CORPUS ARTISTIQUE ÉTAMPOIS
 
Stéphane Berhault
Les tuiles glaçurées médiévales
article de 2004
   
Photomontage: Restitution d'undécor hypothétique de la toiture de Notre-Dame (© Stéphane Berhault)
 Photomontage (© Stéphane Berhault)
 
     Stéphane Berhault, architecte du patrimoine, nous a aimablement communiqué le texte de cet article important pour l’archéologie locale. Qu’il en soit ici chaleureusement remercié; ainsi qu’Élise Bailleul, qui nous a attiré en octobre 2008 notre attention sur les publications récentes de Wyss, de Taupin et d’Aumard.
  
Stéphane Berhault
Les tuiles glaçurées médiévales
article de 2004



     Nous avons tous en mémoire les couvertures dites “bourguignonnes” qui se caractérisent par l’emploi de tuiles colorées qualifiées de vernissées ou émaillées. L’exemple le plus frappant étant celui des Hospices de Beaune. Mais de récentes découvertes en région parisienne ont permis d’apporter de nouveaux éléments de connaissance.

     Alors que l’on restreignait géographiquement ces couvertures à la Bourgogne et historiquement à la fin de l’époque gothique, ces découvertes fortuites ont effectivement permis de déceler l’existence de systèmes plus complexes et de schémas ornementaux plus sophistiqués que ceux que l’on connaissait.

Trois grandes découvertes

     On retiendra trois principales découvertes. La première remonte aux campagnes de fouilles réalisées aux abords de la basilique Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) au début des années 1980. La deuxième se situe en 1993 lors des études préalablesà la restauration des couvertures de la cathédrale de Meaux (Seine-et-Marne). La troisième date de 1997 et concerne la collégiale Notre-Dame du Fort à Étampes (Essonne). Pour chacun de ces trois édifices, il a été repéré et recueilli un certain nombre de tuilles encore en place sur les toitures (Meaux et Etampes), ou mis au jour lors de sondages archéologiques (Saint-Denis). Ces tuiles recueillies en diverses quantités (une dizaine d’exemplaires Saint-Denis, un millier à Meaux et une centaine à Étampes) présentaient, pour un très grand [p.15]  nombre d’entre elles, des pureaux (partie visible de la tuile) polychromes. Mais la grande particularité de celles-ci tenait à la présence, sur un même pureau, de deux ou trois couleurs séparées par une incision peu profonde. La multiplicité de glaçures colorées sur une même tuile et l’irrégularité de leur répartition laissaient présager un système ingénieux permettant l’obtention d’une très grande finesse de motifs figurés en couverture. Outre leur similitude en termes de dimension, l’autre caractéristique majeure de ces tuiles réside dans le fait qu’elles furent toutes attestées comme étant du XIIIe siècle… donc bien avant les couvertures des édifices bourguignons!
Exemple de couverture en tuiles glaçurées en région bourguignonne
     La splendeur des toiles glaçurées du Moyen Age s’exprime en majesté dans la région bourguignonne… mais pas seulement!




Quelques exemples des tuiles trouvées à Notre-Dame du Fort à Etampes en 1997
     Quelques exemple des tuiles trouvées à Notre-Dame du Fort à Etampes en 1997.
Les principes de fabrication

     Les tuiles médiévales sont composées d’argile plus ou moins pure. Elle est étalée dans un cadre en bois puis aussitôt démoulée et posée à plat. Le crochet de fixation est formé à l’aide du pouce de l’artisan. Exposées à l’air libre, les tuiles restent un certain nombre de semaines à sécher, et il n’est pas rare qu’un chat ou une poule viennent appliquer leurs empreintes sur l’argile encore meuble (traces visibles et très fréquentes sur la face cachée de la tuile). La coloration est obtenue au moyen d’une glaçure. Celle-ci se compose principalement d’eau, d’argile en suspension et d’oxydes métalliques.

     Ces derniers donnent, lors de la cuisson, la couleur finale à la partie ainsi recouverte. C’est ainsi que, par exemple, le cuivre confère une coloration verte, le fer une coloration jaune, le manganèse une coloration brune, et l’étain une coloration blanche. La glaçure est appliquée soit par immersion, soit par aspersion (à la louche ou à la brosse). Ce dernier mode semble avoir été le plus utilisé pour des raisons d’économie et de contrôle de la répartition des couleurs sur une même tuile. Les mélanges pigmentaires sont séparés par un sillon formé à l’aide d’un élément pointu, vraisemblablement métallique. Les tuiles sont ensuite cuites au four à bois. [p.16]


Les motifs figurés

     La finesse de dessin qu’autorise la décomposition colorée du pureau permet d’aller au-delà des simples jeux géométriques et crénelages, vers une figuration réaliste. Nous ne connaissons pas, à ce jour, les motifs utilisés, mais il est facile d’imaginer la représentation de blasons, d’armoiries ou d’autres sujets. L’observation des motifs usités à cette époque sur les carreaux de terre cuite de sol peut laisser imaginer, pour les couvertures, des dessins d’une inspiration proche.


Essai de restitution d’un décor hypothétique

     Devant ces vestiges, il nous a paru essentiel d’exposer le mode opératoire probable ainsi que de chercher à restituer, par photomontage et pour l’un de ces édifices, un décor hypothétique. Le cas de Notrce-Dame du Fort nous a paru particulièrement intéressant. Le motif choisi pour l’essai de restitution nous a été inspire par un revêtement de sol remontant au XIIIe siècle. Il n’a rien à voir avec l’édifice et ne sert qu’à la démonstration. La première étape est la constitution d’une maquette d’ensemble figurant le quadrillage des parties [p.17] visibles des tuiles, Le schéma permet de prendre conscience de la finesse obtenue par l’utilisation de plusieurs couleurs sur un même pureau. Une fois ce canevas d’ensemble réalisé, il est alors possible de concevoir le principe de répartition des couleurs sur chacune des tuiles.


Système de repérage des tuiles  pour les couvreurs
     Afin de permettre au couvreur chargé de la pose de s’y retrouver, un système de repérage était gravé au revers ou sur les parties cachées des tuiles sous forme de signes géométriques. Toutefois, il n’a pas été possible, jusqu’à aujourd’hui, d’en expliciter clairement le fonctionnement.



Système de repérage des tuiles  pour les couvreurs
     Présentation combinée de quelques-unes des tuiles de la collégiale Notre-Dame du Fort à Étampes.

Répartition des couleurs sur la base du motif et du quadrillage des pureaux
Motif relevé sur un carrelage du XIIIe siècle
Dessin du motif servant d'exemple Dessin du motif servant d’exemple
Motif relevé sur un carrelage du XIIIe siècle
Répartition des couleurs sur la base
du motif et du quadrillage des pureaux
 
Mode traditionnel et mode sophistiqué
  
Le passé reprend vie

     Les photomontages ci-dessus permettent de restituer l’image de ce qu’aurait pu être le décor autrefois présent sur la couverture de la collégiale Notre-Dame d’Étampes. Aujourd’hui encore, l’essentiel des tuiles glaçurées est présent sur le versant sud situé à l’aplomb du célèbre portail royal et face à l’une des plus anciennes places de la ville. Malgré les vestiges épars de ces riches couvertures, il est aujourd’hui possible de se faire une idée plus juste de ce que pouvait être l’art ornemental des couvertures polychromes à l’époque médiévale en France. La finesse et la sophistication ne sont d’ailleurs guère étonnantes quand on les rapproche des autres pratiques de l’époque tant au niveau des vitraux que de la statuaire ou encore de l’ébénisterie. Notre vision de ce sujet est donc à ajuster. Les couvertures polychromes “habituelles” relèvent vraisemblablement d’adaptations se voulant moins onéreuses et moins difficiles de mise en œuvre.  Il est aujourd’hui certain que les couvertures bourguignon actuelles ne reflètent qu’une partie d’une tradition qui a eu, de toute évidence, un rayonnement géographique plus large et, pour quelques cas majeurs, une sophistication extrême. Les prochaines années permettront peut-être d’en recenser quelques exemples supplémentaires.

Stéphane Berhault
L’AUTEUR
   Stéphane Berhault est architecte du patrimoine. Son agence d’architecture, spécialisée en analyses et expertises de bâtiments à  caractère historique, dispose notamment d’un laboratoire informatique spécifiquement développé pour l’étude des structures et des édifices anciens.


Mode traditionnel et mode sophistiqué
     Restitution d’un décor hypothétique sur le versant sud de la nef de Notre-Dame du Fort à Étampes. La photo d’ouverture de cet article replace cette interprétation in situ dans l’environnement actuel.

Stéphane Berhault, 2004
BIBLIOGRAPHIE

Éditions

     Stéphane BERHAULT (architecte du patrimoine), «Les tuiles glaçurées médiévales» [et spécialement à Notre-Dame d’Étampes], in Atrium Construction 13 (octobre-novembre 2004), pp. 14-17.

     Dont une réédition numérique en ligne: Stéphane BERHAULT, «Les tuiles glaçurées médiévales», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-13-berhault2004tuiles.html, 2008.

Sur les tuiles glacurées médievales
     On notera surtout une découverte faite à Lisieux par Frédéric Épaux qui donne totalement raison à Stéphane Berhault, qui a été bon prophète, sans avoir encore eu vent de cette découverte: les tuiles de Lisieux sont même antérieures au XIIIe siècle.
Couverture du n°15 de la revue Monumental (1996)      Charles Jr SEYMOUR (historien de l’art à l’université de Yale, 1912-1977), Notre-Dame of Noyon in the XIIth century, a study in the early development of gothic architecture [in-4°; XXII-202 p.; figures et planches; préface de Marcel Aubert et Henri Focillon], New Have, Yale University press [«Yale Historical publications. History of art» 1], 1939, p. ?.
     Dont une traduction française: Charles SEYMOUR, La Cathédrale Notre-Dame de Noyon au XIII siècle [30 cm; 135 p.; LVII p. de planches; traduit par René Plouin, Élisabeth Laget, Lydwine Saulnier, Amélie Lefébure, etc.; bibliographie revue et complétée, pp. 119-124; index], Paris, Arts et métiers graphiques [«Bibliothèque de la Société française d’archéologie» 6], 1975,
p. 70 [sur des tuiles vernissées du XIIIe siècle de la cathédrale de Noyon].

     REVUE MONUMENTAL (“Revue Scientifique et technique des monuments historiques”), Couverture polychromes [n°15 de la revue, 95 p.; illustrations], Roussillon, Okhra (Conservatoire des ocres et pigments appliqués) 1996.
     Voir le site de l’éditeur (http://www.okhra.com/@fr/shop/28/31/2858222088/product.asp
). Thèmes abordés par le numéro: “La polychromies des toitures médiévales, l’ardoise dans les toitures parisiennes, tuiles creuses en Lorraines, Tuiles vernissés en Languedoc et Provence, Tuile mécanique, technologie du XXème siècle, couvertures en schiste du Cotentin, toits en pierres plates, couleur et épis de faîtage en terre cuite, exemples de restauration et réfection de toiture d’églises et de château, ...”
     Et spécialement:
     Jean-Louis TAUPIN, «Échos des toitures du XIIIe siècle, cathédrale Saint-Étienne de Meaux», Monumental 15 (1996), pp. 47-53.


     Frédéric ÉPAUD (docteur de l’Université de Rouen, archéologue, spécialiste de l’architecture de bois), L’Évolution des techniques et des structures de charpenterie du Xe au XIIIe siècle en Normandie. Une approche des charpentes par l’archéologie du bâti [thèse de doctorat soutenue à Rouen le 14 décembre 2002], Rouen, Université de Rouen, 14 décembre 2002.
     Dont un compte-rendu de soutenance de thèse par Michel DENIS, «Frédéric Épaud, L’Évolution des techniques et des structures de charpenterie du Xe au XIIIe siècle en Normandie. Une approche des charpentes par l’archéologie du bâti, thèse de doctorat d’histoire, Université de Rouen, 14 décembre 2002», in CAIRN (Portail de revues de sciences humaines et sociales en texte intégral), http://www.cairn.info/revue-histoire-et-societes-rurales-2003-1-page-360.htm, en ligne en 2008.
  Dont cet extrait: «Les traces relevées sur les bois amènent aussi à l’étude de la couverture: les tuiles glaçurées découvertes à Lisieux posent le problème essentiel de la datation de ce mode de couverture dont il n’existait jusqu’à présent aucun témoignage archéologique antérieur au XIIIe siècle. Frédéric Épaud précise qu’elles sont prises dans la maçonnerie du bâtiment roman qui ne présente aucune trace de reprise, il faut donc reconnaître qu’une couverture de tuiles a pu exister dès la fin du XIIe siècle.»
     Frédéric ÉPAUD, De la charpente romane à la charpente gothique en Normandie. Évolution des techniques et des structures de charpenterie aux XIIe-XIIIe siècles [29 cm; 613 p.; illustrations; bibliographie pp. 585-604; glossaire],Caen, (Centre de Recherches Archéologiques et Historiques Médiévales), 2007 [ISBN 978-2-902685-39-4; 47,70 €].
     Dont cet extrait:
     Frédéric ÉPAUD, Les charpentes de la cathédrale Notre-Dame de Bayeux [28 cm; 76 p.; illustrations; extrait de: De la charpente romane à la charpente gothique en Normandie, du même auteur], Caen, CRAHM (Centre de Recherches Archéologiques et Historiques Médiévales), 2007 [ISBN 978-2-902685-42-4; 10 €].


     Mickaël WYSS, «Les tuiles glaçurées bichromes de Saint-Denis», in Bericht der Stiftung Ziegelei-Museum 23 (2006), pp. 19-25.

     Sylvain AUMARD (Archéologue au Centre d’études médiévales d’Auxerre, chercheur associé UMR 5594 ARTeHIS) «Nouvelles perspectives d’études sur les tuiles médiévales: recherches sur les toitures de monuments en Bourgogne du Nord» [fichier au format pdf de 14 p.; 7 illustrations], in Medieval Europe Paris 2007. 4e Congrès International d’Archéologie Médiévale et Moderne. L’Europe en Mouvement. On the Road Again. Du 3 au 8 septembre 2007 à l’Institut National d’Histoire de l’Art - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne [site web officiel de ce congrès], http://medieval-europe-paris-2007.univ-paris1.fr/S.Aumard.pdf, en ligne en 2008.

     Catherine BARADEL-VALLET, Les toitures polychromes en Bourgogne du XIVe au XXe siècle. Thèse de doctorat de l’université de Bourgogne, sous la direction de Jean Rosen, soutenue le 20 décembre 2007 [signalé par l’article qui suit], inédit en 2008.
     Catherine BARADEL-VALLET, «Les toitures polychromes en Bourgogne du XIVe au XXe siècl », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre 12 (2008), http://cem.revues.org/document7992.html, en ligne en 2008.



Sur Stéphane Berhault

     Stéphane BERHAULT, Stéphane Berhault, architecte du patrimoine [site officiel], http://www.berhault-architecte.com/siteberau.swf, en ligne en 2008.


Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
     Source: Courrier de Stéphane Berhault en date de 2004 avec photocopie de l’article original.
   
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