CORPUS ARTISTIQUE ÉTAMPOIS
 
Louise Abbéma
Portrait de Sarah Bernhardt (?)
huile sur toile, 1875
   
Louise Abbéma: Portrait en pied de Sarah Bernhardt (1875)

Louise Abbéma: Portrait en pied de Sarah Bernhardt (1875)

Louise Abbéma: Portrait en pied de Sarah Bernhardt (1875)

Louise Abbéma: Portrait en pied de Sarah Bernhardt (1875)

Louise Abbéma: Portrait en pied de Sarah Bernhardt (1875)  
  
Louise Abbéma
Portrait de Sarah Bernhardt (?), 1875

   
      Voici une huile sur toile appartenant à la collection de M. Piñanes, qui a eu l’amabilité de nous en faire parvenir une grande photographie en février 2006.
     Cette toile de 56 cm sur 37 est signée en haut à droite «Louise Abbéma 1875». C’est donc une œuvre de jeunesse de l’artiste, qui avait alors 22 ans.
     Rappelons que Louise Abbéma était née à Étampes en 1853 et non en 1858 comme on elle le fit croire par coquetterie et comme on le lit encore partout, même dans le Bénézit. Sa rencontre avec Sarah Bernhardt date de 1874. Les portrait qu’elle a donnés de Sarah Bernhardt sont nombreux et restent à répertorier.

     L’heureux propriétaire de cette huile pense que nous sommes en présence d’un portrait de Sarah Bernhardt.
     Le catalogue établi par Olivia Droin en 1993, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, connaît seulement trois œuvres datées de 1875: un portrait de Sarah Bernhardt en médaillon (pastel et craie sur papier conservé au Musée Carnavalet); une médaille en bronze représentant la même (conservée au Musée d’Orsay); et un Portrait de la duchesse Josiane exposé cette année-là au Salon, dont la localisation actuelle est inconnue.

     La Duchesse Josiane est un personnage de L’homme qui rit, roman publié par Victor Hugo en 1869. Sommes-nous en présence de cette œuvre? Nous donons en annexe le passage du roman qui fait le portrait de ce personnage.
     M. Piñanes pour sa part pense qu’il s’agit ici d’un portrait de de Sarah Bernhardt, ce qui n’est pas impossible.
     Ces deux hypothèses ne sont pas incompatibles. Sarah Bernhardt est l’actrice-phare de la décennie 1870 à la Comédie-Française où elle reprend les grands rôles romantiques de Victor Hugo: la reine de Ruy Blas et Dona Sol dans Hernani, au côté du grand Mounet-Sully qui fut son partenaire à la ville comme à la scène.
     Victor Hugo et Sarah Bernhardt étaient en très bons termes. On rapporte même que Sarah ne dédaigna pas de céder aux avances du célèbre septuagénaire.

B. G.
Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
ANNEXE
LE PORTRAIT DE LA DUCHESSE JOSIANE PAR VICTOR HUGO
dans L’Homme qui rit (1869)

     Quoi qu’il en soit de notre hypothèse, il est intéressant de se reporter au texte du Victor Hugo qui est à la source du Portrait de la Duchesse Josiane qu’à donné Louise Abbéma en 1875.

LA DUCHESSE JOSIANE

I

Victor Hugo: Brouillon du portrait de la Duchesse Josiane (BNF, Manuscrits, N. a. fr. 15812, f. 18 v°)      Vers 1705, bien que lady Josiane eût vingt-trois ans et lord David quarante-quatre, le mariage n’avait pas encore eu lieu, et cela par les meilleures raisons du monde. Se haïssaient-ils?
     Loin de là. Mais ce qui ne peut vous échapper n’inspire aucune hâte. Josiane voulait rester libre; David voulait rester jeune.
     N’avoir de lien que le plus tard possible, cela lui semblait un prolongement du bel âge. Les jeunes hommes retardataires abondaient dans ces époques galantes; on grisonnait dameret; la perruque était complice, plus tard la poudre fut auxiliaire. A cinquante-cinq ans, lord Charles Gerrard, baron Gerrard des Gerrards de Bromley, remplissait Londres de ses bonnes fortunes.
     La jolie et jeune duchesse de Buckingham, comtesse de Coventry, faisait des folies d’amour pour les soixante-sept ans du beau Thomas Bellasyse, vicomte Falcomberg. On citait les vers fameux de Corneille septuagénaire à une femme de vingt ans: Marquise, si mon visage. Les femmes aussi avaient des succès d’automne, témoin Ninon et Marion. Tels étaient les modèles.

     Josiane et David étaient en coquetterie avec une nuance particulière. Ils ne s’aimaient pas, ils se plaisaient. Se côtoyer leur suffisait. Pourquoi se dépêcher d’en finir? Les romans d’alors poussaient les amoureux et les fiancés à ce genre de stage qui était du plus bel air. Josiane, en outre, se sachant bâtarde, se sentait princesse, et le prenait de haut avec les arrangements quelconques. Elle avait du goût pour lord David. Lord David était beau, mais c’était pardessus le marché.
     Elle le trouvait élégant.

     Être élégant, c’est tout. Caliban élégant et magnifique distance Ariel pauvre. Lord David était beau, tant mieux; l’écueil d’être beau, c’est d’être fade; il ne l’était pas. Il pariait, boxait, s’endettait. Josiane faisait grand cas de ses chevaux, de ses chiens, de ses perles au jeu, de ses maîtresses. Lord David de son côté subissait la fascination de la duchesse Josiane, fille sans tache et sans scrupule, altière, inaccessible et hardie. Il lui adressait des sonnets que Josiane lisait quelquefois. Dans ces sonnets, il affirmait que posséder Josiane, ce serait monter jusqu’aux astres, ce qui ne l’empêchait pas de toujours remettre cette ascension à l’an prochain. Il faisait antichambre à la porte du cœur de Josiane, et cela leur convenait à tous les deux. A la cour on admirait le suprême bon goût de cet ajournement. Lady Josiane disait: C’est ennuyeux que je sois forcée d’épouser lord David, moi qui ne demanderais pas mieux que d’être amoureuse de lui!

     Josiane, c’était la chair. Rien de plus magnifique. Elle était très grande, trop grande. Ses cheveux étaient de cette nuance qu’on pourrait nommer le blond pourpre. Elle était grasse, fraîche, robuste, vermeille, avec énormément d’audace et d’esprit. Elle avait les yeux trop intelligibles. D’amant, point; de chasteté, pas davantage. Elle se murait dans l’orgueil. Les hommes, fi donc! un dieu tout au plus était digne d’elle; ou un monstre. Si la vertu consiste dans l’escarpement, Josiane était toute la vertu possible, sans aucune innocence. Elle n’avait pas d’aventures, par dédain; mais on ne l’eût point fâchée de lui en supposer, pourvu qu’elles fussent étranges et proportionnées à une personne faite comme elle. Elle tenait peu à sa réputation et beaucoup à sa gloire. Sembler facile et être impossible, voilà le chef-d’œuvre. Josiane se sentait majesté et matière. C’était une beauté encombrante.
     Elle empiétait plus qu’elle ne charmait. Elle marchait sur les cœurs. Elle était terrestre. On l’eut aussi étonnée de lui montrer une âme dans sa poitrine que de lui faire voir des ailes sur son dos. Elle dissertait sur Locke. Elle avait de la politesse. On la soupçonnait de savoir l’arabe.

     Être la chair et être la femme, c’est deux. Où la femme est vulnérable, au côté pitié, par exemple, qui devient si aisément amour, Josiane ne l’était pas. Non qu’elle fût insensible.
     L’antique comparaison de la chair avec le marbre est absolument fausse. La beauté de la chair, c’est de n’être point marbre; c’est de palpiter, c’est de trembler, c’est de rougir, c’est de saigner; c’est d’avoir la fermeté sans avoir la dureté; c’est d’être blanche sans être froide; c’est d’avoir ses tressaillements et ses infirmités; c’est d’être la vie, et le marbre est la mort. La chair, à un certain degré de beauté, a presque le droit de nudité; elle se couvre d’éblouissement comme d’un voile; qui eût vu Josiane nue n’aurait aperçu ce modelé qu’ travers une dilatation lumineuse. Elle se fût montrée volontiers à un satyre, ou à un eunuque. Elle avait l’aplomb mythologique.
     Faire de sa nudité un supplice, éluder un Tantale, l’eût amusée.
     Le roi l’avait faite duchesse, et Jupiter néréide. Double irradiation dont se composait la clarté étrange de cette créature, A l’admirer on se sentait devenir païen et laquais.
     Son origine, c’était la bâtardise et l’océan. Elle semblait sortir d’une écume. A vau-l’eau avait été le premier jet de sa destinée, mais dans le grand milieu royal. Elle avait en elle de la vague, du hasard, de la seigneurie, et de la tempête. Elle était lettrée et savante. Jamais une passion ne l’avait approchée, et elle les avait sondées toutes. Elle avait le dégoût des réalisations, et le goût aussi. Si elle se fût poignardée, ce n’eût été, comme Lucrèce, qu’après. Toutes les corruptions, à l’état visionnaire, étaient dans cette vierge.
     C’était une Astarté possible dans une Diane réelle. Elle était, par insolence de haute naissance, provocante et inabordable.
     Pourtant elle pouvait trouver divertissant de s’arranger elle-même une chute. Elle habitait une gloire dans un nimbe avec la velléité d’en descendre, et peut-être avec la curiosité d’en tomber. Elle était un peu lourde pour son nuage. Faillir plaît.
     Le sans-gêne princier donne un privilège d’essai, et une personne ducale s’amuse où une bourgeoise se perdrait. Josiane était en tout, par la naissance, par la beauté, par l’ironie, par la lumière, à peu près reine. Elle avait eu un moment d’enthousiasme pour Louis de Boufflers qui cassait un fer cheval entre ses doigts. Elle regrettait qu’Hercule fût mort.
     Elle vivait dans on ne sait quelle attente d’un idéal lascif et suprême.

     Au moral, Josiane faisait penser au vers de l’épître aux Pisons: Desinit in piscem.
     Un beau torse de femme en hydre se termine.

     C’était une noble poitrine, un sein splendide harmonieusement soulevé par un cœur royal, un vivant et clair regard, une figure pure et hautaine, et, qui sait? ayant sous l’eau, dans la transparence entrevue et trouble, un prolongement ondoyant, surnaturel, peut-être draconien et difforme. Vertu superbe achevée en vices dans la profondeur des rêves.

 II

Victor Hugo: Brouillon du portrait de la Duchesse Josiane (BNF, Manuscrits, N. a. fr. 15812, f. 18 v°)      Avec cela, précieuse.
     C’était la mode.
     Qu’on se rappelle Élisabeth.

     Elisabeth est un type qui, en Angleterre, a dominé trois siècles, le seizième, le dix-septième et le dix-huitième. Élisabeth est plus qu’une anglaise, c’est une anglicane. De là le respect profond de l’église épiscopale pour cette reine; respect ressenti par l’église catholique, qui la mélangeait d’un peu d’excommunication. Dans la bouche de Sixte-Quint anathématisant Elisabeth, la malédiction tourne au madrigal. Un gran cervello di principessa, dit-il. Marie Stuart, moins occupée de la question église et plus occupée de la question femme, était peu respectueuse pour sa sœur Élisabeth et lui écrivait de reine reine et de coquette à prude: «Votre esloignement du mariage provient de ce que vous ne voulez perdre liberté de vous faire faire l’amour.» Marie Stuart jouait de l’éventail et Elisabeth de la hache. Partie inégale. Du reste toutes deux rivalisaient en littérature. Marie Stuart faisait des vers français; Élisabeth traduisait Horace. Elisabeth, laide, se décrétait belle, aimait les quatrains et les acrostiches, se faisait présenter les clefs des villes par des cupidons, pinçait la lèvre à l’italienne et roulait la prunelle à l’espagnole, avait dans sa garde-robe trois mille habits et toilettes, dont plusieurs costumes de Minerve et d’Amphitrite, estimait les irlandais pour la largeur de leurs épaules, couvrait son vertugadin de paillons et de passequilles, adorait les roses, jurait, sacrait, trépignait, cognait du poing ses filles d’honneur, envoyait au diable Dudley, battait le chancelier Burleigh, qui pleurait, la vieille bête, crachait sur Mathew, colletait Hatton, souffletait Essex, montrait sa cuisse Bassompierre, était vierge.

     Ce qu’elle avait fait pour Bassompierre, la reine de Saba l’avait fait pour Salomon [1]. Donc, c’était correct, l’écriture sainte ayant créé le précédent. Ce qui est biblique peut être anglican.
[1] Regina Saba coram rege crura denudavit. Schicklardus In Proœmio Tarich. Jersici F. 65.

     Le précédent biblique va même jusqu’à faire un enfant qui s’appelle Ebnehaquem ou Melilechet, c’est-à-dire le Fils du Sage.

     Pourquoi pas ces mœurs? Cynisme vaut bien hypocrisie.
     Aujourd’hui l’Angleterre, qui a un Loyola appelé Wesley, baisse un peu les yeux devant ce passé. Elle en est contrariée, mais fière.

     Dans ces mœurs-là, le goût du difforme existait, particulièrement chez les femmes, et singulièrement chez les belles. A quoi bon être belle, si l’on n’a pas un magot? Que sert d’être reine, si l’on n’est pas tutoyée par un poussah?
     Marie Stuart avait eu des «bontés» pour un cron, Rizzio.
     Marie-Thérèse d’Espagne avait été «un peu familière» avec un nègre. D’où l’abbesse noire. Dans les alcôves du grand siècle la bosse était bien portée; témoin le maréchal de Luxembourg.

     Et avant Luxembourg, Condé, «ce petit homme tant joli».

     Les belles elles-mêmes pouvaient, sans inconvénient, être contrefaites. C’était accepté. Anne de Boleyn avait un sein plus gros que l’autre, six doigts à une main, et une surdent. La Vallière était bancale. Cela n’empêcha pas Henri VIII d’être insensé et Louis XIV d’être éperdu.

     Au moral, mêmes déviations. Presque pas de femme dans les hauts rangs qui ne fût un cas tératologique. Agnès contenait Mélusine.
     On était femme le jour et goule la nuit. On allait en grève baiser sur le pieu de fer des têtes fraîches coupées. Marguerite de Valois, une aïeule des précieuses, avait porté à sa ceinture sous cadenas, dans des boîtes de fer-blanc cousues à son corps de jupe, tous les cœurs de ses amants morts. Henri IV s’était caché sous ce vertugadin-là.

     Au dix-huitième siècle la duchesse de Berry, fille du régent, résuma toutes ces créatures dans un type obscène et royal.

     En outre les belles dames savaient le latin. C’était, depuis le seizième siècle, une grâce féminine. Jane Grey avait poussé l’élégance jusqu’à savoir l’hébreu.

     La duchesse Josiane latinisait. De plus, autre belle manière, elle était catholique. En secret, disons-le, et plutôt comme son oncle Charles II que comme son père Jacques II. Jacques, à son catholicisme, avait perdu sa royauté, et Josiane ne voulait point risquer sa pairie. C’est pourquoi, catholique dans l’intimité et entre raffinés et raffinées, elle était protestante extérieure.
     Pour la canaille.

     Cette façon d’entendre la religion est agréable; on jouit de tous les biens attachés à l’église officielle épiscopale, et plus tard on meurt, comme Grotius, en odeur de catholicisme, et l’on a la gloire que le père Petau dise une messe pour vous.

     Quoique grasse et bien portante, Josiane était, insistons-y, une précieuse parfaite.

     Par moments, sa façon dormante et voluptueuse de traîner la fin des phrases imitait les allongements de pattes d’une tigresse marchant dans les jongles.

     L’utilité d’être précieuse, c’est que cela déclasse le genre humain. On ne lui fait plus l’honneur d’en être.

     Avant tout, mettre l’espèce humaine à distance, voilà ce qui importe.

     Quand on n’a pas l’olympe, on prend l’hôtel de Rambouillet.

     Junon se résout en Araminte. Une prétention de divinité non admise crée la mijaurée. A défaut de coups de tonnerre, on a l’impertinence. Le temple se ratatine en boudoir. Ne pouvant être déesse, on est idole.

     Il y a en outre dans le précieux une certaine pédanterie qui plaît aux femmes.

     La coquette et le pédant sont deux voisins. Leur adhérence est visible dans le fat.

     Le subtil dérive du sensuel. La gourmandise affecte la délicatesse. Une grimace dégoûtée sied à la convoitise,

     Et puis le côté faible de la femme se sent gardé par toute cette casuistique de la galanterie qui tient lieu de scrupules aux précieuses. C’est une circonvallation avec fossé. Toute précieuse a un air de répugnance. Cela protège.

     On consentira, mais on méprise. En attendant.

     Josiane avait un for intérieur inquiétant. Elle se sentait une telle pente à l’impudeur qu’elle était bégueule. Les reculs de fierté en sens inverse de nos vices nous mènent aux vices contraires. L’excès d’effort pour être chaste la faisait prude.
     Être trop sur la défensive, cela indique un secret désir d’attaque. Qui est farouche n’est pas sévère.

     Elle s’enfermait dans l’exception arrogante de son rang et de sa naissance, tout en préméditant peut-être, nous l’avons dit, quelque brusque sortie.

     On était à l’aurore du dix-huitième siècle. L’Angleterre ébauchait ce qui a été en France la régence. Walpole et Dubois se tiennent. Marlborough se battait contre son ex-roi Jacques II auquel il avait, disait-on, vendu sa sœur Churchill. On voyait briller Bolingbroke et poindre Richelieu. La galanterie trouvait commode une certaine mêlée des rangs; le plain-pied se faisait par les vices. Il devait se faire plus tard par les idées.
     L’encanaillement, prélude aristocratique, commençait ce que la révolution devait achever. On n’était pas très loin de Jélyotte publiquement assis en plein jour sur le lit de la marquise d’Épinay. Il est vrai, car les mœurs se font écho, que le seizième siècle avait vu le bonnet de nuit de Smeton sur l’oreiller d’Anne de Boleyn.

     Si femme signifie faute, comme je ne sais plus quel concile l’a affirmé, jamais la femme n’a plus été femme qu’en ces temps-là.
     Jamais, couvrant sa fragilité de son charme, et sa faiblesse de sa toute-puissance, elle ne s’est plus impérieusement fait absoudre. Faire du fruit défendu le fruit permis, c’est la chute d’Eve; mais faire du fruit permis le fruit défendu, c’est son triomphe. Elle finit par là. Au dix-huitième siècle, la femme tire le verrou sur le mari. Elle s’enferme dans l’éden avec Satan. Adam est dehors.

III

Victor Hugo: Brouillon du portrait de la Duchesse Josiane (BNF, Manuscrits, N. a. fr. 15812, f. 18 v°)      Tous les instincts de Josiane inclinaient plutôt à se donner galamment qu’à se donner légalement. Se donner par galanterie implique de la littérature, rappelle Ménalque et Amaryllis, et est presque une action docte.

     Mademoiselle de Scudéry, l’attrait de la laideur pour la laideur mis à part, n’avait pas eu d’autre motif pour céder à Pélisson.

     La fille souveraine et la femme sujette, telles sont les vieilles coutumes anglaises. Josiane différait le plus qu’elle pouvait l’heure de cette sujétion. Qu’il fallût en venir au mariage avec lord David, puisque le bon plaisir royal l’exigeait, c’était une nécessité sans doute, mais quel dommage! Josiane agréait et éconduisait lord David. Il y avait entre eux accord tacite pour ne point conclure et pour ne point rompre. Ils s’éludaient.
     Cette façon de s’aimer, avec un pas en avant et deux pas en arrière, est exprimée par les danses du temps, le menuet et la gavotte. Être des gens mariés, cela ne va pas à l’air du visage, cela fane les rubans qu’on porte, cela vieillit. L’épousaille, solution désolante de clarté. La livraison d’une femme par un notaire, quelle platitude! La brutalité du mariage crée des situations définitives, supprime la volonté, tue le choix, a une syntaxe comme la grammaire, remplace l’inspiration par l’orthographe, fait de l’amour une dictée, met en déroute le mystérieux de la vie, inflige la transparence aux fonctions périodiques et fatales, ôte du nuage l’aspect en chemise de la femme, donne des droits diminuants pour qui les exerce comme pour qui les subit, dérange par un penchement de balance tout d’un côté le charmant équilibre du sexe robuste et du sexe puissant, de la force et de la beauté, et fait ici un maître et là une servante, tandis que, hors du mariage, il y a un esclave et une reine. Prosaïser le lit jusqu’à le rendre décent, conçoit-on rien de plus grossier? Qu’il n’y ait plus de mal du tout s’aimer, est-ce assez bête!

     Lord David mûrissait. Quarante ans, c’est une heure qui sonne.
     Il ne s’en apercevait pas. Et de fait il avait toujours l’air de ses trente ans. Il trouvait plus amusant de désirer Josiane que de la posséder. Il en possédait d’autres; il avait des femmes.
     Josiane, de son côté, avait des songes.
     Les songes étaient pires.

     La duchesse Josiane avait cette particularité, moins rare du reste qu’on ne croit, qu’un de ses yeux était bleu et l’autre noir. Ses prunelles étaient faites d’amour et de haine, de bonheur et de malheur. Le jour et la nuit étaient mêlés dans son regard.

     Son ambition était ceci: se montrer capable de l’impossible.

     Un jour elle avait dit à Swift:
     — Vous vous figurez, vous autres, que votre mépris existe.
     Vous autres, c’était le genre humain.

     Elle était papiste à fleur de peau. Son catholicisme ne dépassait point la quantité nécessaire pour l’élégance. Ce serait du puséysme aujourd’hui. Elle portait de grosses robes de velours, ou de satin, ou de moire, quelques-unes amples de quinze et seize aunes, et des entoilages d’or et d’argent, et autour de sa ceinture force nœuds de perles alternés avec des nœuds de pierreries. Elle abusait des galons. Elle mettait parfois une veste de drap passementé comme un bachelier. Elle allait cheval sur une selle d’homme, en dépit de l’invention des selles de femme introduite en Angleterre au quatorzième siècle par Anne, femme de Richard II. Elle se lavait le visage, les bras, les épaules et la gorge avec du sucre candi délayé dans du blanc d’œuf, à la mode castillane. Elle avait, après qu’on avait spirituellement parlé auprès d’elle, un rire de réflexion d’une grâce singulière.

     Du reste, aucune méchanceté. Elle était plutôt bonne.

D’après l’édition numérique mise en ligne par le Gutemberg Project.
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE


     Olivia DROIN, Louise Abbéma (1853-1927) [2 volumes dactylographiés de format A4; 152 p. & 121 p. de catalogue], Mémoire de DEA d’Histoire de l’Art soutenu à l’Université Panthéon-Sorbonne de Paris I sous la direction du Professeur Daniel Rabreau, octobre 1993.


Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
Source: Couriel de M. Piñanes en date du 26 février 2006.

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