CORPUS ARTISTIQUE ÉTAMPOIS
 
Louis-Eugène Lefèvre
L’Église et la Tour du Petit-Saint-Mard
1909
   
L'Eglise du Petit-Saint-Mard (gravure de René Ravault d'après un dessin de Lenoir)
La Tour du Petit-Saint-Mard (gravure de René Ravault, 1909)
   
     Merci à François Jousset d’avoir saisi ce texte passionnant de Louis-Eugène Lefèvre, à l’occasion de la visite du Petit-Saint-Mars organisée le 20 juin 2004 par le Corpus Étampois et dirigée par Frédéric Gatineau. On peut cliquer sur les images pour en obtenir des vues agrandies.
   
UNE IMPORTANTE CONSTRUCTION
ANTÉRIEURE AU XIIe SIÈCLE, À ÉTAMPES.
L’ÉGLISE ET LA TOUR MILITAIRE DU PETIT SAINT-MARD.


Plan du Petit-Saint-Mars        Le Petit-Saint-Mard, hameau dépendant d’Étampes et pas plus éloigné de lui qu’un faubourg, doit son appellation à une très ancienne église dédiée à Saint-Médard; cette église, entièrement démolie vers 1848 (1), était située à l’angle du chemin dit du Hameau (vicinal n°5) et de la sente du Pont-Martine (rural n° 133).

       Par un dessin de Lenoir conservé au Musée, nous connaissons la façade simple de l’église: un grand pignon plat percé d’une petite fenêtre, et qui domine un portail. Celui-ci, à arc plein cintre et orné de colonnettes, est similaire au portail de l’église St-Gilles (Fig. 1).

     Nous connaissons encore quelques petits chapiteaux provenant de l’église et qui pourraient bien avoir appartenu au portail: ils sont certainement plus anciens que le XIIe siècle (2). Enfin, grâce à un cadastre de 1825 conservé à la Mairie et qui m’a déjà indiqué l’emplacement de l’église, nous possédons de celle-ci un plan minuscule (Fig.2).

     L’église, orientée à l’Est mais avec inclinaison vers le Nord (3), et consolidée par des contreforts d’angles, apparaît composée d’une nef et d’un chœur plus étroit terminé par un chevet arrondi. Les dimensions prises extérieurement devaient être environ celles-ci:
— Longueur de l’église: 25 mètres.
— Nef: 16 mètres de long sur 10 de large.
— Chœur: 9 mètres de long sur 8 de large.
     Les bas-côtés, s’il y en avait, ne sont indiqués sur le plan d’aucune façon. C’était apparemment une église charpentée.

     Par les textes nous savons que l’église existait au commencement du XIe siècle, le roi Robert le Pieux lui ayant alors accordé son indépendance. Le diplôme de Philippe 1er (4), qui nous apprend le fait, est un acte de donation de l’église à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire. Pourtant, en 1106, le roi Philippe donnait à nouveau l’église Saint-Médard, mais cette fois à l’abbaye de Morigny (5). Et en 1219, nous voyons que par contrat avec le curé de Saint-Martin, l’église est desservie par un chapelain au commandement des religieuses de l’abbaye de Saint-Cyr. Avant le XVIIe siècle, toutes ces transactions avaient été réduites à rien (6).

Lenoir: L'Eglise du Petit-Saint-Mard (gravure de René Ravault d'après un dessin de Lenoir)


     (1) Renseignement du Dr BOURGEOIS (Le Port d’Étampes). M. Max. LEGRAND dit en 1826 (Étampes pittoresque, arrondissement, p. 473), Un vieillard nous a confirmé la date de 1848.

     (2) Ils ont été ofIerts au Musée d’Étampes par M. Max. LEGRAND.

     (3) A Étampes, les églises de Saint-Martin, de Saint-Gilles et de Morigny obliquaient également ainsi vers le Nord. Au contraire, les autres inclinaient leurs chevets vers le Midi: telles furent Notre-Dame, Saint-Basile, Saint-Pierre, et surtout Sainte-Croix, A notre avis, la tradition chrétienne et la question des solstices d’hiver ou d’été ne sont pas toujours en jeu dans les différences d’orientation que nous venons de constater, Un écart excessif est souvent attribuable uniquement à des convenances d’emplacement: c’est très probablement le cas des églises Saint-Basile et Sainte-Croix.

     (4) Délivré en 1071. Cf. M. PROU et Alex. VIDIER, Recueil des chartes de l’abbaye de Saint-Benoit-sur-Loire (Extrait des Mélanges de Julien Havet), Documents publiés pur la Société archéologique du Gâtinais, 1900-1907, p, 212.

     (5) Il y eut naturellement une très vive opposition de la part des religieux de Fleury-Saint-Benoît. Philippe 1er donnait en même temps l’église Saint-Martin et l’église Saint-Aubin qui doit se confondre avec l’église Saint-Gilles.

     (6) Dom B. FLEUREAU, Les Antiquitez d’Estampes, 1683, p, 466 et suiv.

Lenoir: La Tour du Petit-Saint-Mard (gravure de René Ravault, 1909)        Je me suis trouvé entraîné à parler de l’église du Petit-Saint-Mard, dont la description n’avait d’ailleurs jamais été faite, parce qu’on a tendance à prendre pour une de ses parties en ruine, une très vieille et forte construction encore debout qui, au contraire, est sans aucun rapport avec elle et dont la destination fut bien différente. Le carrefour des deux chemins dont nous avons parlé séparait les deux édifices éloignés ainsi l’un de l’autre par un espace de quatorze mètres.

     Cette construction se dresse donc encore dans une basse plaine, à courte distance d’une colline anguleuse formée par la rencontre de deux vallées à une extrémité du plateau de la Beauce. Elle a passé jusqu’ici inaperçue; nous n’avons pas connaissance d’aucune étude faite à son sujet; elle est restée inexistante pour les archéologues. Elle tient pourtant une grande place à quelques mètres d’une route très fréquentée. Mais j’ajoute qu’elle est presque abandonnée; si cependant des voisins en usent depuis un temps impossible à préciser mais lointain, s’ils en ont divisé l’intérieur par un mur (7) et y ont même construit des réduits, elle paraît n’appartenir à personne. Jadis, ce fut vraisemblablement un bâtiment royal, qui, quand vint la Révolution, était hors d’usage et ne comptait plus pour rien: s’il fut alors mis en vente, il sera resté sans acquéreur (8).

     C’est une tour carrée sans contreforts, ayant 12 mètres de côté et presque autant de hauteur actuellement, dont il ne reste absolument plus rien que les quatre murs. Une de ses faces est libre (fig. 3), mais les trois autres sont plus ou moins dissimulées derrière des maisons parasitaires. Les murs, solidement construits, ont 2 mètres 20 cm. d’épaisseur au rez-de-chaussée; les angles et les ouvertures sont appareillés soigneusement avec de fortes pierres d’inégale épaisseur, et des joints en général assez serrés (9). Elle ne se dresse pas sur une motte.


     (7) Il ne s’agit pas d’un mur de refend ancien, comme certains donjons en ont possédé pour renforcer Je système de défense, et notamment le donjon de Nogent-le-Rotrou (C. ENLART, Manuel d’archéol. franç., t. II. p. 502).

     (8) Cela ne serait pas surprenant, car, comme on le verra tout à l’heure, il n’existait pas de porte au rez-de-chaussée pour pénétrer à l’intérieur. – La construction était déjà abandonnée au XVIIe siècle (FLEUREAU, ouv. cité, p. 468).

     (9) Deux fours garnis de tuilots sont cachés dans l’épaisseur des murs orientaux et occidentaux. Le premier possède son ouverture à l’extérieur, et, à moins d’avoir été refait, il est évidemment plus ou moins moderne. Quant à l’autre, nous ne croyons guère plus à son ancienneté.
A. Mauduit: plan du rez-de-chaussée de la Tour du Petit-Saint-Mard      La tour possédait au moins un premier étage très élevé, marqué comme ceux de la tour du Château de Guinette, par un retrait de la maçonnerie (60 centimètres), destiné à supporter ici les poutres du plancher. La construction n’a jamais été coupée par aucune voûte (10). Il n’y a plus trace de l’escalier, qui devait être en bois. Le rez-de-chaussée ne possédait pas primitivement d’ouverture, ou tout au moins nous ne sommes pas parvenu à en découvrir aucune qui soit ancienne. On y pénètre actuellement par des trous ou des portes qui furent percés depuis relativement peu de temps par les habitants des maisons mitoyennes: il n’y a pas à en tenir compte ici.

     La façade nord, la seule complètement visible, n’avait en réalité pour ouverture qu’une petite fenêtre rectangulaire placée à environ 9 mètres au-dessus du sol pour éclairer le premier étage très élevé. A l’intérieur, la fenêtre s’évase à la façon d’une meurtrière, et reprend sa proportion habituelle. Une autre ouverture semblable existe dans chacun des autres murs.

     Sur la face orientale, à l’angle nord, une fenêtre à arc de décharge plein cintre, et avec linteau monolithe, donnait une lumière plus abondante à l’étage. Mais je suppose qu’on pénétrait dans l’édifice par une ouverture plus importante, percée dans l’angle sud du mur occidental, du côté opposé à la route de Saclas, et dont la principale destination était sans doute de servir de porte, selon le mode rigoureusement suivi pour tous les donjons.

     Il est impossible de savoir si la construction avait primitivement un étage de plus. Selon la plus grande probabilité, comme à la partie supérieure de la tour de Guinette, selon le plan de Viollet-le-Duc, il existait une galerie en charpente faisant le tour de la pièce du premier étage, et formant ainsi une sorte de second étage non habitable; placée immédiatement sous la toiture, entourée d’ouvertures assez nombreuses en manière de créneaux, la galerie devait servir de poste d’observation aux gardes de ce petit fort avancé et isolé. Car, en effet, nous ne croyons pas qu’il s’agisse ici d’une grange ou métairie monacale (11), dépendance d’un monastère éloigné. A notre avis, l’édifice avait à son origine une fonction militaire: il servait à défendre l’approche de la ville des Vieilles-Étampes et surveillait l’ancienne route romaine de Paris à Orléans par Étampes et Saclas (Salioclita), qui débouche dans la vallée à cent mètres de là et passe à ses pieds (12).
A. Mauduit: plan du premier étage de la Tour du Petit-Saint-Mard













     (10) Pourtant une petite cave voûtée en plein cintre, existe dans l’angle sud est, mais nous la jugeons du même temps que son abri, qui est moderne.

A. Mauduit: plan du premier étage de la Tour du Petit-Saint-Mard      (11) Fleureau a émis l’hypothèse inexacte d’une granchia monalium: la tour aurait été la maison d’habitation des religieuses de l’Abbaye de Saint-Cyr au XIIIe siècle (ouv. cité, p. 468). A mon avis, la demeure des religieuses en question fut à côté. soit tout près de l’église, soit là où se trouve actuellement la propriété connue sous le nom de château du Petit-saint-Mard.

     (12) Peu loin d’Étampes, dans la même direction que Saclas, près d’Engenville et Sermaise (Loiret), il existe une autre grosse tour carrée qui diffère pourtant de celle d’Étampes par deux petites tours rondes dont elle est flanquée diagonalement à deux de ses angles. Cette disposition est très rare, si toutefois elle n’est pas unique: il y a généralement une tourelle à chaque angle.

     D’ailleurs le monument et ses dispositions correspondent bien à ce que nous savons des constructions de ce genre au commencement du Moyen-âge: elles sont encore assez répandues surtout en Normandie et en Angleterre; près de nous existe le donjon de Beaugency (Loiret). Comme au château-fort d’Étampes ou tour de Guinette, la partie inférieure, c’est-à-dire le rez-de-chaussée, assimilable à une cave, servait de magasin, et l’on y entassait les provisions ou les munitions. Les habitants vivaient au premier étage (fig.5), nommé dans nos contrées le «solier» (solarium) (13): cet arrangement était aussi communément en usage pour les habitations des petits seigneurs dans les campagnes, Enfin il est évident pour moi que le même principe fut appliqué au palais royal d’Étampes: appartements et pièces de réception étaient au même niveau, au premier étage, le rez-de-chaussée restant abandonné aux serviteurs.

     Quoi qu’il en soit, je constate que la tour ne saurait être postérieure aux premières années du XIIe siècle, et au contraire, rien ne prouve jusqu’à présent qu’elle n’est pas du XIe siècle, sinon d’une époque plus reculée, car elle n’a ni contreforts, ni tours d’angles, ni motte, ni chemise, En tout cas, sans penser la mettre au rang de l’antique tour de Brunehaut (14), elle est assez ancienne et assez importante pour qu’on n’ait pas le droit de l’oublier en écrivant l’histoire du plus vieil Étampes.

     (13) C’est le nom qui lui est donné par Raoul Tortaire, moine-écrivain de Fleury-Saint-Benoît au XIe siècle. (Livre des Miracles de Saint-Benoît; cf. Abbé Rocher, Hist. de l’abbaye roy. de Saint-Benoît-sur-Loire, Orléans, 1865, p.223).

     (14)  Cette tour doit être aujourd’hui englobée dans le petit château qui porte joli nom. Fleureau l’a vue à la fin du XVIIe siècle, et rapporte qu’on a fait, dedans ou à coté, une trouvaille de monnaies romaines (Ouv. cité, p. l6). Elle est citée et déjà représentée vieille au XIe siècle, dans une charte royale de 1046 (vetus ædificium Brunichildis) (Fleureau, ouv. cité, p. 293); on la mentionne encore au XIIe siècle, dans la chronique de Morigny (turrim Brunichildis) (lib. II). Le château de Brunehaut et son parc sont situés à l’extrémité opposée de la ville, par rapport à la Tour du Petit-Saint-Mard, entre la Juine et la route de Paris, La reine Brunehaut aurait fondé tout à coté un monastère. Le fait, indiqué dans la Gallia christiania (XII, p. 176 et suiv.), se trouve confirmé dans la Chronique de Morigny, au début du XIIe siècle, quand alors le monastère n’était déjà plus qu’un souvenir, mais dont il subsistait cependant une église dédiée à saint Julien (Ecclesiam sancti Juliani, ubi antea fuerat abbatia sanctimonialium). (La Chronique de Morigny, publiée par Léon Mirot, Paris, 1909, p. 3).
 
BIBLIOGRAPHIE

     Louis-Eugène LEFÈVRE, «Une importante construction antérieure au XIIe siècle, à Etampes. L’église et la tour militaire du Petit-Saint-Mard», in Conférence des sociétés savantes, littéraires et artistiques du département de Seine-et-Oise. Compte-rendu et communications de la quatrième réunion tenue à Étampes les 13 et 14 juin 1908 sous la présidence de M. Maurice Croiset, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et de M. Alfred Paisant, vice-président de la Commission départementale des Antiquités et des arts de Seine6et-Oise [24 cm; 264 p.], Étampes, Flizot, 1909, pp. 241-247.
     Dont une réédition numérique en mode image mise en ligne par la BNF sur son site Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k664342, en ligne en 2007.
     Dont une édition en tiré à part, Louis-Eugène LEFÈVRE «L’église et la tour militaire du Petit-Saint-Mard (XIe siècle)», in ID., Quatre Études archéologiques Étampoises: Mémoire sur plusieurs importantes questions auxquelles on a rattaché l’église Saint-Martin d’Etampes (XIIe siècle). L’église et la tour militaire du Petit-Saint-Mard (XIe siècle). Le Château-fort royal et la miniature des Très riches heures du duc de Berry (1410-1415). Les caves du moyen âge à Etampes [in-8°; 31 p.; planches & figures; extrait du Bulletin de la Conférence des Sociétés savantes, littéraires et artistiques de Seine-et-Oise, 4e réunion à Étampes en 1908], Paris, A. Picard et fils, 1909.
     Dont une réédition numérique en mode texte: François JOUSSET, «Louis-Eugène Lefèvre: L’Église et la Tour du Petit-Saint-Mard (1909)
», in Corpus Étampoishttp://www.corpusetampois.com/cae-11-lefevre1909petitsaintmars.html, 2004.


Source: Saisie par François Jousset de son exemplaire du tiré à part de 1909.
   
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