Acte II, scène 2
[...]
Brotonneau. — Du reste, pourquoi y penserais-je?
Tout est fini entre Mme Brotonneau et moi. Tout est réglé
de la façon la plus correcte. Je lui fais une pension suffisante.
Elle sait que nous sommes ensemble. Je sais qu’elle vit avec ce monsieur.
Cet arrangement me paraît plus convenable et plus honorable que le
divorce, qui entraîne toujours du scandale et des dépenses.
Louise. — Vous avez bien raison, Monsieur Brotonneau, vous avez toujours
bien raison.
Brotonneau. — Du reste, tout le monde paraît content. Comme Mme
Brotonneau habite avec ce monsieur la maison voisine, je la rencontre
assez souvent. Je la salue froidement, mais poliment, comme ça,
tenez. C’est bien, n’est-ce pas?
Louise. — Très bien.
Brotonneau. — De son côté, elle ne me répond pas,
très poliment aussi. Et c’est parfait. Vous voyez, Louise, rien
ne peut plus abîmer notre bonheur. Nous n’avons qu’à être
heureux, qu’à être gais. Et je le suis... et tenez... (Un
orgue, dans la cour, se met à jouer l’air des «petits paniers».)
il n’y a plus qu’un orgue à Paris et il est pour nous...
Louise. — Oh! C’est joli!...
Brotonneau se met à chanter quelques paroles du refrain, puis
il prend Louise par la taille et esquisse un pas de danse. Le téléphone
sonne. — Ah! ... (Il va au téléphone.) ah! C’est
vous, madame la baronne? (à Louise.) C’est une cliente
de la banque... S’il faut acheter... mais oui... mais j’ai une très
bonne impression du
marché. Oui... tout va bien... tout va bien... je n’ai jamais
eu une aussi bonne impression sur l’ensemble des valeurs... achetez, madame
la baronne... achetez!... (Il raccroche et il continue en chantant:)
Ach’tez,
ach’tez, ach’tez
Plein
vos petits paniers...
Oh!
Que ça me donne faim!...
Louise. — C’est qu’il est midi et quart!
Brotonneau. — Mettons-nous à table. Je vais sonner.
Louise. — Oh! Non, moi!...
Brotonneau — Ça vous amuse?
Louise. — Dame, oui. N’est-ce pas... je
n’ai jamais eu beaucoup l’occasion de sonner. C’est toujours moi qu’on
sonne. Comme c’est commode, ce téléphone, toutes ces installations!
Brotonneau. — Oui, c’est la banque qui a fait les frais.
Louise. — Du reste, la maison est joliment bien et habitée par
des gens très chic...
Brotonneau. — Oh! ça!...
Louise. — Ça se voit tout de suite: dans l’escalier, il y a un
tapis qui monte presque jusqu’en haut!
Brotonneau, à Céleste qui entre. — C’est pour servir!
Céleste. — Voilà, monsieur, dame! Elle pose deux raviers
de saucisson et de radis sur la table.
Brotonneau. — Des hors-d’oeuvre, mazette!
Louise. — Ah! Oui, j’ai pensé qu’un jour comme celui-ci on pouvait...
Brotonneau. — Et vous avez joliment bien fait. Moi aussi, j’ai pensé
qu’on pouvait... alors, j’ai acheté une bouteille de saumur...
Louise. — Ah!...
Brotonneau. — Le saumur mousseux, c’est une sorte de champagne... je
me suis souvenu que ça vous avait fait plaisir au buffet de la gare,
le soir où nous sommes partis... il y a trois mois. Vous vous souvenez?
Louise, baissant les yeux. — Oh! Monsieur Brotonneau!
Brotonneau. — Oh! Ces deux jours passés à Étampes!
Sans ce voyage, jamais je n’aurais osé vous parler comme je voulais.
Je n’ en revenais pas de ce que vous pensiez de moi. J’ai cru d’abord que
c’était par charité, puis par amitié. Mais je ne pouvais
pas arriver à me figurer que c’était par... enfin, vous savez
le mot que je ne prononce pas encore très facilement... dites-le,
vous.
Louise. — Par amour, Monsieur Brotonneau.
Brotonneau. — Oh! Ma petite Louise, ma petite Louise!...
Louise. — Chut!... la bonne ! (Il va se rasseoir.)
Brotonneau. — Ah! J’oubliais de vous dire que le bilan de la banque de
France est très satisfaisant, ce mois-ci.
Louise. — Ah! Tant mieux!...
Brotonneau, regardant le nouveau plat que Céleste vient d’apporter.
— Ah! Un poulet aux marrons. J’adore ça.
Louise. — Les marrons, c’est presque des truffes, et c’est plus gai.
Allons, Céleste... débouchez-nous le champagne.
Céleste. — Non.
Brotonneau. — Comment, non! Pourquoi?
Céleste. — Parce que ça me fait peur...
Brotonneau. — Allons, passez-moi ça... vous allez voir ça;
le bouchon va sauter avec fracas, la mousse jaillira, c’est très
amusant... vous allez voir. Il coupe les ficelles. Ils attendent tous,
contractés. Céleste et Louise se bouchent les oreilles. Brotonneau
enlève le bouchon avec peine, il ne saute pas, ne fait aucun bruit
et le vin ne songe pas à mousser.
Brotonneau. — Voilà, ça y est!...
Céleste. — Mais ça n’a pas fait de bruit du tout!
Brotonneau, déçu. — Ce n’est pas étonnant!
Vous ne pouviez pas entendre... vous vous bouchiez les oreilles. Allez!
Allez! ... (Céleste sort.) et maintenant, Louise, tendez votre
verre. (Il lui verse à boire.) et nous allons trinquer.
C’est une petite orgie.
Louise. — Ah! C’est comme ça une orgie?...
Brotonneau. — Mais oui... mais oui... Il chante l’air de Robert le
diable:
Le
vin, le jeu, le vin, le jeu, les belles,
Voilà, voilà, voilà, mes seules amours.
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