [éd.], «Quelques œuvres de Henri de Grandmaison», in Corpus Étampois, http://corpusetampois.com/cae-19-grandmaison.html, 2004.

Sur l’imprimeur Auguste Cadart

     Nigel THORP (University of Glasgow) [dir.], , «Alfred Cadart, 1828-1875» [biographie en anglais], in Center for Whistler Studies, http://www.whistler.arts.gla.ac.uk/biog/Cada_A.htm, en ligne en 2005.

     ART OF THE PRINT [galerie canadienne], «Théodule Augustin Ribot: Alfred Cadart (Fondateur de la Société des Aqua-Fortistes) (vers 1870)» [notice en anglais], in Art of the Print, http://www.artoftheprint.com/artistpages/ribot_theodule_alfred_cadart.htm, en ligne en 2005.


Quelques éditions du roman fantastique «Avatar»

     Théophile GAUTIER, «Avatar» [conte en douze chapitre], in Le Moniteur universel (29 février 1856) et numéros suivants.

     Théophile GAUTIER, Avatar, par Théophile Gautier. Édition spéciale pour la France, interdite pour l’étranger [in-8°; 191 p.], Paris, Michel Lévy [« Collection Hetzel»], 1857.

     Théophile GAUTIER, «Avatar», in ID., Romans et contes [in-12; IV+458+II p.; Avatar, Jettatura, Arria Marcella, La mille et deuxième nuit, Le pavillon sur l’eau, L’enfant aux souliers de pain, Le chevalier double, Le pied de momie, La pipe d’opium, Le club des Hachichins), Paris, Charpentier, 1863.

     Théophile GAUTIER, Avatar. Fortunio [in-8°; 245 p.], Paris, Marpon & Flammarion, 1888.

     Théophile GAUTIER, «Avatar», in ID., Œuvres de Théophile Gautier [2 vol. in-16 (t.1: Romans et contes: Avatar, Jettatura, Arria Marcella, La mille et deuxième nuit, Le pavillon sur l’eau, L’enfant aux souliers de pain, Le chevalier double, Le pied de momie, La pipe d’opium, Le club des Haschischins; t.2: Nouvelles: Fortunio, La toison d’or, Omphale, Le petit chien de la marquise, Le nid de rossignols, La morte amoureuse, La chaîne d’or, ou l’Amant partagé, Une nuit de Cléopâtre, Le roi Candaule], Paris, A. Lemerre, 1897-1898, tome 1, 1897.

     Théophile GAUTIER (1811-1872), Avatar. Jettatura. Illustrations de Lecoultre [19 cm; 225 p.; illustrations], Paris, Delagrave [«Bibliothèque Juventa»], 1930.

     Théophile GAUTIER, Avatar et autres récits fantastiques [in-16 (18 cm); 245 p.; couverture illustrée en couleur], Paris, L’Inter [«Marabout géant» 320], 1969.

     Théophile GAUTIER, «Avatar», in Jean GAUDON [éd.], Théophile Gautier: La morte amoureuse, Avatar, et autres récits fantastiques, Paris, Gallimard [«Folio» 1316], 1981.

     Théophile GAUTIER, «Avatar», in Anne UBERSFELD [éd.],  Théophile Gautier: Contes et récits fantastiques. Préface, commentaire et notes d’Anne Ubersfeld [17 cm; 382 p.; couverture illustrée en couleur; bibliographie p. 364], Paris, Librairie générale française [«Le Livre de Poche» 6557], 1988.

     Théophile GAUTIER, «Avatar», in Michel CROUZET [éd.], Théophile Gautier. L’œuvre fantastique. II, Romans. Édition critique par Michel Crouzet, Paris, Bordas [«Classique Garnier»], 1993. Dont une version réédition en mode texte: (823 Ko), Bibliopolis, 1998-1999, mise en ligne par la BNF sur son site Gallica, http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Gallica&O=NUMM-101448, en ligne en 2005.

     Théophile GAUTIER, «Avatar», in Alain BUISINE [éd.],  Théophile Gautier: Contes et récits fantastiques. Préface et dossier critique d’Alain Buisine [17 cm; 631 p.; couverture illustrée en couleur; bibliographie pp. 48-50; index], Paris, Librairie générale française [«Le Livre de Poche. Classique» 6895], 1991. Réédition [18 cm; 572 p.; couverture illustrée en couleur bibliographie pp. 43-45; index], 2002 (ISBN 2-253-05520-4; 6,50€)]

     Théophile GAUTIER, Avatar: roman [18 cm; 142 p.; broché], Paris, Seuil [«Points. Point virgule» 72], 2003 [ISBN 2-02-061391-3; 4,50€]

Éditions numériques en ligne

     François CROUZET, «Théophile Gautier: Avatar» [texte  établi en 1993 et numérisé par Bibliopolis, 1998-1999], in BNF, Gallica, http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Gallica&O=NUMM-101448, en ligne en 2005.

     François AUBRAC [éd.], «Théophile Gautier: Avatar», in ID., (Se)cours de français, http://membres.lycos.fr/francaisaubac/docs/gautier/gautier_avatar.txt, en ligne en 2005.

     Cécile LENSEN [éd.], «Théophile Gautier: Avatar», in ID., Ygora, http://www.ygora.net/nav/page_index/contes/contes/gautier/avatar.htm, en ligne en 2005.

     Olivier TABLEAU [éd.], «Théophile Gautier: Avatar», in JulesFerry.com, Votre bibliothèque sur Internet [«Romans classiques, poésie, théâtre»], http://www.julesferry.com/biblio/tableau/AVATAR.PDF, en ligne en 2005.

     PITBOOK.COM [éd.], «Théophile Gautier: Avatar» [360 Ko], in Ebooks gratuits, http://www.pitbook.com/textes/htm/avatar.htm, en ligne en 2005.

Versions
(au moins cinq versions anglo-saxonnes, une allemande et une catalane)


     1) Théophile GAUTIER, Avatar, or The Double Transformation [traducteur anonyme], London [Londres], Vizetelly [«Capital Stories» II], 1888.

     2) Théophile GAUTIER, Avatar [trad. Alexina Loranger], Chicago,  Morrill Higgins, 1892 [réimpression: Chicago: WB Conkey, 1893]
 
     3) F. C. de SUMICHRAST [traducteur et éditeur], Théophile Gautier, The Works. 15, Avatar. Jettatura. The water pavilion. Introduction by the editor of Théophile Gautier, translated and edited by Professor F. C. de Sumichrast [in-8° (22 cm); tome 15 sur 24; 372 p.], Cambridge (U.S.A.), University press, sans date.

     4) Traduction inédite par Thomas Maxwell HENRY (1858-1934) [«Consists of corrected typescripts of English translations by Henry (Class of 1879) of Edmond Rostand’s CYRANO DE BERGERAC and three of Theophile Gautier’s short stories: "Avatar," "Arria Marcella," and "At the Frontier"
»], conservée à l’Université de Princeton selon la page «Master List of Special Collections in the Department of Rare Books and Special Collections», Princeton University Library, http://libweb2.princeton.edu/rbsc2/aids/msslist/colls1.htm, en ligne en 2005.

     5) Traduction inédite par HEARN, 
an unpublished manuscript in the Berg Collection of the
New York Public Library), conservée dans la collection Berg de la New York Public Library selon la page Master List of Special Collections in the Department of Rare Books and Special Collections, Princeton University Library, http://libweb2.princeton.edu/rbsc2/aids/msslist/colls1.htm, en ligne en 2005.

     Janer M. GINÉ [éd.], Théophile Gautier: Avatar [traduction en catalan], Barcelona, Edicions de la Magrana, 1997.

Études autour de cette œuvre
qui, outre cette gravure, a aussi inspiré un opéra


     R. JASINSKI, «Sur Avatar», in À travers le dix-neuvième siècle, Paris, Minard, 1975, pp. 180-190.

     A. BOUCHARD, «Préface», in Théophile Gautier, Avatar. Le chevalier double, Genève, Slatkine Reprints, 1981.

     J. GAUDON, «Préface», in Théophile Gautier, La Morte amoureuse, Avatar et autres récits fantastiques, Paris, Gallimard (Folio), 1981.


      R. BAUDRY, «Révélations et initiations dans Avatar et Le Roman de la momie», in Bulletin de la Société Théophile Gautier 12 (1990), pp. 181-200.

     S. ZENKINE, «Les avatars d’Avatar: la mort comme destruction des simulacres», in Bulletin de la Société Théophile Gautier 18, 1996, p. 255-269.

     ANONYME [«L’Amateur»], «2. Théophile Gauthier. Avatar (1856)», in ID., «Les malades imaginés. L’imagination fantastique», in AMA-Contacts [«une publication de l’Association des Médecins Anciens Etudiants de l’Université de Louvain»] n°32 (novembre 2003), http://www.md.ucl.ac.be/ama-ucl/imagination32.htm, en ligne en 2005.

     Avec ce résumé de la nouvelle: «1856, le docteur Charbonneau, thaumaturge, s’installe à Paris après un long séjour aux Indes.  Il applique les connaissances des saints hommes de là bas, qui ont su détacher l’âme de la barrière de la chair;  par le magnétisme, la catalepsie, le somnambulisme et d’autres méthodes sur lesquelles Théophile Gauthier est avare de détails, le docteur diabolique est capable de transférer l’âme d’un corps à l’autre.  Pour aider le jeune Octave de Saville qui se meurt d’amour, il va transférer l’âme du jeune amoureux dans le corps du mari de la belle Prascovie.  Au cours d’une séance de magie abracadabrante, l’âme passe d’un corps à l’autre sous la forme d’une petite flamme bleue, après que les cobayes aient été «mesmérisés».  C’est la métempsycose sans l’oubli, le troc des âmes: on imagine la surprise du mari qui se retrouve dans un autre corps et voit un autre, dans son propre corps, être le mari de sa femme et le maître de sa maison.  La situation est vaudevillesque».

     Charles W. BROWNSON [director of Library Services, Arizona State University East], «The study of popular translations. Opportunities In the Study Of Popular Translations: The Example of Mademoiselle de Maupin» [27 p.],  in Online Educational Info from Jefferson Learning Center, http://gautier.east.asu.edu/gtrav/poptr.pdf, en ligne en 2005.

     Roman BROTBECK, «Portrait d’un opéra: “Avatar”, de Roland Moser, ou la relecture du conte fantastique de Théophile Gautier», in Dissonances / Dissonanz, http://www.dissonanz.ch/version%20f/Compositeurs/moser-f.html, en ligne en 2005.

     Avec ce résumé de la nouvelle: «Douze jours après la mort de Heine, le 29 février 1856, Gautier commence à publier dans Le Moniteur universel un «conte» en douze chapitres, Avatar.
     C’est là de la littérature brillante du Second Empire, par un des plus grands voyageurs du XIXe siècle. Un pli de robe devient une aventure érotique, un boudoir encombré le prétexte à la visite guidée d’un musée de parfums, de verre soufflé et de bric-à-brac; l’ornementation se déchaîne, et ce que nous appelons la réalité ne se laisse appréhender qu’au travers de jeux de miroirs, de digressions et de retournements complexes, à quoi s’ajoutent de nombreuses allusions à un programme exigeant de littérature universelle.
Mais commençons par l’histoire !
     Déprimé, Octave de Saville finit — après que la médecine traditionnelle a échoué — par consulter Balthazar Cherbonneau, qui «avait l’air d’une figure échappée d’un conte fantastique d’Hoffmann». Cherbonneau est un mélange de médium, de toxicomane et de savant. Il devine bientôt la cause de la dépression d’Octave: amour fou d’une belle femme, une comtesse polonaise qu’Octave a tenté vainement de conquérir, deux ans plus tôt, à Florence. La comtesse est restée fidèle à son époux et regrette de ne pouvoir répondre à l’amour d’Octave. Cherbonneau sait comment sortir de cette situation sans issue. Il attire le mari de la comtesse dans son cabinet et lui démontre différents tours, pour le plonger finalement dans un profond sommeil à l’aide d’une décharge électrique produite par un appareil de Mesmer. Il propose alors à Octave désespéré un avatar, c’est-à-dire l’échange d’âme avec le comte; il pourra ainsi aimer sans entrave la comtesse en empruntant le corps de son mari. Octave y consent après une brève hésitation. Une fois l’air puissamment échauffé — l’éther doit être brûlant pour que les âmes se détachent des corps —, l’expérience aboutit.
     Les conséquences de la transmigration seront cependant fatales. Dans le corps du comte, Octave se comporte à la fois gauchement et excessivement, si bien qu’il paraît bizarre et étranger à la comtesse. Quand elle l’interpelle finalement en polonais, Octave ne la comprend pas et prétend avoir oublié la langue...
     Dans le corps d’Octave, le comte comprend, lui, ce qui s’est passé, après diverses mésaventures. Il réalise qu’il ne pourra obtenir justice sans être déclaré fou et provoque finalement son adversaire en duel. Les duellistes s’apprêtent donc à tuer leur propre corps. Mais Octave tire ostensiblement en l’air et cède la place. Il n’a pas eu de succès auprès de la comtesse et n’a même pas su éveiller ses sentiments, sous l’apparence de son mari. Les deux hommes demandent à Cherbonneau un nouvel avatar. Une chaleur suffisante assure le succès de l’opération, mais l’âme d’Octave s’échappe. Elle ne veut plus retourner dans son corps originel et disparaît dans l’éther. Cherbonneau a donc un cadavre sur les bras et, pour s’en débarrasser, conçoit l’idée géniale d’un troisième avatar. Il lègue toute sa fortune à Octave et se glisse lui-même dans le corps du défunt grâce à l’appareil de Mesmer, laissant son vieux corps sans vie. Quelques jours plus tard, le nouvel Octave assistera à l’enterrement de son ancien corps.
     De retour dans son corps originel, le comte surprend son épouse alors qu’elle lit Heinrich von Ofterdingen, de Novalis; la comtesse se réjouit de constater que son époux a perdu son regard concupiscent. La routine quotidienne peut recommencer.»


     Bernard GINESTE, «Henri de Grandmaison: Ils tuent, meurent et rient (gravure allégorique, 1888)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-grandmaison-ilstuent.html, 2005.

Source: Collection particulière. 
  
Explicit
   
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