BULLETIN DE LA
COMMISSION
DES ANTIQUITÉS ET DES ARTS
DE SEINE-ET-OISE
XLVIII (1939),
pp. 82-85.
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L’écriture préhistorique.
Graffites et pétroglyphes
«Les signes perdus»
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L’ÉCRITURE
PRÉHISTORIQUE.
GRAFFITES ET PÉTROGLYPHES
«LES SIGNES PERDUS»
Il est
aujourd’hui reconnu que l’homme primitif a marqué son passage dans
notre contrée autrement que par des instruments en pierres taillées
ou polies, menhirs ou dolmens, mais aussi par des signes mystérieux
gravés par milliers sur les rochers, sur les parois des grottes ou
des surplombs qui Se rencontrent dans toute la région parisienne,
plus particulièrement dans les chaos pittoresques et sauvages des vallées
de la «Juine», de l’«Essonnes» et de l’«Ecole».
Dès 1868
Quicherat et Henri Martin signalaient à Ballancourt, près Corbeil,
sur la rive droite de l’Essonnes, un rocher formant une petite grotte dans
le fond de laquelle ils reconnaissaient «des espèces de caractères,
qui ne sont certainement pas des lettres, pas des caractères oghamiques,
qui ne sont pas non plus identiques aux variétés d’hiéroglyphes
des dolmens bretons et Irlandais, mais qui ne sont pas davantage, sans doute,
tracés au hasard, ni dépourvus d’un sens symbolique».
Ces signes se
rencontrent non seulement en France, mais aussi en Espagne, en Italie, et
même dans le Nord de l’Europe. Ils offrent tous la même ressemblance,
la même conformité et le même caractère. Au Congrès
de Montauban, en 1902, le géologue Georges Courty parvenait à
faire accepter l’antiquité des signes dénommés pétroglyphes
ou graffitis.
En 1910 les
travaux d’Auguste Mallet permettaient l’espoir de connaître un jour
la signification de ces figurations préhistoriques. Mallet prétendait
que les signes rupestres alphabétiformes de la région des grès
de Fontainebleau étaient essentiellement cabalistiques. Tous les objets
portant des signes de cette nature, disait-il, ont été des
fétiches et les rochers sur lesquels ils ont été gravés
ont acquis eux-mêmes une valeur fétichiste. Il ajoutait que
durant la très longue période où ces signes furent
en usage dans la région, il y eut des «interprétateurs
de pétroglyphes» des croyances et des pratiques fétichistes.
Il est vrai
que les pétroglyphes sont le plus souvent tracés sur les parois
des trous de roches, des grottes, ou cavités peu accessibles laissant
supposer qu’ils devaient avoir une valeur cabalistique par analogie avec
les figurations magdaléniennes des grottes de la Dordogne.
Quelques pétroglyphes du massif
de Fontainebleau dessinés et classés par Georges Nelh
(Initiation à l’Art rupestre du Massif
de Fintainebleau, 1988, p. 29)
Malgré
plus de trente années de patientes et prudentes recherches, le monde
savant n’a pas apporté de solution au problème.
Faut-il voir
dans nos pétroglyphes régionaux des pratiques fétichistes
comme le voulait Mallet? ou des tablettes figuratives très schématiques,
représentant, dans l’évolution normale du langage écrit,
un stade qui marque et forme soudure entre la représentation linéaire
et les écritures oghamiques ou péri-méditerranéennes
comme le veut actuellement Georges Courty?
Sont-ils des
formes d’écriture conventionnelle ou des représentations schématiques?
A notre avis on ne peut répondre à cette importante question
par une explication unique: En effet, certains groupements de signes, très
rares il est vrai, comme ceux levés par Aug. Mallet à Boutigny
et à Malesherbes, peuvent être des signes alphabétiques
dérivant des signes conventionnels de l’époque de la Magdeleine.
D’autres sont à classer dans les représentations schématiques
d’un objet ou d’un fait comme les figurations de Gironville, de Maisse, d’Oncy,
Milly, Moigny, des vallées de l’Essonne et de l’Ecole, c’est-à-dire
au sud-Est de la région parisienne. D’autres enfin sont groupés
au hasard dans un but qui nous échappe, peut être décoratif
(ou magique) comme les signes gravés sur les roches de Boissy-la-Rivière,
Lardy, Villeneuve-sur-Auvers, Morigny, etc. (sud-ouest de la région
parisienne).
En général
tous les signes dérivent de la ligne droite. Les uns sont isolés,
les autres sont groupés et forment des damiers, des tentes? des arbres?
Ils existent dans tous les sens. Les tracés se croisent, se mêlent,
se superposent sans toutefois rendre indéchiffrables les lignes ou
les détails des figures.
Certains groupements
de signes semblent bien antérieurs à d’autres. En aucun cas
les pétroglyphes de la région parisienne ne sauraient être
comparés aux tablettes glozéliennes. Leur authenticité
est d’ailleurs indiscutable et reconnue depuis longtemps.
Georges Courty
écrivait «l’enchevêtrement apparemment inextricable des
signes n’est pas l’effet d’un pur hasard» et aussi «la conjugaison
des lignes répond à l’expression de plusieurs idées».
Peut-être! Mais le graveur avait-il bien l’idée exacte de ce
qu’il figurerait sur la paroi rocheuse?
Capitan a bien établi que les belles traditions d’art de l’époque
magdalénienne se sont peu à peu effacées et ont été
remplacées par de simples copies de figures incomprises et qu’ainsi
les représentations artistiques devinrent de simples notations qui
nous amènent ainsi à l’origine de l’écriture. Or il
est évident que le signe alphabétique doit être invariable.
Ce n’est pas le cas pour nos pétroglyphes. Les signes de la Magdeleine,
de Lorthet, de Rochebertier, de Gourdan, ont vraiment une signification
par eux mêmes; ils sont reproduits d’une façon invariable,
identique, similaire. On est bien obligé de reconnaître, sauf
dans quelques cas comme à d’Huison-Longueville, qu’il n’en est pas
de même pour nos signes rupestres. Ceux-ci affectent une telle variété
de formes, une telle diversité de tracés, que nous ne pouvons
croire qu’ils découlent d’une idée commune.
Prenons, par exemple, la figuration humaine. C’est un trait souvent surmonté
d’une cupule comme dans la lettre I ou accolé d’un demi-cercle comme
dans le P et, plus rarement, se répétant de chaque côté
du trait en forme de quenouille. Retenons que nous trouvons comme à
Boissy-la-Rivière le P et l’I l’un à côté de
l’autre, de même à la «Croix de 18 sous» à
Oncy, ce qui infirmerait l’évolution du signe. Nous avons rencontré
encore la représentation humaine sous une forme de croix surmontant
une petite pyramide, ou, comme dans une grotte de Moignanville, d’une façon
réaliste qui ne laisse aucun doute sur le sexe de la figuration.
Quand on compare les huit grandes classes de la figuration humaine il est
bien permis de douter de l’«unité» figurative de ces
pétroglyphes. Prenons un autre exemple: les «tentes»
dont la figuration typique est une sorte de triangle qu’il est bien rare
de ne pas rencontrer partout où existent des pétroglyphes.
Mais ce triangle varie à l’infini; il est plus ou moins aigu; agrémenté
de 2 ou 3 traits verticaux qui ne peuvent en aucune façon représenter
une porte ou une ouverture. Le «triangle-tente» se trouve quelques
fois à côté d’une figuration humaine comme dans la «roche
à la quenouille» «derrière Châtillon»
près de Milly ou encore dans la «Grotte de Moignanville»
dans la vallée de l’Essonnes.
Quelques pétroglyphes
du massif de Fontainebleau dessinés et classés par Georges
Nelh
(Initiation
à l’Art rupestre du Massif de Fintainebleau, 1988, p. 29)
Les
représentations d’arbres ou rameaux feraient exception bien qu’eux
aussi varient à l’infini. On voit de véritables arbres à
Oncy, à Lardy, etc., et souvent des tracés qui peuvent figurer
des arbres ou autre chose!... Les haches, dolmens, offrent aussi une grande
variété de formes. Les haches gravées sur les parois
de la «grotte aux Fées» à Oncy, la «grotte
du Bourrelier» à Malesherbe ou la «Roche au Tigre»
à Nanteau (Loiret) sont bien caractéristiques mais le genre
de représentation diffère également. Faisons toutes
réserves pour les dolmens. Tant en profil qu’en plan, mais notons
au passage le plan du dolmen de Janville gravé sur une roche du bois
de la Briche à Souzy.
Les damiers,
que notre ami Courty a baptisé «marelles» ont de nombreuses
variétés. Là, la fantaisie des graveurs s’est donnée
libre cours! Un docteur en médecine, de mes amis, y a vu spontanément
des tables à calculer! Si cette opinion était vraie, nos pétroglyphes
seraient singulièrement rajeunis.
Nous rencontrons
ces marelles un peu partout et particulièrement à La Roche
aux Jeux à Lardy. Les «cupules» que nous trouvons depuis
les époques les plus reculées du Moustérien figurent
parfois à côté de nos pétroglyphes le plus souvent
creusées au hasard. On a signalé en plusieurs endroits des cupules
reproduisant les étoiles de la Grande Ourse. Nous voyons également
des «grilles» qui, à notre avis auraient une origine utilitaire
ayant pu servir d’aiguisoirs, comme les signes de l’entrée de la «grotte
aux fées».
Les flèches
dites «flèches de direction» indiquent-elles une orientation?
un chemin? Dans le massif de la Garenne, commune d’Oncy, la direction s’établit
d’une roche à une autre, les flèches donnant une orientation
à peu près exacte. Mais dans beaucoup d’autres cas la flèche
figurée ne semble pas avoir cette destination.
A côté
de ces signes qui se rencontrent fréquemment, il en est d’autres qui
attirent plus particulièrement l’attention et dont la valeur ne saurait
être méconnue. Il en est ainsi pour le «violon»
de la «Roche au violon» à Moigny (Seine-et-Oise) dont
la figure peut être rapprochée des figures féminines
pré mycéniennes signalées par Dechelette (T. II, p.
45), dont quelques-unes sont «schématisées en forme de
violon». Ce signe est unique dans la région. Nous n’en connaissons
par d’autres s’en rapprochant. Son ancienneté est indiscutable. Il
avait attiré l’attention des anciens qui donnèrent le nom de
«violon» au lieu-dit où se trouve la roche en question.
Bien entendu l’origine de l’appellation ne peut remonter au-delà de
quelques siècles car le violon est un instrument de musique connu
depuis relativement peu de temps dans nos campagnes. Dans cet ordre d’idées,
enregistrons que bien d’autres roches gravées ont donné leur
nom aux endroits où elles se trouvent: c’est ainsi que nous trouvons
«Le Trou du Sarrazin», «La Roche écrite»,
«La grotte aux Fées», «La Bonde», «La
chauve-souris», «La Roche au pain bénit», etc.,
etc., marquant l’importance et l’intérêt qu’avaient ces pierres
pour nos ancêtres.
D’ailleurs le
culte des pierres semble être une des croyances des peuples néolithiques
avec le culte des morts. Il est difficile de séparer ces deux cultes
superstitieux. Hollebecque rapporte qu’on vénérait les cavités
circulaires qui se rencontraient sur les pierres brutes, à l’état
naturel ou que l’on creusait artificiellement pour les relier ensuite par
des lignes. Nous trouvons ces cupules, seules ou reliées, dans nombre
de roches de la région sud-parisienne.
Le Trou du Sarrazin
à Villeneuve-sur-Auvers (© GERSAR
2003)
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Après avoir
émis ces quelques doutes sur l’unité figurative des pétroglyphes
et l’uniformité de leur signification nous pouvons nous demander
l’utilité de ces figurations rupestres. Pourquoi l’homme préhistorique
décorait-il les parois des grottes ou des rochers? On peut dire avec
Capitan et Peyrony que «ce n’est pas la passion d’orner une demeure
fort incommode qui aurait poussé le graveur préhistorique
à s’enfoncer dans les endroits les plus profonds des roches. dans
des coins où la voûte surbaissée n’est pas à Om.
75 du sol et à y rester des heures entières dans des positions
plutôt pénibles, pas plus qu’il n’aurait gravé à
Font de Gaume dans une faille de 0 m. 40 de large et à a 3 mètres
de hauteur une scène de félin et de chevaux, où actuellement
on s’y hisse très difficilement pour la voir.
Breuil, Peyrony et Capitan ont constaté aussi que «les gravures
et peintures sur les parois de grottes profondes et obscures, basses et étroites,
qu’il aurait été tout à fait impossible d’habiter et
qui ne pouvaient être que des sortes de sanctuaires où l’homme
ne venait qu’exceptionnellement et probablement pour y exécuter des
cérémonies magiques.»
Mais il nous
faut conclure.
Revenons donc
tout simplement à la solution qu’Auguste Mallet présentait
dans sa «Contribution à l’étude des Pétroglyphes
et de leur signification dans la Région des grès de Fontainebleau»
(Bulletin de la Société Préhistorique de France,
séance du 28 juillet 1910):
«Je conclus:
«Il résulte
des preuves assemblées dans cet article que les signes rupestres alphabétiformes
de la région des grès de Fontainebleau sont essentiellement
cabalistiques.
«Les rochers
sur lesquels ils ont été gravés ont acquis eux-mêmes
une valeur fétichiste.
«Durant
la très longue période où ces signes furent en usage
dans celte région, il y eut des interprétateurs de pétroglyphes,
de croyances et de pratiques fétichistes.»
GEORGES LASSERRE.
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