Corpus Littéraire Étampois
 
 
Henry Lucien
D’Étampes à Paris
[Gauloiseries et calembredaines]
 1882
 
 
     Le Corpus Étampois n’a rien pu découvrir pour l’instant sur l’auteur de ce recueil de nouvelles grivoises, bien caractéristique d’un certain érotisme bourgeois de la fin du siècle avant-dernier. On trouve à cette époque plusieurs mentions de notre bonne ville comme escale galante. Merci de nous communiquer tout ce qu'on aura pu savoir sur cet auteur, qui, reconnaissons-le, n’aura marqué ni son temps ni la littérature en général.  
    
   D’ÉTAMPES A PARIS 
 
    Chou, chou, brouh, quel affreux froid! C’est moi qui prononçais ces paroles et exclamations usitées, sur le quai du chemin de fer de la gare d’Étampes, par quinze degrés de froid. Et je tapais de la semelle, et me frottais les mains, et soufflais comme un taureau, lançant au moins autant de fumée que la locomotive qui arrivait à grands tours de roue du côté d’Orléans.  

     J’allais à Paris pour affaires, bien entendu, car, par une pareille température, on ne voyage pas pour son agrément.  

     Dans un compartiment de seconde classe que l’on venait d’ouvrir pour renouveler les bouillottes, j’aperçus une sorte de forme enjuponnée étendue de tout son long sur une banquette et qu’à la robe seule, on pouvait reconnaître [p.61] pour une femme, — la figure étant entièrement cachée par un voile épais.  

     Je bondis à l’intérieur, d’abord pour me réchauffer, et ensuite pour m’emparer de la seconde banquette, sur laquelle j’avais l’intention de roupiller, absolument comme ma voisine.  

     Foui! foui! c’est le sifflet du chef de gare, et nous voici partis. En sentant la voiture rouler, les jupons font un mouvement; un bras s’étire, une jambe se pose à terre, puis remonte sur la banquette. Mais, dans ce mouvement, la robe s’était légèrement retroussée, laissant apercevoir une bonne moitié du mollet, caché d’ailleurs par des bas blancs, et même très propres. Dans un second mouvement que fit ma voisine pour se pelotonner, les jupons se retroussèrent encore davantage; et l’on me laissa voir au-dessus du genou, de belles jarretières roses, nouées par un petit nœud très coquet.  

     En homme pudique et galant aussi, — je craignis le froid pour cette pauvre jambe, — après avoir longuement contemplé les bas et les nœuds, je rabaissai la robe aussi doucement que possible; mais sans pouvoir éviter un léger froissement; de sorte que je fus interrompu dans mon opération par un «monsieur, ne me chatouillez pas!» sortant clairement du dessous du voile.  

     [p.62] Mais la forme ne fit pas pour cela le plus petit mouvement; d’où je conclus que le «ne me chatouillez pas» signifiait tout simplement: «ne vous gênez pas».  

     J’usai donc de la permission; je pris une petite main gantée, à laquelle je retirai son enveloppe de peau; et me voilà heureux et tout réchauffé même à embrasser ces petits doigts mignons. Après les doigts, ce fut autre chose, puis autre chose. La conversation allait bon train; et maintenant j’embrassais à pleine bouche, quand un affreux employé, ouvrant brusquement la portière, nous cria en pleine figure: «Allons, messieurs, vos billets, vos billets!»  

     «Que le diable l’emporte, pensai-je, et n’y a-t-il rien de plus désagréable que de s’entendre interpeller aussi brusquement au milieu d’une conversation si intéressante! Je ferai une pétition aux administrateurs de la compagnie, pour qu’ils abolissent cette coutume.»  

     Pendant ce monologue, ma compagne, elle aussi, s’était relevée, toute froissée et toute dépeignée. Son voile la gênait dans la recherche de son billet; elle le releva vivement.  

     Sa figure était rongée à moitié par un énorme chancre. C’était pour se faire soigner, qu’elle allait à Paris.  

     Je retombai anéanti sur la banquette; à la [p.63] prochaine station, je m’élançai hors du compartiment, sans faire d’adieux à ma voisine; et en arrivant à Paris, je fis une pétition, où, après avoir exposé ces faits, je demandais la vérification des billets au moins entre chaque station.  

     J’attends encore la réponse!  

Source: édition originale de 1882, mise en ligne en mode image par la BNF et saisie en mode texte par Bernard Gineste, septembre 2001.
 
 
 
 L’AUTEUR ET L’ŒUVRE
 

 
[Dédicace du recueil, donnée à titre indicatif]
 
 
A MADAME ET MONSIEUR PAUL FOSSEMBAS.
   
     A votre femme et à vous, mon cher Paul, je dédie mon premier volume de nouvelles. Il me semble que cela me portera bonheur.  
     C’est vous d’ailleurs qui, les premiers, avez lu mes petites historiettes, et m’avez procuré le plaisir de les lire en public. Si donc j’ai reçu quelques éloges, c’est à vous que je les dois, c’est vous qui m’avez donné le courage de les publier!  
     Puisse sous votre patronage, mon petit livre gaiement courir le monde!  
     Encore une fois, merci, et affectueuse poignée de main à tous deux.  
 
HENRI LUCIEN. 
 
 
[Table des matières, donnée à titre indicatif]
     
     «Pro Zola», p. V [dédicace donnée ci-dessus; cette référence à Zola est à rapprocher, dans notre corpus, de la lettre de Flaubert à Zola que nous avons éditée avec celles qu’il envoya à Maupassant à l’occasion des poursuites judiciaires dont il fut l’bjet à Étampes après la publication de son poème érotique Au bord de l’eau, que nous éditons également; La Fontaine également, lors de son voyage de Paris à Étampes, voyagea avec une fort belle personne qui lui inspire des observations coquines; voyez les deux lettres à sa femme que nous éditons aussi dans ce Corpus];  «Maîtresse et Laquais», p. 1 ; «En Wagon», p. 6; «Vendetta», p. 8; «Trompé et content», p. 13; «Lettre d’un Réserviste», p. 16 ; «Une femme forte», p. 23; «Aventure de Marguillier», p. 27; «Jaloux», p. 33; «Adventure tabellionnesque», p. 36; «Chanson à boire», p. 40; «Jeunes amours», p. 42; «Mon ami Lucien», p. 46; «Mésaventure d’un homme de lettres», p. 51; «Tantante et cousinette», p. 54; «D’Étampes à Paris», p. 60; «Une noce bourbonnaise», p. 64; «Agence Faitaumoule», p. 67; «Oh! les Enseignes!», p. 71; «En cour d’assises», p. 75; «Drôle de coutume», p. 81; «Pauvre docteur!», p. 85; «Mario», p. 89; «Ces Coiffeurs», p. 94; «Cauchemars», p. 96; «Ténèbres et mystères», p. 99; «Ma Canne», p. 103; «Le Rendez-Vous», p. 109; «Mes vingt-huit jours», p. 113; «Divagations», p. 117; «Soyez donc aimable!», p. 121; «De Amore», p. 125; «Aux arrêts», p. 129; «Lettre d’amour», p. 133; «Le duel de mon ami Pierre», p. 136; «Ma cousine Noémie», p. 140; «Les amours d’un cuisinier», p. 144; «Mon mariage», p. 149; «L’Enterrement d’une vie de garçon», p. 154; «Cancans de petite ville», p. 159; «Divorçons», p. 164; «Le plus laid des notaires», p. 168; «Une diable d’idée», p. 173; «En carême», p. 178; «Lettre d’un vétéran à sa fille», p. 182; «La dernière cascade de Belica», p. 186; «Journal d’une jeune mariée», p. 191; «Mon ami le ventriloque», p. 196; «La première nuit de noces», p. 201; «Peut-on entrer?», p. 205; «Monsieur est dentiste?», p. 209; «Mariez-vous en Angleterre!», p. 213; «Le coffre», p. 218; «Bals et réunions», p. 223; «Un mari infortuné», p. 226; «La Bannière», p. 231; «Madame attend», p. 235; «Le Patinage sur la glace», p. 240; «Histoire d'une paire de bottines», p. 244; «Monscletinade», p. 249; «Le Bal», p. 251. 
Source: édition originale de 1882, mise en ligne en mode image par la BNF, 2001, et saisie en mode texte par Bernard Gineste, septembre 2001.
 
   
    BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
     
 Édition

     Henry LUCIEN, «D’Étampes à Paris», in ID., Gauloiseries et calembredaines [X+255 p.; recueil de nouvelles], Paris, P. Ollendorff, 1882 [d’où l’édition numérique (en mode image) de la BNF, gallica.bnf.fr (2001), N080322], pp. 60-63.   
   

Et...

     Armand SILVESTRE, Gauloiseries nouvelles [342 p.], Paris, Librairie illustrée, sans date [1888] [d’où l’édition numérique (en mode image) de la BNF, gallica.bnf.fr (2001), N062302].   

 
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