UNE IMPORTANTE
CONSTRUCTION
ANTÉRIEURE AU XIIe SIÈCLE, À ÉTAMPES.
L’ÉGLISE ET LA TOUR MILITAIRE DU PETIT SAINT-MARD.
Le Petit-Saint-Mard, hameau dépendant d’Étampes et pas
plus éloigné de lui qu’un faubourg, doit son appellation
à une très ancienne église dédiée
à Saint-Médard; cette église, entièrement démolie
vers 1848 (1), était située à
l’angle du chemin dit du Hameau (vicinal n°5) et de la sente du Pont-Martine
(rural n° 133).
Par un dessin de Lenoir
conservé au Musée, nous connaissons la façade
simple de l’église: un grand pignon plat percé d’une
petite fenêtre, et qui domine un portail. Celui-ci, à arc
plein cintre et orné de colonnettes, est similaire au portail
de l’église St-Gilles (Fig. 1).
Nous connaissons encore quelques
petits chapiteaux provenant de l’église et qui pourraient bien
avoir appartenu au portail: ils sont certainement plus anciens que le
XIIe
siècle (2). Enfin, grâce
à un cadastre de 1825 conservé à la Mairie et qui
m’a déjà indiqué l’emplacement de l’église,
nous possédons de celle-ci un plan minuscule (Fig.2).
L’église, orientée
à l’Est mais avec inclinaison vers le Nord (3), et consolidée par des contreforts
d’angles, apparaît composée d’une nef et d’un chœur plus
étroit terminé par un chevet arrondi. Les dimensions prises
extérieurement devaient être environ celles-ci:
— Longueur de l’église: 25
mètres.
— Nef: 16 mètres de long sur 10 de large.
— Chœur: 9 mètres de long sur 8 de large.
Les bas-côtés,
s’il y en avait, ne sont indiqués sur le plan d’aucune façon.
C’était apparemment une église charpentée.
Par les textes nous savons que l’église
existait au commencement du XIe
siècle, le roi Robert le Pieux lui ayant alors accordé
son indépendance. Le diplôme de Philippe 1er (4), qui nous apprend le fait, est un acte de donation
de l’église à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire.
Pourtant, en 1106, le roi Philippe donnait à nouveau l’église
Saint-Médard, mais cette fois à l’abbaye de Morigny (5). Et en 1219, nous voyons que par contrat avec
le curé de Saint-Martin, l’église est desservie par un chapelain
au commandement des religieuses de l’abbaye de Saint-Cyr. Avant le XVIIe
siècle, toutes ces transactions avaient été réduites
à rien (6).
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(1) Renseignement du Dr BOURGEOIS (Le Port d’Étampes).
M. Max. LEGRAND dit en 1826 (Étampes pittoresque, arrondissement,
p. 473), Un vieillard nous a confirmé la date de 1848.
(2)
Ils ont été ofIerts au Musée d’Étampes
par M. Max. LEGRAND.
(3)
A Étampes, les églises de Saint-Martin, de Saint-Gilles
et de Morigny obliquaient également ainsi vers le Nord. Au
contraire, les autres inclinaient leurs chevets vers le Midi: telles
furent Notre-Dame, Saint-Basile, Saint-Pierre, et surtout Sainte-Croix,
A notre avis, la tradition chrétienne et la question des solstices
d’hiver ou d’été ne sont pas toujours en jeu dans les
différences d’orientation que nous venons de constater, Un écart
excessif est souvent attribuable uniquement à des convenances
d’emplacement: c’est très probablement le cas des églises
Saint-Basile et Sainte-Croix.
(4)
Délivré en 1071. Cf. M. PROU et Alex. VIDIER, Recueil
des chartes de l’abbaye de Saint-Benoit-sur-Loire (Extrait des
Mélanges de Julien Havet), Documents publiés
pur la Société archéologique du Gâtinais,
1900-1907, p, 212.
(5)
Il y eut naturellement une très vive opposition de la part des
religieux de Fleury-Saint-Benoît. Philippe 1er
donnait en même temps l’église Saint-Martin et l’église
Saint-Aubin qui doit se confondre avec l’église Saint-Gilles.
(6)
Dom B. FLEUREAU, Les Antiquitez d’Estampes, 1683, p, 466
et suiv.
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Je me
suis trouvé entraîné à parler de l’église
du Petit-Saint-Mard, dont la description n’avait d’ailleurs jamais
été faite, parce qu’on a tendance à prendre pour
une de ses parties en ruine, une très vieille et forte construction
encore debout qui, au contraire, est sans aucun rapport avec elle et
dont la destination fut bien différente. Le carrefour des deux
chemins dont nous avons parlé séparait les deux édifices
éloignés ainsi l’un de l’autre par un espace de quatorze
mètres.
Cette construction se dresse donc
encore dans une basse plaine, à courte distance d’une colline
anguleuse formée par la rencontre de deux vallées à
une extrémité du plateau de la Beauce. Elle a passé
jusqu’ici inaperçue; nous n’avons pas connaissance d’aucune
étude faite à son sujet; elle est restée inexistante
pour les archéologues. Elle tient pourtant une grande place à
quelques mètres d’une route très fréquentée.
Mais j’ajoute qu’elle est presque abandonnée; si cependant des
voisins en usent depuis un temps impossible à préciser mais
lointain, s’ils en ont divisé l’intérieur par un mur
(7) et y ont même construit des réduits,
elle paraît n’appartenir à personne. Jadis, ce fut vraisemblablement
un bâtiment royal, qui, quand vint la Révolution, était
hors d’usage et ne comptait plus pour rien: s’il fut alors mis en vente,
il sera resté sans acquéreur (8).
C’est une tour carrée sans
contreforts, ayant 12 mètres de côté et presque
autant de hauteur actuellement, dont il ne reste absolument plus rien
que les quatre murs. Une de ses faces est libre (fig. 3), mais les trois
autres sont plus ou moins dissimulées derrière des maisons
parasitaires. Les murs, solidement construits, ont 2 mètres 20 cm.
d’épaisseur au rez-de-chaussée; les angles et les ouvertures
sont appareillés soigneusement avec de fortes pierres d’inégale
épaisseur, et des joints en général assez serrés
(9). Elle ne se dresse pas sur une motte.
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(7)
Il ne s’agit pas d’un mur de refend ancien, comme certains donjons en
ont possédé pour renforcer Je système de défense,
et notamment le donjon de Nogent-le-Rotrou (C. ENLART, Manuel d’archéol.
franç., t. II. p. 502).
(8) Cela ne serait
pas surprenant, car, comme on le verra tout à l’heure, il n’existait
pas de porte au rez-de-chaussée pour pénétrer
à l’intérieur. – La construction était déjà
abandonnée au XVIIe siècle (FLEUREAU,
ouv. cité, p. 468).
(9) Deux
fours garnis de tuilots sont cachés dans l’épaisseur
des murs orientaux et occidentaux. Le premier possède son ouverture
à l’extérieur, et, à moins d’avoir été
refait, il est évidemment plus ou moins moderne. Quant à
l’autre, nous ne croyons guère plus à son ancienneté.
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La tour possédait
au moins un premier étage très élevé, marqué
comme ceux de la tour du Château de Guinette, par un retrait de
la maçonnerie (60 centimètres), destiné à
supporter ici les poutres du plancher. La construction n’a jamais été
coupée par aucune voûte (10).
Il n’y a plus trace de l’escalier, qui devait être en bois. Le
rez-de-chaussée ne possédait pas primitivement d’ouverture,
ou tout au moins nous ne sommes pas parvenu à en découvrir
aucune qui soit ancienne. On y pénètre actuellement par
des trous ou des portes qui furent percés depuis relativement peu
de temps par les habitants des maisons mitoyennes: il n’y a pas à
en tenir compte ici.
La façade nord, la seule complètement
visible, n’avait en réalité pour ouverture qu’une petite
fenêtre rectangulaire placée à environ 9 mètres
au-dessus du sol pour éclairer le premier étage très
élevé. A l’intérieur, la fenêtre s’évase
à la façon d’une meurtrière, et reprend sa proportion
habituelle. Une autre ouverture semblable existe dans chacun des autres
murs.
Sur la face orientale, à l’angle
nord, une fenêtre à arc de décharge plein cintre,
et avec linteau monolithe, donnait une lumière plus abondante
à l’étage. Mais je suppose qu’on pénétrait
dans l’édifice par une ouverture plus importante, percée
dans l’angle sud du mur occidental, du côté opposé
à la route de Saclas, et dont la principale destination était
sans doute de servir de porte, selon le mode rigoureusement suivi pour
tous les donjons.
Il est impossible de savoir si la construction avait primitivement un
étage de plus. Selon la plus grande probabilité, comme
à la partie supérieure de la tour de Guinette, selon le
plan de Viollet-le-Duc, il existait une galerie en charpente faisant
le tour de la pièce du premier étage, et formant ainsi une
sorte de second étage non habitable; placée immédiatement
sous la toiture, entourée d’ouvertures assez nombreuses en manière
de créneaux, la galerie devait servir de poste d’observation
aux gardes de ce petit fort avancé et isolé. Car, en effet,
nous ne croyons pas qu’il s’agisse ici d’une grange ou métairie
monacale (11), dépendance d’un
monastère éloigné. A notre avis, l’édifice
avait à son origine une fonction militaire: il servait à
défendre l’approche de la ville des Vieilles-Étampes et
surveillait l’ancienne route romaine de Paris à Orléans par
Étampes et Saclas (Salioclita), qui débouche dans
la vallée à cent mètres de là et passe à
ses pieds (12).
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(10) Pourtant une petite
cave voûtée en plein cintre, existe dans l’angle sud est,
mais nous la jugeons du même temps que son abri, qui est moderne.
(11)
Fleureau a émis l’hypothèse inexacte d’une granchia
monalium: la tour aurait été la maison d’habitation
des religieuses de l’Abbaye de Saint-Cyr au XIIIe siècle (ouv.
cité, p. 468). A mon avis, la demeure des religieuses en
question fut à côté. soit tout près de l’église,
soit là où se trouve actuellement la propriété
connue sous le nom de château du Petit-saint-Mard.
(12) Peu loin d’Étampes,
dans la même direction que Saclas, près d’Engenville et
Sermaise (Loiret), il existe une autre grosse tour carrée qui diffère
pourtant de celle d’Étampes par deux petites tours rondes dont
elle est flanquée diagonalement à deux de ses angles. Cette
disposition est très rare, si toutefois elle n’est pas unique:
il y a généralement une tourelle à chaque angle.
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D’ailleurs le monument et ses dispositions correspondent bien à
ce que nous savons des constructions de ce genre au commencement du Moyen-âge:
elles sont encore assez répandues surtout en Normandie et en
Angleterre; près de nous existe le donjon de Beaugency (Loiret).
Comme au château-fort d’Étampes ou tour de Guinette, la
partie inférieure, c’est-à-dire le rez-de-chaussée,
assimilable à une cave, servait de magasin, et l’on y entassait
les provisions ou les munitions. Les habitants vivaient au premier étage
(fig.5), nommé dans nos contrées le «solier»
(solarium) (13): cet arrangement
était aussi communément en usage pour les habitations des
petits seigneurs dans les campagnes, Enfin il est évident pour
moi que le même principe fut appliqué au palais royal d’Étampes:
appartements et pièces de réception étaient au
même niveau, au premier étage, le rez-de-chaussée
restant abandonné aux serviteurs.
Quoi qu’il en soit, je constate que la tour
ne saurait être postérieure aux premières années
du XIIe
siècle, et au contraire, rien ne prouve jusqu’à présent
qu’elle n’est pas du XIe
siècle, sinon d’une époque plus reculée, car
elle n’a ni contreforts, ni tours d’angles, ni motte, ni chemise, En
tout cas, sans penser la mettre au rang de l’antique tour de Brunehaut
(14), elle est assez ancienne et assez importante
pour qu’on n’ait pas le droit de l’oublier en écrivant l’histoire
du plus vieil Étampes.
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(13)
C’est le nom qui lui est donné par Raoul Tortaire, moine-écrivain
de Fleury-Saint-Benoît au XIe siècle. (Livre des Miracles
de Saint-Benoît; cf. Abbé Rocher, Hist. de l’abbaye
roy. de Saint-Benoît-sur-Loire, Orléans, 1865, p.223).
(14) Cette tour
doit être aujourd’hui englobée dans le petit château
qui porte joli nom. Fleureau l’a vue à la fin du XVIIe
siècle, et rapporte qu’on a fait, dedans ou à coté,
une trouvaille de monnaies romaines (Ouv. cité, p. l6).
Elle est citée et déjà représentée
vieille au XIe siècle, dans une charte royale
de 1046 (vetus ædificium Brunichildis) (Fleureau, ouv.
cité, p. 293); on la mentionne encore au XIIe
siècle, dans la chronique de Morigny (turrim Brunichildis)
(lib. II). Le château de Brunehaut et son parc sont situés
à l’extrémité opposée de la ville, par
rapport à la Tour du Petit-Saint-Mard, entre la Juine et la
route de Paris, La reine Brunehaut aurait fondé tout à
coté un monastère. Le fait, indiqué dans la
Gallia christiania (XII, p. 176 et suiv.), se trouve confirmé
dans la Chronique de Morigny, au début du XIIe
siècle, quand alors le monastère n’était déjà
plus qu’un souvenir, mais dont il subsistait cependant une église
dédiée à saint Julien (Ecclesiam sancti Juliani,
ubi antea fuerat abbatia sanctimonialium). (La Chronique de Morigny,
publiée par Léon Mirot, Paris, 1909, p. 3).
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