L’ABEILLE D’ÉTAMPES
122e Année - 1933
Samedi 1er juillet 1933, p.
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Le Dieu gaulois de Bouray
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ARCHÉOLOGIE
Le Dieu gaulois de Bouray
Le Musée des Antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye
vient de s’enrichir d’un objet d’art précieux qui nous appartient
en quelque mesure, puisque c’est près d’Étampes qu’il fut
découvert. Aussi pensons-nous que les lecteurs de l’Abeille
nous saurons gré de leur faire connaître ce petit monument,
que les archéologues seuls ont jusqu’ici examiné et commenté.
La découverte
n’en est pas récente: c’est vers 1845 qu’un ouvrier, en curant
la Juine, dans sa traversée du parc du Mesnil-Voisin à
Bouray, amena au jour du fond de la rivière une statuette singulière
en bronze, haute de 42 centimètres et représentant un
personnage humain à tête volumineuse, surmontant un corps
trop grêle et dyssimétrique
[sic], accroupi sur ses jambes repliées. Les bras
manquaient déjà à ce moment, l’un avait été
brisé et l’autre arraché au niveau de la soudure qui le
reliait au corps.
La
statuette demeura au château du Mesnil-Voisin sans attirer l’attention
du monde savant, jusqu’en 1912, date à laquelle Héron de
Villefosse, Conservateur des Antiquités grecques et romaines au
Musée du Louvres, connut son existence grâce à M.
l’abbé Bonno qui avait eu l’occasion de le voir. Héron de
Villefosse obtint l’autorisation de photographier et d’étudier
l’objet, auquel il consacra en 1913 un excellent mémoire dans les
publications de la Société des Antiquaires de France. Mais
il ne parvint pas à en réaliser l’acquisition pour un de
nos Musées nationaux. Les démarches tentées depuis
cette époque par MM. Salomon Reinach, Hubert, Lantier, Conservateur
et Conservateurs-adjoints du Musée de Saint-Germain, par nous-mêmes
enfin, ne purent aboutir et les lettres demeurées sans réponse
faisaient craindre que cette statuette, comme tant de nos trésors
nationaux, n’eût elle aussi traversé l’Atlantique, sans doute
pour toujours. Mais la mort déjoue les calculs des hommes et trompe
leurs prévisions. A l’occasion d’une succession, le dieu de Bouray
quitta le château du Mesnil-Voisin et devint la propriété
d’un marchand d’antiquités. M. Raymond Lantier, l’actuel et zélé
conservateur du Musée de Saint-Germain, que l’on ne saurait trop
féliciter de sa prévoyance et de son activité en cette
affaire, avait, si nous osons dire, jeté l’embargo sur notre dieu
gaulois et signalé son arrivée possible dans le commerce
aux négociants de ces objets. Il fut ainsi prévenu de la
vente et put acquérir la statuette pour le Musée de Saint-Germain,
où elle est actuellement et, autant que les vicissitudes humaines
permettent de l’espérer, définitivement conservée. C’est
là que nous avons pu l’admirer récemment, avec la curiosité
que l’on devine et aussi en quelque sorte avec la joie de voir revenu au
foyer un être cher que l’on croyait disparu.
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Certes notre Dieu de Bouray n’est pas beau. Il ne faut pas lui demander
la grâce d’un Apollon, ni la sereine majesté d’un Jupiter
promenant sur le monde des hommes et des dieux un regard altier et dédaigneux.
Cependant sa tête n’est pas dénuée de charme, l’ovale
est régulier, le nez droit, les cheveux en mèches ondées
que sépare une raie centrale sont traités avec art, la bouche
semble sourire, mais le menton est lourd, le regard hébété,
les oreilles énormes. L’œil gauche, seul conservé, en pâte
de verre, montre un iris d’un bleu dur, peu humain. Cependant, on reconnaît
dans cette facture grossière, une influence hellénique ayant
inspiré maladroitement un métallurgiste, très habile
dans l’art de fondre et d’assembler des pièces de bronze, moins
sûr de son art dans le modelé des traits du visage. Cette
influence de l’art grec et cette imitation malhabile du plus beau type humain
qu’on ait jamais connu, sont communs à l’époque gauloise.
C’est ainsi que les monnaies gauloises nous montrent des déformations
des types monétaires helléniques qui, répandus dans
le monde celtique, ont été imités plus ou moins grossièrement
dans les ateliers de la Gaule.
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Détail du
chaudron de Gundestrup
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Nous ne décrirons
pas l’assemblage des plaques de bronze traitées au repoussoir qui
constitue la statuette. On trouvera dans le mémoire déjà
cité et dans la belle publication que prépare M. Lantier
tous les détails techniques et les comparaisons qu’appelle cette
œuvre singulière, avec les rares figures gauloises que nous connaissions
jusqu’ici. Mais nous appellerons l’attention sur quelques particularités.
Le collier terminé par deux boules qui entoure le cou de notre
statuette permet d’affirmer qu’il s’agit d’une représentation gauloise,
car cet ornement était caractéristique, dans le monde antique,
du costume de nos ancêtres. On voit ce torque sur la statue du Gladiateur
mourant, conservée au Musée du Capitole à Rome et
sur toutes les figurations gauloises de quelque importance. Parfois même,
le personnage est non seulement orné d’un torque au cou — torquatus
comme disaient les Romains — mais tient encore un torque à la main
, comme pour affirmer la valeur symbolique ou nationale de cet ornement.
La position accroupie a été relevée sur d’autres figurations
celtiques, sur le chaudron en argent de Gundestrup notamment, découvert
dans le Jutland. Enfin, notre statuette présente une ressemblance
frappante avec une tête en bronze découverte dans les dragages
de la Saône, qui a fait partie de la collection Danicourt au Musée
de Péronne, pillé, lors de la dernière guerre, par
les envahisseurs.
Il est donc hors de
doute que nous avons, dans la statuette de Bouray, une figure gauloise
et non romaine, assez récente, d’après son style, que l’on
peut dater du premier siècle de notre ère. Héron
de Villefosse a montré, avec beaucoup de clarté, qu’il s’agit
de l’image d’un dieu et non d’un portrait. Les Romains furent tolérants,
on le sait, pour les cultes des peuples conquis: ils laissèrent
les vaincus adorer leurs dieux auxquels, par une diplomatie religieuse bien
comprise, ils assimilèrent les leurs de manière à permettre
un culte commun aux divinités indigènes et aux divinités
impériales. On adora le dieu gaulois de la guerre et le Mars du
panthéon gréco-romain sous un double nom, ce qui mit en repos
la conscience des Gaulois soumis et des fonctionnaires romains. Et de cette
tolérance si sage naquirent l’unité morale et la paix religieuse,
qui devaient permettre à la Gaule romaine de connaître cinq
siècles de prospérité et de développement intellectuel.
Ce
n’est donc pas à l’envahisseur latin qu’il faut attribuer la
destruction du sanctuaire qui, à Bouray même peut-être,
abrita notre statuette et auquel nos ancêtres apportèrent
le tribut de leurs offrandes, de leurs prières et de leurs larmes.
Est-ce à l’époque de la prédication chrétienne
en Gaule qu’il faut faire remonter la ruine du temple, la mutilation de
l’image et son immersion dans la Juine? Nous l’ignorerons sans doute toujours,
mais l’iconoclaste sacrilège qui précipita dans notre paisible
petite rivière, l’image vénérée de Bouray lui
assurait, bien contre son gré, une conservation prolongée.
La vase recouvrit lentement l’image sacrée qui pendant près
de deux mille ans, ignora les luttes qui ensanglantaient le monde. Revenue
à la lumière du jour, elle ne retrouva plus ses fidèles,
ni son culte disparu à jamais, mais elle connaîtra d’autres
adorations. Tous ceux que le passé ne laissent point indifférents
et ceux qui comprennent l’éternel désir d’idéal de
l’humanité contempleront avec une curiosité émue cette
effigie barbare qui symbolisa les rêves et les aspirations de ces
hommes lointains dont nous descendons, devant qui peut-être des mères
ont pleuré, qui donna peut-être, en dépit de sa grossière
apparence une espérance et un apaisement à l’éternelle
douleur des hommes.
R. DE SAINT-PÉRIER
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Héron de Villefosse
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BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
Antoine HÉRON DE VILLEFOSSE (1845-1919),
Le Dieu gaulois accroupi de Bouray (Seine-et-Oise) [in-8°;
32 p.; fig.; extrait des Mémoires de la Société
nationale des antiquaires de France LXXII], Paris, 1913.
René
de SAINT-PÉRIER, «Le dieu gaulois de Bouray»,
in L’Abeille d’Étampes (1er juillet 1933), p. 1.
Raymond LANTIER [conservateur du Musée
de Saint-Germain-en-Laye (1886-1980)], «Le dieu de Bouray», in Monuments Piot
34 (1934), pp. 35-58.
André VARAGNAC [conservateur au
Musée des Antiquités Nationales] & Gabrielle FABRE [Conservateur
au cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale], L’Art
Gaulois. 2e édition [311 p.; illustrations], La Pierre-Qui-Vire,
Zodiaque [«La nuit des temps» 4], 1964, spécialement
pp. 96, 129-130 (planches 43-44) & pp. 287-288, 299-300 (planches
19-19) [intéressant parallèle dans l’art roman auvergnat
du XIIe siècle].
Bernard BINVEL, Dominique BASSIÈRE,
Alain DEVANLAY, Georges GAILLARD, Bernard MARTIN, Michel MARTIN,
Richard PROT, «Le pays d’Étampes à l’apogée
de l’Empire», in Jacques
GÉLIS [directeur de la collection], Michel MARTIN & Frédéric
BEAUDOIN [directeurs du premier tome], Le pays d’Étampes.
Regards sur un passé. Tome 1: Des origines à la ville
royale, Étampes, Étampes-Histoire, 2003,
spécialement pp. 62-63.
Bernard GINESTE [éd.], «René
de Saint-Périer: Le dieu gaulois de Bouray
(1933)», in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/cae-00-saintperier1933dieudebouray-abeille.html,
juin 2004.
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