En 1879 le critique d’art
parisien Georges Lecocq consacre un ouvrage de 20 pages à la jeune
peintre étampoise Louise Abbéma, à qui il commande
les trois ornements typographiques habituels: bandeau, lettrine et cul-de-lampe.
1. Commençons par le bandeau. L’artiste
y a représenté une gondole voguant sur le Grand Canal de Venise.
Ceci renvoie à une expérience fondatrice pour l’artiste, le
long séjour qu’elle fit en Italie pendant son enfance, de 1861 à
1867, c’est-à-dire environ de l’âge de 8 ans à celui de
14 ans. Il est des plus probable que le personnage indistinct assis dans notre
gondole doit être identifié à l’artiste elle-même.
Il faut noter aussi qu’en cette même année 1879, Louise Abbéma
a exposé au Salon des Amis des arts de Pau une œuvre intitulée En gondole,
et à celui des Amis des arts de Nice, une autre, ou la même,
intitulée Venise. Et en effet Georges Lecocq fait lui-même
allusion à un récent séjour de l’artiste à Venise lorsqu’il décrit son atelier en ces
termes: Ici, des bibelots, des faïences; là, le Lion de Saint-Marc,
sculpture enlevée à une gondole et rapportée de Venise
l’hiver dernier...
2. La lettrine met en scène une jeune
femme accoudée à la barre d’un A façon idéogramme
japonais, allusion à la mode du japonisme à laquelle notre
artiste a souvent sacrifié. Devant elle se tient un petit chien, qui
encore une fois est sans nul doute le chien tant aimé de Louise Abbéma
et si présent dans son œuvre. Le choix de cette lettre,
tout à fait artificiel et délibéré, puisqu’il
est obtenu au
prix d’une inversion des positions du nom et du prénom
de l’artiste, exprime le début d’une aventure autant que le commencement
de la série des fascicules qu’ouvre l’auteur, Georges Lecocq, avec cette
monographie sur Louise Abbéma. Il rappelle aussi la bonne fortune
de ce patronyme qui commence toujours le catalogue alphabétique des
expositions auxquelles participe l’artiste.
Cette lettrine conserve une trace reconnaissable de
signature en bas au milieu, malgré la réduction du dessin de
l’artiste. L’original est signalé par Olivia Droin comme de localisation
actuelle inconnue (et de même pour le bandeau).
3. Le cul-de-lampe est d’un symbolisme encore
plus élaboré et humoristique puisque le même brave toutou
de Louise Abbéma y est élevé au rang de support
héraldique. Il est debout, c’est-à-dire, en termes héraldiques,
rampant, de manière à tenir entre ses pattes
antérieures, à la manière des habituels lions ou léopards,
l’écu losangé de l’artiste, ce dernier posé sur une
palette de peintre aux initiales de l’auteur, L. A.
Le dit écu est bien celui des Abbéma tel
que le décrit le Dictionnaire historique et héraldique de
la noblesse française de Mailhol (Paris, Direction et Rédaction,
1896, tome 2, p. 12): Parti, au 1 d’argent, au cou de héron issant
de marais : au 2, coupé d’azur à la fleur de lis d’or et de
gueules au trèfle de sinople. C’est-à-dire, en mots de
tous les jours: à gauche, sur fond blanc, une tête de héron
émergeant d’une eau stagnante; à droite en haut, une fleur
de lys jaune sur fond bleu, et en bas un trèfle vert sur fond rouge.
Notre gentil cabot tient aussi dans sa gueule un phylactère
portant la fière devise de Louise Abbéma: Je veux.
Bernard Gineste, octobre 2016
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2. Lettrine: Jeune femme accoudée à la barre du A, et son
chien.
3. Le même chien dans une composition héraldique.
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