CORPUS  ARTISTIQUE  ÉTAMPOIS
 
 
Bernard Gineste
Le Christ souffrant de la cloche de Jean de Berry
bronze, 1401
 
 
Christ souffrant (cloche de Jean de Berry, 1401)
Christ souffrant de la cloche de Jean de Berry (bronze, 1401)
 
    Jean de Berry, comte usufruitier d’Étampes à partir de mai 1400, fit fondre dès l’année suivante une nouvelle cloche de 4000 livres pour l’église collégiale Notre-Dame d’Étampes. On y trouve notamment figuré un magnifique Christ souffrant, caractéristique des nouvelles formes de la dévotion après que la Chrétienté a été frappée par la Grande Peste.
 
 
Bernard Gineste
Le Christ souffrant de la cloche de Jean de Berry
bronze, 1401


    Le 13 octobre 2010 a été descendue de son clocher, pour restauration, la cloche qu’y avait fondre en 1401 le nouveau comte d’Étampes, Jean de France, duc de Berry. Outre une magnifique inscription versifiée en caractères gothiques, cette cloche de 4000 livres porte trois représentations figurées intéressantes: celle d’une Croix ornée d’oiseaux, celle d’une Vierge à l’Enfant, et celle enfin d’un Christ souffrant que nous nous proposons ici de présenter et de commenter.

1. Première description

     Dans un médaillon de 8 cm sur 5, sous un édicule trilobé d’architecture gothique, supporté par deux fines colonnettes ornées de trois bagues, se présente un Christ debout, nu et barbu, nimbé d’une auréole crucifère, la tête inclinée, émergeant d’une tombe de pierre ou d’un sarcophage, sur le bord duquel il est accoudé, les mains jointes et croisées devant lui.

      Il est entouré d’une série d’objets usuellement appelés les Instruments de la Passion, dont chacun rappelle un épisode douloureux de la dernière journée de sa vie terrestre.
 
     1) Le Coq. Alors que Jésus était interrogé par les autorités juives, son disciple Simon surnommé Pierre le renia à trois reprises, avant le chant du coq (Matthieu XXVI, 57-75; Marc XIV, 53-72; Luc XXII, 54-62; Jean XVIII, 14-27), comme le lui avait prophétisé Jésus lui-même (Matthieu XXVI, 31-35; Marc XIV 27-31; Luc XXII, 31-34; Jean XIII, 36-38).

     2) Le Fouet. Le gouverneur romain Ponce Pilate fit flageller Jésus (Matthieu XXVII, 26; Marc XV, 15; Jean XIX, 1).

     3) La Couronne d’épines. Les soldats romains à qui Jésus après cela fut livré s’en amusèrent de diverses manières, et notamment en lui tressant une couronne d’épines (Matthieu XXVII, 29; Marc XV, 17; Jean XIX, 2).

     4) La Croix. Jésus fut condamné à être crucifié et le fut effectivement, c’est-à-dire qu’il fut suspendu à une croix jusqu’à ce que mort s’ensuive. Les croix étaient formées d’un montant vertical fixe et d’une lourde traverse à laquelle était suspendus les condamnés. Jésus dut porter la sienne depuis le lieu de sa condamnation jusqu’à celui de son supplice. Notre artiste a représenté sa traverse comme un tronc grossièrement ébranché (voyez notre note ci-contre à ce sujet).

     5) Les Clous et le Marteau. Les évangiles ne précisent pas de quelle manière Jésus fut attaché à la croix (Matthieu XXVII, 35; Marc XV, 24; Luc XXII, 33; Jean XIX, 18), mais la tradition autant que la vraisemblance historique, confirmée par une récente découverte archéologique, suggèrent qu’il y fut cloué: un clou pour chaque main, et un troisième qui traversait les deux pieds. Le marteau qui dut servir à les enfoncer est souvent représenté avec ces trois clous.

     6) Les Dés. Les soldats romains qui gardaient ce condamné, suivant l’usage, se partagèrent ses vêtements, et il tirèrent au sort sa tunique sans couture (Matthieu XXVII, 35, Marc XV, 24; Luc XXIII, 34; Jean XIX, 23-24), épisode auquel font allusion deux dés posés sur la croix.

     7) L’Éponge. Quelques heures après avoir été suspendu à la croix, Jésus dit: “J’ai soif”, et des soldats lui tendirent au bout d’un roseau, ou bien d’un javelot, selon l’Évangile de Jean, une éponge imbibée d’une bosson vinaigrée (Mathieu XXXVII, 48; Marc XV,36; Jean XIX, 28).

     8) La Tenaille. Après la mort de Jésus, son corps fut descendu de la croix (Matthieu XXVII, 59) par Joseph d’Arimathie (Marc XV, 46; Luc XXIII, 53; Jean XIX, 38); l’Évangile ne dit pas comment il en fut détaché, mais la tradition iconographique a supposé que ce fut à l’aide d’une tenaille, qui est ici le symbole de cette descente de croix.

     9) Le Linceuil. Le corps de Jésus fut enveloppé par Joseph d’Arimathie dans un linceuil (Matthieu XXVII, 59; Marc XV, 46; Luc XXIII, 53; Jean XIX, 40).

     10) Le Tombeau. Il fut ensuite déposé dans un tombeau de pierre neuf, que le riche Joseph d’Arimathie venait de se faire sculpter dans le roc (Matthieu XXVII, 60; Marc XV, 46; Luc XXIII, 53; Jean XIX, 41). Notre artiste l’a finement orné d’une double frise sculptée.


     En résumé, cette représentation du Christ n’entend pas figurer un moment précis de sa douloureuse Passion. C’est plutôt une figuration intemporelle et absolue du Christ en tant que Serviteur souffrant, venu accomplir les mystérieuses prophéties du prophète Isaïe.

     Elle est totalement dépourvue de caractère anecdotique: l’anecdote est toute entière rejetée dans les objets qui entourent le Christ, et lui-même n’est plus qu’un sujet souffrant au centre de ce tourbillon d’humiliations.

     C’est à mon sens le ressort profond de cette image de dévotion, qui pendant plusieurs siècles a réussi à émouvoir l’âme des fidèles en leur représentant ce qu’avait coûté au fils de Dieu le salut de leurs âmes; à savoir, ce que tout homme connaît ou redoute: être abandonné, brutalisé, humilié, dépouillé, dénudé, torturé, assassiné, enseveli.

     On sait aussi que la Grande Peste, qui frappe à partir de 1349 et fauche un tiers de la population européenne, pose de nouvelles questions à la Chrétienté, transforme son art et renouvelle les formes de sa vie religieuse. L’essor de cette figuration religieuse est précisément daté, comme on va le voir, des environs de 1350.
Christ souffrant (cloche de Jean de Berry, 1401)

Note sur la traverse de cette Croix
     La traverse de cette croix est représentée, d’une manière inaccoutumée, comme un tronc d’arbre grossièrement ébranché. L’intention manifeste de l’artiste est de souligner que cette pièce de bois provenait d’un certain arbre. Il y a là une allusion à une légende bien connue au moyen âge. Très tôt les chrétiens se sont fait la réflexion qu’un morceau de bois qui avait joué un si grand rôle dans l’histoire de l’humanité ne pouvait pas être une pièce de bois quelconque.
     Mystiquement, la croix est un arbre qui procure le salut, et, grâce à lui, l’humanité se voit réouvrir les portes du paradis, fermées depuis la faute originelle d’Adam et Ève. Or, au Paradis, il y avait déjà un arbre de vie (Livre de la Genèse II, 9).
     On a donc imaginé très tôt, bien que la Bible n’en dise rien, un lien entre ces deux arbres. Dans la version la plus courante de cette légende, Ève aurait subtilisé au Paradis, avant d’en être chassée, une bouture de l’arbre de vie qu’elle aurait ensuite plantée à Jérusalem, et c’est du bois de cet arbre qu’aurait été faite la croix où fut ensuite suspendu Jésus.
     Jésus est en effet lui-même, mystiquement, la nourriture qui donne la vie éternelle, produite depuis ce nouvel arbre de vie qu’est la Croix.

2. Tradition iconographique

     Le type du Christ souffrant s’appelle en italien Christo dolente, en allemand Schmerzensmann et en anglais Man of Sorrows, par allusion au chapitre 53 du Livre d’Isaïe, principale prophétie des souffrances que devait affronter le Messie, que l’ancienne version latine de la Bible appelle en ce passage vir dolorum, “homme des douleurs”.

     Ce type représente
d’une manière synthétique toutes les souffrances endurées par le Messie pour le salut de l’humanité. A ce titre, il ne doit pas être confondu avec d’autres réprésentations centrées sur l’une seule des étapes de la Passion, telle que l’Ecce homo (où il est présenté par Pilate à la foule qui demande sa mort), ni avec le Christ aux liens dit aussi Christ de Pitié (où il attend l’exécution de son supplice) ni encore avec la Résurrection (où il jaillit glorieusement du tombeau).

A. L’abaissement suprême (
ἄκρα ταπείνωσις)

     S’il émerge ici du tombeau, ce n’est pas en effet dans la gloire de sa Résurrection, mais pour présenter à la dévotion des croyants le spectacle de tout ce qu’il a enduré pour leur salut, jusqu’à en mourir. Selon les historiens de l’art, cette représentation intemporelle du Christ souffrant dériverait d’un type byzantin dit ἄκρα ταπείνωσις, akra tapeïnôsis,
“suprême abaissement” ou encore “comble de l’humiliation”, où le Christ est semblablement représenté debout, torse nu, la tête penchée, portant les stigmates de la Passion, le plus souvent jointes, accoudé à son tombeau.

     D’après certains auteurs tels que Émile Mâle, ce type du Christ souffrant aurait été diffusé dans toute la chrétienté occidentale précisément à partir  du jubilé de 1350 par des pélerins revenant de Rome. A cette date en effet, Clément VI aurait accordé de généreuses indulgences à tous les pélerins qui prieraient devant une image de ce genre alors conservée en la basilique romaine de Sainte-Croix-en-Jérusalem.
Icône du type Akra tapeïnôsis (fin XIIIe siècle, basilique de Sainte-Croix-en-Jérusalem)
Icône du type ἄκρα ταπείνωσις (fin XIIIe siècle,
basilique de Sainte-Croix-en-Jérusalem)
     Vers le même temps naquit une légende selon laquelle, au début du VIIe siècle, alors que le pape saint Grégoire célébrait la messe, parce qu’une des personnes présentes avait mis en doute la présence réelle de Jésus dans la pain consacré, celui-ci serait apparu à l’assemblée sous cette forme précise.

     De là un nouveau type iconographique composite, dit de la Messe de saint Grégoire, où notre Christ souffrant apparaît sur ou derrière l’autel, devant le célébrant. Pour autant, c’est par erreur que l’on a parfois appelé le Christ de notre cloche, comme d’ailleurs d’autres Christs du même type, Christ de la messe de saint Grégoire; car le type iconographique du Christ souffrant a clairement continué d’avoir une existence autonome.

B. Les instruments de la Passion (arma Christi)

     Il reste un mot à dire des Instruments de la Passion, aussi appelés arma Christi, qui  entrent dans la composition de la plupart de ces Christs souffrants. Il s’agit là d’une tradition iconographique des plus anciennes, dont l’origine ultime se trouve dans la tradition gréco-romaine des trophées. On sait que les Grecs et les Romains empilaient sur les champs de bataille les armes de leurs ennemis vaincus. Ces trophées devinrent vite l’un des élements les plus constants du vocabulaire ornemental gréco-romain, symbole de victoire et de puissance.

     C’est dans ce contexte, via la réflexion théologique des pères de l’Église, elle-même formulée le plus souvent dans une rhétorique purement gréco-romaine, que doit être compris l’empilement des objets qui avaient servi à outrager le Christ, et à le faire mourir. La Résurrection et surtout la Rédemption transforment tout ce qui a servi à l’abaissement du fils de Dieu
en trophée, c’est-à-dire en symbole de victoire sur la mort et et sur le mal en général.

     Le type iconographique des arma Christi est extrêmement ancien; nous en avons la preuve dans un psautier de la première moitié du IXe siècle (ci-contre), où il apparaît clairement dans un coin, comme un élément bien connu qui n’a pas besoin d’être expliqué.
Arma Christ du Psautier d'Utrecht (vers 830)
  Arma Christi du Psautier d’Utrecht (vers 830): Le Psalmiste, figure du Christ, émerge d’un tombeau et entrevoit la Croix d’où pendent le fouet et la couronne d’épines, et où s’appuient la lance et le roseau porte-éponge (Psaume 21).

C. Le type du Christ souffrant (vir dolorum)

   C’est bien semble-t-il seulement dans la deuxième moitié du XIVe siècle que se répand partout le type composite du Christ souffrant, où se combinent le plus souvent la suprême humiliation,
ἄκρα ταπείνωσις, et les instruments de la Passion, arma Christi, comme par exemple dans cette enluminure d’un livre de prières des environs de 1380 conservé à la bibliothèque municipale d’Avignon.

     Dès le départ ce type connaît un nombre infini de variantes, dans la position du Christ et de ses mains, dans le
choix qui est est fait par chaque artiste de tels ou tels instruments de la Passion, par l’addition d’anges ou d’autres personnages.

     Le type du Christ souffrant a connu une grande vogue dans les siècles suivants, et notamment inspiré bien des artistes baroques, qui ont augmenté avec beaucoup de créativité l’interminable et très hétéroclite panoplie
des Instruments de la Passion. On en trouvera une liste dans les notes de la savante étude de Louis-Eugène Lefèvre, dont nous donnons le texte ci-après pour ce qui concerne cette vignette de la cloche.

     Les notes de Lefèvre gardent aujourd’hui toute leur valeur, abstraction faite me semble-t-il de quelques légères erreurs. C’est à tort en effet qu’il prétend sans raison claire que notre Christ serait ici représenté mort, quoique debout; c’est à tort également qu’il en fait un Christ de saint Grégoire, ou encore un Christ de pitié.
Christ Souffrant dans un Livre de Pière des environs de 1380 (BM d'Avigon, mansucrit n° 6733, folio 58)
    Christ Souffrant dans un livre de prière des environs de 1380 (BM d’Avigon, manuscrit n° 6733, folio 58, © IRHT)
 
D. Le Christ souffrant dans l’art campanaire

     En 1911, un Christ souffrant du même type a été signalé par Albert Mayeux sur une cloche du beffroi de Perpignan précisément datée de 1418, en même temps qu’une Vierge à l’Enfant. Voici sa description, et, ci-contre, sa photographie, tirées de la
Revue de l’Art chrétien 61 (1911), p. 224:

     “Le plus grand [sceaux de la cloche] a 120 millimètres sur 72 ; il représente saint Jean-Baptiste, patron de la cathédrale et de la ville […]. Le second sceau, qui n’a que 70 millimètres sur 50, représente saint Michel. Il est bien de la même facture et de la même époque que le précédent. Ils ont été évidemment faits pour la cloche et probablement par le même sculpteur.
    
Il n’en est pas de même pour les deux autres sceaux représentant  la Vierge portant l’Enfant et le Christ de saint Grégoire.
    
Bien que ces deux sujets particulièrement fréquents dans la région, sur tous les retables, soient également bien espagnols d’aspect, surtout la Vierge dont l’ample manteau se drape comme la voile d’une mauresque, type caractéristique de Notre-Dame de la Soledade, ces deux sceaux sont plus anciens, d’une autre facture, sous des dais à trois pans, et n’ont que 66 millimètres sur 54. On peut donc dire qu’ils ont été réemployés et faisaient partie du matériel du fondeur.”

     On y remarque (ci-contre) le même Christ sous le même dais trilobé quà Étampes, émergeant du même sarcophage; en haut, un clou, et la croix; à gauche, de haut en bas, la tenaille, un deuxième clou, le marteau et le coq; à droite, également de haut en bas: la couronne d’épines, une échelle, autre symbole de la descente de croix, et un troisième clou.

     Manifestement on est en présence d’une représentation standard indéfiniment reproduite; cet exemplaire-ci est plus petit et moins soigné que celui qui a servi à Étampes dix-sept ans plus tôt.
   
Christ souffrant de la cloche de Perpignan (1418)
     Dans l’art campanaire, le type du Christ souffrant, tel qu’il apparaît sur notre cloche de 1401, et sur celle de Perpignan en 1418, paraît avoir connu un étonnante fixité, puisque nous le retrouvons presque inchangé sur une cloche de 1565 qui se situe au clocher de l’église Saint-Clément de Cornebarrieu, en Haute-Garonne, et qui a été décrite comme suit en 2003 par Françoise Zanese pour les Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France 63 (2003), p. 230:

     
Christ de la messe de saint Grégoire, à l’est (H. 6,8 cm ; l. 5 cm) . — Le Christ, efflanqué, à mi-corps au-dessus du tombeau, les mains croisées sur le ventre, est entouré des instruments de la Passion (à gauche de la Croix: un marteau, une lanterne, un dé, la lance, les verges; à droite: les tenailles, le coq, un dé, la lance porte-éponge; en partie haute: les trois clous, la couronne d’épines).

     On voit ici (d’après une photographie d’Alain Toppan ici un peu agrandie et donc légèrement floutée) que le type s’est dégradé et simplifié en se vulgarisant, en conservant cependant toutes ses caractéristiques majeures. Comme à Étampes et Perpignan, on trouve aussi, parmi les cinq vignettes de Cornebarrieu, une Vierge à l’Enfant
“sous un dais Renaissance.

Christ souffrant d'une cloche à Cornebarrieu (1458)
D’après un cliché d’Alain Toppan


 
Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
ANNEXE
Ce qui s’est écrit de ce Christ


     On remarquera que Fleureau (1683) ne dit rien de cette cloche, non plus que Maxime de Montrond (1836), ni que Michel Billard (1988) ni que, curieusement, le très remarquable cahier du Patrimoine Étampes, un canton entre Beauce et Hurepoix (1999); on s’étonne également que Léon Marquis, qui s’est pourtant beaucoup intéressé aux inscriptions campanaires étampoises, ne se soit pas arrêté aux sujets de nos six médaillons, non plus que Maxime Legrand, qui signale pourtant lintérêt de visiter cette cloche (1897). Le premier à la signaler d’une manière un peu détaillée fut Claude Sauvageot.

1) Claude Sauvageot (1862)

     Le nom du fondeur n’apparaît nulle part ; mais on voit, sous un dais en relief, la sainte Vierge debout, tenant l’Enfant divin, et, au côté opposé, un Ecce homo d’un dessin impossible, tant il est décharné.
Annales archéologiques 22 (1862), p. 224.
(cité ici d’après Lefèvre 1914)


2) Léon Marquis (1881)

     En dessous il y a six petites images gravées représentant les scènes du Nouveau Testament.
Les rues d’Étampes et ses monuments, Étampes, Brière, 1881, p.280.

3) Louis Eugène Lefèvre (1912 et 1914)

     Louis-Eugène Lefèvre a consacré en 1912 un long article à tout le mobilier connu passé ou présent de la collégiale Notre-Dame d’Étampes; il y consacre quelques paragraphes seulement à la cloche de Jean de Berry, réservant l’essentiel de cette matière à un article spécial publié deux ans plus tard dans une revue berrichonne.

     1) Premier article: Commission des Antiquités et des Arts de Seine-et-Oise 22 (1912) p. 126.


   Selon l’usage, la cloche porte de petits bas-reliefs en forme de médaillons quadrangulaires ayant 8 centimètres de hauteur sur 5 de largeur, qui sont obtenus par empreintes sur des matrices gravées: ils sont au nombre de six mais ne comportent que deux sujets répétés chacun trois fois.

     L’un d’eux représente la Vierge et l’Enfant, et, pour remplir des vides, deux perroquets et deux échassiers huppés qui peuvent être des hérons.

     L’autre sujet est l’image dite le Christ de pitié ou le Christ de saint Grégoire, parce qu’il se réfère à une vision légendaire du pape de ce nom. Jésus est représenté mort, sortant du tombeau et  entouré des instruments de la Passion, y compris le coq.


     2) Deuxième article: Mémoires de la Société historique du Cher (1914), pp. 8-13
Le Christ souffrant de la cloche de Jean de Berry (moulage de 1913)
Cliché d’un moulage fait vers 1912
     Selon l’usage, la cloche porte des petits bas-reliefs en [p.9] forme de médaillons quadrangulaires ayant 8 centimètres de hauteur sur 5 de largeur, qui sont obtenus, comme les lettres d’ailleurs, par empreintes sur des matrices gravées: ils sont au nombre de six (1), mais comportent seulement deux sujets répétés chacun trois fois.

    L’un des sujets représente la Vierge tenant l’Enfant, debout sous un édicule trilobé et d’architecture gothique, supporté par deux fines colonnettes ornées de deux bagues.
[...] [p.10] [...]

     L’autre sujet est l’image dite «le Christ de pitié» ou «le Christ de saint Grégoire», parce qu’il se réfère à une vision légendaire que le pape de ce nom eut un jour au-dessus de l’autel pendant qu’il célébrait la messe (1). J’ai vu très souvent donner par erreur, dans des catalogues de musées et tout particulièrement dans des descriptions de cloches, une fausse dénomination à cette donnée iconographique, telle que «Ecce homo» ou «Résurrection»: la confusion n’est pas possible pour qui connaît bien ces différentes sortes d’images; à vrai dire, sauf justement sur les cloches, le «Christ de pitié» n’est pas une figure fréquente en France, tandis qu’elle fut extrêmement répandue en Italie où, fait très suggestif, si je suis bien informé, elle sert encore d’enseigne aux établissements du Mont-de-Piété.

     Sous une arcature identique à celle de l’autre bas-relief (2), le Christ nimbé apparaît mort mais debout, droit (3); nu, avec les côtes fortement saillantes, enfoncé jusqu’à mi-corps dans le sarcophage; ses mains tombent basses devant lui, avec les bras croisés comme si les [p.11] poignets étaient liés: il étale ses plaies (1). Une croix se dresse derrière lui, aux bras de laquelle sont suspendus les instruments de la Passion. Le coq lui-même, placé à gauche sur le rebord du Sépulcre, et tourné vers le Christ, redresse la tête pour chanter (2).

     Il ressort des explications fournies par M. Emile Mâle [p.12] que la donnée iconographique du Christ de Pitié, venant d’Italie, n’aurait guère pénétré en France avant l’extrême fin du XIVe siècle, et cet auteur n’en peut offrir qu’un exemple approximativement de ce temps. Comme la cloche d’Etampes est datée avec précision de 1401, son image serait donc le plus ancien spécimen authentiquement daté du Christ de saint Grégoire parmi ceux qui sont actuellement connus en France. La personnalité de Jean de Berry et la grande question des influences italiennes, toujours en suspens, rend la constatation des plus intéressantes.

     A une époque plus avancée le même sujet fut traité moins simplement que dans notre bas-relief et il obtint un succès considérable, grâce aux milliers d’années d’indulgence que les fidèles pouvaient gagner en répétant devant l’image sept Pater, sept Ave et sept courtes prières spéciales dites les Oraisons de saint Grégoire (1).

     Nous avons d’excellentes pièces de comparaison pour nos deux bas-reliefs, car les mêmes sujets ont été traités sur la cloche du beffroi de Perpignan que M. Albert Mayeux a récemment étudiée (2), et qui est datée 1418. Je constate immédiatement une similarité étonnante dans la composition des images: colonnettes, arcatures, mouvements des personnages, lignes de draperies, accessoires, tout dénote une grande ressemblance; mais la Vierge de Perpignan n’est pas accostée d’oiseaux. Et [p.13] quelle différence dans l’exécution! Autant les personnages d’Etampes sont fins, autant les méridionaux sont lourds, larges, avec d’énormes faces: celle de l’Enfant est ronde comme une lune. En résumé, il n’y a pas identité, il y a grande ressemblance et une influence commune certaine qui s’expliquerait peut-être suffisamment par l’origine également commune des fondeurs: en effet quelques régions seulement, et notamment la Lorraine, eurent l’avantage de fournir presque exclusivement les ouvriers tondeurs de cloches.
     (1) [de la page 9] Il y a un septième marqué, peut-être accidentellement, hors la ligne régulière, et d’ailleurs venu seulement à moitié. — Depuis le XIIIe siècle, ces matrices gravées, dites planchettes, sont en usage ; elles étaient en buis et pouvaient servir indéfiniment. On prenait leur empreinte en relief avec de la cire momentanément ramollie et on encastrait celle-ci dans la terre de la fausse cloche servant à faire le moule. L’empreinte réapparaissait en creux dans celui-ci, et finalement après le coulage on obtenait une deuxième fois un relief alors définitif dans le bronze de la cloche. (J. BERTHELÉ, ouv. cité [Jos. BERTHELÉ, Enquêtes campanaires, Montpellier, 1903, in-8], p. 23 et 366.)

    (1) [de la page 10] Emile MALE, L’art religieux de la fin du moyen âge. (Paris, 1908, p. 91 et suiv.)

     (2) Les colonnettes sont agrémentées de trois bagues au lieu de deux.

     (3) On me permettra de noter en passant combien cet état ressemble à celui de l’Agneau vu par saint Jean l’Evangéliste, et décrit par lui dans l’Apocalypse: «Et vidi Agnum stantem tanquam occisum». La seule différence est dans le fait que le Christ de saint Jean, symbolisé par l’Agneau, est triomphant; nous le [p.11] trouvons ainsi représenté dans quelques monuments des XIIe et XIIIe siècles, et notamment dans le portail à statues-colonnes d’Etampes que nous avons étudié: Le portail royal d’Etampes (2e édit., Paris, 1908). — Exceptionnellement le Christ de pitié est figuré souffrant mais vivant, et les bras tendus en avant, dans une magnifique œuvre de Mantegna, au musée de Copenhague.

     (1) [de la page 11] Les artistes italiens ont accentué cette idée d’une façon très décorative, mais en donnant à la composition une importance parfois beaucoup plus grande, allant jusqu’à y associer tous les personnages de la Mise au Tombeau (dessin de Giovanni Bellini, au Louvre). Du moins le principe italien est plutôt de représenter le Christ avec les bras écartés, les paumes des mains bien ouvertes pour montrer les stigmates; très souvent la Vierge d’un côté, saint Jean l’Evangéliste de l’autre, soulèvent les bras et présentent les plaies saignantes (tableaux de Benozzo Gozzoli, aux Offices de Florence; de Giovanni Bellini, à l’Académie de Bergame, etc., etc.) Quelquefois, ce sont des angelots qui soutiennent le Christ ou ses membres (tableau de Marco Palmezzano, au Louvre; les deux angelots sont accompagnés d’un vieillard dans un tableau de Fra Filippino Lippi, dans la collection R. H. Benson, à Londres, etc.). Un tableau du Musée de Troyes, attribué à Jean Malouel et désigné Le Christ descendu de la Croix, paraît bien représenter une variante de notre donnée, car il met en scène la Vierge, saint Jean et deux angelots, et le tombeau seul manque à l’appel. D’ailleurs un tableau du même peintre, au Musée du Louvre, est non moins original. — Il ne saurait être question de citer ici une longue liste des Christ de pitié; je me reprocherais néanmoins de ne pas signaler une bien curieuse fresque de Fra Benedetto da Fiesole, le frère d’Angelico, au Musée de San Marco, à Florence, et les tableaux au Louvre de Fra Angelico, Francesco Pesello, Carlo Grivelli, Pérugin, Luini, et d’un maître anonyme italien. Mention spéciale pour un tableau attribué à l’Ecole d’Avignon, au Louvre, l’un des plus impressionnants qui soient: le coq n’y figure pas.

     (2) Dans les peintures italiennes, même les plus amplement fournies d’accessoires et de personnages, le coq ne figure pour ainsi jamais; on ne le trouve pas non plus dans le tableau de l’école d’Avignon, au Louvre, cité ci-dessus. Par contre, il existe dans un tableau primitif de l’école espagnole de la collection Fitzwilliam, à Cambridge; dans le rétable de la cathédrale d’Aix, le coq est perché sur la croix. Il est sur la Colonne dans un tableau de Jac. Corn. van Ostzanem, au Musée impérial de Vienne, tableau remarquable par sa composition compliquée.
     Il existe également sur la cloche du beffroi de Perpignan datée 1418. En [p.12] France le coq est devenu traditionnel sur les cloches d’autant plus facilement que son image a toujours été sympathique et même plus ou moins emblématique pour les Français. Il figurait déjà régulièrement dans les scènes de la Passion ornant les sarcophages antiques ou les frises romanes du Midi de la France.

     (1) [de la page 12] Robert GUERLIM, Notes sur quelques représentations du saint Sacrifice de la Messe, dans la Revue de l’Art chrétien, 1890. — Voir, même revue, aux années 1887, 1888, 1889, 1894.

     (2) Revue de l’Art chrétien, 1911, p. 221-224. — Ephemeris campanographica, 1911, p. 120-126.

4) Léon Guibourgé (1957)

     D’après l’usage, la cloche porte encore des petits bas-reliefs en forme de médaillons, au nombre de six, représentant deux sujets répétés plusieurs fois. Le premier sujet est la Vierge et l’enfant, entourés de hérons et de perroquets. L’autre est l’image du Christ de pitié, appelée encore «Christ de Saint-Grégoire» parce qu’il rappelle une vision légendaire du Pape Saint Grégoire où Jésus est représenté mort, sortant du tombeau et entouré des instruments de la Passion sans oublier le coq. Cette façon d’orner les tableaux ou inscriptions est bien une des caractéristiques de cette époque.
Étampes ville royale, Étampes, chez l’auteur, 1957, p. 45.

5) Jacques Gélis (1999)

     D’un poids de deux tonnes, elle est ornée de délicates vignettes en creux, dites «planchettes», dont une Vierge à l’Enfant et un Christ de Pitié.
Patrimoine au cœur, Étampes, Étampes-Histoire, 1999, p.149.
 

Source: cliché de Bernard Gineste, octobre 2010.
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE

  Éditions

     Bernard GINESTE, «Le Christ souffrant de la cloche de Jean de Berry (1401)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-15-cloche1401christsouffrant.html, 2010.

Sur les représentations du Christ souffrant en lien avec celles de la Vierge

     Erwin PANOFSKY (1892-1968),
«Imago Pietatis. Ein Beitrag zur Typengeschishte des Schmerzenmanns und des Maria Mediatrix», in Festchrift für Max Frienländer, Leipzig, 1927, pp. 261-308.

     Françoise ZANESE, Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France 63 (2003), p. 230, note 5, donne les références suivantes, que je n’ai pu consulter: Jean NOUGARET, «Iconographie campanaire médiévale dans l’actuel diocèse de Montpellier», in Mémoires de la Société archéologique de Montpellier (Hommages à Robert Saint-Jean), t. XXI, 1993, pp. 222-228 (avec illustrations); Jean NOUGARET, «L’iconographie campanaire du XIVe au XVIIe siècle», in Chants des cloches, voix de la terre. Carillons et traditions campanaires en Languedoc-Roussillon, Montpellier, Presses du Languedoc, 2000, p. 59-64 (avec illustrations).

Étampes au XVe siècle

     Corpus Médiéval Étampois: XVe siècle (liste des documents et études mis en ligne sur le moyen âge étampois sur le site du Corpus Étampois)


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